DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 6
DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 6
« Ce qui nous différencie des autres créatures c’est cette mémoire que nous possédons et que nous avons toutes raisons de transmettre quand il est encore temps. »
La jeunesse me fit découvrir des gens sympathiques à mon égard. J’avais développé un tel caractère que je portais beaucoup d’importance aux respects, à l’obéissance que l’on devait aux grandes personnes de notre entourage, ce qui instaure en nous-même cette vraie valeur morale tant recherchée dans la société. J’essayais de me rendre utile dans les moindres circonstances et ne me mettais jamais en colère ni rouspétai-je quand l’on me demandait d’accomplir une tâche. Je gagnais l’estime et la considération des gens que je côtoyais et surtout des parents qui ne manquaient pas l’occasion de faire mon éloge et de me citer comme exemple à suivre parmi les enfants de ma génération. Je tirais par ces démarches toute ma fierté que je ne pouvais cacher d’ailleurs et qui me plaçait haut dans l’estime des grandes personnes. J’avoue par contre que j’étais un garçon très susceptible et pouvais avoir les yeux remplis de larmes par une simple réprimande. J’exerçais mon autorité sur ceux qui étaient mes cadets et les grondais si je constatais qu’ils avaient commis des bêtises. Je me faisais craindre et respecté sans me montrer méchant ni agressif. Je me souviens très bien avoir été sévèrement réprimandé par mon père pour avoir commis une bêtise monumentale. Ce n’était que bien plus tard que je réalisais la gravité de mes actes. Ma faiblesse était que je ne pouvais pas refuser quand l’on me demandait de rendre un service. J’avais noué amitié avec un garçon du village avec lequel j’avais pour habitude d’aller me promener. L’estime que j’avais pour lui n’était autre que de l’amitié. Je n’en avais pas beaucoup d’amis et le peu que j’avais me suffisait pour me permettre de passer le temps dans la distraction. Il était plus grand que moi de quelques années et j’éprouvais pour lui du respect. Il avait commencé à fumer et se retirait souvent au bas de la rivière pour en allumer une des fois. Un jour, une envie terrible lui en prenait de fumer mais il n’en avait pas de cigarette. Il m’avait supplié d’aller lui en prendre un paquet dans la boutique de mon père. J’étais embarrassé et ne savais quoi faire. Je savais que je n’avais pas le droit de faire une chose pareille. Je ne voulais pas non plus lui déplaire. Sans réaliser que j’allais commettre un vol odieux par cet acte stupide, je me rendais dans la boutique pour prendre sur l’étagère un paquet de cigarette et m’étais fait attraper par mon père lui-même. Il m’avait donné une bonne raclée bien méritée que je n’oublierais jamais de toute ma vie mais qui m’avait servi de leçon à jamais. Alors que l’ami m’attendait au bord de la rivière je ne lui avais jamais plus revu.
Parmi les personnes qui m’ont marqué au cours de mon enfance je ne peux ne pas mentionner mon oncle qui m’a impressionné par sa conduite exemplaire à mon égard. Jamais il ne m’a froissé dans les sentiments, ni a-t-il prononcé à mon égard une seule parole blessante. J’ai toujours éprouvé pour lui de l’estime et de l’admiration. Quand je passais à la croisée des chemins pour se rendre à l’école, je le voyais en train de jouer aux dominos sous la véranda en compagnie des autres amis, tous des chauffeurs de taxi. Mon oncle avait une consule de couleur bleu roi que je prenais beaucoup de plaisir à laver, à nettoyer, à lustrer les samedis matins quand il n’y avait pas d’école. Il m’emmenait des fois avec lui quand il se rendait avec des clients dans des lointains quartiers. J’étais à l’époque avide des plaisirs que me procurait un long voyage en voiture. Mes intérêts à visiter et même découvrir les autres partis de mon île s’accroissaient d’emblée. Peut-être que j’étais encore trop jeune pour nourrir dans mon esprit la curiosité ou peut-être que je n’étais pas encore bien éveillé pour accorder de l’importance à ce que mon île avait de plus merveilleux à me montrer. En tous les cas je me voyais bien en train de me vautrer confortablement au fond du siège arrière de la voiture avec les yeux écarquillés devant les magnifiques paysages qui se défilaient de chaque côté.
De mon premier long voyage que j’avais effectué jusque la Réunion en compagnie de ma grand-mère paternel alors que j’avais à peine 10 ans il me reste encore quelques souvenirs. Je me souviens bien de cette séquence où je descendais une rue étroite de Saint-Denis derrière mon cousin dans une pente asphaltée sur une patinette faite en bois et des roulements à billes. Une autre fois je fus renversé par une bicyclette en traversant la rue sans heureusement me faire trop de mal. Je sautais par une fenêtre pour marcher sur les tôles brûlantes. Je jouais avec des bois en forme de cubes. J’effectuais un voyage fatiguant par le ti-train, le car courant d’air qui roulait pendant longtemps avant d’atteindre notre destination Saint-joseph où habitait ma tante. Je humais souvent l’odeur du savon Marseille tout près des bassins, une odeur forte, particulière qui me rappelle à chaque fois cette atmosphère sombre de la maison et tous les décors des escaliers en pierres qui reliaient la maison à étage à la grande cour ombragée par quelques manguiers et où se trouvait également un puits et des ustensiles de cuisines posés sur le muret. Beaucoup des événements de cette époque sont restés estompés dans la mémoire. Tous mes efforts demeurent vains pour les faire surgir. Même les visages des personnes que j’avais rencontrées ne représentent plus grand-chose dans mon esprit. L’époque remonte bien trop loin dans le passé pour que je puisse retenir davantage de séquences, le développement de mes facultés était beaucoup trop lent pour préserver encore des événements mal imbibés par ma mémoire.
Mon sommeil était des fois interrompu tard dans la nuit par l’arrivée des parents de la Réunion. Les yeux encore lourds de sommeil j’entendais des grands éclats de rire, des voix qui tonnaient dans le grand salon, des froissements de belles parures, des trimbalements des valises lourdes et assurément remplies des beaux cadeaux qui seraient distribués le lendemain. J’étais trop jeune pour me mêler à l’ambiance qui régnait parmi les grands malgré que j’aie l’envie de me lever pour aller partager ce moment exultant. Je faisais semblant de dormir en épiant d’un œil ce qui se passait dans le salon où les lumières vacillantes des lampes s’interposaient entre les silhouettes et les ombres.
Les jours qui suivaient me procuraient de nombreuses occasions à me promener en voiture, me rendre chez des parents à PL où nous restions jusqu’à tard le soir. Nous nous rendions au bord de la mer où j’eus l’occasion de me baigner dans l’eau tiède en profitant des sables blancs et éblouissants. Un grand cousin qui habitait avec nous et qui conduisait la voiture nous emmenait visiter les beaux sites de notre île que j’admirais avec beaucoup de plaisir. Ce moment fastidieux ne durait pas longtemps, malheureusement. Le départ des parents était suivi par des moments tristes et remplis de beaux souvenirs.
Tout le long de l’année et particulièrement pendant les vacances scolaires, des fêtes étaient organisées. Les habitants de tout le village et même de l’île pouvaient participer. Les crèches, les enceintes des établissements scolaires, les cours des collèges, les centres sociaux, les couvents et nombreuses structures à caractère social et culturel étaient bondés des gens venus pour s’amuser les uns à côté les autres. Cela pouvait occasionner des rencontres fortuites comme ce pouvait être l’occasion de fixer un rendez-vous, de nouer de l’amitié, de trouver un amour qui sait quant aux distractions il n’en manquait vraiment pas.
Le grand jardin botanique de Pamplemousses organise chaque année son pèlerinage dont la date est fixée depuis bien longtemps pour que les pèlerins débarquent tôt le matin venant des villes et des quartiers lointains. Chaque famille se regroupe sous l’ombre des arbres bicentenaires, sur des gazons soignés, dans des kiosques solitaires situés au milieu des bassins remplis des poissons affamés. Munies de leurs victuailles pour passer une journée mémorable ces familles se retrouvent dans une ambiance survoltée où le son des ravanes se mélange à la voix stridente des ségatiers en herbe qui seront rejoints par quelques danseurs demis saouls pour que la fête dure jusqu'à la dernière lueur du crépuscule.
Au début de ma jeunesse les voiles commençaient à s’écarter des mes yeux timides et innocents. Je portais mes regards assoiffés et vides d’expériences sur tout ce qui pouvait paraître singulier pour satisfaire ma curiosité.
Des que je fus admis au collège à P L je m’éloignais de mes parents et de mon village. Le cordon ombilical étant coupé je regardais le monde avec un œil différent et un état d’esprit nouveau.
Je trouvais du mal à m’adapter malgré que je fusse aimé, considéré. Les décors de la ville avec ses maisonnettes entassées les unes auprès des autres, le climat inhabituel, l’atmosphère qui emplissait les rues et les ruelles, les trottoirs dont les pavés remonte à l’époque coloniale, les canaux de chaque côté des rues qui entraînaient l’eau des pluies étaient pour moi du moins des plus singuliers. Je mettais du temps à m’habituer.
Mes études en souffraient énormément. La chaleur accablante de l’été à laquelle je n’étais pas habitué me déprimait davantage. J’attendais avec beaucoup de patience le vendredi après-midi pour rentrer à la maison.
Mes liens s’étendaient, prenaient de l’ampleur dans la nouvelle société. Ma vision de ce monde commençait à s’élargir et ma connaissance aussi. Je commençais à comprendre la situation embarrassante dans laquelle je me trouvais et cela ne me plaisait guère.
Je compris qu’il n’y avait pas moyen dans un premier temps de changer quoi que ce soit. Je l’acceptais avec résignation et réticence. Je pensais que ce sacrifice me ferait profiter des fruits que cela m’apporterait plus tard.
Pourtant j’aurai pu me rendre à mon école par le bus tous les jours mais les parents en avaient décidé autrement. Mon cousin de PL faisait le même chemin de l’école et pourrait jeter un œil sur moi, ce qui était considéré comme une assurance pour mes parents.
Pourtant je ne regrette rien de ces deux années passées à PL. J’eus l’occasion de me familiariser avec nombreux amis que je perdis de vue par la suite.
Les moments qui m’avaient les plus marqués pendant ces années d’étude étaient ces fêtes nocturnes tenues par les chiites. J’écoutais plusieurs nuits de suite les roulements des tambours et voyais passer les chars décorés des belles lumières qui marquaient le mois de Muharram.
Je me rendais des fois aux C de M pour assister aux courses des chevaux particulièrement les samedis. J’allais voir un beau film du genre péplum au Théâtre de PL, au Majestic, à Luna Park ou à Rex. J’allais me promener dans le Jardin de la Compagnie, fréquentais la Grande mosquée, passais devant les églises et les cathédrales, contemplant la Citadelle au loin.
Je découvris le port avec ses flots qui berçaient les chaloupes, les canots, les bateaux à moteur, des navires et des remorqueurs.
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