Un homme infidèle
Scènes de la vie privée
Ceci est un produit de l’imagination..
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Un homme infidèle
Dans notre établissement, Edgar était parmi les premiers à avoir été employés dans la boite à son ouverture il y a vingt-cinq ans de cela. Il approchait déjà de la retraite et, entre lui et quelques autres employés, une longue amitié s'était développée qui leur permettait de se faire parfois des confidences notamment au cours de ces années glorieuses qui leur laissaient toute liberté de s'exprimer quand l'envie leur en prenait. Edgar était considéré comme un de ces navires échoués dans la boîte à cause de la situation dramatique qu'il avait vécue dans sa vie sentimentale. Quiconque l'aurait connu personnellement ne pourrait échapper au récit de son histoire devenue une légende dans la boîte. A l'entendre se morfondre sur sa vie, des larmes risquaient de couler des yeux de ses auditeurs montrant le degré d'attendrissement qu’il était capable d’injecter dans leur coeur.
«Je le regrette toujours, racontait-il des fois à qui voulait l'entendre, d'avoir foutu ma vie en l'air pour une sale histoire de femme. C'était arrivé si bêtement que je n'en reviens pas. Ma femme qui m'avait toujours fait confiance ne cessait de me reprocher de l'avoir trompée pour une de ces traînées que l'on peut avoir pour moins que rien dans les bordels situés dans les bas quartiers de la ville. Nous avions pourtant connu ensemble des bonheurs intenses. »
Depuis qu'il était venu habiter la ville de Saint....., quittant un de ces endroits ternes des hauts, sa vie de famille avait connu de multiples bouleversements. Il était ce qu'on appelait à l'époque un vieux schnock. Il dépassait déjà la cinquantaine et les quinze années de vie conjugale qu'il avait menées n'étaient que des souvenirs qu'il cherchait à partager avec ceux qui voulaient l'écouter pour ne pas se perdre dans l'intense solitude qui accaparait parfois son existence. Sa fille Judith, devenue déjà majeure et son fils Johnny âgé de seize ans souffraient énormément de son ménage brisé.
"J'avais connu ma femme Karine vers la fin de l'année 62," racontait-il une fois que nous nous trouvions au fond d'une grande salle de réception un après-midi de la veille de Noël alors qu’il avait bu quelques verres de whisky. "Je débutais ma carrière professionnelle comme agent d'entretien dans un de ces bureaux miteux situés dans la rue de la Compagnie. Elle commençait justement à travailler comme secrétaire quand mon patron me convoqua pour me proposer un emploi de coursier et une augmentation de salaire en même temps. Karine était une belle jeune fille créole de bonne famille qui habitait dans un modeste logement situé à la Source. Elle avait le teint clair, les cheveux coupés à la garçonne très à la mode à l'époque, portait des jupes courtes et avait une physionomie que je prenais plaisir à admirer quand j'allais prendre des colis et des lettres sur son bureau. J'avais l'habitude de partager avec elle un brin de conversation en la complimentant sur sa beauté et sa gentillesse. Elle se sentait au début très gênée et embarrassée mais n'avait pas pris le temps de comprendre que mes intentions étaient bonnes. Je l'épousai un an plus tard quand je commençai à travailler dans cette boîte comme employé de bureau. Un poste qui m'avait été attribué grâce à l'intervention de mon oncle qui avait des relations et qui fréquentait les gens de la politique. Le salaire que je touchais me permettait de louer une petite maison au Camélias. Ma femme et moi-même nous menions une vie sans histoires et remplie de bonheurs. Nous nous aimions à la folie et cela durait pendant plusieurs années. Les enfants que nous avions eus s'ajoutaient à notre joie et nous rapprochaient davantage. En vérité, il ne me manquait de rien dans la vie et je dois toutefois avouer que j'étais un homme comblé jusqu'à ce qu'il m'arrive ce qui devait arriver. Mais avec le temps, tout change. Tout l'engouement qui nous enveloppait le cœur au début de notre ménage rempli de promesses, de joies intenses et d’espoir, se dissipait au fil du temps avec les difficultés qui venaient entraver, ternir et obscurcir notre vie quotidienne. En voulant parfois fuir la monotonie de la vie conjugale, je cherchais la compagnie de mes anciens camarades d'école avec lesquels j'avais toujours gardé le contact après avoir mené la belle vie ensemble même après mes années scolaires quand j'étais encore célibataire et sans travail. Je refusais bien entendu de me rendre dans des boîtes de nuit pour me défouler. Mon intention était loin de chercher à m'amuser tout seul. Ma famille comptait énormément pour moi et je cherchais des occasions à rendre notre petite vie agréable. Ma femme me donnait, à l'époque où elle me faisait entièrement confiance, de telles libertés que je pouvais disposer de mon temps comme je le voulais. C'était ainsi que je rencontrais des nanas qui voulaient bien sortir avec moi. J'aimais trop ma femme pour chercher à flirter avec les autres. Mais entraîné par mes camarades qui m'exposaient à des situations où j'avais à défendre mon honneur et à faire preuve de mon tempérament chaleureux d’enfant des îles, je n'avais pas eu le courage de repousser des assauts défiant ma nature pudibonde et m'étais efforcé à démontrer ce que je pouvais bien valoir dans ce domaine. Des petites aventures sans lendemain me poussaient souvent dans les bras d'une de ces filles en chaleur, parfois une blonde aux cheveux bouclés fraîchement débarquée dans l'île, parfois une rousse pulpeuse et affriolante, pour me retrouver en train de m'envoyer en l'air avec elles dans des lieux discrets. »
« Tu n'as pas honte de faire de telles saloperies derrière mon dos, vieux cochon, gueulait ma femme bien plus tard quand elle avait appris la vérité. »
« Un collègue de travail, longtemps enfermé dans le cocon familial, éprouvait, avec une certaine hilarité, des réjouissances particulières en écoutant des histoires se reportant au sexe. Il était depuis peu au courant de ces exploits extraconjugaux et m'avait demandé de lui dénicher un rancard parce qu'il ne savait pas trop comment s'y prendre. Il était du genre timide et pas trop débrouillard et j'imaginais même qu'il était puceau. Donc je me disais que je ferais bien lui trouver une nénette qui pourrait lui montrer l'usage. J'en connaissais un tas qui pourraient faire l'affaire. Mais je préférais lui présenter une gentille petite femme qui venait de se séparer de son mari et qui saurait lui faire découvrir toutes les facettes des affinités qu’il méritait d'apprendre et de connaître et qui lui seraient de grande utilité quand il aurait à se confronter aux gourmandes et aux éternelles insatisfaites. Mais pour l'instant, le confier aux mains de cette femme me faisait avoir la conscience tranquille en évitant de le malmener, dépouiller, duper par des femmes dont certaines étaient dépourvues de tout scrupule. Il allait devoir se débrouiller dans ce stade d'apprentissage à la vie conjugale et aurait tout son temps à se former à cet âge adulte à connaître mieux ce que c'est que le sexe dit faible. Mais ce soir, alors que j'étais allé le présenter en même temps que le déposer chez cette femme, je fis la rencontre d'une autre femme métropolitaine, belle comme le jour, qui était venue passer ses vacances dans l'île et qui souhaitait trouver quelqu'un pour lui faire découvrir les merveilleux sites si convoités par des visiteurs. J'avais hésité une fraction de seconde, le temps de réaliser ce que je perdais si je ne réagissais pas dans l'immédiat, avant de dire que je me portais volontaire, que cela me ferait grand plaisir d'être son guide si elle n'y voyait pas d'inconvénient. Et elle me remercia avec enthousiasme et reconnaissance en fixant déjà l'heure où je devais aller la prendre le lendemain. Elle avait vingt-cinq ans mais en paraissait beaucoup moins. »
« J'étais loin d'imaginer les dangers que cela représentait pour mon ménage et n'étais pas si innocent ni ignorant que ça pour ne pas savoir que sortir avec des femmes dans des lieux publics était un risque énorme que je courais. Jamais mon ménage ne fut secoué ni ébranlé, par aucune de ces secousses conjugales qui démantèlent l'existence, pendant les dix premières années où ma conduite était plus exemplaire que celle de nombreux hommes mariés qui me connaissaient bien et qui n'avaient pu faire long feu avec leurs épouses et se retrouvaient comme des épaves abandonnées en bordure des routes et s'étonnaient de me trouver en train de mener encore la vie avec mon épouse comme un vrai couple d'amoureux quand nous allions parfois dans les rues de la ville pour faire les magasins ou pour nous promener sur le front de mer, au Barachois pour admirer le coucher du soleil et pour y demeurer jusqu'à fort tard sous les lumières des réverbères. J'aimais trop ma femme pour essayer de me comporter de manière à éveiller en elle, si jalouse, si amoureuse encore, le moindre soupçon. Elle serait la femme la plus malheureuse au monde si elle apprenait sur moi des choses qu'elle ne devrait pas. C'était la raison pour laquelle j'agissais dans la discrétion la plus absolue. Quand je pensais à cette femme que j'avais rencontrée, je perdais tout mon sens de raisonnement et me laissais emporter par mes idées les plus fantaisistes qui m'entrainaient dans des aventures les plus palpitantes. La façon dont elle m'avait fait du charme m'avait fait presque tomber dans les pommes. J'étais à l'époque un de ces étalons chevronnés et réputés qui savaient comment combler une femme et la rendre heureuse dans ces ébats fougueux livrés dans l'ombre absolue, loin des regards indiscrets. Je dépensais des sommes considérables en louant des chambres d'hôtel pour commettre ce qui fut qualifié de saloperies, en achetant des vêtements de qualité que mon épouse elle-même n'aurait jamais imaginé pouvoir porter un jour, en menant la vie digne d'un nabab, sans me faire le moindre souci de la baisse considérable qu'accusait mon compte en banque jusqu'à ce que mon épouse qui tenait tellement à cette petite économie que nous avions réussi à faire au bout d'énormes sacrifices s'étonnait de l'hémorragie constatée dans nos épargnes et cherchait à en savoir les raisons. J'inventais toutes sortes de prétextes et trouvais des excuses valables tels qu'effectuer des réparations de la voiture, achats des pièces de rechange ou autres dépenses imprévues dont il n’y avait pas de traces étant donné que toutes ces dépenses s'effectuaient en argent liquide. »
« Ma femme ne se doutait de rien jusqu'au jour où je commis l'imprudence de faire entrer ma maîtresse dans ma bagnole. Je fus aperçu par une personne qui me connaissait bien et qui estimait beaucoup ma femme pour ne pas la mettre en garde de la liberté qu'elle me donnait et de la confiance qu'elle me faisait. Je ne pouvais pas savoir que mes faits et gestes étaient surveillés dans les moindres détails et que, peu de temps après, je fus pris en flagrant délit d'adultère. Je ne pus donner aucune explication. Ma femme me quitta sur le champ. J'étais allé lui présenter milles excuses, lui jurant de ne plus jamais recommencer sans qu'elle ne veuille entendre raison et avait entamé une procédure de divorce. Elle eut la garde des enfants et je me retrouvais tout seul, avec en prime le versement mensuel d'une pension alimentaire. »
Je l'écoutais parler longtemps de ses amertumes, de tous les malheurs qui s'étaient abattus sur lui dès lors, des regrets qu'il éprouvait de cette vie si tranquille qu'il menait avant de rencontrer cette femme, des remords qui accompagnaient chaque instant de sa vie, ne cessant de se morfondre sur un passé terni brusquement par ses fautes, de se maudire d'avoir ainsi gâché une vie entière. Il avait droit de voir ses enfants une fois par semaine et ne se pardonnerait jamais de s'être engagé dans un mauvais chemin.
© Kader Rawat
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