L'empreinte d'une longue vie vécue dans la souffrance.
L'empreinte d'une longue vie vécue dans la souffrance.
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
L’aboiement d’un chien, le même qui courrait après les animaux de la basse-cour dans la journée, me retira de ce rêve dans lequel j'étais plongé. Il sortait derrière la maison et voulait me sauter dessus. J'étais pris de frayeur et allais me réfugier derrière un talus d'où je pus voir, malgré qu'il fasse sombre, l'aspect désordonné de la cour. Les granges qui se trouvaient à peu de distance de la maison furent entièrement détruites et les poteaux brûlés et noircis par la fumée se tenaient à peine debout. Plusieurs cases des esclaves étaient complètement aplaties et c'était bien de là que montait la fumée, indistincte pendant que je regardais. Plus loin, je vis trois tombes sur lesquelles on avait enfoncé, avec précipitation, des croix qui s'inclinaient vers le sol comme pour vouloir tomber. La maison par contre n'était pas atteinte par le feu qui semblait plutôt avoir ravagé les alentours. L'apparence désuète de la demeure me fit vite comprendre que les gens qui l'avaient habitée n'avaient pas de grands moyens et se contentaient, comme mes parents, des maigres productions de la terre, des plantations qui ne leur rapportaient presque rien, tant une grande partie de la région n'était que jachère.
Les ustensiles de cuisine, les instruments aratoires, les fournitures de maison, les diverses pièces de vêtements qui traînaient un peu partout démontraient quelques scènes de violence, de lutte que des gens avaient livré avant de quitter le lieu. Les désordres indiquaient que par-là, des gens bien enracinés dans leur existence furent arrachés par la force, laissant derrière eux l'empreinte d'une longue vie vécue dans la souffrance. La maison était plantée solidement sur une base de pierres taillées et s'élevait dans le crépuscule comme un gigantesque palais rempli de mystères et des multiples objets fascinants. En vérité çà n'était qu'une maison comme tant d'autres que les colons pauvres construisaient un peu partout dans l'Ile. Mais mon imagination me faisait voir des choses jusqu'au fantasme : une maison banale prenait la dimension d’un palais, la prairie se présentait comme un désert aride. Je m'apercevais plonger dans la nuit comme le passage d'une éclipse, de voir scintiller les étoiles comme la présence des comètes, de trouver autrement les apparitions ordinaires de l'existence. Etrange illusion occasionnée assurément par une dépression dont je fus atteinte.
Le chien n'avait pas cessé d'aboyer et m'exaspérait à telle point que je ramassais un morceau de bois qui se trouvait tout près de moi et lui lançais dessus. Il le reçut en plein sur le derrière et courut, en poussant des gémissements, se réfugier dans la maison.
J'écoutais les bruits des sabots sur la terre dure des sentiers et me demandais de qui pouvait-il bien s'agir. Ce pouvait bien être le propriétaire de la maison qui retournait chez lui après une longue absence sans se douter ce qui fut arrivé. Ou bien ce n’était qu’un aventurier qui cherchait un abri pour passer la nuit. Pourquoi pas un parent qui voulait s’informer sur l’état de santé de la famille qui habitait la maison, un visiteur qui passait par là et qui venait prendre des nouvelles, ou un brigand, un voleur de grand chemin, un tueur qui sait ? Au fait il pouvait s’agir de n’importe qui. Quelle importance ? Il ne me ferait pas du tort j’espère. Et si c’était quelqu’un qui me cherchait. C’est qu’il avait bien eu la chance. Je ne me trouvais pas très loin. Il n’avait qu’à m’embarquer et m’emmenait là où il avait eu l’instruction de m’emmener. Je n’éprouvais aucune crainte quand je me levais pour aller me ranger au milieu du sentier en sorte que je serais mieux aperçu. La charrette n’était pas loin et je pus distinguer les grincements des roues comme une longue plainte.
Soudain, alors que j’étais debout et que j’attendais, la charrette s’arrêta, et le silence s’établit de telle sorte que je pus entendre mon souffle. Je continuais de regarder dans la pénombre sans pouvoir distinguer grande chose et je tendis mon oreille comme un animal attentif. Ce silence obstiné m’effrayait un instant, et puis un sentiment d’inquiétude, de déception s’empara de moi. Je regardais dans le firmament et vis une myriade de petits points étincelants, lumineux, sublimes et fantastiques qui retenaient mon attention. Je baissais mes regards pour voir l’horizon se plonger dans les ténèbres et le ciel se perdre dans un gouffre. La nature dormait paisiblement et sa respiration apportait une certaine quiétude dans mon état d’esprit. J’étais perdu dans le noir et me voyais transporté dans je ne savais quel royaume fantastique qui me faisait éprouver des étranges sensations.
Le reniflement de la jument venait me retirer dans mon état de transe et me faisait comprendre que j’étais sur terre et face à une réalité que j’avais toute raison d’affronter. Un bruit de pas qui foulait le sol dur du sentier me fit comprendre que quelqu’un se dirigeait dans ma direction. Je retenais mon souffle, tendis mon oreille, regardais dans le noir pour deviner l’intention de l’individu. La jument était probablement exténuée par une longue distance quand elle agitait drôlement pour faire son maître comprendre que quelqu’un ne se trouvait pas trop loin et qu’il devait se méfier. Elle grattait la terre de ses pattes, piaffait, claquait ses sabots sur des pierres qui jonchaient probablement le sol. L’obscurité aussi devait lui troubler, lui gêner, ce qui influait sur son comportement et démontrait son impatience de quitter un lieu pareil.
– Tu sais vieux Cheik, parla une voix rauque, enrouée, je crois que nous allons passer une nuit encore dans la fraîcheur des bois. Tu dois assurément le trouver pénible, dans ton état, particulièrement le matin, de supporter le froid. Je t’avais averti, tu dois le reconnaître, qu’en cherchant de poursuivre notre route à travers le bois nous nous exposions à des risques qui pourront se répercuter sur notre santé. Et maintenant, poursuivait-il en craquant une allumette pour allumer une lanterne qui était suspendue au-dessous de la charrette, nous voilà seuls devant une ferme abandonnée. Je te l’avais bien dit que nous avons une chance sur mille de trouver quelqu’un dans la région.
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©Kader Rawat