L'énigme autour d'un meurtre
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Au petit matin, par un temps froid et glacial, du côté de l'étang, au bas de la colline, tout près du vieux moulin, les aboiements constants d'une meute de chiens indiquaient que la force de police ratissait la campagne pour traquer les présumés criminels. Les traces des pas, encore toutes fraîches, retrouvées autour de la maison, indiquaient qu'il était fort probable que plusieurs personnes étaient impliquées dans cette affaire. Suite aux dénonciations de quelques villageois qui s'étaient donnés la peine de recueillir des précieuses informations qui pourraient aider la justice de mettre enfin la main sur ceux qui étaient soupçonnés d'avoir commis ce crime odieux qui avait mis dans la consternation tous les gens du village, dans le courant de la même journée, la nouvelle se répandit que l'un des assassins avait été capturé et écroué dans la prison de Saint-Paul. Il s'agissait bien de Fabien Deschamps. Il n'avait pas opposé de résistance quand les gendarmes avaient cerné l'étang et le moulin. Il s'était rendu, faible pour n'avoir pas mangé pendant des jours. Jean-Régis Picard, la victime, était un homme d'une cinquantaine d'années qui était venu s'établir dans le village quelques années avant qu'il ne fut trouvé mort de plusieurs coups de couteau devant sa case. Tous les gens du village se rappelaient de son arrivée dans une charrette bringuebalante, à peine chargée de quelques malles comme tout équipement, pour s'installer définitivement dans la région. La vieille maison, longtemps restée inoccupée, battue par le vent et détériorée par le temps, qu'il était venu habiter et qui était logée au fond d'une végétation dense qui rendait l'atmosphère du lieu sinistre et effroyable, appartenait à son père qui la lui avait léguée à sa mort dix années de cela. Aristide Picard, le père, était un ancien esclave devenu marron avant que l'abolition ne fût proclamée. L'histoire de cette famille ne fut mise au grand jour qu'après des minutieuses investigations, des interrogatoires, des enquêtes, des recherches menées par le commissaire Dupré et ses hommes qui établissaient sur cette affaire de meurtre des rapports bien ficelés qui contenaient des informations précieuses ayant de liens directs avec l'assassinat et la disparition d'autres personnes du village et des alentours. Les témoignages recueillis auprès des villageois avaient tout simplement aidé à établir le fait que Jean-Régis Picard était un homme qui menait une existence paisible au fond de sa maison entièrement mise en état et solidement conditionnée depuis son arrivée et dont il avait aménagé une partie en atelier de cordonnerie pour lui permettre de grignoter les longues heures de solitude de ses vieux jours.
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L'énigme autour d'un meurtre 2
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Ce métier de cordonnier, il l'avait appris dès son très jeune âge quand il vivait dans le cirque de Mafate où il avait passé une grande partie de son existence sans exercer autre activité que de fabriquer et de réparer les souliers et les savates d’habitants de la contrée. Il avait même inventé des modèles de chaussures adaptés à tout terrain et appropriés à des activités particulières. Il utilisait le bois de lilas, un bois léger, facile à ciseler et à façonner pour donner la forme des galoches; avec la peau de gibiers, tendue et séchée au soleil, qu'il rajustait à ces bois travaillés il fabriquait des savates, des sabots, des souliers de toutes tailles et de différents modèles. Dans son atelier qui donnait sur un sentier emprunté par les villageois, une riche collection de toutes ses œuvres exposées sur des étagères en bois faisait le bonheur de nombreux clients qui lui en achetaient en grande quantité. Le soir, après une journée de travail acharné, il n'avait qu'une passion; c'était de prendre quelques gorgées de rhum avant de monter au lit, et cela pour lui permettre d'avoir un bon sommeil. Une ou deux fois par mois une jeune fille d'une vingtaine d'année qui habitait la ville de Saint-Paul lui rendit visite dans sa maison et lui avait même amené un petit chien pour lui tenir compagnie. Mais il n'en avait pas voulu pour éviter d'avoir une bouche de plus à nourrir, ce qui démontrait en quelque sorte à quels degrés il était avare. Pourtant dans ce petit coin retiré, ce chien lui aurait été d'une grande utilité et l'aurait peut-être averti des dangers qui le menaçaient. Sa présence dans la région avait tout de même fait circuler le bruit, pendant un certain temps, qu'il possédait une immense richesse qu'il avait caché quelque part dans sa propriété étendue d'une vingtaine d'hectares de forêt encore en friche.
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L'énigme autour d'un meurtre 3
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Au fait, les noirs marrons étaient bien connus pour avoir, dans le temps, attaqué, volé, pillé, saccagé et même brûlé les maisons des gens riches qui vivaient dans des grands domaines. Aristide Picard avait eu plusieurs démêlés avec la justice, était impliqué dans nombreuses affaires sordides qui défrayaient la chronique mais, comme il avait toutes les fois un alibi il parvenait avec ruses à s'échapper du joug de la justice. Et, étant donné que les auteurs et les principaux complices furent capturés, arrêtés, condamnés et certains même exécutés, les butins dont ils étaient peu à connaître la cachette lui revenaient à lui tout seul. C'était à son fils Jean-Régis qu'il confiait tout ce trésor. De son mariage avec une esclave comme lui étaient nés un garçon, Jean-Régis, et cinq filles, toutes mariées et vivaient avec leur mari quelque part dans l'île. Ce fils, tant admiré, tant estimé et tant aimé par son père pour son intelligence ne cachait pas tous ces trésors dans une seule place. Il les dissimulait dans plusieurs repaires dont lui seul connaissait l'endroit. Ils auraient dû attendre plusieurs années, quand les lois auraient changées et quand tous les événements oubliés et quand ils s'étaient rassurés qu'aucun soupçon ne leurs seraient porté, pour utiliser une partie du butin pour acheter quelques propriétés dans des régions où personne ne pouvait savoir qui étaient les propriétaires. Pour cela, le père et le fils n'avaient qu'à prendre contact avec quelques notaires des principales villes pour faire rédiger l'acte et faire acquisition des propriétés sans avoir même besoin de visiter les lieux. Jean-Régis Picard se cachait derrière ce métier de cordonnier en ignorant qu'après avoir passé plusieurs années à croupir en prison, certains complices qui avaient été épargnés de l'exécution, trouvèrent la liberté et allèrent chercher leur dû. En constatant que la personne concernée n'y était plus, ils n'avaient qu'à chercher plus loin pour découvrir que personne d'autre que le fils pourrait bénéficier de tout ce qui revenait au père. Jean-Régis Picard n'avait même pas eu le temps de jouir de toute cette richesse que sa vie s'acheva d'une manière dramatique et maintenant, à savoir qu'un innocent dont le nom était Fabien Deschamps allait payer pour le coupable en endossant dans son mutisme le crime était une question que beaucoup de gens du village commençaient à se poser.
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L'énigme autour d'un meurtre 4
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
La nouvelle se répandit bien au delà de ce village et circulait dans toute l'île. Tout le monde que cette affaire intéressait, cherchait à comprendre les raisons et suivait le dénouement qui prenait une tournure particulière et un caractère si complexe que l'enquête progressait difficilement, et était remplie d'énigmes par d'étranges et de surprenantes révélations. Yvette fut consternée par la nouvelle et, dans l'après-midi elle se rendit au commissariat pour essayer de comprendre ce qui se passait et pour rencontrer Fabien si c'était possible avant qu'il ne soit transféré à la prison de Saint-Pierre. Elle ne put obtenir de lui aucun aveu dans le peu de temps qu'elle avait pu lui voir derrière les barreaux en présence d'un policier. Elle retournait à la maison découragée, déçue, désemparée; elle était persuadée que son frère qui n'avait fait que baisser la tête était coupable et que personne ne pouvait rien pour lui. Ou voulait-il garder le silence pour en finir une fois pour toute avec la vie? Si telle était sa décision pour s'échapper à la honte dont il était couverte depuis qu'il avait tenté, dans son état d'ébriété, de violer une femme et de l'humiliation dont il subissait, il ne pourrait trouver meilleure occasion de mettre un terme à ses jours en laissant derrière lui un nom dont l'histoire s'en souviendra. Mais n'existait-il pas un moyen afin de le raisonner pour qu’il puisse avoir au moins le courage de dire qu'il était innocent? Comment faire pour arracher de sa bouche ce seul mot qui pourrait dévoiler le secret de son cœur et qui suffisait pour faire étinceler dans l'esprit de tous ceux qui voulait le sauver cette lueur d'espoir tant attendue?
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