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Le mois sacré de Ramadan

29 Mai 2018 , Rédigé par Kader Rawat

 

Le mois sacré de Ramadan

 

Le mois de Ramadan arrivait enfin avec l'apparition de la nouvelle lune. Un mois appréhendé déjà par la famille Karim. Pendant ces jours de jeûne, de résignation, d'abstinence, et de prières, chaque effort fourni pour pratiquer le bien et éviter le mal, aide à comprendre la valeur de ce mois sacré.

Chaque membre de la famille Karim était conscient de l'importance de ce mois. A trois heures du matin ou même avant, au moment où le sommeil accapare l'être, il était temps pour lui de se réveiller pour aller prendre en famille le repas du matin. Les lumières des maisons étaient toutes allumées, et les membres de chaque famille se regroupaient pour commencer la journée de Ramadan.

Julie était debout en même temps que madame Karim à deux heures du matin. Elle l'aidait dans la cuisine à chauffer le repas, à faire le thé, mettre le couvert et disposer les assiettes, les verres, les cuillères. Elle allait ensuite réveiller les filles qui rejoignaient les garçons déjà installés à table, les yeux bouffis par le sommeil. Ils mangeaient et buvaient jusqu'à ce que la lueur du jour se pointe à l'horizon. Ils se levaient et se dispersaient chacun de leur côté.

Les hommes accomplissaient la prière obligatoire du matin à la mosquée la plus proche et les femmes à la maison. Ils prononçaient le vœu de vouloir garder le jeûne pour le Seigneur. Une journée toute entière qu'ils devraient passer à ne pas manger, à ne pas boire pour se débarrasser des mauvaises habitudes, pour se priver de toutes satisfactions matérielles, pour éprouver la faim et sentir la soif comme le font les pauvres, pour s'identifier à eux, se mettre à leur place pour comprendre les effets de la misère, la pauvreté et la souffrance. Une journée entière pour mettre en cause sa conscience, pour s'interroger sur l'importance et la valeur spirituelle. Les fidèles puisent leur ressource dans la prière, fortifient l'âme par la lecture du Coran. Un mois de sacrifice, de dévotion, d'abstinence, de jeûne et de prières, qui passe trop vite pour comprendre que les péchés s'estompent par obstination et volonté.

Les épouses, les mères et les sœurs se retirent dans un coin tranquille pour accomplir plus de prières que d'habitude. Les pièces sont imprégnées d'une forte odeur d'encens. Un calme étrange règne dans la maison toute entière et chacun se replie sur soi-même pour prier, pour se reposer, pour jeûner. Peu de mots sont échangés comme si le monde tournait au ralenti.

Julie constata qu'au cours de ce mois de jeûne, le visage auparavant frais et lisse de ses petits patrons se métamorphosait par une barbe bien fournie. Leur visage était tiré par le manque de sommeil, la fatigue et les efforts fournis pendant les longues nuits de prières. Pour elle aussi c’était une période de répit. Aucune parole déplacée ne lui fut adressée ; aucun regard indiscret ne lui fut lancé ; aucun geste qui pouvait nuire n’était venu la contraindre dans sa vie quotidienne. Des bons enfants exemplaires comme il n’y en avait pas deux tout le long de ce mois de Ramadan.

Une journée passée dans le travail ou à la maison s'achève au coucher du soleil dans la réjouissance d'étancher sa soif avec une boisson sucrée et parfumée, de prendre sur la langue des gâteaux salés, épicés et doux que l'épouse, la mère, les sœurs ou la cuisinière ont confectionnés pendant toute l'après-midi.

Julie préparait les épices, épluchait l'ail, le gingembre, les mélangeait avec des piments et du sel et les écrasait. Elle rangeait les bocaux de cardamome, de cannelle, de girofle, grillait le café au fond d'une marmite en fonte, enfermait les gousses de vanille dans le garde-manger. A cette heure-ci, M. Karim se permettait une petite somme avant de se rendre à la prière. Et pendant la grande prière du vendredi qui rassemblait les fidèles, il écoutait les bonnes paroles adressées à tous les croyants.

« Il y existe un moment dans l'existence, sermonnait l'Imam dans son discours, où nous devons nous arrêter et interroger notre conscience sur la réalité de ce monde ici bas; nous devons réaliser combien notre vie importe si peu à comparée de celle qui nous attend dans l'autre monde; il est temps pour nous de comprendre que nous devons fournir des efforts pour accomplir de bonnes actions et pour éviter de commettre des péchés.»

Après la rupture du jeûne, les membres de la famille se réunissaient pour le dîner, pour se permettre une petite pause; ensuite les hommes se rendaient à la mosquée pour accomplir la prière commune du soir. Une prière où le Coran sera récité dans son intégralité par des Hafiz tout le long de ce mois sacré.

Julie et les autres domestiques nettoyaient les chambres, changeaient les rideaux, lavaient, astiquaient, lustraient, enfin rendaient propre chaque recoin. Pour célébrer la fête de fin de Ramadan les fidèles étaient vêtus de beaux vêtements pour se rendre à la mosquée. La prière spéciale est accomplie après le lever du soleil. L'Imam fait son sermon devant les fidèles imprégnés de foi et allégés des péchés. Chacun s'impatientait de se retrouver devant la table garnie d'une variété de gâteaux préparés à la maison ou commandés chez le pâtissier. La fête était célébrée de gaieté de cœur et de grande réjouissance. Rassemblement au sein des familles et accolades; distribution de cadeaux; de la nourriture en abondance. Chacun fait exploser sa joie. La journée se passait dans la bonne humeur; certains rendaient visites aux parents, d'autres partageaient le bonheur avec des amis.

 

Mon Blog : http://www.romanspays.net/

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Une source de distractions

17 Mai 2018 , Rédigé par Kader Rawat

 
Une source de distractions
 
Situé entre la ville de Saint-Pierre qui s'étend au bas sur le littoral et faisant face à la mer, et la Plaine des Cafres en haute montagne le village du Tampon de l'époque, renommé pour ses cultures de géraniums et autres plantes aromatiques gardait encore cet aspect terne et mélancolique, souvent pendant l’hiver enveloppé dans un épais brouillard que les rayons doux du soleil parvenaient avec peine à dissiper. Les maisons, remarquables par le style colonial avec varangue et jardins fleuris, étaient un mélange d'architecture française et africaine que les récents habitants de la région avaient su faire adapter aux conditions climatiques capricieuses de l'île. En retrait et à distance respectable de deux côtés de la route qui menait au village, ces maisons, à toitures basses en bardeaux coupés des bois de tamarins ou en tôles ondulées galvanisées, étaient pour la plupart cachées derrière une épaisse végétation qui donnait en permanence une fraîcheur agréable aux habitants. Leurs principales activités consistaient à embellir un jardin des boutures donnant les plus belles fleurs, à cultiver un potager se trouvant à l'arrière de la maison ou à s'occuper plus loin d'un verger planté, avec le plus grand soin, d'une exceptionnelle variété d'arbres fruitiers chargés des fruits juteux pendant la saison chaude de l'année. Le chemin encore en terre qui grimpait la route des six cents était sillonné par les roues des charrettes à bœufs chargées des cannes, et des calèches transportant des visiteurs qui traversaient le village en portant leur regard admiratif sur les vestiges laissés par le comte de Kervéguen, ancien propriétaire d'une grande partie de la région dont l'usine désuète, l'église en bois et le cimetière rappelaient encore le nom. Lieu de carrefour entre la ville plus bas et les plaines verdâtres et humides dans les hauts, à mi-chemin entre la chaleur accablante du littoral et le froid intense des montagnes, le Tampon, autrefois une forêt dense et un lieu de refuge des noirs marrons, connut à la fin du dix-neuvième siècle un accroissement de population. Ils étaient tous attirés par les conditions climatiques favorables, par l'atmosphère agréable et reposante, par la végétation considérablement diminuée par des bûcherons habiles qui permettaient à ceux qui voulaient s'installer dans la région d'utiliser les bons bois de la forêt pour construire de belles et solides maisons à étage qui pouvaient résister au vent violent des cyclones. De ces petites parcelles de terre vendues par le Comte de Kervéguen s'élevaient de grands champs de géranium rosat, plantes desquelles l'on obtient une essence coûteuse utilisée à fixer les parfums. Obtenus par distillation dans de petits alambics que les bois des acacias brûlés chauffaient, cette essence très recherchée et qui se vendit très cher fit la fortune de nombreux propriétaires dont les principales ressources y dépendaient. Même après la cuite la fumure des géraniums était utilisée comme engrais pour les autres cultures nécessitant une terre riche et constamment entretenue. Ce modeste quartier du sud acquit au début du XXème siècle une notoriété publique évoquée par les crimes abominables perpétrés par Sitarane, Saint-Ange Calendrin et Emmanuel Fontaine, tous les trois arrêtés, trouvés coupables et condamnés à mort malgré que seul Calendrin fût gracié à la consternation de la population par le Président de la République tandis que les têtes de deux autres bandits tombaient à leur grand soulagement.
Frédéric Grondin avait grandi parmi ses quatre frères et ses trois sœurs, tous ses cadets dans une modeste maison créole située au cœur de la ville de Saint-Pierre. Pendant son enfance il se rendait souvent dans la station balnéaire, petit port où il rencontrait des pêcheurs qu'il accompagnait dans un bateau à voile quand la mer était calme pour leur regarder attraper des cabots de fond, des rougets, des vièles, des crabes, des langoustes, des capitaines ou des empereurs. Il s'intéressait depuis son très jeune âge à toutes les activités qui lui permettaient d'avoir de la vie une vision générale et vaste. Il avait compris combien ses parents eux-mêmes se débattaient pour parvenir à nourrir et à élever tous ces enfants qui n'avaient aucune raison de se plaindre. Chacun de leur côté, en grandissant, avait choisi de faire le travail qui leur plaisait sans que les parents ne les obligeaient. Ainsi, les filles qui avaient atteint l'âge de la maturité se détachaient, s'éloignaient de la maison paternelle pour exercer dans différentes villes des activités qui leurs permettaient de gagner de l'argent et d'organiser leur vie. Certaines avaient trouvé leur bonheur en épousant des garçons sérieux et travailleurs qu'elles avaient rencontrés et avec lesquels elles menaient une vie sans histoire. Elles étaient toutes d'une beauté telle que même qu'elles étaient d'un milieu modeste et d'une intelligence moyenne elles étaient convoitées par des gens d'un rang élevé et de conditions meilleures. Les bonnes familles pauvres qui construisaient leur vie à la sueur de leur front et qui se mettaient à l'abri de toutes souillures n'étaient pas ignorées ni dénigrées dans la société. Les gens avaient tendance, en toute honnêteté et avec probité, de se rapprocher pour établir un lien durable qui pouvait justifier l'amour et marquer la valeur humaine transcendante.
Frédéric Grondin, en homme d'affaire avisé, en un travailleur perspicace et acharné, ne pouvait mesurer la gravité de sa décision quand, un matin, il se dirigea vers le village de Tampon pour se renseigner et même pour chercher la fille qu'il avait entrevue la dernière fois qu'il s'était rendu dans le quartier. Ainsi la seule vue d'une personne avait pu déclencher dans son cœur un sentiment que seul l'amour pouvait en être responsable. Suivant son instinct à la lettre sans même raisonner il se présenta devant une maison à étage, ombragée de grands arbres importés. Quelques tecks, des chênes, des acajous et des araucarias formaient un gigantesque mur de protection et un bouclier naturel contre le mauvais temps. Un mur en pierres de taille, en haut duquel étaient fixés des solides grillages en fers forgés et pointus aux extrémités atteignant deux mètres, était recouvert par place des mousses et des lianes et était bordé des azalées, des bougainvilliers et des palmiers multipliant; un portail blindé à double battant accordait une mesure de sécurité à l'enceinte et indiquait les précautions nécessaires prises contre toute personne malveillante qui fréquentait le quartier. L'âme de Sitarane planait encore dans la région. Frédéric pouvait à peine deviner ce qu'il y avait de l'autre côté de ce mur. Il avait cogné plusieurs fois en écoutant un chien de garde aboyer à chaque fois avant d'entendre la voix lointaine d'une femme qu'il supposait être la domestique. Il entendit un léger cliquetis et vit s'ouvrir une petite fenêtre à travers laquelle il pouvait distinguer un visage brun et rond et des lèvres épaisses et vermoulues. Ce devait être la bonne. Il voulait savoir si une jeune fille aux cheveux châtains, au teint clair avec des yeux noisette habitait bien là.
– Mamz'elle Nathalie.
C'était le nom qu'elle avait prononcé. Elle était bien là mais quand elle lui demandait qui elle devait annoncer il ne savait quoi dire mais s'était ressaisi et avait tout simplement dit qu'il y avait une visite pour elle. Pendant qu'il attendait avec une certaine assurance sans laisser apparaître aucun signe d'inquiétude, il revoyait dans son imagination le plan qu'il avait concocté depuis plusieurs jours. Il ne décelait aucune faille et reposait toute sa confiance sur les premières impressions qu'il allait laissées. Quand de nouveau la petite fenêtre s'ouvrit c'était un joli visage de la Madone qui s'était apparu et lui donnait un choque. Apparu dans cet encadrement comme un tableau de Raphaël accroché au mur, ce visage, encore plus vrai que la peinture de ce grand artiste, considéré avec le plus grand soin et une toute particulière attention par Frédéric, paraissait tellement radieux et merveilleux que ce dernier avait les yeux à jamais fixés dessus et voulait demeurer ainsi pour toujours quand il fut retiré de son état de transe par ces paroles prononcées avec douceur
— Oui, monsieur. Vous voulez me parler ?
— Vous vous appelez bien mademoiselle Nathalie ?
— Oui. Mais je ne vous connais pas.
— Et bien non. Je m'appelle Frédéric et un de vos parents que j'ai eu l'honneur de rencontrer en ville en ma qualité de représentant m'a recommandé de venir vous présenter quelques échantillons de chapeaux de dernière mode et des toilettes qui seront susceptible de vous intéresser. J'ai emmené avec moi des catalogues que je me ferai une joie de vous présenter sans aucun engagement de votre part. Je suis absolument certain que vous ne serez pas déçue en jetant un coup d'œil à ces marchandises dont tout le monde en raffole actuellement. Je dois vous avouer qu'il me reste encore une quantité limitée et, si vous décidez d'acheter, je pourrai vous réserver quelques uns en priorité.
— Je ne sais pas trop, Monsieur. A vrai dire ce n'est pas moi qui fais les achats des mes toilettes. D'ailleurs, des chapeaux, j'en ai suffisamment et ne les portes que les dimanches pour aller à la messe. Ensuite je ne peux pas vous recevoir pour des raisons personnelles. Je regrette de ne pouvoir être utile dans vos démarches. Je ne tiens pas à vous faire perdre votre temps et vous prie de bien remercier ce charmant parent qui a eu un pensant à mon égard. Adieu monsieur.
— Attendez, je vous prie. Accordez-moi une petite minute. Peut-être j'aurai plus de chance avec vos parents. A quel moment puis-je passé pour les rencontrer ?
— Puisque vous insistez vraiment, passez en fin de semaine. Vous aurez plus de chance de les rencontrer. Mais je crains que ma mère ne s'intéresse à tout cela. Vous pouvez essayer tout de même. Adieu monsieur.

 

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