LA RÉUNIONNAISE 4
LA RÉUNIONNAISE
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Je ne tardai pas à mettre en pratique ma résolution. Ma mère qui était la première à remarquer les changements qui s'effectuaient dans mes habitudes me fit part de ses inquiétudes et me fit remarquer que je rentrais tard à la maison. Je me faisais trop belle pour aller au lycée. Je ne faisais en vérité rien de mal si ce n'était seulement de m'attarder dans l'enceinte de la bibliothèque à bavarder avec des amies sur tous nos menus problèmes. Je ne peux expliquer moi-même aujourd'hui ce qui me faisait préférer la compagnie de mes amies au lieu de l'abri discret de ma demeure. Mon père fut sitôt informé de mes retards et il venait me retrouver dans ma chambre pour me demander les raisons. Je lui expliquais que les amies que je fréquentais et avec lesquelles je restais jusqu'à tard n'étaient pas de la mauvaise compagnie. J'étais suffisamment responsable pour savoir ce que je devais faire et ce que je ne devais pas. Ce n'était pas une réponse que mon père aurait voulu entendre de moi. J'étais désolée. Je n'avais pas trouvé d'autres explications à lui donner. J'étais allée le voir un peu plus tard pour lui présenter mes excuses et pour lui assurer que je ne faisais rien de mal et de compromettant. Il était soulagé et m'avait dit qu'il me faisait confiance et qu'il savait que j'étais une fille réunionnaise et musulmane avant tout qui avait la tête sur les épaules. J'était impressionnée qu'il me fasse autant de confiance. Un frisson m'avait traversé le corps tout entier. Je ne comprenais pas pourquoi. Mais j'aurais la réponse bien plus tard, quand il serait peut être trop tard.
A l'approche des fêtes de fin d'année, tous les élèves étaient contents. Nous n'avions pas beaucoup de devoirs à faire et passions nos temps à nous distraire. Je voulais profiter des occasions qui se présentaient pour m'amuser. Ma présence parmi les groupes de jeunes qui avaient la réputation d'être les feux follets de l'établissement étonnait bons nombres de soupirants que j'avais refoulé auparavant. Je semblais être la bienvenue au milieu de ce cercle que j'avais toujours évité. Certains garçons dont j'avais peut-être blessé les sentiments sans faire attention me trouvaient une proie facile. Je n'avais jamais imaginé que la manière dont je m'étais comportée au lycée avait déplu aux jeunes loups. Ils étaient prêts à me dévorer tout entier. Pourtant en dépit de toutes les peines que j'avais données pour éviter de tomber dans les pièges de l'existence je me voyais bien en train de m'amuser comme une folle garce parmi une foule de gens que je ne connaissais pas. Ce milieu m'était tellement nouveau et étrange que je me sentais complètement perdue. J'avais l'impression de me trouver dans un labyrinthe en train de chercher mon chemin comme une éperdue. Pendant que la fête s'animait et prenait de l'ampleur, les quelques amies qui se trouvaient en ma compagnie me délaissaient pour rejoindre leurs copains qui les avaient entraînées auprès des étals de jeux. Je restais toute seule avant de rencontrer quelques amies qui me suppliaient de se joindre à elles. J'avais trouvé leur compagnie tellement agréable que j'avais passé toute la soirée avec elles. A l'approche de la nuit quelques ampoules électriques suspendues au plafond étaient allumées et répandaient des lueurs faibles dans la grande pièce. Je commençais vraiment à prendre goût aux plaisirs en me mélangeant à la foule. J’étais, sans me rendre compte, en train de m'amuser, dans les bras de ces garçons que j'avais repoussés en maintes occasions. C'était pour moi le début d'une nouvelle vie qui ne cesserait de prendre des dimensions considérables.
Au cours de mes années universitaires, j'avais fait la connaissance d'un jeune métropolitain qui se montrait gentil avec moi. Il ne voulait pas me quitter depuis qu'il m'avait rencontrée. C'était le neveu d'un professeur de l'école. Il était venu passer quelques semaines de vacances dans l'île. Il me parlait de ce monde comme s’il y avait vécu pendant longtemps. Il avait une vaste connaissance. J'étais fascinée par son intelligence. Il voulait me rendre visite chez moi. J’avais parlé de lui à ma mère. Elle m’avait fait comprendre qu’elle n’était pas d’accord que je noue amitié avec des garçons et de faire pénétrer dans la maison des étrangers.
– Ce n’est pas un étranger. C’est un ami, avais-je répliqué.
– Si c’est un ami tu le reçois donc dehors. Chez moi je n’admets pas qu’on introduise qui que ce soit. Et puis, depuis quand tu te fais des amis ? Ce n'est pas de ton habitude de te familiariser avec les garçons. Est-ce que tu crois que ton père sera content d'apprendre sur tes fréquentations ? Notre religion nous interdit toutes ces fantaisies. Je te conseille de bien te comporter si tu veux garder la tête haute. Ton honneur et celui de ta famille ne dépend que de toi.
J'éprouvais une immense tristesse face à la situation. Je trouvais des occasions pour rencontrer mon amoureux dans des lieux discrets où nous pouvions parler librement. J'étais folle de ce garçon qui n'était pas de ma religion et cela me compliquait l'existence. Quand je fis une mise au point sur ma situation je découvris que j'étais engagée dans le mauvais chemin. Je n'avais pas le courage de me détacher de cet homme qui me plaisait tant. Ma mère ne tarda pas à découvrir que j'avais perdu la tête. Elle était déçue. Elle ne pouvait pas accepter l'idée que j'aimais un zorey. Quel compte allait-elle rendre à son époux quand il apprendrait que je fréquentais un étranger et un garçon qui n'était pas de ma religion ? Elle m'avait proféré des menaces et m'avait injuriée pour cette vie de débauche qu'elle me reprochait de mener. Des démarches furent effectuées par la suite, sans que je fusse tenue au courant, pour me trouver un mari dans le meilleur délai avant, disait-elle, que je ne déshonore la famille. En plusieurs occasions des visites inattendues m'obligeaient à me présenter devant des hommes bien différents à mes goûts et à mes aspirations. Certains étaient en tenue arabe, à l'aspect grossier et louche, avec de longues barbes. Ils me donnaient une telle frayeur que j'avais une envie terrible de fuir. Personne ne me convenait ni ne me plaisait. Je fus interdite de quitter la maison sans aucun motif valable. Je fus très affectée de ne pouvoir rencontrer l'homme que j'aimais et à qui je pensais énormément. Après une semaine de m'être privée de le voir, j'éprouvais un désir terrible d'aller le trouver même s'il fallait courir des risques. J'avais l'espoir de pouvoir trouver une bonne excuse pour tromper la vigilance de ma mère qui ne me lâchait pas des yeux. Florence me remit une lettre de mon amoureux m'annonçant qu'il devait rentrer en France dans quelques jours. Je voulais le rencontrer avant son départ. Je commençais à perdre espoir de ne jamais plus le revoir. J'étais si triste et désolée que j’eus envie de me donner la mort. Quand mon amie était partie c'était à ce moment-là que l'idée m'était venue de demander à mon amoureux de venir me voir tard le soir. J'étais certaine qu'il le ferait pour me voir. Je regrettais de ne pouvoir arranger les choses de cette manière. Il ne me restait qu'une seule solution. C'était de me rendre moi-même chez lui. Mais comment tromper la vigilance de ma mère ? Elle surveillait tous mes mouvements. Je priais Florence de demander à Christophe de venir me voir. Je lui fis comprendre combien j'étais malheureuse. Il profitait de ma faiblesse et de l'empire qu'il exerçait sur moi pour me faire l'amour. J'avais connu un instant de bonheur intense avant de nous séparer en nous promettant de nous revoir le plus tôt possible.
J'étais allée à sa rencontre plusieurs fois et nous avions passé des heures ensemble sans nous lasser. J'étais heureuse. Le jour où Christophe devait partir je m'étais enfermée dans ma chambre et avais pleuré pendant longtemps. Florence était venue me consoler. Elle connaissait mes moindres secrets.
LA RÉUNIONNAISE 3
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Au lycée un jeune professeur métropolitain portait à mon égard un intérêt particulier. J'éprouvais également pour lui de l'admiration. C'était un type bien, de taille moyenne, mince avec de longs cheveux à la Beatles bien coiffés. Il était marié et avait deux beaux gosses que j'avais entrevus une fois en compagnie de sa femme, une parisienne probablement, dans une bagnole qui était stationnée devant l'établissement scolaire. Il nous enseignait l'histoire. Je n'étais pas une élève très brillante dans cette discipline. Je devais fournir de gros efforts pour avoir de bonnes notes. Je suivais avec grand intérêt ses cours. J'étais souvent désignée pour préparer et commenter devant la classe les parcours des grands personnages de l'histoire, les règnes des Rois de France à l'époque médiévale et même avant. Je faisais des études approfondies des grandes conquêtes de l'histoire. Quand je fus interrogée par le professeur je n'éprouvais pas la moindre hésitation pour parler de tout ce que je savais de ces hommes célèbres et de leurs faiblesses pour les femmes qui avaient partagé leur vie.
Mes études m'aidaient à augmenter ma connaissance et éclairer mon esprit dans plusieurs domaines dont je ne me serais jamais intéressée si ce n'était pas pour compléter mon programme scolaire. J'avais beaucoup d'espoir de pouvoir terminer mes études avec succès et me sentais capable de pouvoir travailler avec acharnement et assiduité. Je me faisais déjà de ce monde des idées bien définies et commençais à regarder l'avenir avec beaucoup de confiance. Je ne manquais pas d'encouragement de la part de mes parents et avais toutes les facilités et le confort dont j'avais besoin.
A cette époque, des transformations radicales s'effectuaient dans les environnements. Les paysages changeaient d'aspect et de caractéristiques. Plusieurs bâtiments étaient en cours de construction pour abriter les familles pauvres et défavorisées qui n'avaient pas de logement salubre. Je me souviens avoir été choisie en classe pour parler des avantages et des inconvénients de situer les établissements scolaires dans des lieux agglomérés. J'abordais les élèves dans la cour de l'école pour leur poser une foule de question sur leur condition de vie dans l'enceinte de l'établissement. De cette manière je parvenais à rassembler des renseignements précieux pour traiter et développer le sujet. J'avais laissé ce jour-là sur ceux qui m'écoutaient parler une forte impression.
Mon père m'avait toujours appris à être simple, modeste et agréable. C'était la raison pour laquelle j'avais de nombreuses amies. J'étais souvent mise au courant de leurs petits secrets, de leurs mésaventures et de leurs déceptions amoureuses.
Depuis ma prime jeunesse j'avais une opinion de ce qu’était la sexualité. Quelques amies intimes m'avaient montré des photos obscènes que leurs copains leur avaient prêtées. Pour moi c'était une curiosité que d'essayer de comprendre ces photos que je trouvais odieuses. Je n'avais jamais imaginé que des choses pareilles existaient. J'étais très souvent perturbée par ces images obscènes qui me hantaient l'imagination les soirs quand je me trouvais seule dans ma chambre. En classe j'avais une préférence pour la littérature générale. J'étais très intéressée de connaître la vie des plus grands écrivains français et étrangers. Je prenais un infini plaisir à parcourir les œuvres qui ont fait parler d'elles de par le monde. Je sélectionnais de nombreux ouvrages romantiques qui alimentaient en quelque sorte mon imagination. Je m'étais inscrite à la bibliothèque départementale de Saint-Denis. J'avais le droit d’apporter à la maison six livres de mon choix pour une durée d'un mois avec la possibilité bien entendu de les renouveler si je voulais les garder plus longtemps. Je lisais jusqu'à fort tard le soir après avoir terminé mes devoirs de classe. Au cours du troisième trimestre j'avais peut être travaillé trop dur. Je commençais à ressentir des fatigues intenses. Mes parents étaient inquiets de mon état de santé. Ils m'emmenaient consulter un médecin. J'aurais dû garder le lit pendant plusieurs jours pour éviter de sombrer dans un état dépressif.
Je n'étais pas insensible à l'évolution de la société dans laquelle je me trouvais. Je portais mes observations sur tout ce qui se trouvait dans mon champ de vision quand je marchais dans les rues et quand je me promenais. Avec le temps je commençais à accepter que la vie eût certaines distractions dont seule la jeunesse pouvait profiter. Quelques amies que je connaissais depuis des années essayaient avec beaucoup de patience à me faire comprendre que je devais changer mon attitude envers les jeunes garçons du lycée qui cherchaient à flirter avec moi. Je ne voulais pas me jeter de mon propre gré dans la gueule du loup mais me disais aussi que cela ne ferait de mal à personne si je me faisais belle et me montrais plus consciente des attentions que me portaient les casanovas.
LA RÉUNIONNAISE 2
J'étais devenue jeune fille à dix ans. Ma mère qui ne m'avait pas encore préparée pour un tel événement s'étonnait de ma croissance rapide. Quand je rentrais à la maison un après-midi après les heures de classe les yeux remplis de larmes parce que j'avais commencé à saigner et que cela n'arrêtait pas, ma mère s'affolait face à la situation et m'emmenait dans la salle de bain pour me laver, pour me montrer les usages et pour m'expliquer la menstruation. J'étais bien embarrassée au début et quand le soir mon père me regardait avec un air de contentement, je devinais que ma mère l'avait déjà mis au courant. J'éprouvais une honte qui me faisait réfléchir sur le changement qui s'était effectué dans ma nature.
Au collège, ma vie devenait intéressante. Je me liais d’amitié avec beaucoup de jeunes filles de mon âge et passais en leur compagnie des moments forts agréables. Je me trouvais dans une société qui évoluait bien vite. Je pris très tôt conscience de la réalité des choses et ne tardais pas à comprendre que pour frayer mon chemin convenablement dans le milieu scolaire j'avais toute raison de respecter les lignes de conduite et de ne pas ignorer que le succès appartient à tous ceux qui savent prendre des initiatives et que la chance ne sourit qu'aux audacieux. Entre-temps la situation de mon père s'améliorait. Il achetait une camionnette Peugeot 404 d'occasion qu'il utilisait pour se rendre à son travail en même temps qu'il me déposait devant l'établissement scolaire. Mon père avait l'intention d'utiliser la camionnette pour vendre des marchandises dans les hauts pendant les week-ends afin d'arrondir sa fin de mois. Il avait des projets pour l'avenir. Il voulait s'acheter une maison en ville. Il avait aussi de l'ambition. Il voulait réussir. Donc il n'avait pas intérêt à rester les bras croisés. Il avait raison de bouger, de saisir sa chance. La ville de Saint-Denis offrait plusieurs perspectives à la réussite. L'activité commerciale paraissait l'une des meilleures par laquelle la fortune pourrait être faite en peu de temps si la personne qui s'y intéressait parvenait à trouver le bon filon.
Un de ses amis le mit en rapport avec un négociant de quartier qui voulait lui acheter sa camionnette. Comme il n'avait pas l'intention de la vendre, il avait mis un prix qui représentait le double de ce qu'il avait payé. La personne en question accepta l'offre. Le bénéfice de cette transaction s'égalait à son salaire du mois. C'était là que mon père eut l'idée de se lancer dans le commerce des voitures d'occasions.
Une fois en sortant de l'école, ma mère m'apprit que nous devrions nous rendre à l'île Maurice. On avait eu dans la journée un télégramme disant que mon grand-père paternel était gravement malade. Mon père avait déjà fait les démarches nécessaires auprès de la Préfecture pour obtenir nos passeports. Ensuite il était allé voir le proviseur de l'école pour me faire avoir l'autorisation de m'absenter pour quelques jours. Ce voyage était mémorable pour moi et en évoquant le souvenir ici c'est comme si je l'avais vécu hier. Un ami de mon père nous avait déposés sur le quai au Port dans l'après-midi. Nous devions embarquer sur le navire Jean Laborde. J'étais malade toute la nuit et avais fait un très mauvais voyage. Mon séjour à Maurice était bref. Mon grand-père que je n'avais vu qu'une seule fois sur son lit pendant qu'il était bien malade mourut peu après. Une semaine plus tard nous étions de retour à la Réunion.
J'avais pris l'habitude, en retournant de l'école l’après-midi, de m'attarder en chemin. Je discutais pendant des heures avec des copines de mon âge sur les coins des rues. Parfois je me rendais chez elles pour rester jusqu'à une heure avancée avant de me décider à rentrer chez moi. Nous écoutions de la musique en mettant plusieurs fois le disque sur un gramophone et copiions sur une feuille de papier les paroles des chansons. Ma mère ne voulait pas comprendre que j'étais avec des amies et me reprochait souvent ma mauvaise conduite et soupçonnait même que je passais mon temps avec des garçons du collège. Pour prouver à ma mère qu'elle se trompait dans ses jugements, j'invitais mes copines à la maison et ma mère était contente de les rencontrer.
A seize ans, année 1962, je resplendissais de joie et découvris de tels charmes qu'en marchant dans les rues, je sentais les regards des hommes peser sur moi. Je ne me laissais jamais aborder par des garçons qui voulaient me faire la cour et évitais de discuter avec eux. Je tenais à ma réputation. Je suivais les conseils que ma mère me donnait. Je préférais m'éclipser aussitôt que je devinais l'intention des garçons qui voulaient m'adresser la parole à la sortie de mon établissement. Je n'avais pas de copains encore quand je commençais à fréquenter le lycée du butor. Je n'en voulais pas.
J'échangeais quelques fois de brèves paroles avec des élèves de ma classe et nous ne parlions que de devoirs et de leçons. Je préférais la compagnie de mes copines avec lesquelles je me sentais tranquille.
Je n'avais jamais éprouvé de regrets en me comportant de cette manière. Je ne savais pas que j'étais en train de transgresser les lois toutes naturelles du lycée en cherchant à me faire passer pour une fille sérieuse et pudique. Les soupirants commençaient à manquer de patience. Je n'allais pas pour autant changer mon comportement. Je demeurais insensible aux attentions qu'ils me portaient, indifférente à leur approche et sourde à leur appel.
LA RÉUNIONNAISE 1
LA RÉUNIONNAISE 1
Mes parents étaient des gens pieux. Depuis mon plus jeune âge je compris les craintes qu'ils avaient envers Dieu. Ils se réveillaient tôt le matin et consacraient énormément de temps à la prière. Mon père se rendait à la mosquée pour pratiquer les cinq prières obligatoires de la journée à des heures précises. Le matin quand il rentrait avec du pain et des croissants achetés à la boulangerie située à deux coins de rues de notre maison, j'étais déjà réveillée. Il portait une longue robe blanche et un bonnet blanc sur la tête. Il se rendait dans ma chambre, une pièce étroite et sombre où il y avait un petit lit et une penderie pour ranger mes vêtements. Il s'assit tout près de moi pendant quelques minutes pour me demander si j'avais bien dormi, si j'avais fait de beaux rêves en me caressant le visage. Ensuite il allait voir maman dans la cuisine. Elle s'asseyait toujours dans un sofa placé tout près de la porte pour profiter de l'éclairage et lire le Coran. Sa tête était couverte d'un châle de couleur sombre acheté à des marchands ambulants.
J'allais souvent les rejoindre pendant qu'ils buvaient le thé chaud et fumant. Je m'installais sur les genoux de papa et appuyais ma tête contre son épaule. Je voulais m'assoupir encore un peu en écoutant leur voix. Ils causèrent pendant un bon moment avant que papa ne décidât d'aller travailler. Les rayons de soleil commençaient à s'infiltrer à travers les vitres. Il faisait grand jour. J'avais un an quand la Réunion devint Département Français.
Quand j'étais assez grande et que mes parents me laissaient sortir toute seule, j'allais jouer avec des amis qui habitaient tout près de ma petite maison. Nous aimions beaucoup nous promener dans les rues commerciales pour admirer les vitrines des magasins. Nous passions dans des régions où nous pouvions regarder, à travers les grilles, des cours couvertes de gazon encore humide par la rosée du matin et des grandes maisons. J'aimais beaucoup contempler les belles maisons coloniales encadrées des beaux et gigantesques arbres fruitiers qui faisaient la fierté des propriétaires et des occupants.
Ma mère me faisait apprendre les rudiments de ma religion. Je récitais de longs versets du Coran le soir avant de dormir et pratiquais souvent la prière en sa compagnie dans une minuscule pièce sombre qui sentait l’encens. Quand je fus admise à l'école je pris l'habitude de me réveiller tôt le matin. Je mettais du temps pour me préparer. Avant de choisir une robe je restais longtemps devant la penderie coincée au fond d’une pièce étroite. Mes amies avaient du goût pour l'habillement. Je ne voulais pas paraître médiocre en leur compagnie. Ma mère me criait souvent après pour me rappeler que je n'avais pas besoin de me faire coquette pour me rendre à l'école. J'avais du mal à lui expliquer que pour moi c'était important de porter des vêtements à la mode. En classe je m’appliquais dans mes études et m'étais vite fait remarquer comme une élève brillante, appliquée et disciplinée.
Mes parents m'emmenaient souvent visiter les beaux quartiers de l'île de la Réunion. Nous sortions le matin avant que le soleil se lève. Nous roulions pendant longtemps sur les côtes des montagnes. Nous nous arrêtions souvent dans les rampes pour admirer les paysages pendant que le moteur de la voiture refroidissait. Le parcours était épuisant mais j'appréciais beaucoup ce moment qui me donnait l'occasion de découvrir des coins charmants de mon île. Des amis et des connaissances de mon père qui venaient de Maurice ou de Madagascar passaient souvent leurs séjours à la maison. Mon père les emmenait visiter le volcan, les cirques et leur faisait faire le tour de l'île. J'eus donc la chance dès mon plus jeune âge de connaître des endroits attrayants et d'admirer des paysages grandioses et pittoresques qui me fascinaient.
DES MYSTÈRES À ÉLUCIDER
Quand Akbar s'était retiré, j'avais décidé ce soir-là de me rendre chez mon père. Il n'était pas là. J’allais trouver Fatima dans la cuisine. Elle préparait le repas du soir. Elle me dit que mon père était soucieux ces derniers temps. Je l'avais remarqué mais n'avais pas fait un compte. Je pensais qu'il se mettait dans cet état parce que je démontrais des vilaines manières à l'égard de Salim Issop. J'avais à un moment donné décidé de rompre avec lui mais n'avais pas eu le courage de le faire afin de ne pas rendre mon père malheureux. Il serait déçu s'il constatait une telle chose. Je ne savais vraiment pas ce qu'il avait trouvé en Salim pour lui donner autant d'importance. Je me demandais si Salim lui-même ne l'avait pas vraiment berné. Et puis je me disais que mon père était trop honnête, juste, bon pour se tromper dans ses jugements. Il m'avait bien fait comprendre que quel que soit l'homme avec lequel j'allais me marier, si jamais un jour je me décidais de le faire, ce serait impérativement sous le régime de séparation de biens. Mon père était prévoyant et n'avait confiance en personne. Il m'avait appelée une fois dans sa maison et m'avait fait comprendre que j'étais son unique enfant et qu'après sa mort, toute sa fortune serait à moi. C'était ce qu'il avait décidé. Il tenait absolument à ce que je le sache. Il n'aurait pas aimé que des étrangers viennent profiter des biens qu'il s'était donné tant de peines à accumuler. Il me l'avait dit avec une telle franchise que j'avais senti des frissons passer sur tout mon corps en m'imaginant responsable de la chute et de l'effondrement de cet empire qui représentait toute l'œuvre de mon père. C'était bien ça qui me fait hésiter à me marier.
UN DÉBUT DANS LA VIE TROISIÈME PARTIE
UN DÉBUT DANS LA VIE DEUXIÈME PARTIE
Un dÉbut dans la vie
DEUXIÈME partie
Ceci est un ouvrage de fiction.
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Avoir de bonne intention envers une fille dans le but de la demander en mariage n’est pas une simple affaire. Comment pouvais-je savoir ce que me réservait l’avenir alors que j’étais moi-même en train de tout faire pour conquérir le cœur d’une fille à laquelle je tenais énormément. A force d’insistance et de persévérance je réussi à la convaincre d’accepter mon invitation chez un glacier qui venait d’ouvrir ses portes dans la rue du Grand Chemin. Elle avait beaucoup hésité avant de me donner son accord. J’aurais dû attendre longtemps, avoir beaucoup de patience et aussi essayer de comprendre sa situation qui ne devait pas être facile. A vrai dire ce n’était pas de coutume à l’époque de s’afficher publiquement avec un garçon. Encore moins avec quelqu’un qui était complètement étranger à la famille. Je peux dire que j’avais de la chance qu’elle avait pris ma demande en considération pour me donner enfin une réponse positive. Nous avions pris place dans un petit coin tranquille au fond de la salle ; j’avais pu apprendre plus sur sa famille et je peux dire, toutefois, que la suite de cette relation ne me paraissait pas vraiment facile et que j’aurais du fil à retordre, vu que nous n’étions pas du même rang social ni de même milieu, elle une créole blanche de bonne famille et moi un cafre d’une famille modeste si l’on pouvait dire cela ainsi.
Son père était un agent de la compagnie EDF de la réunion et sa mère, employée de la collectivité locale. Des postes qui permettaient de percevoir une rémunération plus que confortable à une époque où ce n’était pas facile de gagner sa vie. Elle avait deux sœurs et trois frères plus jeunes qu’elle et tous répartis au collège, lycée et université. Elle avait tout de suite trouvé du travail après avoir terminé ses études universitaires. Elle habitait avec ses parents dans une magnifique villa entourée d’un jardin fleuri et des beaux arbres centenaires. En vérité ce n’était pas une modeste maison comme je l’avais imaginé ou qu’elle avait voulu me faire croire au début. La maison était vraiment superbe la première fois que je la découvrais pour satisfaire ma curiosité. Au cours de ce premier contact avec Karine, j’avais tout de suite compris que je devais absolument me montrer à la hauteur afin de garder toutes mes chances de me faire accepter par la famille.
Mon père avait travaillé toute sa vie comme employé dans une compagnie de construction en bâtiments. Il avait terminé sa carrière pas trop longtemps comme chef d’équipe et commençait à peine de profiter de sa retraite quand je débutais dans mon travail. Il était fier d’avoir pu transformer de ses mains et de ses économies, au fil de longues années de sacrifice, notre petite case en une superbe villa à étage qui nous mettait d’une part en sécurité et nous permettait d’autre part de mener une vie convenable. Ma mère avait toujours été femme au foyer et s’occupait avec dévotion de son mari, de son ménage et de ses enfants, sans jamais pousser la moindre plainte. Ces derniers temps des huissiers s’étaient présentés devant la porte de la maison pour réclamer le remboursement d’une dette qui remontait dans le temps. C’était bien cela qui avait perturbé la tranquillité qui régnait dans la maison. Mon père ne pouvait accepter ce genre de situation. Je compris qu’il vivait un moment difficile. Ma mère se repliait sur elle-même et avait du mal à cacher sa tristesse. J’imaginais que ce n’était pas si grave et qu’une solution devrait être trouvée dans les jours à venir.
Ce n’était pas le moment pour moi d’annoncer quoi que ce soit sur le rapport que j’entretenais avec Karine. Ce n’était pas non plus l’envie qui me manquait de rendre officielle notre relation. J’avais cru bon et même honnête de mettre ma mère dans mes confidences. Elle était sceptique et me demandait d’être prudent et surtout me montrer très vigilent avec le temps qui courait. Je préférais attendre le temps qu’il faudrait pour donner suite à mon projet. Je continuais à voir Karine dans les jours à venir. J’aurais dû utiliser toutes les ruses pour me rapprocher d’elle et de tous ceux qui faisaient partie de sa vie. J’avoue que je n’étais pas un fervent pratiquant mais quand il s’agissait de rencontrer Karine, de la voir, de me trouver à ses côtés pourquoi aller chercher loin ? L’Eglise de la Trinité était un lieu où l’on se rendait pour prier. Son espace verdoyant et arborisé occasionnait des rencontres fortuites. Je n’avais pas hésité de me tourner un peu plus souvent vers Dieu, si cela pouvait m’aider dans mes démarches de connaître davantage Karine. C’était de cette manière que j’avais eu l’occasion de faire la connaissance de ses parents que j’avais trouvé sympathiques, sociables et d’un niveau intellectuel élevé. C’était l’opportunité pour moi de prouver que j’étais un bon chrétien. Depuis petit, maman, qui était une fervente catholique, nous emmenait, mes frères, mes sœurs et moi à la messe. Très jeune, j’avais reçu le batême, la communion et la confirmation. Je n’avais pas de reproche à me faire de ce côté-là quand j’évoquais mon attachement à la religion. Je savais que tous ces critères étaient pris en considération pour évaluer le genre de personne que j’étais avant de décider si je pouvais faire partie ou pas de leur cercle familial. J’avais tout fait pour donner de moi-même une bonne image, mais je pensais que ce n’était pas suffisant. Je savais qu’il manquait quelque chose mais ne parvenais pas à trouver ce que c’était. J’avais besoin de chercher encore et cela m’agaçait énormément, au point à me faire avoir de l’insomnie tous les soirs.
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©Kader Rawat
Un début dans la vie
À la recherche d'un jeune homme perdu dans la nature.
À la recherche d'un jeune homme perdu dans la nature.
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Je pus à peine distinguer deux silhouettes dans la lueur faible que projetait la lanterne. Une se trouvait debout tout près du brancard tandis que l’autre, probablement celui qui n’avait pas encore prononcé une seule parole et qui s’appelait le vieux Cheik, se trouvait assis encore dans la charrette, derrière la jument dont les pattes, sous le reflet de la lumière, se prolongeaient, comme celle de géants, dans la pénombre.
– Qu’est-ce que cela nous servira Ragounadan, répondit le vieux Cheik, que nous rencontrions qui que ce soit ? Ne sommes-nous pas capables de nous occuper de nous-mêmes ? D’ailleurs je me sens mieux, et les tisanes me font beaucoup de bien. Mais, à mon âge, je ne peux pas avoir les vigueurs d’un jeune homme.
– Laisse-moi t’aider à descendre vieux Cheik. Je suis sûr que nous avons des choses à faire avant de nous reposer. Cette demeure me paraît étrange et sinistre. Les bruits que nous faisons et notre lumière auraient dû attirer l’attention du chien que nous avions entendu aboyer tout à l’heure. C’est quand même bizarre qu’avant notre arrivé il aboyait comme s’il voyait le diable. Cela m’étonne qu’il n’y en ait pas dans le parage. Maintenant que nous sommes si près de la maison il s’est tu et ne se montre pas. Comment peux-tu m’expliquer tout ça vieux Cheik, toi qui as vécu si longtemps, qui a beaucoup d’expérience et qui connaît bien les manifestations singulières des animaux.
– J’ai l’impression que nous ne sommes pas seuls Ragounadan.
– Vieux Cheik, vieux renard pensai-je, si tu savais combien ta réponse est exacte ! Tu mérites une récompense pour avoir deviné juste, sans éprouver de doute ni d’hésitation.
Je ne savais combien je me sentais réconforté, soulagé, assuré par la présence de ces deux individus que je n’avais même pas encore vus. J’étais certain qu’ils étaient inoffensifs, respectables et qu’il n’y avait en eux, d’après les paroles qu’ils avaient échangées, rien de méchant, de dangereux. Je ne voyais même pas l’intérêt de me méfier d’eux, ni de douter de leur bonté et de leur sincérité. Leur présence dans la région était encourageante. Je commençais par me poser des questions sur ce qu’ils étaient venus chercher dans une si lointaine contrée. J’étais pourtant étonné de n’éprouver ni de l’inquiétude ni voyais-je mon état d’esprit perturbé par une telle apparition. Je sentais au contraire une force morale qui faisait disparaître mes douleurs, diminuer la pression qui me pesait dessus, calmer mes angoisses et enlever ma frayeur.
Je voulais m’approcher d'eux, les appelés afin qu'ils puissent savoir que j'étais là, tout près, mais je fus retenu par je ne savais quel sentiment d'hésitation, comme pour vouloir demeurer encore dans la pénombre afin d'épier leurs mouvements, d'écouter leurs conversations, de connaître davantage sur ce qu'ils se disaient, de comprendre ce qu'ils étaient venus chercher dans cette région, d'apprendre plus qu'il m'en fallait sur eux avant de me montrer. Je ne voulais pas les choquer, les étonner, les surprendre par mon aspect délabré et sinistre, mon état dépravé, miséreux, et piteux.
– Faut trouver un abreuvoir, parla le vieux Cheik d’une voix lointaine, distante, faible, étouffée dans une gorge vieillie, pendant une bonne partie du trajet nous l'avons privé d’eau.
– Pas besoin de t'inquiéter de tout ça vieux Cheik, dit Ragounadan en baissant sous la charrette pour décrocher la lanterne, ma jument est habituée à parcourir de long trajet à travers toute l'Ile sans montrer la moindre fatigue. Elle est encore jeune et vigoureuse. Je la nourri aussi très bien pour qu'elle ne me donne pas des ennuis. Et puis je n'aime pas trop m'abuser d'elle quoique je connaisse ses capacités. Je vais la détacher de la charrette et la laisser dans la prairie jusqu'au matin afin qu'elle puisse retrouver sa forme. Je n'y pensais pas, quand nous avions quitté la ville le matin, que nous aurions fait tout ce trajet pour arriver jusque-là. Je me demande comment cette insurrection pouvait t'intéresser à ce point. Tu me parlais tout d'abord que tu voulais t'acheter un esclave et quand tu t'es aperçu de ce qui fut arrivé aux maîtres tu te lances à la recherche d'un jeune homme que tu veux absolument rencontrer pour Dieu sait quelle raison. Est-ce que tu crois que je peux comprendre quelque chose dans ce que tu mijotes. Il est vrai que tu m'as offert une bonne récompense, tu m'as payé plus qu'il en faut pour t'assister dans ton entreprise mais ne trouves-tu pas, vieux Cheik, que c'est plutôt une perte de temps et que tu es en train de poursuivre un fantôme que tu ne parviendras jamais à attraper. Crois-tu en cet esclave mourant que nous avons rencontré en chemin et qui t'a dit que tu trouveras ce ... comment s'appelle-t-il encore ?
– Charles, répondit le vieux Cheik.
– Oui, que tu trouveras Charles sur le chemin qui mène vers le nord. On verra bien s’il t'a dit la vérité.
Cette fois ci il n'y avait pas de doute que le vieux Cheik me cherchait. Je ne voulais plus rester un instant dans l'ombre et, comme poussé par un instinct, je fis quelques pas et dis à haute voix.
– C'est vrai ce que cet esclave vous a dit, monsieur le vieux Cheik. Je me trouvais bien ce matin dans la région. J'ai dû marcher pendant longtemps avant d'arriver jusqu'ici. Si vous me cherchez ce n'est pas la peine de vous fatiguer. Voyez-vous mêmes dans quel état je suis. J'ai à peine atteint la maison que vous vous pointez au loin dans votre charrette.
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©Kader Rawat