Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Articles récents

UNE SI LOINTAINE CONTRÉE.

8 Janvier 2025 , Rédigé par Kader Rawat

UNE SI LOINTAINE CONTRÉE.
 
Je pus à peine distinguer deux silhouettes dans la lueur faible que projetait la lanterne. Une se trouvait debout tout près du brancard tandis que l’autre, probablement celui qui n’avait pas encore prononcé une seule parole et qui s’appelait le vieux Cheik, se trouvait assis encore dans la charrette, derrière la jument dont les pattes, sous le reflet de la lumière, se prolongeaient, comme celles de géants, dans la pénombre.
— Qu’est-ce que cela nous servira, Radegonde, répondit le vieux Cheik, que nous rencontrions qui que ce soit ? Ne sommes-nous pas capables de nous occuper de nous-mêmes ? D’ailleurs, je me sens mieux et les tisanes me font beaucoup de bien. Mais, à mon âge, je ne peux pas avoir les vigueurs d’un jeune homme.
— Laisse-moi t’aider à descendre, vieux Cheik. Je suis sûr que nous avons des choses à faire avant de nous reposer. Cette demeure me paraît étrange et sinistre. Les bruits que nous faisons et notre lumière auraient dû attirer l’attention du chien que nous avions entendu aboyer tout à l’heure. C’est quand même bizarre qu’avant notre arrivée il aboyait comme s’il voyait le diable. Cela m’étonne qu’il n’y en ait pas dans le parage. Maintenant que nous sommes si près de la maison, il s’est tu et ne se montre pas. Comment peux-tu m’expliquer tout ça vieux Cheik, toi qui as vécu si longtemps, qui as beaucoup d’expérience et qui connais bien les manifestations singulières des animaux.
– J’ai l’impression que nous ne sommes pas seuls, Radegonde.
— Vieux Cheik, vieux renard, pensai-je, si tu savais combien ta réponse est exacte ! Tu mérites une récompense pour avoir deviné juste, sans éprouver de doute ni d’hésitation.
Je ne savais combien je me sentais réconforté, soulagé, assuré par la présence de ces deux individus que je n’avais même pas encore vus. J’étais certain qu’ils étaient inoffensifs, respectables et qu’il n’y avait en eux, d’après les paroles qu’ils avaient échangées, rien de méchant, de dangereux. Je ne voyais même pas l’intérêt de me méfier d’eux, ni de douter de leur bonté et de leur sincérité. Leur présence dans la région était encourageante. Je commençais par me poser des questions sur ce qu’ils étaient venus chercher dans une si lointaine contrée. J’étais pourtant étonné de n’éprouver ni inquiétude, ni voyais-je mon état d’esprit perturbé par de telle présence. Je sentais au contraire une force morale qui faisait disparaître mes douleurs, diminuait la pression qui me pesait dessus, calmait mes angoisses et enlevait ma frayeur.
Je voulais m’approcher d'eux, les appeler afin qu'ils puissent savoir que j'étais là, tout près, mais je fus retenu par je ne savais quel sentiment d'hésitation, comme pour vouloir demeurer encore dans la pénombre afin d'épier leurs mouvements, d'écouter leurs conversations, de connaître davantage ce qu'ils se disaient, de comprendre ce qu'ils étaient venus chercher dans cette région, d'apprendre plus qu'il m'en fallait sur eux avant de me montrer. Je ne voulais pas les choquer, les étonner, les surprendre par mon aspect délabré et sinistre, mon état dépravé, miséreux, et piteux.
– Faut trouver un abreuvoir, parla le vieux Cheik d’une voix lointaine, distante, faible, étouffée dans une gorge vieillie. Pendant une bonne partie du trajet, nous l'avons privé d’eau.
– Pas besoin de t'inquiéter de tout ça vieux Cheik, dit Radegonde en baissant sous la charrette pour décrocher la lanterne, ma jument est habituée à parcourir de long trajet à travers toute l'Ile sans montrer la moindre fatigue. Elle est encore jeune et vigoureuse. Je la nourri aussi très bien pour qu'elle ne me donne pas des ennuis. Et puis je n'aime pas trop m'abuser d'elle quoique je connaisse ses capacités. Je vais la détacher de la charrette et la laisser dans la prairie jusqu'au matin afin qu'elle puisse retrouver sa forme. Je n'y pensais pas, quand nous avions quitté la ville le matin, que nous aurions fait tout ce trajet pour arriver jusque-là. Je me demande comment cette insurrection pouvait t'intéresser à ce point. Tu me parles tout d'abord que tu voulais t'acheter un esclave et quand tu t'es aperçu ce qui fut arrivé aux maîtres tu te lances à la recherche d'un jeune homme que tu veux absolument rencontrer pour Dieu sait quelle raison. Est-ce que tu crois que je peux comprendre quelque chose de ce que tu mijotes. Il est vrai que tu m'as offert une bonne récompense, tu m'as payé plus qu'il en faut pour t'assister dans ton entreprise mais ne trouves-tu pas, vieux Cheik, que c'est plutôt une perte de temps et que tu es en train de poursuivre un fantôme que tu ne parviendras jamais à attraper. Crois-tu en cet esclave mourant que nous avons rencontré en chemin et qui t'a dit que tu trouveras ce ..... comment s'appelle-t-il encore ?
– Charles, répondit le vieux Cheik.
— Oui, que tu trouveras Charles sur le chemin qui mène vers le nord. On verra bien s’il t'a dit la vérité.
Cette fois-ci, il n'y avait pas de doute que le vieux Cheik me cherchait. Je ne voulais plus rester un instant dans l'ombre et, comme poussé par un instinct, je fis quelques pas et dis à haute voix.
— C'est vrai ce que cet esclave vous a dit, monsieur le vieux Cheik. Je me trouve bien dans la région. J'ai dû marcher pendant longtemps avant d'arriver jusqu'ici. Si vous me cherchez, ce n'est pas la peine de vous fatiguer. Voyez-vous-mêmes dans quel état je suis. J'ai à peine atteint la maison que vous vous pointez dans votre charrette.

 

Lire la suite

LA FEMME VOILÉE

5 Janvier 2025 , Rédigé par Kader Rawat

A l’Île de la Réunion, dans les années 80, ce n'était pas difficile de distinguer une femme voilée parmi une foule de gens qui vaquaient à leurs occupations.
Je ne faisais bien entendu, aucune exception, d’autant plus que je portais le voile en toute liberté, sans contrainte et de plein gré, avant que la loi ne change.
Une femme voilée ne passe pas inaperçue dans une ville aussi moderne et ouverte que Saint-Denis, capitale de l’ile de la Réunion, Département français situé dans le sud-ouest de l’océan indien.
Je ne portais pas de voile pour me faire remarquer, ni pour attirer sur ma personne des regards remplis de curiosités. C’était un choix que j'avais fait et que j'avais voulu mettre en pratique pour respecter les croyances liées étroitement à ma religion, ce qui ne regardait que moi. Je savais également que je n’avais des comptes à ne rendre à personne de ce choix personnel de ma part et que tout n’était qu’une question de conscience et de comportement.
Ma conscience était tout à fait tranquille derrière le voile que je portais depuis quelques années déjà. Cela dit, avant que je décidais de porter le voile j’étais comme toutes jeunes filles de mon âge qui évoluaient dans une société moderne.
Je suis la cadette d’une famille nombreuse, composée de cinq frères et de cinq sœurs. Mes parents et grands-parents sont encore vivants et habitent tous dans la même ville, à quelques rues de distance. Quand nous nous réunîmes tous, particulièrement les dimanches, nous formons une très grande famille, perpétuant la tradition et passant ensemble un moment agréable avant de nous retourner chez nous pour continuer notre train de vie.
Je suis mariée déjà depuis cinq ans et mère de trois enfants, deux garçons et une fille, tous en bas âge. Mais je dois toutefois avouer qu’ils sont toute ma fierté et ma raison de vivre. Mon mari exerce la fonction d’Imam à la médersa. C’est un homme que j’avais vu pour la première fois le jour où il était venu à la maison pour me voir en vue d’une demande en mariage. Cela pourrait paraître tout de même étrange que dans ce temps moderne un mariage de raison est encore d'actualité. Je n’ai aucune honte de l’avouer que s’il ne m’aurait pas plu je n’aurais pas dit oui. Toutes jeunes filles musulmanes qui s’engagent dans la voie matrimoniale doivent d’abord donner leur accord devant deux témoins qui viendront les interroger pour avoir la certitude de leur consentement. L’homme qui se présentait devant moi ce dimanche du mois de Décembre en présence de nos deux familles venait d’achever ses études de théologie à l’étranger où il avait passé cinq années. Il était l’ainé d’une famille de sept enfants dont quatre garçons et trois filles. Il devait avoir environ vingt-cinq ans le jour où je l’avais vu. J’avais dix-neuf ans et après avoir décroché mon diplôme de baccalauréat au lycée du Butor je n’avais plus poursuivi mes études. Mes parents m’avaient fait comprendre que je ferais mieux me marier et fonder une famille. Il est encore de coutume dans ces années 80 de garder ces vieilles traditions, d’écouter et d’accepter sans rechigner ce que les parents décidaient. Je m’étais élevée dans ces coutumes et traditions et je ne regrette rien de ces merveilleux moments que j’avais passés sous le toit paternel où j’avais acquis tous les apprentissages de la vie.
Mon père exerçait son commerce de prêt à porter dans la rue Maréchal Leclerc, pas trop loin de la mosquée, un emplacement bien situé pour faire de bonnes affaires. Nous étions comptés parmi les familles aisées et respectables de la ville et avions une certaine notoriété. Notre cercle familial s’étendait jusque dans les villes de l’ouest et du sud de l’île où bon nombre des membres de la famille mène une existence tranquille et sans histoires. Nous nous rencontrions souvent lors des invitations lancées par un membre de la famille et passions ensemble des moments agréables. Nous recevions aussi chez nous de la famille que nous avions invitée et faisions notre possible pour les faire plaisir. Notre maison était de construction récente et possédait toutes les commodités pour permettre de mener une existence agréable, aisée et aussi de partager à nos invités ce confort de vie qui faisait partie de notre existence. Nous trouvions toujours le moyen de les mettre à l'aise. Le grand jardin aménagé à l’arrière cour donnait de l’espace et une fraîcheur qui apaise l’esprit. Une fragrance émanée des fleurs récemment plantées apportait un bien-être à quiconque voudrait profiter. J’aimais me retrouver dans ce petit coin tranquille quand j’avais besoin un peu de solitude.
Ce dimanche que je m’étais présentais devant l’homme que je devais épouser, je me trouvais seule dans ce petit coin du jardin, assise sur la balançoire qui m’avait bercée depuis ma tendre enfance. Je réfléchissais sur mon sort et sur l’importante décision que je devais prendre. Ma grande sœur qui m’avait remarquée était venue me voir pour me parler. Elle était mariée déjà et mère d’un fils de trois ans. Son mari était dans l’éducation nationale. Il était professeur d’histoire-géo.
– Et alors ? Il te plait ? me demanda ma sœur.
Elle était ma seule confidente. Avec elle je partageais mes secrets, mes peines et mes joies. Quand j’avais besoin des conseils, c’était vers elle que je me tournais. Je savais que je pouvais la faire confiance quand j’avais une importante décision à prendre ; elle allait m’éclairer les idées, me montrer le chemin à prendre, me prévenir des pièges de la vie.
– Il n’est pas mal.
J’avais sorti cette réponse instantanément, pour tout simplement donner cette première impression que j’avais fait quand je l’avais vu.
La coutume veut que le garçon, accompagné des membres de sa famille vient rendre visite dans le but de voir la fille. C’était tout de même pour moi un moment où je sentais monter la pression au plus haut niveau. C’était comme passer un examen d’évaluation sur soi-même. Je savais que j’avais tous les atouts pour plaire. Je ne me faisais pas des inquiétudes de ce côté-là. Mais de se présenter devant les gens qui sont venus exprès pour vous regarder, pour vous examiner dans les moindres détails, pour observer vos mouvements me paraissait d’une ridiculité pas possible. Je sentais comme une bouffée de chaleur me monter au corps quand ces regards insistants étaient braqués sur moi. J’avais une envie terrible de me lever et d’aller me réfugier quelque part. Je ne savais pas ce qui me retenait. Mais heureusement que dans des circonstances pareilles quelques voix se firent entendre pour détendre l’atmosphère, pour faire s’élever quelques éclats de rires et pour dissiper cette lourdeur crée parfois par un silence absolu.
C’était la première et seule fois que je me trouvais dans une telle situation. Il aurait pu y avoir d’autres occasions si un de nous deux concernés aurait exprimé un refus. Mais tel ne fut pas le cas.
La tradition le veut que ce soit le garçon qui donne la réponse en premier. Cela peut se faire le jour même de cette rencontre ou cela peut prendre quelques jours supplémentaires voir même une semaine ou deux. Mais la décision finale revienne à la fille. Si elle n’est pas d’accord, si elle hésite encore avant de se décider, si elle veut prendre davantage le temps de réfléchir, elle est dans son plein droit.
Quoi demander de mieux ?
Je ne vous cache pas que j'ai pris mon temps pour décider à donner ma réponse. Ce n'était nullement délibéré. J'avais besoin de prendre plus de renseignements sur la famille du garçon et sur le garçon lui-même. Etant satisfaite des informations que j'avais eues, j'informais mes parents que j'étais d'accord pour donner une réponse positive à cette demande en mariage à la seule condition que le temps me soit accordé pour connaître mieux l'homme que je devais épouser. Donc les fiançailles étaient prévues dans le programme qui serait mis en place par la suite.

 

Lire la suite

DES MAÎTRES ET DES ESCLAVES PROLOGUE

30 Décembre 2024 , Rédigé par Kader Rawat

DES MAÎTRES ET DES ESCLAVES

 

PROLOGUE

 

Plusieurs nations traversaient l’océan indien au début du 18ème siècle. Les Français étaient les premiers à s’intéresser vraiment à l’Ile de France. Les Hollandais qui s’y trouvaient la quittaient à jamais. Ils étaient déçus, découragés et même désintéressés peut-être par son état sauvage et la distance qui la séparait des grands continents.

La Compagnie des Indes venait s’y installer. Elle cherchait plutôt un port pour abriter leurs navires pendant les quatre longs mois cycloniques de l’année. L’île de France n’avait pas en réalité grande chose à les offrir. Elle était couverte d’une végétation dense. Il y avait des marécages, des ravins, des rivières, des ruisseaux, des étendues de plaines, des forêts vierges encore, des lacs perdus au fond des bois, des belles plages de sables blancs et fins, des régions côtières superbes, une quantité de gibiers, des anguilles, des poissons, des tortues.

Entre Port Warwyke - plus tard Grand Port et Port Nord-Ouest, ils optèrent pour ce dernier qui fut appelé par la suite Port-Louis. Cette région de l’île fut séparée en ce temps-là en deux parties par un ravin marécageux creusé par les ruisseaux de la montagne Le Pouce. Une épaisse végétation s’étendait jusqu’au Morne de la découverte, aujourd’hui la montagne des Signaux, et le quartier des Remparts à gauche et jusqu’au quartier de la rivière Latanier à droite.

Des cases en palissades et en terre, des paillotes, des baraquements couverts des feuilles de lataniers, servaient d’abri aux hommes de la Compagnie des Indes et aux soldats.

C’était le début d’un long travail assidûment élaboré sous le commandement des grands hommes tels que le Gouverneur Mahé de Labourdonnais, l’Intendant Poivre, le Bailli de Sufren ; leurs efforts, à des époques différentes, aidaient à la formation d’une colonie solidement bâtie dans ces terres et dont les empreintes marquèrent les générations futures.

Plusieurs bâtiments importants tels que L’Hôtel du Gouvernement, l’hôpital, les casernes, la loge, l’église paroissiale, les logements, les bureaux et, même un bagne pour les noirs marrons, les récidivistes, les criminels, les fauteurs de troubles furent construits dans divers lieux de la ville. Les quartiers résidentiels et commerciaux s’étendaient à des endroits où les activités prenaient de l’essor. Une variété de plantes et d’animaux atteignit l’île par la suite. Les forêts étaient pullulées de gibiers, de singes, de tortues ; certaines régions étaient transformées en vergers, en jardins d’acclimatation pour ces plantes exotiques venant des quatre coins du monde. L’agriculture coloniale trouvait sa naissance dans les démarches et les activités que les agronomes, les botanistes et les jardiniers mirent en place pour la réalisation des grands projets qui prenaient au fil des années des dimensions considérables.

 Alors que le Directeur de la Compagnie des Indes trouvait en Port-Louis une loge fortifiée, un entrepôt, un port d’escale, le Gouverneur Mahé de Labourdonnais trouvait plutôt une ville solidement bâtie dans l’Océan Indien. Plusieurs services furent déjà mis en place dans l’Ile. Les ouvertures des routes carrossables, reliant un quartier à l’autre, aidaient les habitants à se déplacer avec facilités. Les colons effectuaient de fréquents voyages dans l’intérieur de l’île. Beaucoup de personnes venant des régions lointaines et avides aux gains, à la richesse abordaient l’Ile dans l’intention de s’y établir et de faire fortune le plus rapidement possible. L’arrivée des engagés indiens, des esclaves malgache et africain fit accroître en peu de temps le nombre d’habitants. Les flottes françaises, dans la course aux armements et à la conquête des terres, se heurtaient bien souvent aux escadres anglaises qui se montraient très redoutables. Pendant la guerre de sept ans, la Compagnie des Indes, voulant agir à sa guise, fut complètement ruinée, cédant tous leurs comptoirs aux Indes, et en même temps l’Ile de France contre une importante somme d’argent, au Roi de France.

Les activités à I ‘Ile de France devinrent en ce temps-là intenses. L’Ile avait le renom d’être le nid des corsaires. Plusieurs hommes sans scrupules y débarquèrent pour faire fortune sur la misère publique. En mer, corsaires, pirates, flibustes, navires marchands luttaient pour la survie. Les catastrophes naturelles, les calamités, les carnages et les massacres ne pouvaient être évités. Seuls les plus rusés, les plus puissants, les plus équipés, les mieux préparés étaient épargnés. Les colons se réunissaient dans les sauteries que les officiers de la garnison organisaient. Les gens s’amusaient dans des soirées, des festivités. Les enfants des colons s’habituaient à la vie mondaine par des sources de distractions que les gens soucieux d’organiser leur vie trouvaient au sein même de la société naissante.

L’arrivée des administrateurs royaux portait d’autres changements dans l’aspect de l’Ile. En peu de temps les réparations des bâtiments délabrés furent effectuées. Une relance exceptionnelle des activités agricoles permit l’île à s’approvisionner des denrées alimentaires prêtes à l’exportation. Trois moulins à eau fabriquaient de la farine, une boulangerie, des magasins, une imprimerie furent mises en place et fonctionnaient admirablement. Des produits vivriers aussi abondaient l’Ile et permettaient aux habitants de tirer profits.

Malgré que le libertinage chez les blancs comme chez les noirs atteigne une proportion considérable, les administrateurs royaux eurent du fil à retordre pour réprimer ces immoralités de vieille date. Cela, par contre, n’affecta pas tellement les mœurs de l’île.

Les cabarets de la ville accueillaient tous les gens assoiffés de divertissements ; la présence des officiers et des colons des lointains quartiers fût très marquée. Les esclandres, les multiples accrochages publics, les affrontements entre individus ou groupe des gens, les conflits sociaux, les fouteurs de troubles furent vivement réprimandés par les personnes ayant la compétence de maintenir l’ordre public et de le faire respecter. Les lois en vigueur décrétées par le Conseil, la traite des noirs, les avis et communiqués atteignirent le grand public par des voies normales et de manières décentes et convenables.

Des milices circulaient la région et pourchassaient les mécréants, les bandits, les criminels, les voleurs des grands chemins, les noirs marrons. Les commandants des quartiers avaient une tâche bien délicate pour faire régner l’ordre et la justice. Ils étaient constamment confrontés à des situations difficiles qui pouvaient compliquer leur existence.

Maîtres et esclaves avaient des règlements à respecter et quiconque cherchait à enfreindre la loi ne serait pas épargné du joug de la justice. Mais combien des injustices sociales qui ne furent jamais respectées, dénoncées ? Les faibles subissent toujours dans le silence la loi des plus forts et ce n’est que justice qui vient du ciel qui donne l’équilibre à la situation.

Quand la guerre de l’indépendance de l’Amérique fut éclatée, l’Ile de France, de par sa position stratégique, aida les Français sous le commandement de Bailli de Suffren, de mener une guerre glorieuse contre les Anglais dans les eaux indiennes, aux environs de Pondichéry. Les Anglais subissaient de lourdes pertes et des défaites inimaginables. Ils reconnaissaient l’importance de l’Ile de France dans l’Océan indien. Leurs courages et leurs déterminations de vaincre tournaient leurs regards vers cette île qu’ils cherchaient à s’emparer.

Evidemment, à une époque aussi reculée, des îles semblables dans presque toutes les parties du monde étaient les moins protégées contre les attaques venant de l’extérieur. Les garnisons et les forteresses s’affaiblissaient sous les incessants assauts des ennemis. Les plus forts seulement exerçaient leur domination. Hormis des dangers pareils, ces lieux étaient constamment menacés par des conflits intérieurs qui causaient beaucoup de troubles dans la population.

L’île de France ne fût pas épargnée de ces crises qui éveillaient au sein de la population des craintes, des frayeurs, des incertitudes de l’existence que les habitants ressentaient comme ce matin, la nouvelle qui annonçait et décrivait les horreurs d’une nuit venait se heurter contre les oreilles sourdes encore par le sommeil, mais consternés, stupéfaits par ce qui se disait, par ce qu’on racontait. Port-Louis émergeait des ténèbres pendant que l’aube pointait.

 

Lire la suite

LA RÉUNIONNAISE  4

25 Avril 2024 , Rédigé par Kader Rawat

 

LA RÉUNIONNAISE 

4

 

Je ne tardai pas à mettre en pratique ma résolution. Ma mère qui était la première à remarquer les changements qui s'effectuaient dans mes habitudes me fit part de ses inquiétudes et me fit remarquer que je rentrais tard à la maison. Je me faisais trop belle pour aller au lycée. Je ne faisais en vérité rien de mal si ce n'était seulement de m'attarder dans l'enceinte de la bibliothèque à bavarder avec des amies sur tous nos menus problèmes. Je ne peux expliquer moi-même aujourd'hui ce qui me faisait préférer la compagnie de mes amies au lieu de l'abri discret de ma demeure. Mon père fut sitôt informé de mes retards et il venait me retrouver dans ma chambre pour me demander les raisons. Je lui expliquais que les amies que je fréquentais et avec lesquelles je restais jusqu'à tard n'étaient pas de la mauvaise compagnie. J'étais suffisamment responsable pour savoir ce que je devais faire et ce que je ne devais pas. Ce n'était pas une réponse que mon père aurait voulu entendre de moi. J'étais désolée. Je n'avais pas trouvé d'autres explications à lui donner. J'étais allée le voir un peu plus tard pour lui présenter mes excuses et pour lui assurer que je ne faisais rien de mal et de compromettant. Il était soulagé et m'avait dit qu'il me faisait confiance et qu'il savait que j'étais une fille réunionnaise et musulmane avant tout qui avait la tête sur les épaules. J'était impressionnée qu'il me fasse autant de confiance. Un frisson m'avait traversé le corps tout entier. Je ne comprenais pas pourquoi. Mais j'aurais la réponse bien plus tard, quand il serait peut être trop tard. 

A l'approche des fêtes de fin d'année, tous les élèves étaient contents. Nous n'avions pas beaucoup de devoirs à faire et passions nos temps à nous distraire. Je voulais profiter des occasions qui se présentaient pour m'amuser. Ma présence parmi les groupes de jeunes qui avaient la réputation d'être les feux follets de l'établissement étonnait bons nombres de soupirants que j'avais refoulé auparavant. Je semblais être la bienvenue au milieu de ce cercle que j'avais toujours évité. Certains garçons dont j'avais peut-être blessé les sentiments sans faire attention me trouvaient une proie facile. Je n'avais jamais imaginé que la manière dont je m'étais comportée au lycée avait déplu aux jeunes loups. Ils étaient prêts à me dévorer tout entier. Pourtant en dépit de toutes les peines que j'avais données pour éviter de tomber dans les pièges de l'existence je me voyais bien en train de m'amuser comme une folle garce parmi une foule de gens que je ne connaissais pas. Ce milieu m'était tellement nouveau et étrange que je me sentais complètement perdue. J'avais l'impression de me trouver dans un labyrinthe en train de chercher mon chemin comme une éperdue. Pendant que la fête s'animait et prenait de l'ampleur, les quelques amies qui se trouvaient en ma compagnie me délaissaient pour rejoindre leurs copains qui les avaient entraînées auprès des étals de jeux. Je restais toute seule avant de rencontrer quelques amies qui me suppliaient de se joindre à elles. J'avais trouvé leur compagnie tellement agréable que j'avais passé toute la soirée avec elles. A l'approche de la nuit quelques ampoules électriques suspendues au plafond étaient allumées et répandaient des lueurs faibles dans la grande pièce. Je commençais vraiment à prendre goût aux plaisirs en me mélangeant à la foule. J’étais, sans me rendre compte, en train de m'amuser, dans les bras de ces garçons que j'avais repoussés en maintes occasions. C'était pour moi le début d'une nouvelle vie qui ne cesserait de prendre des dimensions considérables.

Au cours de mes années universitaires, j'avais fait la connaissance d'un jeune métropolitain qui se montrait gentil avec moi. Il ne voulait pas me quitter depuis qu'il m'avait rencontrée. C'était le neveu d'un professeur de l'école. Il était venu passer quelques semaines de vacances dans l'île. Il me parlait de ce monde comme s’il y avait vécu pendant longtemps. Il avait une vaste connaissance. J'étais fascinée par son intelligence. Il voulait me rendre visite chez moi. J’avais parlé de lui à ma mère. Elle m’avait fait comprendre qu’elle n’était pas d’accord que je noue amitié avec des garçons et de faire pénétrer dans la maison des étrangers.

– Ce n’est pas un étranger. C’est un ami, avais-je répliqué.

– Si c’est un ami tu le reçois donc dehors. Chez moi je n’admets pas qu’on introduise qui que ce soit. Et puis, depuis quand tu te fais des amis ? Ce n'est pas de ton habitude de te familiariser avec les garçons. Est-ce que tu crois que ton père sera content d'apprendre sur tes fréquentations ? Notre religion nous interdit toutes ces fantaisies. Je te conseille de bien te comporter si tu veux garder la tête haute. Ton honneur et celui de ta famille ne dépend que de toi.

J'éprouvais une immense tristesse face à la situation. Je trouvais des occasions pour rencontrer mon amoureux dans des lieux discrets où nous pouvions parler librement. J'étais folle de ce garçon qui n'était pas de ma religion et cela me compliquait l'existence. Quand je fis une mise au point sur ma situation je découvris que j'étais engagée dans le mauvais chemin. Je n'avais pas le courage de me détacher de cet homme qui me plaisait tant. Ma mère ne tarda pas à découvrir que j'avais perdu la tête. Elle était déçue. Elle ne pouvait pas accepter l'idée que j'aimais un zorey. Quel compte allait-elle rendre à son époux quand il apprendrait que je fréquentais un étranger et un garçon qui n'était pas de ma religion ? Elle m'avait proféré des menaces et m'avait injuriée pour cette vie de débauche qu'elle me reprochait de mener. Des démarches furent effectuées par la suite, sans que je fusse tenue au courant, pour me trouver un mari dans le meilleur délai avant, disait-elle, que je ne déshonore la famille. En plusieurs occasions des visites inattendues m'obligeaient à me présenter devant des hommes bien différents à mes goûts et à mes aspirations. Certains étaient en tenue arabe, à l'aspect grossier et louche, avec de longues barbes. Ils me donnaient une telle frayeur que j'avais une envie terrible de fuir. Personne ne me convenait ni ne me plaisait. Je fus interdite de quitter la maison sans aucun motif valable. Je fus très affectée de ne pouvoir rencontrer l'homme que j'aimais et à qui je pensais énormément. Après une semaine de m'être privée de le voir, j'éprouvais un désir terrible d'aller le trouver même s'il fallait courir des risques. J'avais l'espoir de pouvoir trouver une bonne excuse pour tromper la vigilance de ma mère qui ne me lâchait pas des yeux. Florence me remit une lettre de mon amoureux m'annonçant qu'il devait rentrer en France dans quelques jours. Je voulais le rencontrer avant son départ. Je commençais à perdre espoir de ne jamais plus le revoir. J'étais si triste et désolée que j’eus envie de me donner la mort. Quand mon amie était partie c'était à ce moment-là que l'idée m'était venue de demander à mon amoureux de venir me voir tard le soir. J'étais certaine qu'il le ferait pour me voir. Je regrettais de ne pouvoir arranger les choses de cette manière. Il ne me restait qu'une seule solution. C'était de me rendre moi-même chez lui. Mais comment tromper la vigilance de ma mère ? Elle surveillait tous mes mouvements. Je priais Florence de demander à Christophe de venir me voir. Je lui fis comprendre combien j'étais malheureuse. Il profitait de ma faiblesse et de l'empire qu'il exerçait sur moi pour me faire l'amour. J'avais connu un instant de bonheur intense avant de nous séparer en nous promettant de nous revoir le plus tôt possible.

J'étais allée à sa rencontre plusieurs fois et nous avions passé des heures ensemble sans nous lasser. J'étais heureuse. Le jour où Christophe devait partir je m'étais enfermée dans ma chambre et avais pleuré pendant longtemps. Florence était venue me consoler. Elle connaissait mes moindres secrets.

 

Lire la suite

LA RÉUNIONNAISE 3

24 Avril 2024 , Rédigé par Kader Rawat

 

LA RÉUNIONNAISE 

3

 

Au lycée un jeune professeur métropolitain portait à mon égard un intérêt particulier. J'éprouvais également pour lui de l'admiration. C'était un type bien, de taille moyenne, mince avec de longs cheveux à la Beatles bien coiffés. Il était marié et avait deux beaux gosses que j'avais entrevus une fois en compagnie de sa femme, une parisienne probablement, dans une bagnole qui était stationnée devant l'établissement scolaire. Il nous enseignait l'histoire. Je n'étais pas une élève très brillante dans cette discipline. Je devais fournir de gros efforts pour avoir de bonnes notes. Je suivais avec grand intérêt ses cours. J'étais souvent désignée pour préparer et commenter devant la classe les parcours des grands personnages de l'histoire, les règnes des Rois de France à l'époque médiévale et même avant. Je faisais des études approfondies des grandes conquêtes de l'histoire. Quand je fus interrogée par le professeur je n'éprouvais pas la moindre hésitation pour parler de tout ce que je savais de ces hommes célèbres et de leurs faiblesses pour les femmes qui avaient partagé leur vie.

Mes études m'aidaient à augmenter ma connaissance et éclairer mon esprit dans plusieurs domaines dont je ne me serais jamais intéressée si ce n'était pas pour compléter mon programme scolaire. J'avais beaucoup d'espoir de pouvoir terminer mes études avec succès et me sentais capable de pouvoir travailler avec acharnement et assiduité. Je me faisais déjà de ce monde des idées bien définies et commençais à regarder l'avenir avec beaucoup de confiance. Je ne manquais pas d'encouragement de la part de mes parents et avais toutes les facilités et le confort dont j'avais besoin.

A cette époque, des transformations radicales s'effectuaient dans les environnements. Les paysages changeaient d'aspect et de caractéristiques. Plusieurs bâtiments étaient en cours de construction pour abriter les familles pauvres et défavorisées qui n'avaient pas de logement salubre. Je me souviens avoir été choisie en classe pour parler des avantages et des inconvénients de situer les établissements scolaires dans des lieux agglomérés. J'abordais les élèves dans la cour de l'école pour leur poser une foule de question sur leur condition de vie dans l'enceinte de l'établissement. De cette manière je parvenais à rassembler des renseignements précieux pour traiter et développer le sujet. J'avais laissé ce jour-là sur ceux qui m'écoutaient parler une forte impression.

Mon père m'avait toujours appris à être simple, modeste et agréable. C'était la raison pour laquelle j'avais de nombreuses amies. J'étais souvent mise au courant de leurs petits secrets, de leurs mésaventures et de leurs déceptions amoureuses.

Depuis ma prime jeunesse j'avais une opinion de ce qu’était la sexualité. Quelques amies intimes m'avaient montré des photos obscènes que leurs copains leur avaient prêtées. Pour moi c'était une curiosité que d'essayer de comprendre ces photos que je trouvais odieuses. Je n'avais jamais imaginé que des choses pareilles existaient. J'étais très souvent perturbée par ces images obscènes qui me hantaient l'imagination les soirs quand je me trouvais seule dans ma chambre. En classe j'avais une préférence pour la littérature générale. J'étais très intéressée de connaître la vie des plus grands écrivains français et étrangers. Je prenais un infini plaisir à parcourir les œuvres qui ont fait parler d'elles de par le monde. Je sélectionnais de nombreux ouvrages romantiques qui alimentaient en quelque sorte mon imagination. Je m'étais inscrite à la bibliothèque départementale de Saint-Denis. J'avais le droit d’apporter à la maison six livres de mon choix pour une durée d'un mois avec la possibilité bien entendu de les renouveler si je voulais les garder plus longtemps. Je lisais jusqu'à fort tard le soir après avoir terminé mes devoirs de classe. Au cours du troisième trimestre j'avais peut être travaillé trop dur. Je commençais à ressentir des fatigues intenses. Mes parents étaient inquiets de mon état de santé. Ils m'emmenaient consulter un médecin. J'aurais dû garder le lit pendant plusieurs jours pour éviter de sombrer dans un état dépressif.

Je n'étais pas insensible à l'évolution de la société dans laquelle je me trouvais. Je portais mes observations sur tout ce qui se trouvait dans mon champ de vision quand je marchais dans les rues et quand je me promenais. Avec le temps je commençais à accepter que la vie eût certaines distractions dont seule la jeunesse pouvait profiter. Quelques amies que je connaissais depuis des années essayaient avec beaucoup de patience à me faire comprendre que je devais changer mon attitude envers les jeunes garçons du lycée qui cherchaient à flirter avec moi. Je ne voulais pas me jeter de mon propre gré dans la gueule du loup mais me disais aussi que cela ne ferait de mal à personne si je me faisais belle et me montrais plus consciente des attentions que me portaient les casanovas.

 

 

 

Lire la suite

LA RÉUNIONNAISE 2

23 Avril 2024 , Rédigé par Kader Rawat

 

J'étais devenue jeune fille à dix ans. Ma mère qui ne m'avait pas encore préparée pour un tel événement s'étonnait de ma croissance rapide. Quand je rentrais à la maison un après-midi après les heures de classe les yeux remplis de larmes parce que j'avais commencé à saigner et que cela n'arrêtait pas, ma mère s'affolait face à la situation et m'emmenait dans la salle de bain pour me laver, pour me montrer les usages et pour m'expliquer la menstruation. J'étais bien embarrassée au début et quand le soir mon père me regardait avec un air de contentement, je devinais que ma mère l'avait déjà mis au courant. J'éprouvais une honte qui me faisait réfléchir sur le changement qui s'était effectué dans ma nature.

Au collège, ma vie devenait intéressante. Je me liais d’amitié avec beaucoup de jeunes filles de mon âge et passais en leur compagnie des moments forts agréables. Je me trouvais dans une société qui évoluait bien vite. Je pris très tôt conscience de la réalité des choses et ne tardais pas à comprendre que pour frayer mon chemin convenablement dans le milieu scolaire j'avais toute raison de respecter les lignes de conduite et de ne pas ignorer que le succès appartient à tous ceux qui savent prendre des initiatives et que la chance ne sourit qu'aux audacieux. Entre-temps la situation de mon père s'améliorait. Il achetait une camionnette Peugeot 404 d'occasion qu'il utilisait pour se rendre à son travail en même temps qu'il me déposait devant l'établissement scolaire. Mon père avait l'intention d'utiliser la camionnette pour vendre des marchandises dans les hauts pendant les week-ends afin d'arrondir sa fin de mois. Il avait des projets pour l'avenir. Il voulait s'acheter une maison en ville. Il avait aussi de l'ambition. Il voulait réussir. Donc il n'avait pas intérêt à rester les bras croisés. Il avait raison de bouger, de saisir sa chance. La ville de Saint-Denis offrait plusieurs perspectives à la réussite. L'activité commerciale paraissait l'une des meilleures par laquelle la fortune pourrait être faite en peu de temps si la personne qui s'y intéressait parvenait à trouver le bon filon.

Un de ses amis le mit en rapport avec un négociant de quartier qui voulait lui acheter sa camionnette. Comme il n'avait pas l'intention de la vendre, il avait mis un prix qui représentait le double de ce qu'il avait payé. La personne en question accepta l'offre. Le bénéfice de cette transaction s'égalait à son salaire du mois. C'était là que mon père eut l'idée de se lancer dans le commerce des voitures d'occasions.

Une fois en sortant de l'école, ma mère m'apprit que nous devrions nous rendre à l'île Maurice. On avait eu dans la journée un télégramme disant que mon grand-père paternel était gravement malade. Mon père avait déjà fait les démarches nécessaires auprès de la Préfecture pour obtenir nos passeports. Ensuite il était allé voir le proviseur de l'école pour me faire avoir l'autorisation de m'absenter pour quelques jours. Ce voyage était mémorable pour moi et en évoquant le souvenir ici c'est comme si je l'avais vécu hier. Un ami de mon père nous avait déposés sur le quai au Port dans l'après-midi. Nous devions embarquer sur le navire Jean Laborde. J'étais malade toute la nuit et avais fait un très mauvais voyage. Mon séjour à Maurice était bref. Mon grand-père que je n'avais vu qu'une seule fois sur son lit pendant qu'il était bien malade mourut peu après. Une semaine plus tard nous étions de retour à la Réunion.

J'avais pris l'habitude, en retournant de l'école l’après-midi, de m'attarder en chemin. Je discutais pendant des heures avec des copines de mon âge sur les coins des rues. Parfois je me rendais chez elles pour rester jusqu'à une heure avancée avant de me décider à rentrer chez moi. Nous écoutions de la musique en mettant plusieurs fois le disque sur un gramophone et copiions sur une feuille de papier les paroles des chansons. Ma mère ne voulait pas comprendre que j'étais avec des amies et me reprochait souvent ma mauvaise conduite et soupçonnait même que je passais mon temps avec des garçons du collège. Pour prouver à ma mère qu'elle se trompait dans ses jugements, j'invitais mes copines à la maison et ma mère était contente de les rencontrer.

A seize ans, année 1962, je resplendissais de joie et découvris de tels charmes qu'en marchant dans les rues, je sentais les regards des hommes peser sur moi. Je ne me laissais jamais aborder par des garçons qui voulaient me faire la cour et évitais de discuter avec eux. Je tenais à ma réputation. Je suivais les conseils que ma mère me donnait. Je préférais m'éclipser aussitôt que je devinais l'intention des garçons qui voulaient m'adresser la parole à la sortie de mon établissement. Je n'avais pas de copains encore quand je commençais à fréquenter le lycée du butor. Je n'en voulais pas.

J'échangeais quelques fois de brèves paroles avec des élèves de ma classe et nous ne parlions que de devoirs et de leçons. Je préférais la compagnie de mes copines avec lesquelles je me sentais tranquille.

Je n'avais jamais éprouvé de regrets en me comportant de cette manière. Je ne savais pas que j'étais en train de transgresser les lois toutes naturelles du lycée en cherchant à me faire passer pour une fille sérieuse et pudique. Les soupirants commençaient à manquer de patience. Je n'allais pas pour autant changer mon comportement. Je demeurais insensible aux attentions qu'ils me portaient, indifférente à leur approche et sourde à leur appel.

 

Lire la suite

LA RÉUNIONNAISE 1

22 Avril 2024 , Rédigé par Kader Rawat

 

LA RÉUNIONNAISE  1

Mes parents étaient des gens pieux. Depuis mon plus jeune âge je compris les craintes qu'ils avaient envers Dieu. Ils se réveillaient tôt le matin et consacraient énormément de temps à la prière. Mon père se rendait à la mosquée pour pratiquer les cinq prières obligatoires de la journée à des heures précises. Le matin quand il rentrait avec du pain et des croissants achetés à la boulangerie située à deux coins de rues de notre maison, j'étais déjà réveillée. Il portait une longue robe blanche et un bonnet blanc sur la tête. Il se rendait dans ma chambre, une pièce étroite et sombre où il y avait un petit lit et une penderie pour ranger mes vêtements. Il s'assit tout près de moi pendant quelques minutes pour me demander si j'avais bien dormi, si j'avais fait de beaux rêves en me caressant le visage. Ensuite il allait voir maman dans la cuisine. Elle s'asseyait toujours dans un sofa placé tout près de la porte pour profiter de l'éclairage et lire le Coran. Sa tête était couverte d'un châle de couleur sombre acheté à des marchands ambulants.

J'allais souvent les rejoindre pendant qu'ils buvaient le thé chaud et fumant. Je m'installais sur les genoux de papa et appuyais ma tête contre son épaule. Je voulais m'assoupir encore un peu en écoutant leur voix. Ils causèrent pendant un bon moment avant que papa ne décidât d'aller travailler. Les rayons de soleil commençaient à s'infiltrer à travers les vitres. Il faisait grand jour. J'avais un an quand la Réunion devint Département Français.

Quand j'étais assez grande et que mes parents me laissaient sortir toute seule, j'allais jouer avec des amis qui habitaient tout près de ma petite maison. Nous aimions beaucoup nous promener dans les rues commerciales pour admirer les vitrines des magasins. Nous passions dans des régions où nous pouvions regarder, à travers les grilles, des cours couvertes de gazon encore humide par la rosée du matin et des grandes maisons. J'aimais beaucoup contempler les belles maisons coloniales encadrées des beaux et gigantesques arbres fruitiers qui faisaient la fierté des propriétaires et des occupants.

Ma mère me faisait apprendre les rudiments de ma religion. Je récitais de longs versets du Coran le soir avant de dormir et pratiquais souvent la prière en sa compagnie dans une minuscule pièce sombre qui sentait l’encens. Quand je fus admise à l'école je pris l'habitude de me réveiller tôt le matin. Je mettais du temps pour me préparer. Avant de choisir une robe je restais longtemps devant la penderie coincée au fond d’une pièce étroite. Mes amies avaient du goût pour l'habillement. Je ne voulais pas paraître médiocre en leur compagnie. Ma mère me criait souvent après pour me rappeler que je n'avais pas besoin de me faire coquette pour me rendre à l'école. J'avais du mal à lui expliquer que pour moi c'était important de porter des vêtements à la mode. En classe je m’appliquais dans mes études et m'étais vite fait remarquer comme une élève brillante, appliquée et disciplinée.

Mes parents m'emmenaient souvent visiter les beaux quartiers de l'île de la Réunion. Nous sortions le matin avant que le soleil se lève. Nous roulions pendant longtemps sur les côtes des montagnes. Nous nous arrêtions souvent dans les rampes pour admirer les paysages pendant que le moteur de la voiture refroidissait. Le parcours était épuisant mais j'appréciais beaucoup ce moment qui me donnait l'occasion de découvrir des coins charmants de mon île. Des amis et des connaissances de mon père qui venaient de Maurice ou de Madagascar passaient souvent leurs séjours à la maison. Mon père les emmenait visiter le volcan, les cirques et leur faisait faire le tour de l'île. J'eus donc la chance dès mon plus jeune âge de connaître des endroits attrayants et d'admirer des paysages grandioses et pittoresques qui me fascinaient.

 

Lire la suite

La belle étrangère (CES PAYS LOINTAINS t. 1)

16 Mars 2024 , Rédigé par Kader Rawat

La belle étrangère (CES PAYS LOINTAINS t. 1) Format Kindle
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Lire la suite

DES MYSTÈRES À ÉLUCIDER

17 Novembre 2023 , Rédigé par Kader Rawat

Des mystères à élucider
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

Quand Akbar s'était retiré, j'avais décidé ce soir-là de me rendre chez mon père. Il n'était pas là. J’allais trouver Fatima dans la cuisine. Elle préparait le repas du soir. Elle me dit que mon père était soucieux ces derniers temps. Je l'avais remarqué mais n'avais pas fait un compte. Je pensais qu'il se mettait dans cet état parce que je démontrais des vilaines manières à l'égard de Salim Issop. J'avais à un moment donné décidé de rompre avec lui mais n'avais pas eu le courage de le faire afin de ne pas rendre mon père malheureux. Il serait déçu s'il constatait une telle chose. Je ne savais vraiment pas ce qu'il avait trouvé en Salim pour lui donner autant d'importance. Je me demandais si Salim lui-même ne l'avait pas vraiment berné. Et puis je me disais que mon père était trop honnête, juste, bon pour se tromper dans ses jugements. Il m'avait bien fait comprendre que quel que soit l'homme avec lequel j'allais me marier, si jamais un jour je me décidais de le faire, ce serait impérativement sous le régime de séparation de biens. Mon père était prévoyant et n'avait confiance en personne. Il m'avait appelée une fois dans sa maison et m'avait fait comprendre que j'étais son unique enfant et qu'après sa mort, toute sa fortune serait à moi. C'était ce qu'il avait décidé. Il tenait absolument à ce que je le sache. Il n'aurait pas aimé que des étrangers viennent profiter des biens qu'il s'était donné tant de peines à accumuler. Il me l'avait dit avec une telle franchise que j'avais senti des frissons passer sur tout mon corps en m'imaginant responsable de la chute et de l'effondrement de cet empire qui représentait toute l'œuvre de mon père. C'était bien ça qui me fait hésiter à me marier.

Je rentrais un soir à la maison à Bellepierre, épuisée après une journée de travail surchargé, quand Akbar vint me rejoindre dans le séjour où j'avais l'habitude de me détendre avant de me retirer dans ma chambre pour me changer. Ce n'était pas de son habitude de venir me trouver sitôt. Je compris qu'il avait des choses importantes à me dire.
– Tu parais très fatiguée, maman. J'ai remarqué que ce dernier temps tu dépenses trop d'énergie dans ton travail. Je voudrais te parler de quelque chose depuis un certain temps mais l'occasion ne me l'avait pas permis. Est-ce que tu seras prête à m'écouter ou voudras-tu qu'on en parle plus tard ?
– Je préfère écouter ce que tu as à me dire. Il est vrai que je travaille trop ces temps-ci. J'aurais besoin de prendre un bon repos mais ce n'est pas le moment. C'est la période où le commerce marche le mieux et je n'ai pas à me plaindre de ce côté-là. Il est bien dommage qu'on ne puisse pas tout avoir. Mais le moment viendra où je mériterai bien des vacances. Nous pourrons en profiter pour voyager un peu. Tu seras toi aussi en congé. De quoi tu veux me parler ?
– Je voudrais avant tout te demander si grand-père se porte bien, si tu n'as rien remarqué d'anormal dans son comportement ?
– Mais quelle question ! Depuis quand tu te préoccupes de la santé de ton grand-père ? Il a son médecin traitant pour ça, mais je dois toutefois avouer qu’il donne l’air un peu fatigué ces derniers temps.
– Tu sais, je vais te raconter quelque chose, mais je crains fort que tu me réprimandes. Je sais que ce n'est pas bien de ma part mais je n'ai personne d'autre à qui parler de cela.
– Mais de quoi veux-tu me parler Akbar ? Tu veux bien me le dire une fois pour toute au lieu de me faire languir.
– Voilà. L'autre soir j’ai surpris grand-père en train de remettre de l'argent à des inconnus. Je suppose que la manière dont cette affaire s'est déroulée me paraît louche. J'ai eu comme une impression que ces individus étaient des escrocs et des malfrats.
– Mais de quoi parles-tu exactement ? Je ne te comprends pas. Ce que tu me racontes là me bouleverse. D'habitude, papa me met au courant de tout. Je m'étonne de devoir apprendre de toi une chose que j'aurais dû savoir de la bouche de mon père. Pourquoi m'a-t-il caché une chose pareille ? Je suis vraiment confondue et ne sais quoi dire. Mais que s'était-il passé ? Comment es-tu au courant que ton grand-père a remis de l'argent à des étrangers ?
©Kader Rawat
Lire la suite

UN DÉBUT DANS LA VIE TROISIÈME PARTIE

16 Septembre 2023 , Rédigé par Kader Rawat

 
 
Ceci est un ouvrage de fiction.
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Par contre je suivais de près les procédures du remboursement de la dette incombée par mon père. Je voulais apporter mon aide mais mon père était trop orgueilleux pour m’entrainer dans ses affaires personnelles à régler. Il voulait s’en sortir tout seul. Je n’avais pas insisté mais restais à l’arrière garde au cas où il fallait intervenir. En fait j’avais mis de côté de l’économie pour pouvoir m’en servir dans les jours à venir afin de rendre plus crédible cette démarche de concrétiser ma demande en mariage avec la fille que je convoitais et que j’avais choisi pour épouser. J’étais prêt à sacrifier ce pécule pour tirer mes parents de la fâcheuse situation où ils se trouvaient. Je ne pouvais démontrer ma volonté, mon dévouement et ma gratitude autrement que de marquer ma présence en apportant mon aide, en quelque façon que ce soit, dans ce genre de situation. Heureusement qu’un accord avait été trouvé et la situation avait pu être réglée à l'amiable. Ce n’était que bien plus tard que j’avais appris que ma mère avait hérité d’une importante somme d’argent suite au décès d’un parent proche. Il aurait fallu bien de temps avant que les sourires ne réapparussent sur les lèvres des membres de la famille et que des éclats de rire sonores ne se firent entendre dans les vastes pièces de la maison. Je pouvais enfin mieux respirer et retrouver l’ambiance que l’on avait perdu pendant si longtemps.
La ville de Saint-Denis offrait en ce temps-là de nombreuses possibilités de distraction par les coins choyés mis à la disposition du public, des visiteurs et de tous ceux qui avaient besoin de prendre l’air, de se divertir et de profiter de la vie. Le Barachois du front de mer avec ses aires de jeux, ses boulodromes, l’immense Jardin de l’Etat avec ses allées, pelouses, bassins, et abritant aussi le Muséum d’Histoire Naturelle au bout de la fameuse rue de Paris gorgée de maisons patrimoines et des édifices publics, le stade de la Redoute avec ses activités sportives, la très récente espace de Champ Fleuri, son parcours de santé étaient parmi les endroits de prédilection que les gens en quête de distraction, de plaisir et d’évasion fréquentaient et s’y rendaient aussi souvent que possible. Je ne faisais pas exception et entrainais avec moi Karine dans ces lieux où nous nous assîmes dans un endroit calme et discret et entamions conversation jusqu’à ce que la lumière du jour commençât à s’estomper. Je la déposais ensuite devant chez elle avant qu’il fît noir.
Le protocole voulait que j’aille déclarer mes intentions aux parents de la fille que j’aimais et fréquentais. J’avais pris un peu de temps avant d’être assuré que nous ne nous fussions pas trompés de nos sentiments et que moi-même j’étais sûr de ce que j’éprouvais envers Karine et certain qu’elle tenait aussi à moi. J’avais voulu me rassurer surtout que les parents de la fille n’avaient pas d’objection à propos de notre relation.
Tous droits réservés y compris les droits de reproduction, de stockage des données et de diffusion, en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit.
©Kader Rawat
Lire la suite
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 > >>