UNE FEMME SANS PUDEUR
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
UNE FEMME SANS PUDEUR
Installé confortablement dans un fauteuil placé sous un badamier chargé de baies jaunâtres, et entouré de ses enfants assis sur la pelouse et de ses petits-enfants, il en avait six déjà qui courraient dans tous les sens et surveillés par les bonnes, August Fontaine était le plus heureux des hommes en savourant ce moment de réjouissance qui fit dilater son cœur d'une joie indicible et ressentait un plaisir ineffable dans une telle compagnie. Il était quatre heures de l'après-midi et le soleil se montrait de toute sa splendeur dans un ciel dégagé, faisant les habitants du village goûter
à un temps clément et débonnaire tant convoité et attendu d'une journée de dimanche. Autant leur souhait était de ne pas se cloîtrer à l'intérieur de la maison pendant que l'averse inondait la région autant leur plaisir était à la hauteur de leur espérance quand ils se livraient à cœur joie à de multiples sujets de conversation dont nul ne se rapportait à Frédéric Grondin et à Véronique Hoarau. Le père qui ne souhaitait pas tenir avec ses enfants une conversation traitant d'un sujet si délicat se voyait contraint, avec l'arrivée de quelques amis qu'il fit installer sur des fauteuils apportés à leur intention, d'écouter dans un premier temps les propos qui allaient quelque peu dans ce sens :
— C'est honteux pour une femme qui jouisse d'une si grande popularité, dit Mme Cécile Boyer, de prendre pour amant un homme qui fréquentait sa fille et qui a presque la moitié de son âge.
Mme Cécile qui frisait la quarantaine était la voisine qui fréquentait depuis longtemps la famille Fontaine. Elle avait vu grandir les enfants qui la portaient de grandes estimes tout en sachant qu'elle n'avait d'autre occupation que de s'intéresser à tous les commérages du pays. De forte corpulence, elle menait son mari à la baguette et tout le monde savait que dans sa maison c'était elle qui portait la culotte. Parlant d'un ton qui démontrait son exaspération et sa colère comme si dirait qu'elle était concernée par ce qui se passait dans la vie intime de Mme Véronique Grondin, elle ne mâchait pas ses mots pour la qualifier de femme sans pudeur et sans honte. Les enfants, sachant que son langage était sans retenu et sans ménagement, se levaient les uns après les autres pour aller s'installer un peu plus loin afin de laisser les grandes personnes se débattre sur un sujet d'actualité dans lequel ils n'avaient pas de mots à dire ni de réflexion à faire. Les ombres et la lumière s'alternaient sur la pelouse bien entretenue du jardin et alors que les jeunes se regroupaient sous l'ombre douce des platanes pour jouer au loto les enfants venaient s'installer également pour placer les cartes numérotées et pour aider à couvrir les numéros qu'un des joueurs tirait dans un sac en toile. 86, criait à haute voix Alain.
Entre-temps, dans le groupe des grands, Monsieur August Fontaine s'était redressé dans son fauteuil comme pour dire quelque chose qui lui tenait tellement à cœur. Autour de lui se trouvait déjà quelques personnes du voisinage qui avaient pour habitude de se réunir là chaque dimanche pour passer l'après-midi.
— Le défunt docteur Hoarau a laissé une fortune considérable à sa femme et voilà qu'un intrus qui guettait depuis longtemps cette richesse est parvenue à réaliser un vieux rêve longtemps caressé dans son imagination. Je connais l'époque où il courtisait la demoiselle Hoarau qui n'avait pas voulu de lui. Il s'était lancé, parait-il, dans des affaires hasardeuses pour essayer de conquérir son cœur mais avait failli en laissant des dettes considérables que sa mère n'avait pu combler et avait tombé malade pour ne plus jamais se relever.
— Il avait mené une vie de débauche en Europe, dit Monsieur Gaston Vitry, propriétaire de la maison d'à côté, avait épousé une fille qu'il avait rencontré et séduit pour oublier ses peines et sa déception et qu'il n'avait jamais aimé, qu'il perdit d'ailleurs dans des circonstances qui demeurent jusqu'aujourd'hui obscures.
— Il parait que les enfants sont en brouille avec la mère et qu'ils réclament tous leur héritage, dit Madame Cécile Boyer.
—C'est une erreur capitale que de faire alliance avec un étranger qui n'a nullement contribué pour cumuler une telle fortune, dit monsieur August Fontaine, c'est comme se faire dépouiller dans les règles sans tenir compte des conséquences. Les enfants ont absolument raison de ne pas approuver une telle folie de la part de leur mère. Elle a presque perdu la tête pour accepter de vivre à côté d'un homme qui avait les yeux que pour sa fille.
— Pour obéir à son père, dit madame Cécile Boyer, qui vivait ses dernières heures elle avait accepté, parait-il, d'épouser un homme qui a deux fois son âge mais qui possède une immense fortune.
— Mariage de raison, mon cher, dit monsieur Auguste Fontaine, il n'y a que çà aujourd'hui qui prône dans la vie d'un couple. Les amours, les passions, les folies de la jeunesse ne sont que de rêves qui s'évanouissent vite derrière les problèmes de l'existence.
— La mère s'était battue jusqu'à la dernière minute, dit madame Cécile Boyer, pour que ce mariage n'eut pas lieu. Elle comptait retourner sa fille dans l'île pour la marier à ce jeune homme auquel elle avait donné parole et qui avait en quelque sorte conquit leur cœur à toutes les deux. Mais elle aurait dû céder devant l'insistance de son mari mourant. C'était dans la résignation la plus absolue que la fille convola en justes noces.
— Elle n'a pas fait un mauvais choix, dit monsieur Gaston Vitry en retroussant avec ses doigts ses moustaches qui débordaient de chaque côté de ses joues.
— Elle n'avait pas de choix à faire, dit monsieur Auguste Fontaine, quand le père lui avait imposé ce mariage. Elle n'avait qu'à accepter. Elle n'est pas plus malheureuse pour autant. Nous cherchons tous la sécurité pour nos enfants quoiqu'ils agissent des fois à leur guise sans prendre en compte les conséquences de certains actes.
— Les jeunes ne reconnaissent pas les dangers qui les guettent, dit monsieur Gaston Vitry, pour qu'ils se lancent aveuglement dans des aventures qu'ils croient amusantes. Nous avons toute raison de garder constamment sur eux un œil pour pouvoir intervenir au moment voulu et les empêcher de commettre des bêtises.
— Des bêtises, tu parles, parla madame Cécile Boyer, quand tu vois des grandes personnes déjà mariées et qui ont des grands enfants et même des petits enfants commettre des insanités aux yeux de la société en ignorant toutes les lois morales qui régissent l'existence des gens qu'avons-nous à dire pour essayer de comprendre certaines situations que tout le monde qualifie de perfidie et de fourberie ? Quand je pense à l'audace qu'à eu cette femme d'emmener sous son toit un homme qu'elle n'aurait pas dû, je n'en reviens pas. Et dire que l'image qu'elle avait projetée dans la société au temps où elle vivait encore avec son mari était une image que beaucoup de personnes enviaient. Autant de bonnes paroles prononcées sur elle à l'époque sont aujourd'hui oubliées et elle est comptée parmi les personnes que les gens auraient souhaité le moins rencontrer. Elle ne recevait plus de l'invitation dans la bonne société et à son passage les gens évitaient à l'adresser la parole.
— C'est ce qu'elle mérite après tout pour s'être comportée de cette manière.
— Tout de même, descendre à un tel niveau pour avoir succombé à ses impulsions ! Quelle bassesse ?
— Que voulez-vous ma chère, quand on ne parvient pas à combattre ses propres inclinations, on est souvent victimes de ses actes et l'on paie toujours les conséquences.
— Ce sont les enfants qui accusent les coups les plus durs dans cette affaire. Ils sont pourtant des innocents qui ne sont pour rien dans ce qui est arrivé.
— C'est bien dommage pour eux. Les enfants paient souvent les bêtises des parents. C'est à cela que nous, parents, devrons penser avant de faire n'importe quoi. Nous pouvons le regretter dans le peu de temps qu'il nous reste à vivre.
A cet instant, dans le lointain, le tonnerre grondait et annonçait un mauvais temps qui se préparait. Quelques peu après des lambeaux de nuages s'amoncelaient dans le ciel et le temps s'assombrissait et devenait maussade. Il était temps pour les grandes personnes de se disperser chacun dans leur maison respective et les enfants rentraient à l'intérieur pour préparer les bagages afin de retourner chez eux. Avant la tombée de la nuit ils étaient déjà en voitures qui descendaient les routes sinueuses qui menaient vers le nord alors qu'une pluie battante rendait la visibilité difficile.
Copyright © Kader Rawat