Devika, la mauricienne
J'étais perdue devant l'immensité de cette ville. Elle me paraissait vieille et exerçait sur moi une étrange fascination. Les aspects singuliers de la ville me donnaient la frayeur. Je me tenais debout sur le quai après avoir fait mes adieux à mon amie Florence. Je me sentais seule et n'avais aucune idée de ce que je devais faire. Je décidai de chercher une maison. Je ne connaissais pas Marseille. J’allais apprendre à la connaître.
Une vieille bâtisse située dans les écarts retenait mon attention. Une pancarte indiquant "Immeuble des Immigrés" me donna une idée du genre de personnes qui l'occupaient. Je rencontrai la concierge un samedi matin. Elle m'avait posé énormément de questions avant de se décider à me présenter au propriétaire d’un appartement situé au troisième étage. C’était une vieille dame depuis longtemps à la retraite avec qui j’avais sympathisé en très peu de temps et qui m’accepta comme son locataire.
Je fis le nécessaire pour mes meubles quelques jours plus tard et m'y installai de suite. Ma voisine était une mauricienne et s'appelait Devika. Je la rencontrai dès le lendemain de mon arrivée. Le peu de paroles que nous avions échangé m'avait persuadé que nous allions bien nous entendre dans les prochains jours. Je ne m'étais pas trompée. Devika devint bien évidemment ma meilleure amie.
Devika était une femme remarquable. Elle m'avait plu tout d'abord par sa façon très particulière de discuter avec moi en découvrant des aspects cachés de son caractère. Elle me parlait souvent de sa vie à Maurice avec ses parents. Elle était issue d’une famille nombreuse, avait connu une enfance heureuse dont le souvenir refoulait bien souvent dans sa mémoire. Elle avait pris un infini plaisir à parler de ce temps pendant que nous nous retrouvions les soirs, après le repas, dans le salon. J'appris qu'elle habitait à Quatre-Bornes et que son père était avocat. Elle avait été élevée dans une superbe maison à étage en compagnie de ses cinq frères et ses quatre sœurs. Parmi les membres de sa famille certains étaient médecins, d'autres instituteurs et avocats. Elle était destinée à réussir dans la vie. Après avoir terminé ses études au collège Queen Elizabeth, ses parents décidèrent de l'envoyer en Angleterre pour étudier la médecine.
Elle avait voyagé avec de grandes ambitions. Elle avait à peine vingt ans quand elle débuta ses études de médecine. Elle ressemblait beaucoup à ces filles indiennes que j'avais connues au lycée. Elle était belle. A l'hôpital où elle se rendait pour suivre ses cours d'anatomie, elle rencontra un jeune docteur qui se nommait Ajay et qui se montrait très intéressé à elle. Elle ne tarda pas à tomber amoureuse du séduisant docteur et à avoir avec lui de nombreuses aventures avant qu'elle n'apprenne qu'il était marié et qu'il vivait avec sa femme dans une villa à quelques kilomètres de l'hôpital. Elle était déjà enceinte et avait dû interrompre ses cours pour accoucher. Le docteur Ajay Chowdurry était originaire de l’Inde. Il avait connu en compagnie de Devika un bonheur immense. Il réussit à persuader Devika d'abandonner ses études pour élever son enfant. C'était une décision difficile à prendre. Quand elle échoua à ses examens, elle décida de consacrer son temps à s'occuper de son enfant et à attendre le docteur Ajay qu’elle voulait rendre heureux. Elle fut logée dans un modeste appartement où le docteur alla la retrouver. Elle lui donna deux enfants en tout avant que n’éclate le scandale qui allait mettre un terme à cette vie heureuse qu'elle avait commencé à mener. La femme d'Ajay était venue la trouver pour lui proférer des menaces. Comment savait-elle qu'elle habitait cet appartement ? Le docteur Ajay avait commencé à négliger sa femme et ses trois enfants depuis qu'il connaissait Devika. Il se rendait rarement à son domicile conjugal. Il n'était pas non plus en bons termes avec son épouse. Ses enfants en souffraient beaucoup. Sa femme avait été informée de sa liaison avec Devika. Elle avait fait venir son oncle de l'Inde pour mettre de l'ordre dans son ménage. Devika savait qu'elle ne pouvait pas garder Ajay pour elle. Elle n'avait pu rien faire pour empêcher le docteur de retourner en Inde. Elle se retrouva toute seule avec ses enfants. Mais le docteur Ajay lui avait laissé une importante somme d'argent pour élever les enfants. Elle ne voulait pas dépenser cet argent. Elle l'avait gardé précieusement dans une banque et s'était jurée d'en avoir recours si c'était vraiment nécessaire. Devika décida de déménager. Elle loua deux petites chambres dans le quartier pauvre de la ville. Elle avait commencé à travailler. Elle ne percevait pas beaucoup d'argent et faisait d'énormes sacrifices pour joindre les deux bouts. Elle recevait régulièrement de l’argent de ses parents de Maurice et se permettait l'achat de ce qui étaient utiles pour la maison et des vêtements pour ses enfants. Quand elle apprit que son oncle se rendait en Angleterre et souhaitait la rencontrer elle décida de quitter le pays. Elle retirait tout son argent de la banque, vendit ses meubles et embarqua avec ses enfants dans le premier navire qui l'emmena à Marseille.
©Kader Rawat.
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