CET HOMME À L'ASPECT ÉTRANGE
Cet homme à l'aspect étrange
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Un temps lourd, couvert depuis tôt le matin, suivi des averses intermittentes était suffisant pour rendre l'atmosphère monotone et triste ce samedi où je me postais devant la grande porte métallique du magasin de Salim pour profiter de l'éclairage et pour regarder en même temps les quelques rares voitures passer. Les ruisseaux de deux côtés de la route emportaient l'eau abondante qui s'engouffrait dans les égouts et inondait les cours des habitants qui n'étaient pas protégées par des murs. Le tonnerre grondait quand la pluie fouettait les façades des bâtiments, et les éclairs insistants étaient les principales causes de la coupure d'électricité qui avait plongé l'intérieur du magasin dans l'obscurité. Mes regards balayaient la morne et lugubre atmosphère dans cet environnement estompé par une pluie diluvienne pour donner l'aspect d'un paysage terne où la vie avait ralenti son cours pour effacer la nature derrière un rideau de brouillard.
Pendant que j'étais perdue devant ce spectacle qui me rapportait au cœur toute la nostalgie du monde, je vis s’arrêter de l'autre côté de la route une belle Mercédès flambant neuf. Ma curiosité me fit regarder l'heureux propriétaire d'une si magnifique bagnole quand, à mon étonnement, je vis un monsieur qui ne se donnait pas l'air de quelqu'un du pays sortir pour se diriger avec précipitation vers le magasin. Il me salua avec une certaine courtoisie qui n'était pas courante dans l'île et tendit la main à Salim qui se trouvait à côté de moi, lui adressant la parole avec un air gai et jovial. Je devinais tout de suite qu'il était soit un représentant, soit un homme d'affaires très bavard et semblait avoir réalisé une bonne opération. Il n'y avait pas de doute qu'une telle manifestation d'enthousiasme, d'emportement, de transport donnait l'image d'un homme différent de ce que l'on avait l'habitude de rencontrer. Néanmoins, malgré l'étonnement qui se lisait sur mon visage ahuri et marqué par une telle irruption je parvenais à contrôler mes émotions et me trouvais peu après en train d'échanger avec lui sur des sujets qui touchaient les actualités les plus anodines aux potins les plus saugrenus. Ce n'était que quand Salim lui demanda des nouvelles de son épouse qui n'était en fait que sa concubine, que je décelais sur son visage une espèce de gêne, d'embarras qu'il essayait d'esquiver en faisant semblant de ne pas comprendre et en changeant de sujet de conversation. Il eut l'air par la suite pressé de nous quitter aussi vite qu'il s'était manifesté de nous retrouver. Quand il partit, je demeurai perplexe pendant un long laps de temps pour pouvoir encore me rappeler de l'étrange impression qu'il avait laissé sur mon état d’esprit. Sa brève présence, son apparition à l’improviste me hantèrent longtemps l'imagination, m'obsédèrent des fois de manière à me faire entendre l'écho de sa voix vibrante et lugubre qui résonnait dans chaque recoin du magasin. J'avais l'impression qu'il possédait des pouvoirs étranges et rien qu'en y pensant, j'avais des frissons qui me parcouraient le corps tout entier. Je n'avais pas hésité à parler de ces impressions à Salim qui m'avoua avoir ressenti les mêmes émotions. J'ai pu remarquer par ces innombrables contacts que l'existence et particulièrement ce métier de commerçant faisait avoir, certains personnages entraînaient dernière eux, comme les poussières de la comète de Halley, une foule de complications qui désaxent, désorientent, désorganisent la position, la situation, l'équilibre de nombreuses personnes se trouvant dans leur sillage. Je me trouvais dans une telle situation peu après avoir rencontré cet homme à l'aspect étrange.
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