IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 9
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 9
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
La mort qui aurait dû bien longtemps emparer de ce corps dans son immobilité, guettant sa proie durant des heures déjà, s’était écartée, et s’éloignait dans sa triste perception de n’avoir pu ramener avec elle, dans son royaume, une âme encore innocente et que le péché n’avait pas encore corrompu. C’est qu’il est parfois mystérieux de ne pouvoir jamais comprendre le phénomène de l’existence humaine!
Une brise inhabituelle s’élevait comme du surnaturel pour prévoir quelques évènements fâcheux et marquants ; elle balayait les plaines en faisant ronfler les arbres dans un bruit singulier et sinistre ; Charles - c’était le nom de ce jeune homme – poussait un long gémissement plaintif et fit des mouvements qui exprimaient douleurs et agonies ; de ses deux mains faibles encore il attrapait sa tête comme pour la retirer de son corps, tant il la sentait si lourde et douloureuse. Ses yeux restaient longtemps plongés dans un abîme où il imaginait ne pouvoir jamais en sortir ; des multiples rêves lui avaient transporté dans des royaumes inaccessibles, insondables. Ses yeux s’éblouissaient au contact inespéré de la lumière ; il se rappelait dans le désordre et avec tristesse les calamités qui lui succombaient dessus et les évènements qui lui auraient réduit dans cette position embarrassante; une foule d’idées lui parvenait à la mémoire et lui rappelait la réalité de la situation ; il était inconscient depuis longtemps; des faits qui se reposaient sur les conséquences de son passé lui revenaient à la mémoire et déterminaient l’envergure qu’allait prendre son avenir. Alors qu’il se débatte dans les troubles que lui causait son imagination au moment où il s’apprêtait à se hisser dans des douleurs lancinantes pour trouver une place entre les racines énormes d’un banian, il constatait qu’il était martyrisé par des multiples plaies sur le corps. Il se demandait de quelle gravité pouvait être son état pendant qu’il s’allongeait là, sans pouvoir appeler au secours et sans avoir de l’espoir de trouver de l’aide. Il imaginait que la région n’était pas fréquentée. Une forêt dense et sauvage se découvrit aux alentours. Il sentait dans ses mouvements brusques qu’il s’efforçait de faire, une faiblesse ineffable qui l’envahit au point à lui faire rester pendant un bon moment dans une immobilité gênante, juste le temps de s’essouffler et de récupérer les forces qu’il avait perdues la veille dans une course folle pour s’échapper à des poursuivants qui voulaient le tuer. Il pensait à Roseline dont le visage lui apparaît si franc à la mémoire, particulièrement la veille au soir qu’on l’avait arrachée brutalement de son étreinte et quand elle lui avait appelé, dans la pénombre, avec une voix suppliante et désespérée qui faisait encore écho dans sa mémoire. Son cerveau était faible et sur le point de s’éclater. Il ressentit une forte pression qui augmentait en volume au fur et à mesure que les évènements se défilèrent en images obsédantes devant lui ; il était si faible, si abattu, si fragile.
Tout avait commencé bien avant, quand il avait débarqué dans l’île avec ses parents, pauvres encore, alors qu’il était tout petit et n’avait comme compagnon que ses trois sœurs et son frère, tous ses cadets. Ils étaient venus s’installer dans cette région de l’Ile parce qu’ils y avaient été conduits par quelques marchands sans scrupules qui les avaient vendus quelques hectares de terre à un prix exorbitant. Ils avaient puisé dans leurs économies pour faire l’acquisition de ces terrains qui s’avéraient infertiles, improductifs, ce qui, au lieu de les ouvrir les portes de l’avenir en les permettant une vie aisée, tranquille comme souhaitaient tous les colons s’établissant dans l’île, les rendit pauvres, malheureux. Ils accumulaient par-dessus le marché des dettes considérables qui les condamnaient à passer le reste de leur vie à travailler pour payer leurs dettes.
Monsieur Hector et sa femme Véronique devaient élever leurs cinq enfants encore en bas âge ; l’aîné Charles n’avait que sept ans. Ils passaient les heures de journées et même parfois des nuits à travailler assidûment pendant des années. Leurs forces ne les permettaient pas de supporter pour une longue période des efforts considérables. Ils perdirent bien vite leurs vigueurs, avant que la vieillesse ne les surprenne. Les enfants, devenus des adolescents responsables, constataient à leur stupéfaction les rudes travaux qu’effectuaient leurs parents pour leurs apporter de la nourriture, pour les soigner, pour qu’ils ne manquent de rien. Ils ne pourraient jamais se pardonner d’avoir été les causes même des martyres qu’auraient pu subir des parents qui accomplissaient leur devoir dans le tumulte de la vie. Ils étaient d’une générosité sans exemple, d’une bonté infinie et d’un dévouement aveugle et formidable.
Ils menaient une vie avec régularité. Ils étaient démunis de tout bien matériel. Ils se souciaient peu de ce que l’avenir leur réservait. Ils étaient criblés de dettes contractées pour vivre leur vie normalement. Cette famille était isolée par la distance qui séparait leur habitation aux autres. Ils ne pouvaient trouver de joies que dans les moments qui les unissaient les après-midis et les soirs pour passer ensemble des heures entières à l’ombre d’un manguier ou sous la varangue à entretenir de longues conversations qui leurs faisaient oublier les tourments de la vie et qui apportaient à leurs visages fatigués des fraîcheurs nouvelles. Ils se faisaient servir du thé bien chaud par la seule esclave qu’ils possédaient.
Monsieur Hector et sa femme passaient des journées entières dans les champs pour nourrir une famille pendant toute l’année. Charles n’était pas du tout intéressé par la terre ; il avait constaté de quelle manière ses parents s’épuisaient, se tuaient dans les durs travaux qu’ils effectuaient tout le long de leur vie sans qu’ils pussent faire des économies. A ce rythme ils ne pourraient avoir la récompense dont ils méritaient en faisant autant d’effort. Charles ne voyait que misères, peines, énergies gaspillées et souffrances. Un sentiment de haine l’empoignait ; il éprouvait un dégoût, un mépris envers ce qui faisait du tort à ses parents qu’il n’avait jamais cessé d’aimer et pour lesquels il était prêt à faire n’importe quoi pour adoucir la vie. Charles avait atteint l’âge de pouvoir se débrouiller tout seul ; il quittait la maison tôt le matin pour aller tendre des pièges aux gibiers dans le bois ; il rentrait parfois tard le soir avec des lièvres, des lapins et d’autres animaux qui réjouissaient la famille en pensant au repas fringale qui les attendait. Les rivières étaient infestées des poissons, des anguilles, des crevettes. Charles partait souvent seul malgré que son petit frère Nathan veuille l’accompagner. Il apportait des gros poissons et quantité de fruits juteux qu’il trouvait en chemin.
Ces préoccupations apportaient du plaisir à Charles : il allait pouvoir se montrer utile à la famille. Il passait son temps à chercher de quoi apporter le soir à la maison ; il savait que ses sœurs aimaient les fleurs ; il allait cueillir des jolies fleurs odorantes dans le bois ; il prolongeait souvent ses marches jusqu’au bord de l’océan, ramassant sur la plage des coquillages rares et colorés que sa petite sœur Hélène en collectionnait.
©Kader Rawat