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Les charmes de la vie champêtre

27 Juin 2018 , Rédigé par Kader Rawat

 

 

 

Scènes de la vie champêtre

Ceci est un produit de l’imagination..

 Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence. 

 

Les charmes de la vie champêtre

 

La jeunesse a toujours été avide de distractions et les plaisirs les plus raffinés ne se découvrent que parmi les femmes aux mœurs légères. Fabien avait connu les jolies filles de son village qui lui avaient toujours inspiré le respect et l'admiration. Il les rencontrait très souvent dans des fêtes et des soirées organisées par des voisins et des amis. Des fois Fabien descendait en ville en compagnie des camarades pour s'amuser dans des cabarets et des hôtels. C'était dans ces circonstances qu'il connût des femmes qui surent lui faire découvrir l'amour et les affinités. Il ne fit jamais mention de ses nuits d'orgies quand il fut interrogé par sa mère qui était très attentionnée de ses moindres occupations. Cette habitude qui devint plus tard une faiblesse ne fut pas ignorée par certaines personnes du village qui surveillaient ses moindres mouvements et qui ne semblaient pas lui porter haut en estime. Sa réputation et les bonnes choses qui se disaient sur lui n'étaient pas pour plaire à tout le monde. La jalousie, les rancœurs, la haine, la soif de vengeance s'installèrent dans le cœur des personnes d'esprit étroit qui ne trouvaient de soulagement qu'en cherchant à faire du tort à autrui et en rendant l'existence des autres impossible, difficile, pénible. Et les histoires de femmes qui embrouillaient même les meilleurs des amis, rompaient les relations des voisins, éloignaient parents impliqués dans des infinies explications et disputes, gâchaient souvent les charmes de la vie champêtre et apportaient amertumes, dégoûts et mélancolies. En tout cas Fabien lui-même ne pouvait pas se rappeler en quelle occasion il aurait pu se comporter de manière à ce que ses meilleurs amis s'éloignaient de lui sans lui donner aucune explication et lui tenant rigueurs et se jurant de lui en faire payer. Qu'avait-il fait de si grave qu'en peu de temps il s'était crée d'ennemis qui lui en voulaient du tort ? Sa manière désinvolte, son air insouciant, ses habitudes de plaisanter n'avaient pu éveiller en lui le moindre soupçon à l'égard des amis auxquels il faisait confiance.

Un petit groupe folklorique, délégué par la mairie de la contrée, avait l'habitude depuis de nombreuses années d'animer le quartier le soir de Noël. Il était des fois accompagné d'une troupe sans prétention qui était devenue célèbre pour avoir participé dans plusieurs animations importantes organisées dans l'île. Depuis plusieurs jours des employés de la commune s'occupaient à mettre en état un ancien bastion qui abritait auparavant des soldats qui se trouvaient dans la région. Cette vieille bâtisse en décrépitude cachait encore derrière ses façades ternes et couvertes de mousses et de lichens quelques décors que les animateurs sauraient mettre en valeur afin d'en faire ressortir un lieu où des représentations pouvaient être données dans les meilleures conditions possibles. Quelques volontaires du quartier s'étaient joints au groupe pour ériger une estrade avec de solides poutres en bois récupérés çà et là dans la ruine. Divers arbustes exotiques plantés dans d'énormes bacs à fer-blanc servaient de décoration et donnait un aspect tropical. Les bananiers à larges feuilles et les palmiers multipliant avec ses troncs à côtes marquées côtoyaient les fougères et les lataniers de chine avec ses feuilles palmées. Les travaux avaient pris de telle ampleur que la veille de Noël tout était déjà prêt. Un grand feu de bois était allumé à peu de distance de l'estrade et à l'approche de la nuit, quand les flambeaux éclairaient les coins obscurs et le son de maloya se fit entendre jusque dans le lointain, les gens portant leur habits neufs quittaient leur maison pour se diriger vers la fête qui avait commencé déjà. Ils pressaient les pas pour être parmi les premiers à occuper les meilleures places afin d'assister avec grands intérêts aux spectacles programmés pour la soirée qui habituellement terminait tard. Tandis que les gros bois secs brûlaient en lâchant de longues flammes jaunâtres qui chauffaient les ravanes en même temps qu'elles répandaient une lumière éclatante, quelques hommes vêtus en caleçons à taille baisse et retroussés jusqu'aux mollets, des chemises imprimées attachées en nœuds croisés au niveau de nombril, et des femmes en longues robes à fleurs et traînantes avec des plies firent leur entrée en scène et commençaient à exécuter une danse rythmique dont la chorégraphie épousait bien la musique traditionnelle de séga maloya. Chaque coup de rein à gauche et à droite correspondait au battement de la ravane et les pieds nus qui traînaient dans la poussière firent virevolter le corps emporté par les vagues de la musique entamée. Les hommes se cambraient comme pour faire révérence aux dames qui redressaient la tête en continuant à balancer les épaules et en tenant dans leur main l'extrémité de leur robe pour exécuter des figures qui soulevaient l'enthousiasme des spectateurs. Les chants entonnés à gorge déployée par un des chanteurs du groupe firent entendre les paroles composées en patois dérivant du français par un poète en herbe du pays et racontant la misère, la souffrance, la joie, les amours, les aventures des habitants de cette île. Les enfants étaient assis sur des nattes de vacoas étalées par terre et les femmes occupaient les bancs installés en plusieurs rangées de demi-cercle devant la scène. Elles laissaient échapper de grands éclats de rire sonores qui retentissaient jusque dans les bois. Quelques amoureux se cantonnaient derrière les grands arbres en trompant la vigilance des parents qui les avaient complètement oubliés en livrant conversation avec des gens qu'ils avaient longtemps perdus de vue. Les hommes étaient réunis par petits groupes de part et d'autre. Certains étaient debout sous un grand nattier pour blaguer en regardant en même temps les spectacles; d'autres étaient assis sur des rochers avec des bouteilles de rhum, de vin pour se saouler. Loin dans le bois la lumière étant plus rare, l'obscurité prédominait et seulement ceux que la fête n'intéressait pas s'y aventuraient. L'organisateur de la fête avait pensé à tout, même aux imprévus. Quelques hommes étaient désignés pour s'occuper de la sécurité afin que la fête soit célébrée dans les meilleurs conditions et qu'aucun incident ne causait ni trouble ni perturbation.

Il était tôt encore quand Fabien, suivi de sa mère et d'Yvette fit son apparition. Il les accompagnait jusqu’aux rangées des bancs, avait attendu qu'elles trouvent des places pour s'asseoir avant de retourner auprès des amis et connaissances qu'il avait remarqué à son passage. Il avait porté pour l'occasion un pantalon à côtes de couleur noire qu'il avait acheté la dernière fois qu'il s'était descendu en ville, une chemise blanche à rayures grises et un gilet gris foncé que son patron lui avait fait cadeau. Il avait attiré l'attention de beaucoup de belles jeunes filles du village qui jetaient sur lui à plusieurs reprises des regards qui exprimaient le désir de se faire remarquer durant la soirée.

Ce soir là quelques amis avaient entraîné Fabien dans un petit coin tranquille et l'avaient ingurgité de la bière, du rhum et de vin jusqu'à lui faire perdre la raison. Sa tête tournait tellement qu'il titubait en marchant et après avoir fait quelques pas il vacillait, culbutait contre les racines des arbres ou des rochers et tombait à plusieurs reprises avant que la main tendre d'une belle femme lui était tendue.

Entretemps sur la scène quelques travestis amusaient la foule en imitant quelques personnages bien connus de l'époque et en citant des phrases qui mirent les gens en délires. Un spectacle monté par des professeurs de l'école du quartier et joué par les élèves racontait un épisode de l'histoire de l'esclavage qui avait ému et attendri plusieurs personnes qui avaient les yeux remplis de larmes tandis que d'autres en versaient déjà. Un grand calme régnait parmi les spectateurs et quand un prestidigitateur de renom fit quelques numéros de magie dignes d'applaudissements la foule hurlait une fois de plus de toutes ses forces et les tambours résonnaient encore plus fort.

Les individus qui ne se trouvaient pas très loin et qui avaient entendu ces cris stridents et distinctifs de détresse dans la nuit ne pouvaient pas les confondre aux tumultes de la foule enthousiasmée, aux braillements des chanteurs à la voix rauque et aux paroles incohérentes. Ils se précipitaient vers la case en paille pour délivrer la femme qui se débattait pour sauver son honneur tout en rouant de quelques coups de pieds l'auteur de cet acte ignoble, vile, odieux qu'ils parvenaient à retenir dans la pénombre. Quand la nouvelle fut répandue dans la fête et que les gens courraient pour voir ce qui se passait, combien n'étaient-ils pas étonnés de reconnaître Fabien dans un état déplorable. Comment avait-il pu commettre un tel acte, lui qui n'avait jamais une seule fois manqué de respect à personne dans le village, lui que tout le monde ou presque aimait, admirait, respectait, lui qui était la fierté de sa famille, le modèle de la société. Que s'était-il passé, se demandaient les gens du village, pour qu'il aurait pu faire une telle chose ? Du jour au lendemain le destin de Fabien basculait. Certaines personnes, en écoutant la femme raconter comment Fabien s'était montré irrespectueux, entreprenant, grossier, brutal à son égard, avaient voulu ce soir même le chasser du village, le traîner jusqu'à la gendarmerie au bas de la ville pour qu’il explique de ses actes mais la femme, retenue au dernier moment par un sentiment d'amour propre, de pudeur, de honte d'avoir joué cette comédie avec autant de réussite n'avait pas voulu déposer plainte. Elle en avait fait trop et se sentait déjà coupable d'avoir accepté, pour de l'argent, de faire cet homme subir une telle humiliation.

Mme Deschamps s'était précipitée au secours de son fils, l'avait tenu dans ses bras fragiles et avec l'aide d'Yvette qui comprenait à peine ce qui se passait, l'avait emmené à la maison. Ils traversèrent le village la tête baissée pour ne pas regarder les autres en face quoiqu'il faisait nuit et que la consternation sur les visages des autres était flagrante.

 

© Kader Rawat

 

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