DES FAUTES À EXPIER
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
DES FAUTES À EXPIER
Le lendemain, en regagnant la maison, Yvette constatait que la santé de sa mère s'était détériorée. Elle avait fait de fortes fièvres toute la journée et le soir elle avait commencé à délirer. Le jour d'après elle avait demandé à un voisin qui s'était porté volontaire d'aller chercher le médecin et, avant que ce dernier n'arrivât à la maison, Mme Deschamps avait déjà poussé son dernier soupire. Affligée par la disparition d'une mère longtemps condamnée par la maladie, Yvette cherchait consolation dans la prière et le jeûne.
La mère enterrée, le frère en prison elle demeurait seule devant l'existence, et l'avenir s'annonçait déjà difficile et dur. La maison fut fermée, les cadenas posés sur les portes et Yvette, emportant avec elle tout ce qu'elle jugeait nécessaire, allait voir sa sœur Julie. C’était là qu’elle pris connaissance de ce qui s’était passé au comble de malheur. Elle était perdue. Elle alla demander hospitalité à un parent lointain qui habitait le village voisin.
Entre-temps les enquêtes, les investigations et les perquisitions se poursuivaient dans le village pour aborder le procès que tout le monde attendait. Quand, devant une audience survoltée, l'avocat nommé d'office pour défendre Fabien annonçait que son client plaidait non coupable, tout le monde savait que ce serait le procès du siècle et qu'ils attendaient tous à des révélations et de rebondissement spectaculaire. Le bruit commençait à courir que certains individus dont les noms n'étaient pas cités encore avaient dénoncé ceux qui avaient tendu à Fabien le piège fatal en jetant dans ses bras cette femme aux mœurs légères ramenée de Saint-Denis. La lumière fut faite sur cette affaire sombre encore dans la mémoire des gens du quartier, pendant les premières séances du procès qui étaient considérées comme le prélude de ce qui s'ensuivrait. Une telle révélation n'avait pu qu'attirer sur Fabien la sympathie de l'auditoire qui poussait des cris d'horreur et de stupéfaction. Le juge du tribunal aurait dû déployer des grands moyens pour faire taire la foule déchaînée et pour faire régner enfin l'ordre et le silence afin de poursuivre la séance. L'avocat de la partie civile était muni de tous les éléments nécessaires pour démontrer que l'assassin n'était autre que Fabien lui-même et les indices qui appuyaient ses arguments étaient encore bien loin de ce que les jurées attendaient. Les témoins cités par la partie civile et appelés à la barre ne parlaient que de "si", de "mais", de "à peu près", de "peut-être" mais rien de ferme, de concret, de convaincant. Les journaux firent paraître en gros titre de 'procès scandaleux', de 'crime crapuleux' et de 'corruption des mœurs'. Quand des témoins qui sortaient dans le cirque se présentaient à la barre pour parler de ce qu'ils connaissaient sur l'existence de Jean-Régis Picard c'était avec un effroyable sentiment de stupéfaction et de crainte que sa vie fut étalée dans les moindres détails.
Dans le cirque où il vivait, entouré de sa famille et d'autres habitants qui s'y trouvaient déjà avant leur arrivée, il avait mené une vie de débauche qui dépassait toutes les limites du supportable et, transgressant les lois sacrées, il entretenait avec force des relations incestueuses avec ses propres sœurs avant de leur trouver un mari et les éloigner à jamais de la région. Il terrorisait les femmes, couchait avec elles quand leur mari était parti. Il entraînait dans sa case les jeunes filles et, devant les yeux hagards de leur mère résignée, il attentait à leur pudeur quoiqu'elles poussent des hurlements qui déchiraient le cœur. Et maintenant qu'un homme comme tel avait été assassiné, était-il nécessaire d'aller chercher les raisons? N'avait-il pas fait suffisamment de mal pour se voir punir comme il le méritait? Et cette fille qui venait lui rendre visite, qui était-ce? Certains prétendaient que c'était sa fille. Il avait eu une liaison avec une femme de la bourgeoisie qui était au bord du suicide et, malgré qu'elle se trouve dans un état dépressif, il avait réussi à la ramener à la raison. Pour se venger d'un mari qui avait rendu sa vie un enfer, qui l'avait fait souffrir d'insupportables abominations pendant de nombreuses années, elle avait accepté de porter cette enfant pour lui avant de mourir comme pour laisser une trace de son passage sur cette terre. Jean-Régis qui éprouvait un tel amour pour cette femme qui changea sa vie ne parvenait plus jamais à se consoler de cette perte et les changements qui s'effectuaient dans ses habitudes étaient dues aux douleurs qu'il ressentait pendant ces années qu'il passait à expier ses fautes et à subir à tous les châtiments.
Personne n'avait jamais su qui était cette femme, et ce qui s'était passé au juste. L'enfant était confié à une des sœurs de Jean-Régis devenue veuve quand son mari fut emporté par une maladie grave. Cette femme vivait dans des conditions modestes. Elle était tellement affligée par la disparition soudaine de son époux, qu'elle commençait par sombrer dans une espèce de léthargie qui avait enlevé en elle l'envie de vivre. Elle n'avait pas d'enfant malgré qu'elle ait utilisé tous les moyens pour en avoir. Jean-Régis qui était informé de sa situation pour avoir pris des renseignements auprès des gens qui la connaissaient bien, ne pouvait trouver une personne mieux placer que sa propre sœur pour confier une tâche si importante que d'élever son enfant, lui-même ne pouvait pas le faire dans la situation où il se trouvait. Il avait proposé une forte somme d'argent à sa sœur pour garantir toutes les dépenses qu'incombait une telle responsabilité et avait attendu qu'elle lui donnât une réponse favorable. Elle n'était pas tentée par cet argent qui ne l'intéressait pas. Mais elle éprouvait la crainte de se voir bousculée par un frère qu'elle ne pouvait faire confiance pour ce qu'il l'avait fait subir dans sa jeunesse. Après avoir réfléchi pendant plusieurs jours, elle avait pris une décision. Elle acceptait de garder l'enfant en arrachant la promesse de la bouche de son frère, Jean-Régis, qu'elle avait renié, à ne jamais s'approcher d'elle sous aucun prétexte ni à venir voir cet enfant aussi longtemps qu'elle serait sous son toit. Il avait accepté la condition sans aucune réserve. Il n'avait pas de choix.
L'enfant ne fut jamais informé de cette histoire triste de famille. Quand elle était devenue adulte et avait dépassé l'âge de la majorité elle était autorisée de voir l'homme qu'elle avait entendu parler par la sœur dans de très rares occasions. Elle lui connaissait comme son oncle Jean-Régis sans se douter qu'il était son père. Mais lui qui guettait ses mouvements en prenant toutes sortes de déguisements pour ne pas se faire remarquer et en se postant au coin de la rue qu'elle traversait pour se rendre à l'école, qui s'informait de ses nouvelles par des domestiques qui travaillaient dans la maison où elle habitait et qu'il soudoyait d'importante somme d'argent, qui souffrait de ne pas la voir des fois pendant des mois quand elle était partie en vacances dans un endroit qu'il ignorait, il vivait que dans l'espoir de pouvoir trouver dans la personne de sa fille un reflet de ce qu'avait été la mère. Elle prenait cette même allure, se comportait de la même façon, parlait sur le même ton que dans ses vieux jours il voyait apparaître une partie de sa jeunesse si longtemps enfouie dans le creux de sa cervelle. Depuis qu'elle venait le voir dans une calèche conduite par un cocher robuste et qui traversait tout le village en soulevant un nuage de poussière et faisant sortir de leur case les gens curieux, il n'attendait que ce moment pour consacrer le peu de temps qui lui était accordé pour regarder sa fille et éprouver l'immense plaisir de se trouver si proche d'elle. Il avait depuis longtemps déjà rédigé son testament chez un notaire de la capitale et avait légué tout son héritage à sa fille Marie-Ange Picard.
Le Juge du tribunal, très à l'affût des moindres indices, soupçons ou éléments pour donner une grande dimension aux procès, ne pouvait pas épargner Marie-Ange Picard des multiples questions embarrassantes et très personnelles qu'elle aurait dû répondre en se présentant plusieurs fois à la barre. Elle avait à expliquer ce qu'elle allait faire chez un vieillard rabougri qui ne fréquentait ni ne côtoyait personne dans le village. Elle avait assurément des intérêts pour faire un si long déplacement dans une calèche, et passait si peu de temps auprès de cet individu. Qui était-ce? Elle avouait aimer se retrouver entourée de ce décor champêtre, au milieu de la nature merveilleuse, respirant de l’air frais, écoutant le vent siffler dans les arbres et parcourant de long en large la vaste maison vide et calme dont les planchers craquaient sous le poids des pas. Elle l'appelait oncle parce que c'était ainsi qu'il lui fut présenté quelques années de cela. Elle aurait la désagréable surprise d'apprendre au cours de ce procès de l'origine même de sa naissance, de cette mystérieuse dame qu'était sa mère et de Jean-Régis, son père. L'histoire de cet amour qui n'avait jamais pu être élucidée malgré que nombreuses personnes qui se présentaient à la barre aient amené le peu d'élément qu'ils pouvaient pour constituer l'ensemble d'une histoire comme pour rassembler les pièces d'un puzzle.
Copyright © Kader Rawat