DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 16
Un extrait de mon autobiographie 'Le bon vieux temps'.
« Ce qui nous différencie des autres créatures c’est cette mémoire que nous possédons et que nous pouvons transmettre aux générations futures. »
Elle débarqua chez moi un jour de la semaine avant que les incidents se produisent à Port-Louis. En provenance de Saint-Denis de la Réunion, elle nous apporta ses modes de vie, ses cultures. Dès qu’elle m’adressa la parole, je remarquai la douceur de sa voix et la discrétion dans ses manières.
Ma jolie cousine fut obligée de prolonger son séjour chez nous, en raison de l’agitation et l’insécurité ambiante qui régnait dans l’Ile et je fus heureux de pouvoir en profiter pour mieux la connaître.
Quand je I’apercevais seule dans la varangue, je la rejoignais et nous parlions de nos études sans aborder d’autres sujets de conversation. Nos entretiens étaient très courts mais ils nous procuraient beaucoup de plaisir. Le destin semblait vouloir nous attacher l’un à l’autre et les occasions se multipliaient pour nous permettre de nous rapprocher.
Je commençais à sentir naître des sentiments nouveaux qui provoquèrent en moi des troubles insoupçonnés. Le germe de l’amour avait été déposé au fond de mon cœur et son accroissement allait entraîner un changement radical en moi. Cette évolution de nos sentiments se fortifiait par la douceur de l'amitié, s’épanouissait au centre de notre société non sans étonner les uns et surprendre les autres.
Mon existence était fortifiée, nourrie par l’amour que je portais à ma cousine. Elle avait à mon égard les mêmes sentiments. Nous avions passé ensemble des moments tellement agréables qu’ils ne s’effaceront jamais de ma mémoire, ce qui caractérisent les premiers émois de l’amour et de la joie.
Le cœur de la jeunesse explose aux moindres émotions. Je manquais d’expérience pour contrôler l’ineffable joie qui m’accompagnait pendant ce court moment de bonheur, de félicité, de convoitise.
Le départ de ma cousine m’affecta beaucoup. Je passai mes premières nuits d’insomnie à penser à elle, à connaître les premières douleurs de l’amour. Le monde m’offrait d’autres horizons que je me préparais à aller sonder avec l’espoir d’apporter un enrichissement à ma vie par de nouvelles connaissances, des assurances, des réflexions qui conforteraient mon avenir et ma situation.
En fait, je me trouvais bien démuni face à l’éducation et les connaissances de celle que j’aimais et qui vivait dans une société bien différente de la mienne. Je n’avais pas le niveau nécessaire en connaissances, instructions, capacités pour envisager de pouvoir entretenir une fille qui était de condition supérieure à la mienne.
Ma première décision était de mettre tout en œuvre pour me hisser à la hauteur convenable.
Je reçus ma première lettre d’amour avec une étrange satisfaction, un immense plaisir et une inquiétude, une appréhension tenace quant à la réponse que je devrais lui faire en français, alors que j’étais pratiquement, dans cette langue, d’une nullité absolue! Mon orgueil m’interdisait de lui adresser ma réponse dans une autre langue que le français et j’allais bien sûr rédiger cette première lettre, malgré toutes les peines que j'aurais à éviter les pièges que réservent cette langue.
C’est à partir de là que j’ai décidé de m’atteler à l’étude rigoureuse du français. Mes inquiétudes étaient de ne pouvoir m’exprimer convenablement afin de révéler mon cœur à la fille que j’aimais.
Désormais, je me débrouillais comme je pouvais pour rédiger mes lettres et les expédier en temps voulu. Pour me faciliter la tâche, un vieux dictionnaire Larousse acheté cinq roupies à la librairie Nationale à Port-Louis me permit de trouver la signification des mots nécessaires à exprimer sur papier mes émotions.
Mon vocabulaire étant restreint, j’éprouvais de difficultés à écrire correctement. Je décidai de me constituer ma propre bibliothèque. J’en dénichai une dans la boutique de mon père, persuadé que la pratique de la lecture m’entraînerait à progresser dans cette langue.