DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 24
Le programme de l’établissement permettait aux élèves d’étudier sept sujets par jour à raison de quarante minutes pour chacun. Les cours avaient lieu de neuf heures du matin jusqu’à trois heures de l’après-midi, entrecoupés de deux pauses de dix minutes le matin et l’après-midi ainsi que la pause méridionale.
L’enseignement s’effectuait par un système de ventilation des professeurs qui circulaient d’une classe à l’autre selon un plan de travail bien établi.
J’enseignais le dessin dans toutes les classes de garçons et filles et étais donc un des rares professeurs à pouvoir avoir un contact avec tous les élèves.
Art est le terme que les élèves utilisaient pour parler de dessin; ce qui était le plus drôle c’est qu’aucun d’eux n’avaient jamais appris à dessiner et moi non plus, personne ne m’avait jamais initié à cet art et que de plus, je n’avais jamais suivi une classe de dessin pendant mes dernières années d’études !
J’avais seulement choisi cette discipline en option pour compléter mon programme d’examen. Et je devais enseigner l’Art !
La première fois que j’eus à prendre une classe pour leur donner des cours, je me rendis avec eux dans la bibliothèque de l’établissement où une charmante bibliothécaire était installée à son bureau.
Nullement intimidé, j’avais commencé à parler longuement de l’art, sans comprendre moi-même d’où me venait l’inspiration et étonné que j’aie pu disserter aussi bien sur un sujet auquel je ne m’étais jamais documenté.
Je ne manquais pas d’inspiration, fort heureusement !
J’étais très consciencieux dans mes responsabilités, aussi ai-je toujours essayé d’apporter des améliorations dans mon enseignement.
J’appliquais des méthodes efficaces aux élèves des différents niveaux pour les amener à faire des progrès. Je leur appris à manier le crayon, à réaliser une nature morte à la technique de la peinture à l’eau, un visage ou une création abstraite.
J’attirais leur attention sur l’importance, dans une composition, de faire jouer les nuances, les contrastes pour mettre en valeur un paysage, des objets ou les traits d’un visage.
Je mettais bien souvent mon talent en pratique en réalisant, sur le tableau, avec de la craie blanche, le dessin que je souhaitais les voir réaliser. Pendant que les élèves travaillaient, je circulais dans la classe pour inspecter le cahier de dessin de chacun et leur donner des conseils sur les couleurs à choisir pour atteindre une image proche de la réalité.
Quelques élèves des classes supérieures m’impressionnaient beaucoup par leur talent dans les réalisations qu’ils me remettaient. Certains étaient vraiment très doués pour cela et je pensais qu’il existait une possibilité pour quelques uns, quelques unes, de présenter et de pouvoir avoir de bonnes notes à l’examen de la School Certificate, à condition qu’ils aient quelques maîtrises des autres disciplines. Réussir cet examen de dessin était déjà une partie de la réussite de l’épreuve.
Celui qui a du talent doit l’exprimer, que ce soit dans n’importe quelle discipline; le laisser dormir est un gâchis !
L’ambiance qui existait parmi les collègues du Collège demeure à jamais imprégnée dans ma mémoire. Les courts moments où nous nous retrouvions dans le mess-room avaient fait naître des relations amicales les uns envers les autres. A midi, tout particulièrement, nous apprenions à nous connaître les uns les autres. Pour le repas, j’avais l’habitude d’apporter mon pain, bien entortillé dans une serviette que je plaçais dans mon placard. Je me rappelle très bien de Monsieur Adolphe, professeur de français dont le langage me laissait de profondes impressions, et que je trouvais tous les midis dans son petit coin à savourer tranquillement son déjeuner. Il parlait peu et bien. J’avais à son égard une sorte d’admiration et le traitais avec beaucoup de respect pour sa gentillesse et son affabilité qui révélait la grandeur de son esprit et de son intelligence. Il avait l’habitude aussi, après avoir mangé, de fumer une cigarette avec un infini plaisir et se joignit de temps à autres aux multiples plaisanteries que nous faisions pour nous amuser. Monsieur Jaddoo également était un très bon farceur. Sa stature et sa corpulence lui donnait une très forte personnalité. Une fois, m’étant allongé sur un banc, il était venu s’asseoir sur mon ventre que je sentis pratiquement éclater sous son propre poids. J’avais du le repousser de toutes mes forces pour m’extraire de cette surcharge. Une autre fois, lui-même encore et les autres collègues m’avaient soulevé et voulaient m’enlever mon pantalon. Je me débattais comme un enfant et avais même crié fort pour qu’ils me déposent par terre. Cela prouvait à quel degré nous étions proches comme des frères et quel genre de farces nous pouvions inventer pour nous amuser. Nous avions toujours demeuré en bon terme. Nujjou, Ramphul, Naga, Chong, et bien d’autres m’ont laissé dans l’esprit les empreintes de ces temps-là.