Une mère dévouée
Scènes de la vie à la campagne
Ceci est un produit de l’imagination..
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Une mère dévouée
Mme Deschamps regagnait à chaque fois la maison l'esprit angoissé. Elle ne pouvait imaginer son fils en train de vivre comme un animal blessé au fond des bois. Elle était frustrée et, le soir, elle ne pouvait s'empêcher de verser de larmes par le gros chagrin qu'elle éprouvait en pensant à son fils. Elle était en train de ruiner sa santé sans se rendre compte. Elle n'avait plus le courage de se réveiller tôt le matin pour aller vendre des œufs et des légumes à la ville pour faire rentrer de l'argent. Elle commençait par perdre le goût de vivre en se retrouvant éloignée de son fils, séparée de l'être qui faisait tout son bonheur. Heureusement qu'Yvette était là pour s'occuper d'elle dans ce moment de tourment et de désarroi.
Pendant que la mère s'absentait de la maison confiée à la jeune fille Yvette à peine âgée de quinze ans, un jeune homme, qui parcourait la région un début d'après-midi l'ayant aperçue en train de faire sécher ses cheveux devant la porte, l'avait abordée et avait commencé à livrer conversation avec elle. Il s'étonnait de voir une belle fille perdre son temps dans une contrée peu attrayante. Il s'appelait André et venait de débarquer dans ce village avec ses parents. Ils sortaient dans les hauts de Saint-Gilles où leur maison était détruite par le feu. Ils avaient tout perdu dans ce malheur. Un parent lointain, une vieille tante malade qui habitait à l'extrémité du village, avait appris qu'ils étaient sans abri et les avait invités à venir s'installer dans une case qui était encore disponible, heureusement pour eux.
Des gens prétendaient qu'ils avaient apporté avec eux les disgrâces de Mme Desbassyns. D'autres disaient que la mère était originaire de Mahavel où la légende parlait de grand mère Kal, une esclave dévouée qui était allée se jeter dans les flots derrière son fils, après avoir juré fidélité à sa famille. Dès lors, pour prévenir la famille des malheurs qui la menaçaient, Grand Mère Kal poussait des cris lugubres qui effrayaient toute la région. Yvette ne connaissait rien de toutes ces histoires.
André par contre avait appris le malheur de la famille Deschamps parce que tout le monde en parlait encore. Il avait profité quelque peu de cette faiblesse pour livrer conversation avec la fille pendant longtemps en se tenant debout sous un grand manguier chargé des fruits juteux. Il se rendait souvent devant la maison pour s'entretenir avec la fille qui ne voyait rien d'inconvénient par ces marques d'amitiés dont le jeune homme en fit preuve. La mère ne fut pas informée de cet état de chose. Yvette craignait que sa mère n'approuvât pas une telle démarche et avait préféré garder le silence par peur de se faire réprimandée. Quand la mère quittait la maison pour aller retrouver son fils, Yvette commençait par s'ennuyer à ne rien faire. Elle voulait accompagner sa mère pour ne pas demeurer seule mais cette dernière préférait faire son chemin toute seule. Yvette acceptait mal l'idée de se voir délaissée, abandonnée. La mère l'avait bien fait comprendre qu'elle avait certaine responsabilité à assumer pendant son absence.
Son univers s'étendait jusqu'au mur en pierres d'un mètre de hauteur qui délimitait le terrain, et qui était bordé d'une rangée de jeunes cryptomerias qui projetaient à peine de l'ombre par un temps ensoleillé. Yvette permettait le jeune homme de l'accompagner quand elle allait faire un tour en fin d'après-midi dans le verger ou le potager pour se rassurer que personne ne s'y était introduite. En cette période où les arbres rapportaient des fruits en abondance, nombreuses personnes sans scrupules, sortant des autres quartiers, parcouraient la région pour profiter, en l'absence des gardiens ou des propriétaires, de cette aubaine. Quelques épouvantails étaient placés çà et là pour dissuader les animaux et les volatiles de se rapprocher. Des fers-blancs vides, avec un fer accroché à l'intérieur, étaient suspendus aux branches. Attachés par une longue corde qui traînait jusqu'au bas, ces fers-blancs firent de grands bruits pour effrayer les oiseaux quand la corde était tirée.
André avait pris l'habitude de venir retrouver Yvette régulièrement. Elle était des fois assise sous un grand tamarinier dont les branches, qui s'étendaient comme des tentacules, donnaient une fraîcheur délicieuse pendant la saison chaude de l'été. Yvette préférait attendre André dans cette place discrète pour lui écouter parler pendant des heures. Il avait toujours des choses à raconter, et ne se lassa jamais de puiser dans sa mémoire pour retrouver toutes les anecdotes liées à sa vie ou à l'existence des membres de sa famille. Il évoqua même l'histoire de Sitarane et de ses complices, et la terreur dans laquelle les habitants du sud vivaient cette époque du début du siècle. Loin de vouloir installer la crainte dans l'esprit encore fragile d'Yvette, André voulait tout simplement l'apprendre ce qu'il avait entendu lui même raconter par ses parents, et les gens de son quartier. Sitarane était une histoire qui remontait longtemps déjà, lui-même ayant été exécuté avec son autre complice Fontaine, il n'y avait pas lieu d'éprouver, en écoutant son histoire, une quelconque frayeur.
André était un beau jeune homme d'une vingtaine d'année, avec des cheveux roux hérités de sa mère, elle-même fille naturelle d'un bûcheron solitaire et d'une femme de petit propriétaire vivant au domaine la vallée. Une histoire d'adultère qui défrayait la chronique, et qui se terminait par une série de suicides et de meurtres, que les nombreuses enquêtes menées par la justice n'avaient pu élucider. Le bûcheron, responsable de tous ces malheurs, avait pris la fuite avec l'enfant adultérin, une fille qu'il confiait à des parents pauvres avant de disparaître à jamais dans la nature. Il ne voulait pas assister aux multiples règlements de compte entre membres de deux familles qui s'entre-déchiraient, s'engageaient dans des infinies explications, s'accusaient mutuellement d'hypocrite, de traître, de scélérat, d'infidèle et de tous les qualificatifs liés à la perfidie, aux mensonges et la fourberie. La décortication de telles accusations avait crée un climat de tension au sein des familles dont les membres ne cessaient de vociférer, de hurler à longueur des journées pour s'injurier en passant des menaces aux actes, ce qui avait en quelque sorte dégénéré à des conflits confus et incompréhensibles qui avaient entraîné la mort de plusieurs membres de deux familles impliqués directement ou pas dans cette affaire. Cette petite fille, la mère d'André n'avait jamais voulu savoir qui étaient ses parents. Ceux qui l'avaient élevée représentaient tout pour elle.
Nombreuses familles qui venaient de s'établir dans la région se confrontaient aux énormes difficultés. La rumeur circulait que l'arrivée de certaines personnes dans le village avait apporté la guigne, et plusieurs manifestations maléfiques, témoignées par des gens de confiance, commençaient par perturber l'existence des familles honnêtes et laborieuses. Certains prétendaient entendre des esclaves qui traînaient les chaînes parcouraient la région, en faisant des bruits épouvantables qui les empêchaient de dormir. Quelques disparitions récentes, et des corps des personnes mutilées et retrouvés au fond des ravines, confirmaient le fait que la malédiction s'abattait sur le village. A l'approche de la nuit les gens se barricadaient à l'intérieur de leur maison en consolidant portes et fenêtres, se regroupaient dans une seule pièce pour ne pas avoir à affronter les malheurs tout seul. Ils étaient pétrifiés par la peur, et restaient figés chez eux pour ne pas avoir à se confronter aux ténèbres effroyables, pour ne pas être victimes des assaillants mystérieux qui pouvaient surgir à tout moment, pour achever à jamais une existence à peine vécue dans ce lointain quartier, où la vie se déroulait au ralentie, où le temps s'était arrêté pour permettre aux autres de le rattraper.
© Kader Rawat
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