UNE ÉPOUSE POUR MONSIEUR CHATTERJEE 1
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Une épouse pour Monsieur Chatterjee 1
Chapitre 1
L’épouse
Vers la fin de l’an 1950, dans un petit village situé au Quartier-Français, un jeune homme était installé devant une table sur laquelle se trouvait une quantité de livres et de cahiers. Il était concentré dans ses études. Sa tête était penchée sur les feuilles de papier qu’il tenait dans ses mains. La chambre dans laquelle il se trouvait était éclairée par la lueur qui parvenait de la fenêtre grandement ouverte. Les enfants jouaient en faisant un tintamarre. Une jeune femme se précipitait à l’intérieure de la chambre pour les rappeler à l’ordre, leur disant que le frère était en train d’étudier et de ne pas faire du bruit.
— Vous allez jouer dans la cour, espèces de fainéants. Et toi, Kamla, tu te crois encore petite pour te mêler à eux. Vas dans la cuisine pour aider à préparer le repas.
En même temps la mère entrait dans la pièce.
— Quel repas tu es en train de parler Parvati ? Nous n’avons rien à manger.
— Qu’est-ce que tu racontes là, maman ? Hier j’ai acheté deux kilos de riz, de la farine et je les ai mis dans le buffet. Viens avec moi. Je vais te le montrer.
Parvati entraina sa maman dans l’autre chambre.
— Pourquoi maman, tu dois parler devant Dev que nous manquons de ceci ou de cela. Tu sais bien qu’en entendant cela, il va se perturber dans ses études. Il aura bientôt les examens à passer. Il vaut mieux ne pas évoquer tous nos problèmes devant lui.
— Mais tout cela m’inquiète ma fille. Je suis tourmentée et je ne sais pas quoi faire.
— Ne t’inquiète pas, maman. Je m’occupe de tout. Il en reste un peu de riz encore dans le sachet. Je vais chercher de légumes chez le marchand et tu verras qu’à midi nous aurons tous à manger.
Au même instant, de l’autre côté de la pièce une voix se fit entendre.
— Parvati.
C’était la voisine du quartier qui se présentait avec de la toile dans les mains.
— Tiens, Parvati. Je t’ai emmené du travail. Ma sœur se marie la semaine prochaine et le plus tôt tu me le livres le mieux c’est. Tiens. Je te règle tout de suite.
— Mais il n’y a rien de pressé.
— T’inquiète. Faut bien que je te paie.
— Merci. Aussitôt terminé je te l’emmène.
— Au revoir, Parvati.
— Au revoir.
— Tiens, maman. Prend cet argent et va acheter de la nourriture.
Parvati se dirigeait ensuite vers la machine à coudre. Elle avait à peine commencé à travailler quand Dev s’approchait d’elle.
— Parvati. Il reste quinze jours pour les examens.
— Oh, certainement. Il va falloir régler, n’est-ce pas ?
Dev avait le visage renfermé quand Parvati le rassurait.
— Quel soucie tu te fais, Dev. J’ai tout arrangé.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Tu m’avais dit de te rappeler un peu avant la date.
— Je me rappelle très bien. Maintenant va étudier tranquillement sans te faire du souci.
2
Le lendemain, tôt dans la matinée, Parvati se rendit au temple pour prier. Il faisait beau temps et le soleil commençait à se lever. Les chants des oiseaux emplissaient l’atmosphère. Un grand figuier projetait de l’ombre sur l’escalier où se tenait Parvati quand Prem se pointait sur sa bicyclette.
— Qu’est-ce qui t’amène au temple si tôt Parvati ?
— Je suis venue offrir de l’offrande et en même temps demandé Dieu d’aider Dev à réussir à son examen. La réussite de cet examen va lui permettre de trouver un emploi. Et s’il commence à travailler, nous n’aurons plus des soucis à nous faire.
— Ainsi tu pourras te marier avec moi, n’est-ce pas ? Dis-moi que tu es d’accord. Dis le moi, Parvati.
Parvati secoua la tête.
— Nous aurons encore un an à attendre.
— Un an ?
— Entretemps, si ma situation s’améliore, nous n’avons que quelques mois seulement à attendre pour nous marier. Quand je serai prêt, je viendrai parler à ton frère et ta maman. Tu verras, toute notre situation va s’améliorer. Nous serons tous heureux. Toi et toute ta famille. Qu’est-ce que tu en penses ?
— On verra. Laissez le temps faire.
3
A Sainte-Suzanne, en début d’après-midi, M. Gopal, usurier de son état, montrait à M. Arjun Chatterjee, des photos des femmes de la contrée.
M. Chatterjee était un homme riche. Il avait perdu sa femme quelques années auparavant et avait demeuré veuf. Il avait la quarantaine et cinq enfants à élever. Il était à la recherche d’une épouse.
— C’est quoi toutes ces photos de femmes âgées ? Je t’avais bien parlé d’une femme jeune, belle, élégante, comme une actrice de cinéma. Parmi toutes ces photos, il n’y a aucune qui me plait.
— Mais M.Chatterjee, à votre âge et avec cinq enfants, comment trouver une jeune femme et en plus belle pour vous épouser ?
— Et alors ? Comment ne peut-on pas trouver une jolie femme qui n’aura rien à faire comme tâche dans la maison. Elle sera comme une reine, une poupée de salon. Je la placerai devant moi, sur le lit et l’admirerai toute la journée. Ne peut-on pas trouver une femme qui voudrait bien vivre cette vie de rêve ? Cela m’étonne. Va fouiller la ville de fond en comble, déniche-moi cette femme de rêve. Et surtout ne souffle pas un mot à ma mère, ni à ma sœur, ni à mon frère. Ils sont prêts à tout faire pour me mettre les bâtons dans les roues. Va. Et surtout, ne prends pas trop de temps. Je suis pressé de me marier.
4
Quelques jours plus tard, Parvati s’apprêtait à quitter la maison quand elle rencontrait Dev sur le palier.
— Tiens, Dev, combien il te faut pour l’inscription à ton examen ? 10000 francs te suffit ?
— 15000 francs pour l’inscription seulement et il faut aussi compter 5000 francs pour les accessoires, Parvati.
— Combien ? 20000 francs ?
— 20000 francs sera bon.
— Bien. Je vais chercher l’argent. Cependant, entre à la maison et attends-moi arrivé et nous irons ensemble au marché. A tout à l’heure.
— A tout à l’heure.
A cette heure matinale, il n’y avait pas beaucoup de gens dans les rues de la ville. Une voiture s’était arrêtée devant la porte d’un usurier. M. Chatterjee descendit et se dirigea vers le propriétaire du magasin.
— Ah ! Te voilà, M. Khanna. Je suis venu récupérer les 50000 francs que tu me dois. Le délai de remboursement est largement dépassé. Je ne peux plus attendre plus longtemps. Tu fais en sorte de me remettre l’argent tout de suite. J’en ai grand besoin. D’abord je dois faire réparer ma voiture qui a des problèmes mécaniques et ensuite même mes chaussures sont usées à force de marcher.
— Je suis navré, M. Chatterjee. Je n’ai pas l’argent pour le moment. Vous devez attendre encore un peu. Mon client m’a promis de me le donner sous peu et je ne peux faire autrement que de l’attendre.
— Tout cela n’est pas mon problème. Des accords ont été passés Mr Khanna. J’en ai grand besoin de mes 50000 francs……..
— Bonjour M.Khanna, fit Parvati, excusez moi de vous déranger mais j’ai quelque chose de très important à vous dire. Je peux vous parler.
— Je suis occupé Mademoiselle Parvati. Pourquoi ne venez-vous pas dans l’après-midi ?
— Pourquoi la demander de venir dans l’après-midi M. Khanna ? Vous ne savez pas dans quelle difficulté elle se trouve et quel problème elle doit avoir. Occupez-vous d’elle. Je peux attendre. — Asseyez-vous, mademoiselle.
— Laissez-moi terminer avec vous d’abord, M. Chatterjee.
— Pourquoi vous vous souciez de l’argent que vous me devez. M. Khanna. Demandez à cette fille d’abord ce qu’elle a besoin. Allez-y, mademoiselle, dites à M. Khanna ce que vous voulez. J’attendrai. Je ne partirai pas d’ici avant qu’elle ne soit partie.
— Mademoiselle Parvati, suivez moi.
Quand ils se retrouvaient à peu de distance, M. Khanna demanda :
— Que puis-je pour vous ?
— Mon frère va devoir passer son examen final et pour cela afin de payer l’inscription et les dépenses nécessaires j’ai besoin de 20000 francs, M. Khanna.
— Tout cet argent pour un examen, Mademoiselle Parvati.
— Oui Monsieur.
— Je suis vraiment désolé. Je n’ai pas un centime dans la caisse pour le moment.
— Vraiment ? Comment est-ce que je vais faire ? J’avais tellement l’espoir que j’aurai cet argent chez vous. Voyons. Je suis prête à hypothéquer la maison si vous voulez une garantie pour le prêt.
— Non. Mademoiselle Parvati. Croyez-vous que je vais vous demander à hypothéquer votre maison pour vous faire un prêt de 20000 francs. Je vous connais depuis longtemps et je connais votre frère et toute votre famille. Jamais je ne vous refuserai quoique ce soit si j’en avais la possibilité. Si vous pouvez attendre un peu, je suis sûr que je serai en mesure de vous aider. Mais aujourd’hui je ne peux rien faire. Je suis vraiment désolé.
5
Il faisait nuit. La pluie tombait abondamment. Prem dormait quand des coups redoublés résonnaient sur la porte. Il se réveillait en sursaut et se demandait qui était-ce. Quand il ouvrit la porte, il était surpris de voir Parvati.
— Mais qu’est-ce qui t’amène à une heure pareille Parvati, et par un si mauvais temps ? Tu aurais pu attendre demain ou me demander de venir te voir. Personne n’est à la maison. Prends cette serviette et essuies toi les cheveux. Qu’y a –t-il de si important à me dire ?
— Je me suis demandée à maintes reprise si je devais venir ou non. J’ai besoin de te voir le plus tôt possible. C’est pour cette raison que je suis venue.
— De quoi s’agit-il ? Dis-moi.
— Je dois faire le nécessaire pour payer l’inscription de Dev. Là où j’espérais avoir de l’argent n’a plus un centime à me prêter. Il me faut 20000 francs. Est-ce que tu peux me le prêter ?
— 20000 francs ? Où est-ce que je vais trouver une telle somme, Parvati ? Si tu peux savoir combien cela me fait mal de ne pouvoir répondre à ta demande. La première fois tu viens me demander quelque chose et je n’arrive pas à te le donner.
— Ce n’est pas grave. Je me doutais que tu n’as pas cette somme. Si je ne t’aurais pas demandé, Dev m’aurais reproché de ne t’avoir pas consulté avant. Voilà pourquoi je suis venue ici.
6
Assis dans un fauteuil du salon de la famille Gopalsingh, M. Kapor s’adressait à la mère en présence de Dev :
— C’est un homme immensément riche. Il veut se marier. Je suis absolument certain que s’il voit votre fille, il deviendra fou.
— Nous sommes pauvres. Pourquoi ne cherche-t-il pas une fille dans des familles riches ?
— C’est son deuxième mariage.
— Deuxième mariage ? Que-t-il arrivé à sa première femme.
— Elle est morte depuis longtemps.
— Des enfants ?
— Cinq enfants.
— Cinq enfants ?
— Quel âge a-t-il ?
— La quarantaine ?
— Quoi ? La quarantaine ? Cinq enfants. Et vous êtes venu proposer cet homme pour épouser ma sœur ? Sortez. Je ne veux plus en entendre parler. Je ne veux pas que ma sœur épouse un homme de cet âge, quand même.
— Au moins vous pouvez le voir.
— Non. Pas du tout. Je ne veux pas le voir. Personne dans cette maison ne veut le voir. Sortez.
— C’est comme vous voulez.
Parvati qui se tenait au seuil de la porte avait tout entendu de la conversation.
— Attendez. Cet homme riche dont vous faites allusion, est-ce que je peux le rencontrer ?
— Pourquoi pas. Bien sur que vous pouvez.
— Pas ici. Demain à cinq heures devant le temple. Je souhaite m’entretenir avec lui.
— Entendu. A cinq heures devant le temple.
— Tu ne dois pas rencontrer cet homme Parvati, dit Dev
— Pourquoi ?
— Personne ne s’intéresse à le connaître.
— Moi, ça m’intéresse.
— Tu es devenue folle.
— Pourquoi. C’est interdit de le voir. Je ne suis pas en train de me marier avec lui. J’ai le droit d’écouter ce qu’il a à dire ; et puis on verra ce qu’il y a à faire.
Il n’y a rien à faire. Tu n’as pas à aller le rencontrer.
— Dev a raison Parvati, dit la mère, ce n’est pas bien d’aller rencontrer un homme que tu ne connais pas.
— Est-ce que vous croyez que cela me fait plaisir de le rencontrer ? Je souhaite écouter ce qu’il a à dire.
— Pas question. M. Khanna, vous n’allez rien faire.
— Si. M. Khanna, rendez-vous demain à cinq heures devant le temple.
Quand ils se retrouvaient à l’intérieur de la maison, la mère demanda :
— Pourquoi tu insistes à voir cet homme Parvati.
— Je vais vous répondre, maman, dit Dev.
— Si tu sais pourquoi, Dev, parles donc.
— Elle veut tout faire pour payer mes études, assumer toutes les charges de la maison quitte à devoir payer un prix fort. Je ne suis pas d’accord avec ce principe. Je ne pourrais jamais accepter l’idée de voir ma sœur sacrifier son bonheur pour notre bien-être.
— Je le ferai pour qui si ce n’est pas pour vous ? Un jour quand tu travailleras tu seras capable toi aussi de t’occuper de tes frères et sœurs. Ils sont encore petits et ont besoin des soins. Nous ne pouvons pas rester les mains croisées et les regarder vivre dans la misère et la souffrance. C’est un homme riche, n’est-ce pas ?
— Je ne peux tolérer une telle union. Jamais. Je ne veux pas te voir te marier avec un veuf âgé.
— Oui, Parvati, dit la mère, tu as sacrifié tout ton temps à élever tes frères et sœurs et tu crois pouvoir trouver le bonheur auprès d’un veuf que tu ne connais même pas et en plus à t’occuper de ses enfants ?
— Faites la comprendre, maman, dit Dev, je crois qu’elle a perdu tout sens de raisonnement.
— Pas du tout. Je suis très lucide et je sais bien ce que je fais. Mais que croyez-vous ? Quand je vais me marier et que j’aurais quitté la maison je ne vais pas me soucier de vous ? Je ferai tout pour que vous soyez heureux. A moins que vous préférez que je continue ma vie de cette manière jusqu’à ce que je tombe et meure. Et si c’est ainsi que vous voulez……..
— Mais qu’est-ce que tu racontes, Parvati. Personne ne souhaite te voir achever ta vie ainsi. Je t’avais dit que je suis prêt à abandonner mes études pour aller travailler mais tu as insisté pour que je continu pour décrocher mon diplôme.
— Bien sûr, avec ton diplôme tu as plus de chance de trouver un travail et aussi aider à prendre soin de la famille. C’est pour cette raison que je tiens à ce que tu achèves tes études. Tes frères et sœurs sont en train de grandir et nous avons toute raison de nous préparer pour les aider.
— Je vais pouvoir m’occuper de toi aussi, ma grande sœur. Tu as fait tellement pour nous.
— Ne t’inquiète pas pour moi, Dev. Tu dois te marier aussi et tu auras une femme et des enfants aussi et tu dois prendre soin d’eux. Tu vois, la vie est un cercle vicieux et personne ne s’y échappe.
— Ce n’est pas une raison pour vous abandonner. Je reconnais toutes les peines que vous avez données pour s’occuper de nous, tous les sacrifices que vous avez faits. Mais pourquoi vous vous intéressez à un homme qu’on ne connait même pas.
— J’ai mes raisons, Dev. Un jour tu comprendras.
— Un jour. Mais qu’y a-t-il à comprendre ?
— Nous avons toujours vécu dans la misère et si une chance se présente pour pouvoir en sortir je ne me le pardonnerai jamais de ne pas la saisir.
Pas à n’importe quel prix Parvati. Je t’en supplie, pas à n’importe quel prix. Réfléchie bien avant de prendre des décisions importantes. Tu sais bien combien cela nous fera de la peine si tu te trompes.
— Fais-moi confiance, Dev.