Les gens du village
Scènes de la vie privée
Ceci est un produit de l’imagination..
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Les gens du village
Il existe plusieurs raisons qui expliquent qu'une région se transforme en peu de temps en un petit village animé. L'île de la Réunion, à l'aube du vingtième siècle, offrait encore des petits coins très choyés sur le haut des collines, les flancs des montagnes ou les creux des vallées. Le nom attribué à chacun de ces petits villages est évocateur, imagé et se rapporte à un aspect de paysage, une condition climatique, l'abondance d'espèces végétales et bien d'autres exemples similaires. Il est tout de même amusant de prononcer le nom d'un village à travers un nom significatif. Notre curiosité nous incite à en savoir davantage. Mais quelque soit le nom que peut porter un quartier la raison qui pousse les gens à venir y habiter est partout la même et le principe non plus ne diffère pas. De nombreuses maisons s'élevaient comme des champignons dans la région pour la transformer en peu de temps en un village gai et mouvementé. Des gens qui venaient des quartiers lointains firent acquisition des parcelles de terre et s'y installèrent dans le but de spéculer et d'exploiter. Des terres en friches se convertissaient en fermes qui pouvaient accueillir de nombreux animaux; la dense végétation qui s'y était installée permettait de les nourrir ; les fermiers pouvaient enfin les vendre sur le marché local. Les planteurs exploitaient le géranium, le vétiver, l'ilang-ilang; le giroflier, la cardamone, le muscadier, le caféier, le vanillier, le thé, le tabac, le coton, le cacao et la canne à sucre. Les arbres fruitiers complétaient ces cultures même s'il fallait attendre des années parfois pour récolter les fruits. Certains habitants du quartier se lançaient dans l'élevage. Les artisans également s'installèrent dans le coin pour compléter les multiples activités du village. Une forge fit retentir jusque dans le lointain les coups redoublés des marteaux sur l'enclume; des menuiseries, des boutiques, quelques distilleries, des épiceries donnaient une importance considérable à ce petit village et les gens qui trouvaient du travail n'hésitaient pas de construire des petites baraques pour s'y loger en faisant venir femmes et enfants.
Nous sommes en 1950 .
Fabien Deschamps travaillait pour le compte d'un riche propriétaire longtemps installé dans la région nommé La Petite France. La maison de style colonial construite au milieu du 18ème siècle surplombait une colline qui dominait la vallée qui s'étendait plus bas. De là se découvrait un magnifique paysage que les colons avaient pour habitude de contempler particulièrement au moment où le soleil se déclinait. La vue panoramique était d'une telle splendeur que l'imagination fatiguée par une journée de travail retrouvait facilement paix et sérénité. Les poètes n'eurent aucune peine à trouver l'inspiration qui leur permit de composer leurs plus beaux écrits.
Les allées bordées des rosiers, des marguerites, des tulipiers, des azalées étaient ombragées par des flamboyants ramenés de Madagascar, des eucalyptus d'Australie, des palmiers multipliant, des cocotiers et des lataniers de chine. Quelques talipots, des palmiers colonnes, des baobabs et des arbres du voyageur servaient d'ornement à l'étendu de pelouse qui encerclait la vaste maison entretenue par une vingtaine de domestiques dont Fabien en fit partie. La plantation de la canne couvrait plusieurs centaines hectares de terre pentue qui s'étendaient au bas. Plus loin des pâturages couverts d'herbes grasses abritaient nombreux bœufs, vaches, cabris et moutons. La ferme où logeait le régisseur se trouvait en aval d'une rivière qui traversait la région et qui se dirigeait vers la mer en alimentant villes et villages de son eau
Les chemins tortueux et caillouteux qui reliaient la maison aux propriétés étaient aménagés en sorte à permettre aux grands patrons de circuler facilement en voitures. Ces véhicules récents faisaient objets de curiosité des villageois et même des travailleurs qui cessaient leurs activités pour y jeter leurs regards admiratifs. Bien souvent la fin de semaine était animée par une fête organisée pour célébrer un évènement quelconque et nombreux personnels étaient retenus pour aider à préparer les tables, pour installer les tentes quand le temps était couvert, pour s'occuper des hôtes et pour exécuter les menus travaux nécessaires dans une pareille circonstance. Fabien était parmi ceux que le régisseur retenait en raison de sa compétence, de son aptitude, de son allure et de ses bonnes manières. Il fut très vite remarqué par son maître qui, en lui attribuant quelques responsabilités, s'étonnait de la rapidité avec laquelle il les exécutait et l'intelligence qu'il démontrait par l'accomplissement de ses travaux. Il eut la sympathie du régisseur qui n'était pas une personne facile. Fils des pauvres blancs de Haut son arrière grand-père était parmi les premiers colons à travailler pour le compte des gros propriétaires installés dans l'île depuis sa colonisation par les français au début du 17ème siècle. Logés dans une maison construite par eux-mêmes sur une parcelle de terre suffisante pour faire de l'élevage et la plantation s'ils le désiraient et dont ils feraient acquisition plus tard si les services rendus aux patrons étaient satisfaisants, ces petits colons menaient une vie à part, partagés entre deux mondes où, d'une part, richesses et luxures s'étalaient au grand jour et, d'autre part, misères et souffrances guettaient les pauvres. Leur milieu considéré modeste leur permettait de mener une vie marginale où ils essayaient de fuir la pauvreté mais sans jamais atteindre la richesse. Ils évitaient de se familiariser avec les gens pauvres mais aspiraient à se trouver dans la compagnie des gens riches et influents. Leur monde se resserrait et ils étaient obligés de se regrouper entre eux pour former une société où ils parvenaient de donner un sens à leur existence. Ils avaient toutes les chances d'observer, de comprendre, d'apprendre de quelle manière la vie devait être vécue et quelles étaient les sources de distractions qui pouvaient leur permettre d'apprécier davantage le monde. Le fait de côtoyer les grands leur donnait des aspirations, des nouvelles idées, de l'ambition pour progresser et pour se distinguer dans ce petit monde qui n'évoluait pas aussi vite qu'ils le souhaitaient. Acquérir le titre de colon n'était pas à la porter de tout le monde et le respect et la considération dont ils furent objet les propulsaient au devant de la scène, les faisant se donner l'allure des grands seigneurs aux yeux des petits paysans, des ouvriers, des travailleurs de champ. Avec une telle réputation, un tel pouvoir ils avaient toutes les possibilités de créer leur propre image selon leur tempérament, leur comportement et leur caractère. Un travail rigoureux, difficile durcisse l'homme, le rend méchant, intransigeant, détestable même. Heureusement que ce n'était pas le cas pour ce régisseur qui connaissait comment se comporter envers ses employés qui le craignaient, l'obéissaient en l'aimant bien. Fabien en tirait avantage de la situation en évoluant dans un milieu où il avait beaucoup à apprendre. Quand Fabien touchait son premier salaire il se rendait tout droit à la boutique du quartier pour s'acheter une bouteille de vin pour fêter l'évènement en compagnie de sa mère et de sa sœur Yvette. Enfin il allait pouvoir aider sa mère à payer les dettes sur la maison et le terrain. C'était une joie pour lui de se retrouver dans sa famille après une semaine d'absence passée dans le travail où il se couchait tard sur des paillottes pour se lever tôt le matin. Mais très souvent il pensait à sa mère et à sa sœur en se demandant ce qu'elles faisaient. Combien n'aurait-il pas aimé passer plus de temps dans leur compagnie. Il était content de constater quand il rentrait à la maison que les champs étaient verts et que les récoltes s’annonçaient fructueuses.
Après des mois passés dans des durs labeurs, il devenait robuste, fort. Son corps se développait de telle sorte que même les gens de son quartier ne le reconnaissaient plus. Son visage autrefois juvénile devenait plus expressif et cachait souvent ses grandes ambitions sournoisement nourries au fond de son imagination perturbée par les doutes qu'il se faisait de l'avenir. Le désir d'entreprendre des actions concrètes, de lancer ses propres affaires au moment approprié lui donnait courage et volonté pour apprendre à devenir un bon fermier et un bon agriculteur. Il faisait toutes sortes de besognes à commencer par labourer la terre, creuser les sillons, planter les graines et les pousses des cannes, les arroser, mettre de l'engrais ou le fumier, préparer la récolte, transporter les produits à l'usine ou au marché. Dans la ferme il avait même aidé à mettre bas une génisse. Il s'occupait des bétails, les donnait à manger, les emmenait loin dans les plaines pour paître, les rentrait dans les écuries, trait les vaches et même transportait à des longues distances les animaux vendus pour les livrer à leurs nouveaux propriétaires. Ses journées étaient tellement chargées qu'il ne trouvait de répit que le soir dans une minuscule pièce à peine éclairée par une lampe à pétrole à courte mèche. Dans son village où il se rendait le samedi soir il allait souvent trinquer avec quelques amis derrière les boutiques. Il assistait des fois à des combats de coqs qui attiraient nombreux amateurs qui misaient gros en poussant des cris et des hurlements pour se marrer. Se rendaient ils compte que chaque coup de bec acéré qui faisait gicler le sang de son adversaire provoquait des douleurs que seul l'animal ressentait en gardant la tête aux crêtes meurtries haute pour ne pas succomber dans l'ultime effort aux assauts répétés? Les vices du jeu avaient enflammé l'esprit et le cœur des ces joueurs invétérés qui se passionnaient à martyriser, à faire souffrir et à enlever la vie de ces animaux en les faisant subir des pires souffrances. Quelle atrocité, quelle barbarie et dire que pour s'amuser il fallait en faire autant, il valait mieux s'en passer. Fabien n'en trouvait pas de plaisir à regarder un tel spectacle. Il préférait rentrer à la maison pour tenir compagnie sa mère et sa sœur Yvette.
© Kader Rawat
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