IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 7
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 7
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
A un croisement de chemin, après qu’il ait assisté, dans la perplexité, au passage des esclaves enchaînés dans un long et languissant traînement de chaînes sur la terre dure des sentiers, escortés par un nombre inhabituel de soldats, Omar rencontrait un prêtre qui se dirigeait vers un presbytère au centre-ville.
– Bonjour révérend, dit Omar, en s’arrêtant au bord de la route, essoufflé.
– Bonjour vieux Cheik, répond le Révérend, mais qu’est-ce qui vous emmène, de si bonne heure et à un moment si inopportun, dans ce quartier de la ville? Seigneur, vous tremblez. Vous devez ne pas vous sentir bien. Laissez-moi-vous accompagner jusqu’à chez vous. Où voulez-vous que je vous emmène à notre diocèse? Nos frères prendront soins de vous.
– Non, merci Révérend. Vous êtes bien aimable. Mais le Bon Dieu me donnera du courage. Je ne suis pas si mal en point que ça. Dites-moi, mon Révérend, j’ai entendu parler d’une insurrection. De quoi s’agit-il? Je ne comprends presque rien, malgré le peu d’explication qu’un malheureux cavalier m’a fournie.
– Ah ! Ça, vieux Cheik, je m’en doutais que vous ignorez tout pour vous trouver à vous promener jusqu’ici par une période pareille. Eh bien ! Durant la nuit il y eut une révolte des esclaves et beaucoup de maisons ont été brûlées, des granges, des champs de cannes et plusieurs centaines de personnes, des femmes, des hommes, même des esclaves tués, massacrés.
– Est où est-ce que cela s’est passé, Révérend? demanda Omar Cheik, inquiet.
– Dans le nord de l’Ile, dans les quartiers de Pamplemousses, de Rivière du rempart.
– Est-ce qu’on a pu capturer les responsables?
– A ce qu’il parait, l’instigateur de cette révolte, un certain Blake, aidé par les pirates, par des esclaves et même par des mercenaires a pu s’enfuir, soit caché quelque part dans l’île, soit en train de voguer quelque part en mer. Il avait emmené avec lui, la fille d’un riche colon, une certaine Roseline Derfield, fille du Maître Thomas Derfield, pour lequel il travaillait comme régisseur. On parle aussi d’un nommé Charles, son antagoniste qui seul avait osé lui tenir tête malgré le peu de pouvoir qu’il détenait. Le Gouverneur est actuellement préoccupé à trouver remède à la situation et à se rendre dans les lieux pour constater les dégâts. Les soldats sont mobilisés et des détachements de régiments sont expédiés dans divers quartiers pour prendre contrôle de la situation. Plusieurs esclaves ont été capturés et seront exécutés, pendus sans qu’aucun jugement ne leur soit rendu. Ce Charles, dont je t’ai parlé, se représente comme un prodige, une personne dotée d’un pouvoir si extraordinaire, certains prétendent que c’est un illuminé qui seul pouvait apporter toutes les lumières sur les ténèbres qu’englobe actuellement cette affaire. Mais jusqu’à maintenant on ne l’a pas encore trouvé, on est en train de le chercher partout parmi les décombres et les cadavres jonchés de-ci, de-là dans les plaines.”
Omar, en entendant cela, ne put prononcer aucune parole et bien que le Révérend lui fasse ses adieux en s’éloignant dans la direction opposée, Omar demeurait longtemps dans une profonde réflexion ne sachant quoi faire dans cette situation si confuse. Tout en imaginant pouvoir se rendre sur le lieu par un moyen de transport qu’il n’aurait pas de peine à trouver, pensant à la charrue que pouvait lui emprunter Ragounadan, un coolie qu’il connaissait de longue date et auquel il avait rendu de grands services, Omar se disait qu’il lui serait fort possible d’aller voir de ses propres yeux ce qu’il parvenait avec du mal à concevoir dans son imagination, malgré que, de sa vie, il ait vu des choses bien plus pires que ce qu’on lui avait raconté.
En retournant sur ses pas dans la direction de sa demeure, Omar constatait que les rues étaient moins désertes et que des gens commençaient à quitter leur demeure avec un esprit plus rassuré, moins frustré ; sur leur front se dessinaient des signes d’inquiétudes tout de même et leurs yeux demeuraient hagards aux moindres mouvements singuliers. Omar ne put s’empêcher de se demander si ses jugements ne lui faisaient pas défaut et si une résolution aussi brusque que d’entreprendre ce déplacement comme il l’avait prise dans son imagination ne contraignait pas sa santé par la suite.
– Non, se disait-il, ne connaissant de ce type, ni le sens de sa moralité, ni l’étendue de son honnêteté, ni la qualité de son caractère, il serait trop risquant pour ma vieille carcasse de lui avoir pour compagne du moins pour l’instant. Il me faudra tout d’abord le connaître, le voir, m’assurer qu’il m’inspire confiance afin que je puisse lui faire partager ma vie de misère. Je me ferais un devoir d’assister à ce procès dont m’avait parlé le Révérend, et qui se déroulera d’ici quelques jours afin de pouvoir déterminer s’il fallait que je porte mes intérêts à leurs égards, ou serait-il préférable pour moi de chercher ailleurs ce dont j’ai besoin, une assistance assurée pour me rendre dans mon pays natal. Voyons, vaut mieux attendre encore un peu, avant de pouvoir retrouver l’esclave qui voudrait bien s’occuper de toi, Omar. Tu t’es patienté pendant des années et il ne serait tout de même pas trop malin que tu essaies de précipiter les affaires, d’accélérer les choses dans une période aussi néfaste comme la situation se présente actuellement. Si les esclaves se révoltent aujourd’hui c’est que cela représente un très mauvais signe pour les maîtres. J’ai entendu bien souvent parler des émancipations par des gens venant des autres pays du monde et j’en ai bien peur que tout cela est les indices des changements imminents qui pourront avoir lieu au sein de la population. Pour combien de temps encore les noirs supporteraient-ils la domination des blancs? Le monde évolue rapidement, les idées changent et les aspirations, les ambitions, l’intelligence s’entassent derrière l’aridité des cerveaux encore nubiles, sans toutefois pouvoir s’empêcher de s’armer de la volonté tenace de se libérer à jamais du joug des injustices des blancs, responsables des malheurs qui leur tombaient dessus. Ce serait peut-être manquer à un spectacle qui ne se reproduirait jamais en refusant à me rendre dans ce lieu où autant de sang fut versé. Les dernières années que je suis en train de vivre pourront ajouter d’autres expériences que j’aurai bien peine à effacer mais qui m’auraient fait voir davantage de ce qui devait être vu sur cette terre. Ragounadan saurait me dire si le trajet m’emmenant vers le nord ne présente pas de trop grand risque.
©Kader Rawat