Une vie qui bascule
Scènes de la vie à la campagne
Ceci est un produit de l’imagination..
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Une vie qui bascule
Le lendemain matin quand Fabien comprit ce qui s'était passé, il éprouvait une telle honte qu'il quittait la maison pour aller se réfugier dans les bois où il ne voulait voir personne. Il ne daignait même pas aller prendre son travail où il n'avait pas de visage à montrer aux autres qui étaient informés déjà de ces fâcheuses nouvelles qui parcouraient la région comme la poudre d’escampette. Les gens le regardaient de travers quand il faisait tranquillement son chemin à l'orée des bois. Les jeunes filles qui auparavant voulaient se rapprochaient de lui s'écartaient de son passage et prenaient la fuite par peur qu'il leur fasse du mal. Il était devenu l'indésirable, le rejeté de la société qui ne lui accordait aucune chance de s'expliquer de ses actes et qui le condamnait sans avoir besoin de le juger.
La femme qui était la cause de tous ces malheurs avait disparu le soir même après qu'elle eût commis son forfait sans que personne ne cherchât à la retrouver. Ceux qui avaient organisé ce plan machiavélique avaient jugé bon de la ramener dans sa ville avant qu'elle ne parlât trop et qu'elle les dénonçât. Elle avait déjà commencé à démontrer quelques signes de faiblesse par des réponses maladroites qu'elle avait données au moment du fait quand des gens du village la posaient une foule de questions dont certaines restaient encore sans réponses. Quatre individus l'avaient accompagnée dans une charrette à bœuf louée pour l'occasion et éclairés tout le long du chemin par des fanaux accrochés à chaque côté des ridelles. Ils avaient ainsi parcouru jusqu'au matin, sans prononcer un seul mot, le long chemin en terre battue et sinueux qui reliait le petit village à la ville. Quand la femme descendit devant la station déserte pour prendre le premier train, le jour pointait déjà. Elle avait les paupières gonflées pour n'avoir pas fermé les yeux durant toute la nuit. Elle se dirigeait vers une fontaine publique qui se trouvait à côté de la station et avait aspergé le visage d'eau pour redonner une fraîcheur à ses joues pâles. Troublée, confuse et même honteuse à la lumière du jour quand elle avait à découvrir la vraie face au monde et non pas cette face cachée, dissimulée derrière le masque hideux de l'hypocrisie, de la vilenie et des bassesses. Elle savait qu'elle avait commis un acte ignoble en enlevant à jamais l'honneur, la réputation et la dignité d'un homme pour de l'argent. Mais que faire ? Elle en avait grand besoin et puisqu'elle n'avait fait qu'exécuter les ordres qu'elle avait reçus elle ne devait nullement s'inquiéter des conséquences. « Après tout, » se disait-elle, « comme je dois quitter le pays bientôt je n'ai ni de reproche à me faire ni de remord à laisser sur la conscience ».
Les hommes se sentaient soulagés quand elle pénétrait dans le compartiment vide d'un train qui quittait aussitôt la station. Quatre employés de l'usine à cannes sortant de différents coins de l'île venaient tout fraîchement de débarquer dans la région. Ils ne pouvaient ni supporter, ni tolérer, ni accepter que Fabien remplaçât quelque fois le maître pour les surveiller sur le lieu de travail. Quand le régisseur devait s'absenter pour quelques heures voir même pour une bonne demi-journée c'était à Fabien qu'il conférait la tâche d'intérimaire tout en lui donnant les instructions qu'il devait suivre à la lettre. Fabien ne faillit jamais à accomplir une tâche aussi importante avec dextérité, zèle et aptitude. Il avait su s'adapter au rythme qu'exigeait une telle responsabilité, répondre aux conformités de toutes les activités et en sortait à chaque fois très bien. Si bien qu'il avait éveillé dans le cœur de ses semblables de la jalousie, de l'envie et de la haine. Il avait payé en quelque sorte le prix de toute cette rancœur.
Il était désemparé, découragé, désespéré de constater combien il faisait objet de mépris, comment les gens manifestaient à son égard une attitude d'hostilité, de dégout, de hargne et de dédain. Il s'éloignait davantage, prenait la route de Mafate pour panser ses plaies dans le lit de la Rivière des Galets. La mère devenait folle en constatant que son fils qu'elle aimait tant ne rentrait plus à la maison. Elle le cherchait partout en s'aventurant jusqu'au fond des bois où elle risquait même de se perdre et de se faire attraper par la nuit quand un malheur pourrait arriver facilement. Il se cachait dans une cabane abandonnée où elle parvenait à le retrouver affaibli. Il avait à peine le courage d'aller plus loin, de se perdre dans le cirque de Mafate où personne ne pouvait le retrouver et où il pouvait vivre sans avoir besoin de supporter tous ces supplices. Son existence n'avait aucun sens et jamais l'idée de se donner la mort ne lui fut aussi proche. Elle le suppliait de rentrer à la maison, de ne pas tenir compte de ce que les gens pussent penser et dire. Elle avait besoin de lui pour vivre. Il était pour elle tout ce qui était de plus précieux sur cette terre. Il ne devait pas la rendre malheureuse en la délaissant toute seule. Elle était même prête à quitter la région si cela pouvait faire plaisir à son fils. Elle était aussi d'accord de le suivre où il désirait pour commencer une nouvelle vie ailleurs. Que n'avait-elle pas suggéré de faire pour ramener le fils à la raison et pour l'empêcher de commettre une bêtise. Il s'était jeté aux pieds de sa mère pour implorer pardon, mille fois pardon pour ce qui s'était passé. Elle lui avait pris comme un enfant dans ses bras et l'avait assuré en le serrant fort contre elle qu'elle ne lui tenait nullement rigueur de ce qui s'était passé et qu'elle désirait ardemment avoir auprès d'elle son fils qu'elle chérissait tant et qu'elle ne supporterait jamais de perdre. Elle marchait plusieurs kilomètres par jour pour apporter de la nourriture à son fils. Des gens qui la croisaient en chemin prenaient pitié d'elle mais ne faisaient rien pour l'empêcher de s'enfoncer davantage dans le fond des bois. Elle ne craignait pas les intempéries si occasionnelles pendant cette saison chaude de l'année. Elle poursuivit sa route pendant des heures avant de retrouver son fils qui l'attendait quelque part dans la nature. Cette rencontre devenue si fréquente apportait dans le cœur de la mère et du fils une joie qu'il serait difficile à définir et seulement une telle complicité parvenait à entretenir l'espoir perdu dans l'esprit ravagé du jeune homme et à permettre à la mère de continuer à vivre sa vie auprès de son fils bien aimé. Combien de temps une telle liaison pouvait durer sans qu'il n'y ait rupture ou imprévision? La mère pouvait le faire toute sa vie si c'était pour sauver son fils. Mais le fils comprenait-il les épreuves qu'il faisait subir à sa mère devenue de jour en jour faible et abattue? Il le savait mais ne pouvait rien.
Il avait besoin du temps pour se remettre de la situation. Il se rendit souvent en haut d'une falaise pour contempler l'infini qui s'étendait au bas avec espoir de retrouver la confiance qui lui manquait pour affronter l'avenir. Sa blessure récente et profonde l'accablait à tel point qu'il cherchait à se réfugier constamment derrière cette honte hideuse qui lui fit imaginer avoir perdu honneur et dignité. Il se reconnaissait comme l'ignoble individu qui semait la terreur dans son petit village où les gens le prenaient pour ce monstre de Mr Hyde que Robert Louis Stevenson créa dans son fameux roman. Il était aux prises des fois à de terribles dépressions qui ravagèrent l'intérieur de son être et, si sa mère n'aurait pas été là pour lui apporter consolation et espoir, longtemps il aurait sauté dans le vide pour s'écraser dans un abîme profond.
© Kader Rawat
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