IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 4
Le gond de la fenêtre s’était détaché du bois. Le battant donnait l’apparence de vouloir tomber d’un moment à l’autre. Omar avait l’air inquiet en regardant les arbres. Son esprit était ailleurs. Pendant qu’il se préparait pour sortir, ses regards exprimaient une certaine tristesse, en traversant les pièces sombres et vides qui lui refoulaient des souvenirs qu’il ne pouvait oublier. Il regrettait beaucoup les anciens meubles qui étaient ses seules compagnes pendant ses heures de solitude, ses malheurs et ses troubles. Ces meubles représentaient les indices et les témoignages d’une vie tumultueuse, vécue au fin fond des îles, à une époque où l’existence dépendait de la bravoure, de la force, de l’intelligence et de la chance. Son passé lui revenait par bribe à la mémoire de sorte à lui faire voir, dans une imagination faible et troublée, les séquences entrecoupées de sa vie, lui rappelant les circonstances qui l’avaient permis l’acquisition des vieux meubles de valeur et ce trésor qu’il vérifiait chaque soir, avant de dormir. C’était pour surveiller tout seul son trésor qu’Omar n’avait jamais voulu introduire quiconque dans sa misérable case. D’ailleurs son état était si déplorable que des gens ne lui portaient ni attention ni ne lui rendaient visite. Omar avait depuis longtemps porté ses observations, ses études sur ce qui motivait et intéressait les gens du monde. La fortune seule pouvait exercer sur tout un peuple l’influence et les attentions imméritées des gens sans scrupules, la détenant entre leurs mains par l’exercice de la malhonnêteté ou par autres procédures douteuses. Omar avait choisi de mener sa vie à sa manière et cela lui réjouissait! C’était suffisant pour lui. Omar avait un passé qui lui causait souvent de l’obsession.
La vente de ses meubles se rapportait à sa décision de quitter l’île pour aller rejoindre sa famille aux Indes, après plus de quarante années de séparation. Au fur et à mesure qu’il entrait dans la vieillesse, ses idées se tournaient vers son passé, ses origines mêmes. Il choyait depuis longtemps l’idée de retrouver sa famille : ses enfants qu’il avait laissés tout petits et sa femme qui n’avait jamais quitté son imagination. Il passait de long moment à remonter le temps et voir défiler sa vie de misère dans les rues de sa ville natale, Gujarat en Inde. Il se séparait de sa famille par les confusions que causaient les troubles intérieurs de son pays. Engagés par les hommes de la Compagnie des Indes orientale, des coolies voulaient échapper à la misère qui sévit dans leur pays et à la répression des Anglais. Ils embarquèrent sur des vaisseaux, laissant derrière eux familles, parents pour aller servir dans des îles lointaines. Omar était parmi ces gens en détresses et voyageait pendant longtemps dans des vaisseaux qui sillonnaient les mers ; il servait fidèlement des maîtres français, les assistait dans leurs manœuvres, les défendait contre les pirates, les protégeait de son mieux durant des violentes tempêtes. Il les portait dans des chaises à porteurs lors de longues randonnées dans la profondeur des îles. Les vigueurs qu’il avait déployées dans sa jeunesse, ses souffrances, les expériences qu’il avait acquises l’avaient rendu un homme habile, rusé et dur.
©Kader Rawat