DES MAÎTRES ET DES ESCLAVES 1
DES MAÎTRES ET DES ESCLAVES 1
"Un voyage dans le temps, à l'époque de l'esclavage, à l'Île de France et l'Île Bourbon. Je vous invite à me suivre dans cette aventure palpitante qui vous réserve tant de surprises.."
Plusieurs nations traversaient l’océan indien au début du 18ème siècle. Les Français étaient les premiers à s’intéresser vraiment à l’Ile de France. Les Hollandais qui s’y trouvaient la quittaient à jamais. Ils étaient déçus, découragés et même désintéressés peut-être par son état sauvage et la distance qui la séparait des grands continents.
La Compagnie des Indes venait s’y installer. Elle cherchait plutôt un port pour abriter leurs navires pendant les quatre longs mois cycloniques de l’année. L’île de France n’avait pas en réalité grande chose à les offrir. Elle était couverte d’une végétation dense. Il y avait des marécages, des ravins, des rivières, des ruisseaux, des étendues de plaines, des forêts vierges encore, des lacs perdus au fond des bois, des belles plages de sables blancs et fins, des régions côtières superbes, une quantité de gibiers, des anguilles, des poissons, des tortues.
Entre Port Warwyke - plus tard Grand Port - et Port Nord Ouest, ils optèrent pour ce dernier qui fut appelé par la suite Port-Louis. Cette région de l’île fut séparée en ce temps là en deux parties par un ravin marécageux creusé par les ruisseaux de la montagne Le Pouce. Une épaisse végétation s’étendait jusqu’au Morne de la découverte, aujourd’hui la montagne des Signaux, et le quartier des Remparts à gauche et jusqu’au quartier de la rivière Latanier à droite.
Des cases en palissades et en terre, des paillotes, des baraquements couverts des feuilles de lataniers, servaient d’abri aux hommes de la Compagnie des Indes et aux soldats.
C’était le début d’un long travail assidûment élaboré sous le commandement des grands hommes tels que le Gouverneur Mahé de Labourdonnais, l’Intendant Poivre, le Bailli de Sufren ; leurs efforts, à des époques différentes, aidaient à la formation d’une colonie solidement bâtie dans ces terres et dont les empreintes marquèrent les générations futures.
Plusieurs bâtiments importants tels que L’Hôtel du Gouvernement, l’hôpital, les casernes, la loge, l’église paroissiale, les logements, les bureaux et, même un bagne pour les noirs marrons, les récidivistes, les criminels, les fauteurs de troubles furent construits dans divers lieux de la ville. Les quartiers résidentiels et commerciaux s’étendaient à des endroits où les activités prenaient de l’essor. Une variété de plantes et d’animaux atteignit l’île par la suite. Les forêts étaient pullulées de gibiers, de singes, de tortues; certaines régions étaient transformées en vergers, en jardins d’acclimatation pour ces plantes exotiques venant des quatre coins du monde. L’agriculture coloniale trouvait sa naissance dans les démarches et les activités que les agronomes, les botanistes et les jardiniers mirent en place pour la réalisation des grands projets qui prenaient au fil des années des dimensions considérables.
Alors que le Directeur de la Compagnie des Indes trouvait en Port-Louis une loge fortifiée, un entrepôt, un port d’escale, le Gouverneur Mahé de Labourdonnais trouvait plutôt une ville solidement bâtie dans l’Océan Indien. Plusieurs services furent déjà mis en place dans l’Ile. Les ouvertures des routes carrossables reliant un quartier à un autre aidaient les habitants à se déplacer avec facilités. Les colons effectuaient de fréquents voyages dans l’intérieur de l’île. Beaucoup de personnes venant des régions lointaines et avides aux gains, à la richesse abordaient l’Ile dans l’intention de s’y établir et de faire fortune le plus rapidement possible. L’arrivée des engagés indiens, des esclaves malgache et africain fit accroître en peu de temps le nombre d’habitants. Les flottes françaises, dans la course aux armements et à la conquête des terres, se heurtaient bien souvent aux escadres anglaises qui se montraient très redoutables. Pendant la guerre de sept ans, la Compagnie des Indes, voulant agir à sa guise, fut complètement ruinée, cédant tous leurs comptoirs aux Indes, et en même temps l’Ile de France contre une importante somme d’argent, au Roi de France.
Les activités à I ‘Ile de France devinrent en ce temps là intenses. L’Ile avait le renom d’être le nid des corsaires. Plusieurs hommes sans scrupules y débarquèrent pour faire fortune sur la misère publique. En mer, corsaires, pirates, flibustes, navires marchands luttaient pour la survie. Les catastrophes naturelles, les calamités, les carnages et les massacres ne pouvaient être évités. Seuls les plus rusés, les plus puissants, les plus équipés, les mieux préparés étaient épargnés. Les colons se réunissaient dans les sauteries que les officiers de la garnison organisaient. Les gens s’amusaient dans des soirées, des festivités. Les enfants des colons s’habituaient à la vie mondaine par des sources de distractions que les gens soucieux d’organiser leur vie trouvaient au sein même de la société naissante.
L’arrivée des administrateurs royaux portait d’autres changements dans l’aspect de l’Ile. En peu de temps les réparations des bâtiments délabrés furent effectuées. Une relance exceptionnelle des activités agricoles permit l’île à s’approvisionner des denrées allimentaires prêtes à l’exportation. Trois moulins à eau fabriquaient de la farine, une boulangerie, des magasins, une imprimerie furent mises en place et fonctionnaient admirablement. Des produits vivriers aussi abondaient l’Ile et permettaient aux habitants de tirer profits.
Malgré que le libertinage chez les blancs comme chez les noirs atteigne une proportion considérable, les administrateurs royaux eurent du fil à retordre pour réprimer ces immoralités de vieille date. Cela, par contre, n’affecta pas tellement les mœurs de l’île.
Les cabarets de la ville accueillaient tous les gens assoiffés de divertissements; la présence des officiers et des colons des lointains quartiers fût très marquée. Les esclandres, les multiples accrochages publics, les affrontements entre individus ou groupe des gens, les conflits sociaux, les fouteurs de troubles furent vivement réprimandés par les personnes ayant la compétence de maintenir l’ordre public et de le faire respecter. Les lois en vigueur décrétées par le Conseil, la traite des noirs, les avis et communiqués atteignirent le grand public par des voies normales et de manières décentes et convenables.
Des milices circulaient la région et pourchassaient les mécréants, les bandits, les criminels, les voleurs des grands chemins, les noirs marron. Les commandants des quartiers avaient une tâche bien délicate pour faire régner l’ordre et la justice. Ils étaient constamment confrontés à des situations difficiles qui pouvaient compliquer leur existence.
Maîtres et esclaves avaient des règlements à respecter et quiconque cherchait à enfreindre la loi ne serait pas épargné du joug de la justice. Mais combien des injustices sociales qui ne furent jamais respectées, dénoncées? Les faibles subissent toujours dans le silence la loi des plus forts et ce n’est que justice qui vient du ciel qui donne l’équilibre à la situation.
Quand la guerre de l’indépendance de l’Amérique fut éclatée, l’Ile de France, de par sa position stratégique, aida les Français sous le commandement de Bailli de Suffren, de mener une guerre glorieuse contre les Anglais dans les eaux indiennes, aux environs de Pondichéry. Les Anglais subissaient de lourdes pertes et des défaites inimaginables. Ils reconnaissaient l’importance de l’Ile de France dans l’Océan indien. Leurs courages et leurs déterminations de vaincre tournaient leurs regards vers cette île qu’ils cherchaient à s’emparer.
Evidemment, à une époque aussi reculée, des îles semblables dans presque toutes les parties du monde étaient les moins protégées contre les attaques venant de l’extérieur. Les garnisons et les forteresses s’affaiblissaient sous les incessants assauts des ennemis. Les plus forts seulement exerçaient leur domination. Hormis des dangers pareils, ces lieux étaient constamment menacés par des conflits intérieurs qui causaient beaucoup de troubles dans la population
L’île de France ne fût pas épargnée de ces crises qui éveillaient au sein de la population des craintes, des frayeurs, des incertitudes de l’existence que les habitants ressentaient comme ce matin, la nouvelle qui annonçait et décrivait les horreurs d’une nuit venait se heurter contre les oreilles sourdes encore par le sommeil, mais consternés, stupéfaits par ce qui se disait, par ce qu’on racontait. Port-Louis émergeait des ténèbres pendant que l’aube pointait.