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La colonie lointaine Chapitre 6

22 Mai 2014 , Rédigé par Kader Rawat

La colonie lointaine

 

Chapitre 6

 

Quand l'étranger disparut dans la forêt, Charles Deschamps allait chercher du bois entassé derrière la maison.

Une demi-heure plus tard Charles Deschamps était en train de couper du bois quand Julie se présenta dans la cour.

— Ah! Enfin, te voilà de retour, dit le père, tu ne pouvais pas savoir quel souci nous avons fait pour toi.

— Bonjour père. Je suis vraiment désolée. Je ne veux pas vous faire de la peine.

— Ta mère est en train de mourir d'inquiétude à ton sujet.

— Fabien sait que je suis partie chercher du travail. Il ne vous a rien dit?

— Tu aurais dû nous le dire toi-même. D'habitude tu ne t'absentes pas pendant si longtemps sans donner de nouvelle.

— Vous ne m'aurez jamais laissé m'en aller toute seule. Où est maman? J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer.

— Elle est partie à l'église avec Fabien et Yvette. Ils vont sûrement passer au cimetière pour déposer des fleurs et faire une prière pour les morts. Rentres à la maison et sers-toi à boire et à manger. Tu devais être fatiguée pour avoir fait un long trajet.

— Tiens. J'ai apporté une dinde et une bouteille de vin. Devine ce qu'on va fêter?

— Tu as beaucoup de choses à nous dire, je suppose. Et bien vas te reposer un peu pendant que je termine à couper ces morceaux de bois. Quand nous serons tous réunis tu vas nous raconter tout dans les détails.

Julie entrait dans la maison en regardant avec tristesse ces vieux meubles de pacotilles qui ne valaient pas grand chose à comparer de ceux qu'elle avait vus dans les maisons où elle avait travaillé. Elle menait une vie sans histoire jusqu'au jour où quelques événements déplorables la firent comprendre qu'elle pourrait terminer son existence dans la misère si elle ne réagissait pas. L'aventure sans précédent qu'elle avait eue chez sa dernière maîtresse l'avait fait porter sur le dos l'étiquette de l'allumeuse. Sa vie était tourmentée de telle sorte que si elle n'avait pas le moral fort et le soutien de sa famille elle aurait longtemps sombré dans la dépression.

C'est arrivé pendant qu'elle travaillait comme femme de ménage chez Madame Blondet, épouse austère d'un colon prospère de la région. Quand sa présence avait commencé à tourner la tête de ses petits patrons, Madame Blondet, qui avait l'œil à tout, n'avait pas tardé à réagir et avait jugé bon de la renvoyer avant que les choses ne se dégradent et que les jeunes fils de la noblesse commencent à perdre la tête pour une domestique. Julie n'avait rien fait de mal pour mériter un traitement aussi odieux et pour supporter autant des calomnies sur son dos fragile. La prévoyance de Mme Blondet, ses rigueurs ne l'avaient pas donné le temps de réfléchir ni de savoir plus de ce qu'elle avait cru comprendre. Elle n'avait même pas soulevé des discussions ni cherché des explications pour se rassurer si ses jugements étaient bons ou pas. Elle se rapportait au vieil adage qui disait qu'il valait mieux prévenir que guérir. Elle voulait vivre dans la transparence et préférait écarter les doutes, les dissiper par tous les moyens possibles sans penser aux conséquences. Julie avait digéré mal une telle humiliation et bien qu'elle ne se sente pas coupable de la situation elle n'avait aucun moyen de se défendre. Les reproches injustifiées dont elle fut objet et qu'elle était la seule à comprendre la firent tellement mal qu'elle était couverte d'une honte indicible. Quand elle devait quitter la maison la tête grosse, elle n'imaginait pas devoir laisser derrière elle une image spoliée et cette impression qui la rangeait parmi les personnages indésirables. Elle aurait dû avoir recours au temps pour se relever de la situation et pour comprendre que la seule solution demeurait à ne jamais perdre courage.

Charles Deschamps qui approchait la cinquantaine s'acharnait sur les bois secs et robustes obtenus sur les tamariniers des hauts. Il suait à grosses gouttes par la chaleur et sa peau luisait par le soleil ardent. Son visage dur indiquait qu'il avait débattu pendant longtemps dans la misère. Il était le rejeton d'une mère alcoolique et d'un père violent qui passait la majeure partie de sa vie en prison. Il grandit dans de condition de vie semblable à ce que Dickens nous raconte dans ses romans. II fit la rencontre de Pauline quand il était jeune et habitait chez une tante qui ne lui donnait pas de l'affection mais qui lui inculquait de l'éducation. Pauline réussit à le faire mener l'existence d'un homme conscient de sa responsabilité et de son devoir. Elle lui procurait les joies d'un ménage et lui donna chaque année un enfant qui l'attacha au foyer. II n'avait pas un travail fixe et acceptait de faire un peu de tout pour gagner sa vie et nourrir sa famille. Il était souvent contraint de se déplacer pour travailler dans de lointains quartiers où sa famille devait le suivre. Le temps devenait dur et parfois il ne travaillait pas. Il décida de trouver un endroit où il avait la possibilité d'organiser sa vie, d'élever ses enfants et de s'occuper de sa femme. Une vieille bâtisse décrépite, construite à l'époque coloniale, attira son attention quand il fût engagé par un riche propriétaire comme garde-chasse. Sa tâche consistait de veiller sur plusieurs hectares de terres recouvertes des cultures et regroupant des animaux. Il avait l'habitude de parcourir la région en compagnie d'un chien et d'empêcher les intrus à commettre des délits. Nombreux individus sans scrupules pillaient les cultures et volaient les animaux. Charles Deschamps avait une fois rencontré son patron dans les bois lors d'un mauvais temps à l'approche de la nuit et il l'avait accompagné jusqu'à sa demeure en éclairant son chemin par un fanal. La conversation engagée entre les deux hommes était suffisante pour permettre à l'employé d'avoir l'accord du maître pour aménager dans la vieille maison abandonnée dans le bois. Charles Deschamps s'était installé avec sa famille dans la maison. Les murs en pierre avaient résisté aux vents violents qui causaient des dégâts pendant la saison chaude.

Julie se tenait tout près de la fenêtre pour contempler la photo dans laquelle figuraient ses deux sœurs mariées à des militaires et qui avaient quitté le pays. Elle se rappelait comment elle avait passé son enfance en leur compagnie. Cette photo refoulait à l'esprit une foule de souvenirs qui la rendait triste mais rassurée en imaginant qu'elles devaient être heureuses avec leur mari dans un lointain pays où la vie était intéressante.

Le soleil était bien haut dans le ciel quand la voix de Fabien retentissait au loin. Julie voulait rester dans la maison pour leur réserver la surprise mais le désir de les revoir l'avait fait sortir le plus vite possible pour les rejoindre en courant dans leur direction.

— Ah! Ma fille. Seigneur? Que je suis contente de te revoir. Si tu savais combien j'ai prié pour que Dieu te protège. Enfin, te voilà, ma fille, saine et sauve. Mais où t'étais-tu passée tout ce temps. Je n'ai pas fermé l'œil ces dernières nuits tant je m'inquiétais pour toi.

— Je suis vraiment désolée maman, dit Julie en embrassant sa maman et la serrant fort dans ses bras. Moi aussi je pensais à vous. Comment vous portez-vous? Votre rhumatisme ne vous fait pas trop souffrir, j'espère? Et Yvette, ma petite sœur, ne fais pas cette tête là. Viens auprès de moi. Fabien, tu sais que je ne t'ai pas oublié. J'ai amené un beau cadeau pour toi.

Julie continuait à parler en mettant ses bras autour des épaules de son frère et de sa sœur. Quand ils avaient rejoint le père auprès du puits, Julie dit:

— J'ai eu du travail chez une famille aisée et généreuse. J'ai terminé ma première semaine et je suis contente. Les patrons sont tous gentils avec moi et je commence déjà à m'habituer aux membres de la famille. J'ai eu ma paie et j'ai bien l'intention de fêter ça en famille. Papa voudra bien allumer un feu de bois et maman fera cuire la dinde que nous dégusterons avec du riz et des légumes. Qu'en pensez-vous si nous nous amusons un peu. Tonton Jacques serait content de battre sa ravane et de nous chanter un bon séga-maloya.

Elle retira de son sac à main flambant tout neuf le reste de son salaire et le présentait à sa mère:

— Tiens, maman. Prends cet argent. Tu auras besoin pour t'acheter des médicaments et pour tes dépenses imprévues.

— Je garderai cet argent plutôt pour tes trousseaux. Ainsi quand tu vas te marier il ne te manquera pas grand chose. Trouve toi un bon mari et fonde toi un foyer. Ton père gagne assez d'argent pour subvenir à nos besoins.

— Combien va-t-il se tuer dans le travail à l'âge qu'il est, mère? Cette maison n'est pas convenable. Vous devez penser à améliorer votre condition de vie. Vous n'allez pas terminer votre existence dans ce taudis. Ce village n'a aucun attrait. Il est temps de vous décider d'aller vivre dans une ville.

— Je te comprends très bien ma fille mais nous n'avons pas l'intention de quitter ce lieu. Nous sommes très bien ici. Quelques personnes sont venues voir ton père l'autre jour pour lui proposer de monter une distillerie. Je dois te dire aussi que les terres sont à vendre et qu'un clerc du notaire est passé pour demander à ton père s'il est l'intéressé de faire acquisition d'une parcelle.

— Vous comptez acheter un terrain? Mais où est-ce-que vous allez trouver de l'argent?

— Nous n'avons pas l'intention de baisser les bras. Nous voulons nous battre pour sortir de la misère. Nous sommes habitués à cultiver la terre, à élever des animaux. Nous ne savons faire que ça. Ailleurs nous serons perdus et nous ne voulons pas être à la merci des autres. Nous avons appris à vivre dans la dignité malgré que nous ne possédions pas grand chose. Nous avons économisé un peu d'argent au prix d'énormes sacrifices parce que nous avons pensé à nos enfants. Nous ne voulons pas quitter ce monde sans vous laisser de quoi vous permettre de vivre. Nous allons utiliser cet argent pour acheter quelques hectares de terre et l'exploiter. Quand nous ne serons plus là vous aurez de quoi vivre.

— Si telle est votre intention mère comment ne me sentirai-je pas touchée. J'ai toujours su que vous vous occupez de nous comme une mère soucieuse de l'avenir de ses enfants. Dieu vous aide à exaucer vos désirs. Laissez moi aussi vous aider à acheter ces terres. Je travaille aussi pour apporter mon soutien à la famille. Je serai contente de participer dans l'engagement que vous allez prendre et de vous aider.

— Tes intentions sont bonnes, ma fille. Dieu te bénisse. Ton père a pris rendez-vous avec le notaire. Il ira prendre connaissance des propositions qui lui seront faites et nous allons voir de quelle manière procéder pour l'achat de cette parcelle de terre. Nous te tiendrons au courant quand nous serons fixés sur les modalités.

Julie avait envie de sortir de la cuisine enfumée pour contempler les alentours. Elle avait l'impression de respirer un air qui appartenait à elle. Jamais auparavant elle n'avait ressenti pareille émotion, et une telle fierté de se trouver en possession d'une parcelle de terre dont elle pouvait disposer comme elle le voulait. Ses regards admiraient les moindres recoins, repérant chaque objet qui représentait une valeur importante. Elle regardait les cryptomerias, les tamariniers des hauts, les eucalyptus, les ficus avec des branches démesurément longues et les variétés de palmiers. Ces espèces ne représentaient qu'une partie de la flore tropicale et s'ajoutaient à la richesse de ce décor naturel.

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