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Une vaste étendue de plaine

31 Mai 2023 , Rédigé par Kader Rawat

 

Une vaste étendue de plaine

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
J’avais vu la veille, dans la Grande Maison, ce que j’étais peut-être destiné à voir : des innocents massacrés qui gisaient dans une mare de sang, la tête décapitée, le corps mutilé, haché, démembré, les yeux sortant de leurs orbites et suspendaient comme de gros œufs bouillis, des scènes qui ne s’effaceront jamais de ma mémoire tant de mes yeux hallucinés, hagards, épouvantés, je les avais imbibées jusqu’au fond de ma cervelle, de sorte que les empreinte, les cicatrices laissées par derrière, demeuraient comme un indice indélébile, intouchable dans le temps futur. J’avoue qu’avec cette marque profonde mon cœur était couvert d’une tache noire, la haine féroce que je vouais à Harold Blake. Je souhaitais tellement du plus profond de moi-même lui voir payer chèrement pour toutes les calamités, tous les préjudices, tous les dommages, tous les ravages qu’il aurait pu causer aux pauvres et innocents gens et à leur cœur. Jamais de ma vie je n’avais ressenti une aussi folle envie de vengeance, jamais l’idée de torture ne s’était présentée une seule fois dans mon esprit. Mais quand je pensais aux méthodes que je désirais utiliser pour voir Harold Blake achever son existence, je brûlais d’un désir ardent de lui infliger la mort la plus cruelle, la plus atroce, la plus abominable, la plus lente et la plus insupportable qu’un être pourrait subir sur la terre.
Je poursuivais ma marche pénible tristement, traversant des régions qui abondaient des fruits juteux que je mangeais goulûment. Je savais que la Grande Maison était complètement détruite parce que je l’avais quittée la veille en flamme et, si cette vision me revenait à l’esprit, c’était pour la raison que j’avais vu Roseline sortir de ces flammes en compagnie des silhouettes fantasmagoriques qui l’entraînaient dans les ténèbres. Je ne pouvais savoir combien de fois cette vision me hantait l’esprit. C’était devenu une obsession que j’avais bien peine à repousser ni à m’en débarrasser. Je réalisais combien des êtres humains avaient dû trouver la mort dans cette insurrection. Je croyais comprendre donc les raisons d’un silence si absolu qui m’intriguait auparavant. Cela annonçait de grands malheurs survenus au sein de la population. Mes craintes que des choses bien horribles arrivassent aux gens s’intensifiaient et un doute commençait par s’installer, se confirmer dans mon esprit. Je devinais l’origine de la honte que je ressentais pendant que j’étais obsédé dans le bois. Je devais assurément être l’un des principaux responsables des malheurs qui planaient dans toute la région. Cette frayeur que j’éprouvais dans le silence prouvait bien ma culpabilité. Seigneur ! Qu’ai-je fait ?
Avant d’entreprendre ma descente au versant le moins boisé de la colline je m’arrêtais un instant pour découvrir une vaste étendue de plaine, des champs qu’embrasait le soleil de ses feux ardents.
Mon attention fut plus particulièrement attirée par une ferme abandonnée, à moitié brûlée, laissant échapper encore une fumée légère et mince qui montait lentement vers le ciel. L’aspect de la ferme était tel qu’on croirait à un passage récent d’un mauvais temps.
D’habitude à cette heure de la journée les esclaves devaient se trouver aux champs. Aucune charrette n’était de passage dans les sentiers. Des pailles-en-queues volaient dans le ciel parsemé de nuages. Des bœufs, des cabris broutaient l’herbe tout seuls et dans la basse-cour, les chiens couraient après les poules, les volailles, les dindons, les forçant à des voltiges. Je trouvais cette absence totale des êtres humains tout à fait drôle et étrange même. J’imaginais peut-être que par peur de se faire surprendre par des esclaves marrons ou par les révolutionnaires, les gens avaient évacué le lieu. Si c’était bien le cas, ce qui me paraissait fort possible, en considérant l’événement si récent, j’ai bien peine à tomber sur une quelconque personne qui pourrait me renseigner sur la situation. Et si je ne ménageais pas mes efforts je succomberai dans la faiblesse avant d’atteindre la maison, me faisant surprendre par la nuit.
Je descendais lentement et péniblement l’unique sentier boueux et périlleux qui me dirigeait dans la direction de la ferme où j’espérais passer la nuit. Je me déprimais, me fatiguais, m’affaiblissais dans mon avance obstinée. L’ardeur du soleil me causait par-dessus tous des peines énormes et les uns après les autres je franchissais les obstacles, m’approchant de mon but avec réserve. Des gibiers faufilaient dans les brousses, un lapin passait entre mes jambes sans que je pusse faire aucun effort pour l’attraper, un singe me suivait pendant longtemps avant de disparaître parmi les branches des grands arbres, un cerf traversait le sentier à une allure folle et disparut dans le bois. Un flot de sueurs me ruisselait le corps, me trempait les vêtements en lambeaux déjà. Je fus la proie des douleurs lancinantes qui me prenaient partout sur le corps. Je commençais à voir trouble et décidais de me reposer sous un énorme tamarinier, au pied de la colline. Une nuée d’oiseaux traversait le ciel en faisant entendre leur chant régulier. Un chien aboyait dans le lointain, probablement du côté de la ferme dont je pus distinguer la toiture. Le soleil avait perdu son ardeur et était moins cuisant. J’étais tellement essoufflé par les efforts que j’avais fournis que j’avais grande peine à pouvoir respirer. Mon cœur battait avec accélération et j’aurais dû attendre un bon moment avant de continuer ma route.
Tous droits réservés y compris les droits de reproduction, de stockage des données et de diffusion, en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit.
©Kader Rawat
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