DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 18
Je rencontrais régulièrement les après-midis mes amis auxquels je parlais de mes préoccupations, de mes sentiments envers ma cousine, et de l’amour que je ressentais pour elle.
Je consacrais beaucoup de temps à écrire de longues lettres d’amour à celle qui occupait toutes mes pensées et que j’avais rencontrée à nouveau lors d’un séjour d’un mois qu’elle fit à sa sœur à Port-Louis. Je lui confiais mes réflexions sur ce monde, mes aspirations, mes objectifs, mes activités. Je remplissais sans peine de nombreuses pages blanches des idées qui me sortaient machinalement de la tête, inspirées de l’amour que je vouais pour elle.
Cette constante alimentation de mon esprit par des lectures assidues éveillait en moi de mystérieux pressentiments. Ma curiosité me poussait à rechercher bien souvent dans le fond des choses les raisons des dysfonctionnements, m’incitait à analyser les faits qui représentaient une signification dans mon existence.
Mes jugements, face à d’innombrables situations singulières, m’ont permis d’acquérir une certaine expérience qui allait me servir plus tard, quand je me trouverais seul à affronter ce monde et tous ses déboires.
Je me voyais enlisé au sein de la société au moment où j’étais responsable de mes actes, m’attirant des regards réprobateurs qui semblaient m’accuser des torts que j’étais supposé en train de faire.
Je sentais déjà que je m’éloignais de l’adolescence et commençais à devenir un homme qui devait assumer ses responsabilités, qui avait des comptes à rendre non plus à ses parents mais à la société, qui se sentait très concerné par ses moindres mouvements.
Je devais me montrer bien habile afin d’éviter de froisser les personnes de mon entourage. La prudence était devenue ma principale obsession, afin de me frayer un chemin sans heurter personne dans mon environnement.
Peut-on plaire à tout le monde à la fois si on veut vivre sa vie selon ses désirs ? Non, l’être humain est trop faible pour trouver d’équité dans les sentiments. C’est un aspect qui ne changera jamais.
Je n’avais pas reçu de très bons résultats la première fois que je passais la School Certificate. Mon collège ne m’avait pas sélectionné pour cet examen parce que mon niveau était trop bas et que je n’étais pas prêt.
Cependant je possédais le Qualifying Test, Certificat que j’avais obtenu et qui m’autorisait à prendre part à l’examen en tant que candidat privé. Je persuadais mon père de me laisser m'inscrire pour l’examen. J’avais repéré dans le journal l’annonce qui invitait les candidats intéressés à se présenter au Ministère de l’Education pour l’inscription.
L’examen aurait lieu quelques mois plus tard, ce qui me laissait assez de temps pour me préparer pour l’aborder avec un maximum de chances de réussir. Je me fiais beaucoup à tout ce qui m’avait été enseigné au collège. Je savais qu'il me faillait faire plus. J'avais besoin de prendre de leçons particulières dans certaines matières pour me sentir en sécurité au niveau de la réussite finale.
J’apprenais comme je pouvais, sans trop me forcer pour obtenir un résultat qui me faisait beaucoup réfléchir et qui m’aidait, en même temps, à choisir les sujets que je maîtrisais le mieux et que je jugeais être capable d’étudier tout seul. J’avais déjà lancé un défi à la vie en voulant poursuivre mes études à la campagne. Le moment crucial était venu de relever ce défi !
Je ne voulais plus fréquenter le collège bien qu’à cette décision mon père s’imagina que je ne voulais plus poursuivre mes études ! Il se mit alors à m’encourager et à me faire la morale.
Je le rassurai bien vite en lui disant le plus sincèrement possible que je n’avais jamais aussi intensément ressenti le désir de réussir, à ce moment où je venais de connaître un échec.
J’avais la certitude de pouvoir très bien me débrouiller seul, si je m’organisais et me montrais consciencieux dans mon travail.
Je sélectionnais très soigneusement les sept matières susceptibles à me donner les meilleures chances de réussite.
Ces sujets étaient : l’Anglais, le Français, les Mathématiques, l’Histoire, la Littérature anglaise, le Dessin et la Connaissance Réligieuse.
Pour réussir, il me faudrait avoir la moyenne dans au moins six sujets, l’anglais inclu. Si l'on a réussi dans toutes les matières et que l'on a failli en anglais, cela veut dire qu'on n'a pas réussi son examen. C'était le réglement.
Je courais donc un gros risque si je me préparais mal dans cette branche. Je manquais trop de confiance en moi pour aborder seul cette matière, il me faudrait un professeur.
J’en parlais à mon père qui était de même avis et je trouvais rapidement la personne à Port-Louis, par l’intermédiaire d’un camarade. Des cours par correspondance en provenance de divers instituts anglais étaient aussi pratiques que courants à cette époque.
En tous les cas, bien avant mon examen, j’étais muni des éléments nécessaires pour l’aborder, et si cette fois j’échouais, hypothèse qui ne devait pas être écartée, je demeurais le seul à en supporter les conséquences.