DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 19
Les journaux publiaient des annonces des cours par correspondance et mon père attira mon attention sur leurs intérêts; leurs avantages étaient multiples; ils étaient moins onéreux que les leçons particulières et me permettraient d’en programmer mes journées d'études moi-même. Je recevrais les cours d’une année entière et il m’était loisible d’échelonner l’étude à mon rythme. Je pourrais ainsi m’organiser au mieux.
Les démarches effectuées auprès des instituts anglais furent menées diligemment et un mois plus tard, tous mes cours d’histoire, de dessin, de mathématiques, de littérature anglaise étaient sur mon bureau.
Je me procurai également à la librairie Nalanda de Port-Louis quelques 'Minerva Guide' qui me servaient de supports pour les dissertations, particulièrement dans la littérature anglaise qui nécessite une étude profonde des textes en prose et en vers.
Great Expectations de Charles Dickens était justement au programme.
Great Expectations était très volumineux et je me demandais si je réussirais à le terminer à temps. Pourtant, il n’y avait pas autre chose à faire que lire et comprendre. La lecture était déjà une passion pour moi et je savais que le problème n’existerait pas si j’y consacrais suffisamment de temps pour ce sujet passionnant et important, sentiments renforcés par le fait que je voyais mes efforts récompensés par des progrès considérables dans la langue anglaise.
L’autre texte était Julius Caesar de Shakespeare que j’avais étudié l’année précédente.
Je n’avais nulle intention d’échouer.
J’avais une confiance absolue en ma capacité d'organiser chaque jour ma journée de travail, d’abord par une prise en compte de la totalité du travail à répartir sur le temps disponible, ensuite en déterminant des horaires stricts qui ne souffraient aucun retard et qui tenait compte des volumes de chaque matière.
Le matin, vers six heures, juste après le petit déjeuner, je consacrais une heure pour l’histoire et trois heures pour les mathématiques. L’après-midi, à 13 heures, je reprenais l’anglais, le français et la littérature à raison d’une heure quinze minutes pour chacun des sujets. De dix sept heures à vingt heures, temps libre; je renouais avec mon milieu familial et mes amis. Enfin, avant de me coucher, je lisais d’abord Religious Knowledge, ensuite d’autres livres de littérature générale jusqu’à ce que le sommeil me prenne. Le samedi était réservé au dessin, dans l’après-midi, à raison de quatre heures d'affilées. Le dimanche était mon jour de repos et, dès neuf heures, je rencontrais mes amis et, en se promenant le long de la route, nous bavardions et organisions notre emploi du temps de l’après-midi.
Quand je remémore maintenant les longues heures de travail passées dans mes études, je peux assurer que les sacrifices consentis pendant cette période ont certes été les plus importants de mon existence.
La volonté tenace avec laquelle je m’acharnais dans ce travail long et difficile, et l’ambition que je gardais au fond de moi, de réussir, me tenaillaient et me procuraient une énergie, une force, une résistance que je ne soupçonnais pas.
Je n’avais pas encore imaginé de quoi serait fait mon avenir, sinon que cet avenir ne pourrait pas se passer ici, dans cette Île, car même titulaire de très hauts diplômes, d’excellents certificats, pas de perspectives intéressantes sur mon ile.
Beaucoup d’étudiants partaient poursuivre leurs études à l'étranger, afin d’être admis au poste d'aide infirmier ou autres métiers en Angleterre ou ailleurs. C’était le moyen le plus courant en ce temps là, pour nous les jeunes, de voir s’ouvrir d’autres horizons, d’autres espérances, une autre vie qui, à nos regards, nous semblaient légitimes d’aspirer.
Je ne différais pas des autres de mon âge et cette façon d’envisager mon futur me semblait de plus rassurant.
Cependant, il fallait quitter son Île natale, s’arracher à sa famille, affronter une vie nouvelle dans des régions lointaines, vivre avec d’autres repères sociaux, affectifs et bien d’autres facteurs inconnus encore mais qui nous préoccupaient malgré tout.
J’avais déjà postulé auprès de différents hôpitaux anglais pour obtenir un poste d'infirmier. J’avais aussi une possibilité de partir au Canada, mais cela me paraissait si loin et me faisait réfléchir !
Je tenais au courant de toutes mes démarches ma chère cousine à laquelle j’étais maintenant lié par des promesses amoureuses mais elle semblait craindre de me perdre définitivement si mon intention était vraiment de quitter le pays.
Pourquoi ne pas choisir la France ? m’écrivait-elle, où j’aurai la chance de pouvoir venir te rejoindre, qui sait, si moi aussi je devrais poursuivre mes études supérieures ?