Une vie qui bascule
Scènes de la vie à la campagne
Ceci est un produit de l’imagination..
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Une vie qui bascule
Le lendemain matin quand Fabien comprit ce qui s'était passé, il éprouvait une telle honte qu'il quittait la maison pour aller se réfugier dans les bois où il ne voulait voir personne. Il ne daignait même pas aller prendre son travail où il n'avait pas de visage à montrer aux autres qui étaient informés déjà de ces fâcheuses nouvelles qui parcouraient la région comme la poudre d’escampette. Les gens le regardaient de travers quand il faisait tranquillement son chemin à l'orée des bois. Les jeunes filles qui auparavant voulaient se rapprochaient de lui s'écartaient de son passage et prenaient la fuite par peur qu'il leur fasse du mal. Il était devenu l'indésirable, le rejeté de la société qui ne lui accordait aucune chance de s'expliquer de ses actes et qui le condamnait sans avoir besoin de le juger.
La femme qui était la cause de tous ces malheurs avait disparu le soir même après qu'elle eût commis son forfait sans que personne ne cherchât à la retrouver. Ceux qui avaient organisé ce plan machiavélique avaient jugé bon de la ramener dans sa ville avant qu'elle ne parlât trop et qu'elle les dénonçât. Elle avait déjà commencé à démontrer quelques signes de faiblesse par des réponses maladroites qu'elle avait données au moment du fait quand des gens du village la posaient une foule de questions dont certaines restaient encore sans réponses. Quatre individus l'avaient accompagnée dans une charrette à bœuf louée pour l'occasion et éclairés tout le long du chemin par des fanaux accrochés à chaque côté des ridelles. Ils avaient ainsi parcouru jusqu'au matin, sans prononcer un seul mot, le long chemin en terre battue et sinueux qui reliait le petit village à la ville. Quand la femme descendit devant la station déserte pour prendre le premier train, le jour pointait déjà. Elle avait les paupières gonflées pour n'avoir pas fermé les yeux durant toute la nuit. Elle se dirigeait vers une fontaine publique qui se trouvait à côté de la station et avait aspergé le visage d'eau pour redonner une fraîcheur à ses joues pâles. Troublée, confuse et même honteuse à la lumière du jour quand elle avait à découvrir la vraie face au monde et non pas cette face cachée, dissimulée derrière le masque hideux de l'hypocrisie, de la vilenie et des bassesses. Elle savait qu'elle avait commis un acte ignoble en enlevant à jamais l'honneur, la réputation et la dignité d'un homme pour de l'argent. Mais que faire ? Elle en avait grand besoin et puisqu'elle n'avait fait qu'exécuter les ordres qu'elle avait reçus elle ne devait nullement s'inquiéter des conséquences. « Après tout, » se disait-elle, « comme je dois quitter le pays bientôt je n'ai ni de reproche à me faire ni de remord à laisser sur la conscience ».
Les hommes se sentaient soulagés quand elle pénétrait dans le compartiment vide d'un train qui quittait aussitôt la station. Quatre employés de l'usine à cannes sortant de différents coins de l'île venaient tout fraîchement de débarquer dans la région. Ils ne pouvaient ni supporter, ni tolérer, ni accepter que Fabien remplaçât quelque fois le maître pour les surveiller sur le lieu de travail. Quand le régisseur devait s'absenter pour quelques heures voir même pour une bonne demi-journée c'était à Fabien qu'il conférait la tâche d'intérimaire tout en lui donnant les instructions qu'il devait suivre à la lettre. Fabien ne faillit jamais à accomplir une tâche aussi importante avec dextérité, zèle et aptitude. Il avait su s'adapter au rythme qu'exigeait une telle responsabilité, répondre aux conformités de toutes les activités et en sortait à chaque fois très bien. Si bien qu'il avait éveillé dans le cœur de ses semblables de la jalousie, de l'envie et de la haine. Il avait payé en quelque sorte le prix de toute cette rancœur.
Il était désemparé, découragé, désespéré de constater combien il faisait objet de mépris, comment les gens manifestaient à son égard une attitude d'hostilité, de dégout, de hargne et de dédain. Il s'éloignait davantage, prenait la route de Mafate pour panser ses plaies dans le lit de la Rivière des Galets. La mère devenait folle en constatant que son fils qu'elle aimait tant ne rentrait plus à la maison. Elle le cherchait partout en s'aventurant jusqu'au fond des bois où elle risquait même de se perdre et de se faire attraper par la nuit quand un malheur pourrait arriver facilement. Il se cachait dans une cabane abandonnée où elle parvenait à le retrouver affaibli. Il avait à peine le courage d'aller plus loin, de se perdre dans le cirque de Mafate où personne ne pouvait le retrouver et où il pouvait vivre sans avoir besoin de supporter tous ces supplices. Son existence n'avait aucun sens et jamais l'idée de se donner la mort ne lui fut aussi proche. Elle le suppliait de rentrer à la maison, de ne pas tenir compte de ce que les gens pussent penser et dire. Elle avait besoin de lui pour vivre. Il était pour elle tout ce qui était de plus précieux sur cette terre. Il ne devait pas la rendre malheureuse en la délaissant toute seule. Elle était même prête à quitter la région si cela pouvait faire plaisir à son fils. Elle était aussi d'accord de le suivre où il désirait pour commencer une nouvelle vie ailleurs. Que n'avait-elle pas suggéré de faire pour ramener le fils à la raison et pour l'empêcher de commettre une bêtise. Il s'était jeté aux pieds de sa mère pour implorer pardon, mille fois pardon pour ce qui s'était passé. Elle lui avait pris comme un enfant dans ses bras et l'avait assuré en le serrant fort contre elle qu'elle ne lui tenait nullement rigueur de ce qui s'était passé et qu'elle désirait ardemment avoir auprès d'elle son fils qu'elle chérissait tant et qu'elle ne supporterait jamais de perdre. Elle marchait plusieurs kilomètres par jour pour apporter de la nourriture à son fils. Des gens qui la croisaient en chemin prenaient pitié d'elle mais ne faisaient rien pour l'empêcher de s'enfoncer davantage dans le fond des bois. Elle ne craignait pas les intempéries si occasionnelles pendant cette saison chaude de l'année. Elle poursuivit sa route pendant des heures avant de retrouver son fils qui l'attendait quelque part dans la nature. Cette rencontre devenue si fréquente apportait dans le cœur de la mère et du fils une joie qu'il serait difficile à définir et seulement une telle complicité parvenait à entretenir l'espoir perdu dans l'esprit ravagé du jeune homme et à permettre à la mère de continuer à vivre sa vie auprès de son fils bien aimé. Combien de temps une telle liaison pouvait durer sans qu'il n'y ait rupture ou imprévision? La mère pouvait le faire toute sa vie si c'était pour sauver son fils. Mais le fils comprenait-il les épreuves qu'il faisait subir à sa mère devenue de jour en jour faible et abattue? Il le savait mais ne pouvait rien.
Il avait besoin du temps pour se remettre de la situation. Il se rendit souvent en haut d'une falaise pour contempler l'infini qui s'étendait au bas avec espoir de retrouver la confiance qui lui manquait pour affronter l'avenir. Sa blessure récente et profonde l'accablait à tel point qu'il cherchait à se réfugier constamment derrière cette honte hideuse qui lui fit imaginer avoir perdu honneur et dignité. Il se reconnaissait comme l'ignoble individu qui semait la terreur dans son petit village où les gens le prenaient pour ce monstre de Mr Hyde que Robert Louis Stevenson créa dans son fameux roman. Il était aux prises des fois à de terribles dépressions qui ravagèrent l'intérieur de son être et, si sa mère n'aurait pas été là pour lui apporter consolation et espoir, longtemps il aurait sauté dans le vide pour s'écraser dans un abîme profond.
© Kader Rawat
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Les charmes de la vie champêtre
Scènes de la vie champêtre
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Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Les charmes de la vie champêtre
La jeunesse a toujours été avide de distractions et les plaisirs les plus raffinés ne se découvrent que parmi les femmes aux mœurs légères. Fabien avait connu les jolies filles de son village qui lui avaient toujours inspiré le respect et l'admiration. Il les rencontrait très souvent dans des fêtes et des soirées organisées par des voisins et des amis. Des fois Fabien descendait en ville en compagnie des camarades pour s'amuser dans des cabarets et des hôtels. C'était dans ces circonstances qu'il connût des femmes qui surent lui faire découvrir l'amour et les affinités. Il ne fit jamais mention de ses nuits d'orgies quand il fut interrogé par sa mère qui était très attentionnée de ses moindres occupations. Cette habitude qui devint plus tard une faiblesse ne fut pas ignorée par certaines personnes du village qui surveillaient ses moindres mouvements et qui ne semblaient pas lui porter haut en estime. Sa réputation et les bonnes choses qui se disaient sur lui n'étaient pas pour plaire à tout le monde. La jalousie, les rancœurs, la haine, la soif de vengeance s'installèrent dans le cœur des personnes d'esprit étroit qui ne trouvaient de soulagement qu'en cherchant à faire du tort à autrui et en rendant l'existence des autres impossible, difficile, pénible. Et les histoires de femmes qui embrouillaient même les meilleurs des amis, rompaient les relations des voisins, éloignaient parents impliqués dans des infinies explications et disputes, gâchaient souvent les charmes de la vie champêtre et apportaient amertumes, dégoûts et mélancolies. En tout cas Fabien lui-même ne pouvait pas se rappeler en quelle occasion il aurait pu se comporter de manière à ce que ses meilleurs amis s'éloignaient de lui sans lui donner aucune explication et lui tenant rigueurs et se jurant de lui en faire payer. Qu'avait-il fait de si grave qu'en peu de temps il s'était crée d'ennemis qui lui en voulaient du tort ? Sa manière désinvolte, son air insouciant, ses habitudes de plaisanter n'avaient pu éveiller en lui le moindre soupçon à l'égard des amis auxquels il faisait confiance.
Un petit groupe folklorique, délégué par la mairie de la contrée, avait l'habitude depuis de nombreuses années d'animer le quartier le soir de Noël. Il était des fois accompagné d'une troupe sans prétention qui était devenue célèbre pour avoir participé dans plusieurs animations importantes organisées dans l'île. Depuis plusieurs jours des employés de la commune s'occupaient à mettre en état un ancien bastion qui abritait auparavant des soldats qui se trouvaient dans la région. Cette vieille bâtisse en décrépitude cachait encore derrière ses façades ternes et couvertes de mousses et de lichens quelques décors que les animateurs sauraient mettre en valeur afin d'en faire ressortir un lieu où des représentations pouvaient être données dans les meilleures conditions possibles. Quelques volontaires du quartier s'étaient joints au groupe pour ériger une estrade avec de solides poutres en bois récupérés çà et là dans la ruine. Divers arbustes exotiques plantés dans d'énormes bacs à fer-blanc servaient de décoration et donnait un aspect tropical. Les bananiers à larges feuilles et les palmiers multipliant avec ses troncs à côtes marquées côtoyaient les fougères et les lataniers de chine avec ses feuilles palmées. Les travaux avaient pris de telle ampleur que la veille de Noël tout était déjà prêt. Un grand feu de bois était allumé à peu de distance de l'estrade et à l'approche de la nuit, quand les flambeaux éclairaient les coins obscurs et le son de maloya se fit entendre jusque dans le lointain, les gens portant leur habits neufs quittaient leur maison pour se diriger vers la fête qui avait commencé déjà. Ils pressaient les pas pour être parmi les premiers à occuper les meilleures places afin d'assister avec grands intérêts aux spectacles programmés pour la soirée qui habituellement terminait tard. Tandis que les gros bois secs brûlaient en lâchant de longues flammes jaunâtres qui chauffaient les ravanes en même temps qu'elles répandaient une lumière éclatante, quelques hommes vêtus en caleçons à taille baisse et retroussés jusqu'aux mollets, des chemises imprimées attachées en nœuds croisés au niveau de nombril, et des femmes en longues robes à fleurs et traînantes avec des plies firent leur entrée en scène et commençaient à exécuter une danse rythmique dont la chorégraphie épousait bien la musique traditionnelle de séga maloya. Chaque coup de rein à gauche et à droite correspondait au battement de la ravane et les pieds nus qui traînaient dans la poussière firent virevolter le corps emporté par les vagues de la musique entamée. Les hommes se cambraient comme pour faire révérence aux dames qui redressaient la tête en continuant à balancer les épaules et en tenant dans leur main l'extrémité de leur robe pour exécuter des figures qui soulevaient l'enthousiasme des spectateurs. Les chants entonnés à gorge déployée par un des chanteurs du groupe firent entendre les paroles composées en patois dérivant du français par un poète en herbe du pays et racontant la misère, la souffrance, la joie, les amours, les aventures des habitants de cette île. Les enfants étaient assis sur des nattes de vacoas étalées par terre et les femmes occupaient les bancs installés en plusieurs rangées de demi-cercle devant la scène. Elles laissaient échapper de grands éclats de rire sonores qui retentissaient jusque dans les bois. Quelques amoureux se cantonnaient derrière les grands arbres en trompant la vigilance des parents qui les avaient complètement oubliés en livrant conversation avec des gens qu'ils avaient longtemps perdus de vue. Les hommes étaient réunis par petits groupes de part et d'autre. Certains étaient debout sous un grand nattier pour blaguer en regardant en même temps les spectacles; d'autres étaient assis sur des rochers avec des bouteilles de rhum, de vin pour se saouler. Loin dans le bois la lumière étant plus rare, l'obscurité prédominait et seulement ceux que la fête n'intéressait pas s'y aventuraient. L'organisateur de la fête avait pensé à tout, même aux imprévus. Quelques hommes étaient désignés pour s'occuper de la sécurité afin que la fête soit célébrée dans les meilleurs conditions et qu'aucun incident ne causait ni trouble ni perturbation.
Il était tôt encore quand Fabien, suivi de sa mère et d'Yvette fit son apparition. Il les accompagnait jusqu’aux rangées des bancs, avait attendu qu'elles trouvent des places pour s'asseoir avant de retourner auprès des amis et connaissances qu'il avait remarqué à son passage. Il avait porté pour l'occasion un pantalon à côtes de couleur noire qu'il avait acheté la dernière fois qu'il s'était descendu en ville, une chemise blanche à rayures grises et un gilet gris foncé que son patron lui avait fait cadeau. Il avait attiré l'attention de beaucoup de belles jeunes filles du village qui jetaient sur lui à plusieurs reprises des regards qui exprimaient le désir de se faire remarquer durant la soirée.
Ce soir là quelques amis avaient entraîné Fabien dans un petit coin tranquille et l'avaient ingurgité de la bière, du rhum et de vin jusqu'à lui faire perdre la raison. Sa tête tournait tellement qu'il titubait en marchant et après avoir fait quelques pas il vacillait, culbutait contre les racines des arbres ou des rochers et tombait à plusieurs reprises avant que la main tendre d'une belle femme lui était tendue.
Entretemps sur la scène quelques travestis amusaient la foule en imitant quelques personnages bien connus de l'époque et en citant des phrases qui mirent les gens en délires. Un spectacle monté par des professeurs de l'école du quartier et joué par les élèves racontait un épisode de l'histoire de l'esclavage qui avait ému et attendri plusieurs personnes qui avaient les yeux remplis de larmes tandis que d'autres en versaient déjà. Un grand calme régnait parmi les spectateurs et quand un prestidigitateur de renom fit quelques numéros de magie dignes d'applaudissements la foule hurlait une fois de plus de toutes ses forces et les tambours résonnaient encore plus fort.
Les individus qui ne se trouvaient pas très loin et qui avaient entendu ces cris stridents et distinctifs de détresse dans la nuit ne pouvaient pas les confondre aux tumultes de la foule enthousiasmée, aux braillements des chanteurs à la voix rauque et aux paroles incohérentes. Ils se précipitaient vers la case en paille pour délivrer la femme qui se débattait pour sauver son honneur tout en rouant de quelques coups de pieds l'auteur de cet acte ignoble, vile, odieux qu'ils parvenaient à retenir dans la pénombre. Quand la nouvelle fut répandue dans la fête et que les gens courraient pour voir ce qui se passait, combien n'étaient-ils pas étonnés de reconnaître Fabien dans un état déplorable. Comment avait-il pu commettre un tel acte, lui qui n'avait jamais une seule fois manqué de respect à personne dans le village, lui que tout le monde ou presque aimait, admirait, respectait, lui qui était la fierté de sa famille, le modèle de la société. Que s'était-il passé, se demandaient les gens du village, pour qu'il aurait pu faire une telle chose ? Du jour au lendemain le destin de Fabien basculait. Certaines personnes, en écoutant la femme raconter comment Fabien s'était montré irrespectueux, entreprenant, grossier, brutal à son égard, avaient voulu ce soir même le chasser du village, le traîner jusqu'à la gendarmerie au bas de la ville pour qu’il explique de ses actes mais la femme, retenue au dernier moment par un sentiment d'amour propre, de pudeur, de honte d'avoir joué cette comédie avec autant de réussite n'avait pas voulu déposer plainte. Elle en avait fait trop et se sentait déjà coupable d'avoir accepté, pour de l'argent, de faire cet homme subir une telle humiliation.
Mme Deschamps s'était précipitée au secours de son fils, l'avait tenu dans ses bras fragiles et avec l'aide d'Yvette qui comprenait à peine ce qui se passait, l'avait emmené à la maison. Ils traversèrent le village la tête baissée pour ne pas regarder les autres en face quoiqu'il faisait nuit et que la consternation sur les visages des autres était flagrante.
Les gens du village
Scènes de la vie privée
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Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Les gens du village
Il existe plusieurs raisons qui expliquent qu'une région se transforme en peu de temps en un petit village animé. L'île de la Réunion, à l'aube du vingtième siècle, offrait encore des petits coins très choyés sur le haut des collines, les flancs des montagnes ou les creux des vallées. Le nom attribué à chacun de ces petits villages est évocateur, imagé et se rapporte à un aspect de paysage, une condition climatique, l'abondance d'espèces végétales et bien d'autres exemples similaires. Il est tout de même amusant de prononcer le nom d'un village à travers un nom significatif. Notre curiosité nous incite à en savoir davantage. Mais quelque soit le nom que peut porter un quartier la raison qui pousse les gens à venir y habiter est partout la même et le principe non plus ne diffère pas. De nombreuses maisons s'élevaient comme des champignons dans la région pour la transformer en peu de temps en un village gai et mouvementé. Des gens qui venaient des quartiers lointains firent acquisition des parcelles de terre et s'y installèrent dans le but de spéculer et d'exploiter. Des terres en friches se convertissaient en fermes qui pouvaient accueillir de nombreux animaux; la dense végétation qui s'y était installée permettait de les nourrir ; les fermiers pouvaient enfin les vendre sur le marché local. Les planteurs exploitaient le géranium, le vétiver, l'ilang-ilang; le giroflier, la cardamone, le muscadier, le caféier, le vanillier, le thé, le tabac, le coton, le cacao et la canne à sucre. Les arbres fruitiers complétaient ces cultures même s'il fallait attendre des années parfois pour récolter les fruits. Certains habitants du quartier se lançaient dans l'élevage. Les artisans également s'installèrent dans le coin pour compléter les multiples activités du village. Une forge fit retentir jusque dans le lointain les coups redoublés des marteaux sur l'enclume; des menuiseries, des boutiques, quelques distilleries, des épiceries donnaient une importance considérable à ce petit village et les gens qui trouvaient du travail n'hésitaient pas de construire des petites baraques pour s'y loger en faisant venir femmes et enfants.
Nous sommes en 1950 .
Fabien Deschamps travaillait pour le compte d'un riche propriétaire longtemps installé dans la région nommé La Petite France. La maison de style colonial construite au milieu du 18ème siècle surplombait une colline qui dominait la vallée qui s'étendait plus bas. De là se découvrait un magnifique paysage que les colons avaient pour habitude de contempler particulièrement au moment où le soleil se déclinait. La vue panoramique était d'une telle splendeur que l'imagination fatiguée par une journée de travail retrouvait facilement paix et sérénité. Les poètes n'eurent aucune peine à trouver l'inspiration qui leur permit de composer leurs plus beaux écrits.
Les allées bordées des rosiers, des marguerites, des tulipiers, des azalées étaient ombragées par des flamboyants ramenés de Madagascar, des eucalyptus d'Australie, des palmiers multipliant, des cocotiers et des lataniers de chine. Quelques talipots, des palmiers colonnes, des baobabs et des arbres du voyageur servaient d'ornement à l'étendu de pelouse qui encerclait la vaste maison entretenue par une vingtaine de domestiques dont Fabien en fit partie. La plantation de la canne couvrait plusieurs centaines hectares de terre pentue qui s'étendaient au bas. Plus loin des pâturages couverts d'herbes grasses abritaient nombreux bœufs, vaches, cabris et moutons. La ferme où logeait le régisseur se trouvait en aval d'une rivière qui traversait la région et qui se dirigeait vers la mer en alimentant villes et villages de son eau
Les chemins tortueux et caillouteux qui reliaient la maison aux propriétés étaient aménagés en sorte à permettre aux grands patrons de circuler facilement en voitures. Ces véhicules récents faisaient objets de curiosité des villageois et même des travailleurs qui cessaient leurs activités pour y jeter leurs regards admiratifs. Bien souvent la fin de semaine était animée par une fête organisée pour célébrer un évènement quelconque et nombreux personnels étaient retenus pour aider à préparer les tables, pour installer les tentes quand le temps était couvert, pour s'occuper des hôtes et pour exécuter les menus travaux nécessaires dans une pareille circonstance. Fabien était parmi ceux que le régisseur retenait en raison de sa compétence, de son aptitude, de son allure et de ses bonnes manières. Il fut très vite remarqué par son maître qui, en lui attribuant quelques responsabilités, s'étonnait de la rapidité avec laquelle il les exécutait et l'intelligence qu'il démontrait par l'accomplissement de ses travaux. Il eut la sympathie du régisseur qui n'était pas une personne facile. Fils des pauvres blancs de Haut son arrière grand-père était parmi les premiers colons à travailler pour le compte des gros propriétaires installés dans l'île depuis sa colonisation par les français au début du 17ème siècle. Logés dans une maison construite par eux-mêmes sur une parcelle de terre suffisante pour faire de l'élevage et la plantation s'ils le désiraient et dont ils feraient acquisition plus tard si les services rendus aux patrons étaient satisfaisants, ces petits colons menaient une vie à part, partagés entre deux mondes où, d'une part, richesses et luxures s'étalaient au grand jour et, d'autre part, misères et souffrances guettaient les pauvres. Leur milieu considéré modeste leur permettait de mener une vie marginale où ils essayaient de fuir la pauvreté mais sans jamais atteindre la richesse. Ils évitaient de se familiariser avec les gens pauvres mais aspiraient à se trouver dans la compagnie des gens riches et influents. Leur monde se resserrait et ils étaient obligés de se regrouper entre eux pour former une société où ils parvenaient de donner un sens à leur existence. Ils avaient toutes les chances d'observer, de comprendre, d'apprendre de quelle manière la vie devait être vécue et quelles étaient les sources de distractions qui pouvaient leur permettre d'apprécier davantage le monde. Le fait de côtoyer les grands leur donnait des aspirations, des nouvelles idées, de l'ambition pour progresser et pour se distinguer dans ce petit monde qui n'évoluait pas aussi vite qu'ils le souhaitaient. Acquérir le titre de colon n'était pas à la porter de tout le monde et le respect et la considération dont ils furent objet les propulsaient au devant de la scène, les faisant se donner l'allure des grands seigneurs aux yeux des petits paysans, des ouvriers, des travailleurs de champ. Avec une telle réputation, un tel pouvoir ils avaient toutes les possibilités de créer leur propre image selon leur tempérament, leur comportement et leur caractère. Un travail rigoureux, difficile durcisse l'homme, le rend méchant, intransigeant, détestable même. Heureusement que ce n'était pas le cas pour ce régisseur qui connaissait comment se comporter envers ses employés qui le craignaient, l'obéissaient en l'aimant bien. Fabien en tirait avantage de la situation en évoluant dans un milieu où il avait beaucoup à apprendre. Quand Fabien touchait son premier salaire il se rendait tout droit à la boutique du quartier pour s'acheter une bouteille de vin pour fêter l'évènement en compagnie de sa mère et de sa sœur Yvette. Enfin il allait pouvoir aider sa mère à payer les dettes sur la maison et le terrain. C'était une joie pour lui de se retrouver dans sa famille après une semaine d'absence passée dans le travail où il se couchait tard sur des paillottes pour se lever tôt le matin. Mais très souvent il pensait à sa mère et à sa sœur en se demandant ce qu'elles faisaient. Combien n'aurait-il pas aimé passer plus de temps dans leur compagnie. Il était content de constater quand il rentrait à la maison que les champs étaient verts et que les récoltes s’annonçaient fructueuses.
Après des mois passés dans des durs labeurs, il devenait robuste, fort. Son corps se développait de telle sorte que même les gens de son quartier ne le reconnaissaient plus. Son visage autrefois juvénile devenait plus expressif et cachait souvent ses grandes ambitions sournoisement nourries au fond de son imagination perturbée par les doutes qu'il se faisait de l'avenir. Le désir d'entreprendre des actions concrètes, de lancer ses propres affaires au moment approprié lui donnait courage et volonté pour apprendre à devenir un bon fermier et un bon agriculteur. Il faisait toutes sortes de besognes à commencer par labourer la terre, creuser les sillons, planter les graines et les pousses des cannes, les arroser, mettre de l'engrais ou le fumier, préparer la récolte, transporter les produits à l'usine ou au marché. Dans la ferme il avait même aidé à mettre bas une génisse. Il s'occupait des bétails, les donnait à manger, les emmenait loin dans les plaines pour paître, les rentrait dans les écuries, trait les vaches et même transportait à des longues distances les animaux vendus pour les livrer à leurs nouveaux propriétaires. Ses journées étaient tellement chargées qu'il ne trouvait de répit que le soir dans une minuscule pièce à peine éclairée par une lampe à pétrole à courte mèche. Dans son village où il se rendait le samedi soir il allait souvent trinquer avec quelques amis derrière les boutiques. Il assistait des fois à des combats de coqs qui attiraient nombreux amateurs qui misaient gros en poussant des cris et des hurlements pour se marrer. Se rendaient ils compte que chaque coup de bec acéré qui faisait gicler le sang de son adversaire provoquait des douleurs que seul l'animal ressentait en gardant la tête aux crêtes meurtries haute pour ne pas succomber dans l'ultime effort aux assauts répétés? Les vices du jeu avaient enflammé l'esprit et le cœur des ces joueurs invétérés qui se passionnaient à martyriser, à faire souffrir et à enlever la vie de ces animaux en les faisant subir des pires souffrances. Quelle atrocité, quelle barbarie et dire que pour s'amuser il fallait en faire autant, il valait mieux s'en passer. Fabien n'en trouvait pas de plaisir à regarder un tel spectacle. Il préférait rentrer à la maison pour tenir compagnie sa mère et sa sœur Yvette.
© Kader Rawat
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La faim
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La faim
En été, quand nous nous regroupions dehors dans la chaleur accablante de la nuit, nous ressemblions à une tribu d'Afrique. Nos visages luisaient sous la lueur d'un feu de bivouac que nous avions fait pour chasser les moustiques. Les voisins venaient nous rejoindre et nous tenir compagnie jusqu'à fort tard. Les enfants jouaient et faisaient le tintamarre. Les grandes personnes parlaient de tous les potins de la ville. Je dormais à la belle étoile sur ma paillasse. Je me perdais des fois dans une profonde réflexion. Je voyais mon avenir sombre. Je n'avais pas d'éducation et ne savais pas faire grand-chose.
J'étais encore bien jeune et pouvais avoir encore seize ans quand, en rentrant à la maison un après-midi, je trouvais ma mère qui pleurait. Je voulais savoir ce qui l'avait mis dans un tel état. Elle m'apprit que mon père avait été renversé par un autobus et était gravement blessé. Il perdit dans cet accident non seulement sa jambe mais aussi son maigre salaire de fin de semaine qu'une personne sans scrupule et malhonnête avait assurément volé.
Nous demeurions deux jours sans manger. Cela avait laissé sur mon état d'esprit une étrange impression qui m'accompagne tout le long de ma vie. Mes frères et mes sœurs pleuraient et poussaient de cris parce qu'ils avaient faim. C'était pénible pour moi de supporter tout cela. Je résolus de quitter la maison ce jour-là pour ne retourner qu'avec les mains pleines de nourritures. Je me présentais devant toutes les portes et passais dans toutes les rues pour chercher du travail. Personne ne voulait de moi. Ma déception fut grande. J'étais exténué quand la nuit tombait. J'implorais le Seigneur de m'aider et d'épargner ma famille des souffrances. Je m'appuyais contre le poteau d'électricité avant de reprendre la route en titubant. J'avançais dans le chemin défoncé, passant des fois sous les réverbères où des gens s'étaient regroupés pour parler. Je longeais les routes des boulevards, rasais les murs des grands bâtiments en pensant à mes frères et sœurs qui attendaient mon retour certainement.
Quand je passai dans un quartier mal éclairé, j'entendis quelques poules caqueter et j'eus l'effroyable pensée de les voler et les apporter à la maison. D'un seul bond, je me trouvais de l'autre côté du mur. Je tenais dans mes mains deux poules bien grasses en parcourant les rues. Je trouvais le parcours long et entendis même dans le lointain des voix qui tonnaient ‘au voleur, au voleur’. Mon imagination me jouait des tours. Mes escapades nocturnes me donnaient l'occasion de commettre d'autres délits. Je cambriolais des boutiques et volais des gens riches en pénétrant par effraction chez eux pendant leur absence.
‘Le bien mal acquis ne profite jamais.’ Le malheur était venu me frapper trois années de cela. Je me trouvais dans un lointain quartier quand un mauvais temps se déclarait. Le vent avait commencé à souffler si fort qu'il n'y avait aucun moyen de rentrer à la maison. C'était un cyclone qui durait pendant toute la nuit et toute la journée. Le pays avait subi à de grands dégâts. Les routes étaient coupées, les radiers submergés, les ponts emportés, des centaines de maisons détruites et de nombreuses personnes mortes ou disparues. Mes parents, toute ma famille étaient victimes de ce fléau. Je demeurais tout seul dans la douleur. Ma tante était venue me trouver une semaine plus tard dans un centre d'hébergement. Je me suis promis de ne plus jamais faire un travail malhonnête même s'il fallait que je crève de faim.
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June 22, 2018
Un homme infidèle - MES ACTIVITES LITTERAIRES, ECRITS ET PUBLICATIONS.
Scènes de la vie privée Ceci est un produit de l'imagination.. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n'est que pure coïncidence. Un homme infidèle Dans notre établissement, Edgar était parmi les premiers à avoir été employés...
Un homme infidèle
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Un homme infidèle
Dans notre établissement, Edgar était parmi les premiers à avoir été employés dans la boite à son ouverture il y a vingt-cinq ans de cela. Il approchait déjà de la retraite et, entre lui et quelques autres employés, une longue amitié s'était développée qui leur permettait de se faire parfois des confidences notamment au cours de ces années glorieuses qui leur laissaient toute liberté de s'exprimer quand l'envie leur en prenait. Edgar était considéré comme un de ces navires échoués dans la boîte à cause de la situation dramatique qu'il avait vécue dans sa vie sentimentale. Quiconque l'aurait connu personnellement ne pourrait échapper au récit de son histoire devenue une légende dans la boîte. A l'entendre se morfondre sur sa vie, des larmes risquaient de couler des yeux de ses auditeurs montrant le degré d'attendrissement qu’il était capable d’injecter dans leur coeur.
«Je le regrette toujours, racontait-il des fois à qui voulait l'entendre, d'avoir foutu ma vie en l'air pour une sale histoire de femme. C'était arrivé si bêtement que je n'en reviens pas. Ma femme qui m'avait toujours fait confiance ne cessait de me reprocher de l'avoir trompée pour une de ces traînées que l'on peut avoir pour moins que rien dans les bordels situés dans les bas quartiers de la ville. Nous avions pourtant connu ensemble des bonheurs intenses. »
Depuis qu'il était venu habiter la ville de Saint....., quittant un de ces endroits ternes des hauts, sa vie de famille avait connu de multiples bouleversements. Il était ce qu'on appelait à l'époque un vieux schnock. Il dépassait déjà la cinquantaine et les quinze années de vie conjugale qu'il avait menées n'étaient que des souvenirs qu'il cherchait à partager avec ceux qui voulaient l'écouter pour ne pas se perdre dans l'intense solitude qui accaparait parfois son existence. Sa fille Judith, devenue déjà majeure et son fils Johnny âgé de seize ans souffraient énormément de son ménage brisé.
"J'avais connu ma femme Karine vers la fin de l'année 62," racontait-il une fois que nous nous trouvions au fond d'une grande salle de réception un après-midi de la veille de Noël alors qu’il avait bu quelques verres de whisky. "Je débutais ma carrière professionnelle comme agent d'entretien dans un de ces bureaux miteux situés dans la rue de la Compagnie. Elle commençait justement à travailler comme secrétaire quand mon patron me convoqua pour me proposer un emploi de coursier et une augmentation de salaire en même temps. Karine était une belle jeune fille créole de bonne famille qui habitait dans un modeste logement situé à la Source. Elle avait le teint clair, les cheveux coupés à la garçonne très à la mode à l'époque, portait des jupes courtes et avait une physionomie que je prenais plaisir à admirer quand j'allais prendre des colis et des lettres sur son bureau. J'avais l'habitude de partager avec elle un brin de conversation en la complimentant sur sa beauté et sa gentillesse. Elle se sentait au début très gênée et embarrassée mais n'avait pas pris le temps de comprendre que mes intentions étaient bonnes. Je l'épousai un an plus tard quand je commençai à travailler dans cette boîte comme employé de bureau. Un poste qui m'avait été attribué grâce à l'intervention de mon oncle qui avait des relations et qui fréquentait les gens de la politique. Le salaire que je touchais me permettait de louer une petite maison au Camélias. Ma femme et moi-même nous menions une vie sans histoires et remplie de bonheurs. Nous nous aimions à la folie et cela durait pendant plusieurs années. Les enfants que nous avions eus s'ajoutaient à notre joie et nous rapprochaient davantage. En vérité, il ne me manquait de rien dans la vie et je dois toutefois avouer que j'étais un homme comblé jusqu'à ce qu'il m'arrive ce qui devait arriver. Mais avec le temps, tout change. Tout l'engouement qui nous enveloppait le cœur au début de notre ménage rempli de promesses, de joies intenses et d’espoir, se dissipait au fil du temps avec les difficultés qui venaient entraver, ternir et obscurcir notre vie quotidienne. En voulant parfois fuir la monotonie de la vie conjugale, je cherchais la compagnie de mes anciens camarades d'école avec lesquels j'avais toujours gardé le contact après avoir mené la belle vie ensemble même après mes années scolaires quand j'étais encore célibataire et sans travail. Je refusais bien entendu de me rendre dans des boîtes de nuit pour me défouler. Mon intention était loin de chercher à m'amuser tout seul. Ma famille comptait énormément pour moi et je cherchais des occasions à rendre notre petite vie agréable. Ma femme me donnait, à l'époque où elle me faisait entièrement confiance, de telles libertés que je pouvais disposer de mon temps comme je le voulais. C'était ainsi que je rencontrais des nanas qui voulaient bien sortir avec moi. J'aimais trop ma femme pour chercher à flirter avec les autres. Mais entraîné par mes camarades qui m'exposaient à des situations où j'avais à défendre mon honneur et à faire preuve de mon tempérament chaleureux d’enfant des îles, je n'avais pas eu le courage de repousser des assauts défiant ma nature pudibonde et m'étais efforcé à démontrer ce que je pouvais bien valoir dans ce domaine. Des petites aventures sans lendemain me poussaient souvent dans les bras d'une de ces filles en chaleur, parfois une blonde aux cheveux bouclés fraîchement débarquée dans l'île, parfois une rousse pulpeuse et affriolante, pour me retrouver en train de m'envoyer en l'air avec elles dans des lieux discrets. »
« Tu n'as pas honte de faire de telles saloperies derrière mon dos, vieux cochon, gueulait ma femme bien plus tard quand elle avait appris la vérité. »
« Un collègue de travail, longtemps enfermé dans le cocon familial, éprouvait, avec une certaine hilarité, des réjouissances particulières en écoutant des histoires se reportant au sexe. Il était depuis peu au courant de ces exploits extraconjugaux et m'avait demandé de lui dénicher un rancard parce qu'il ne savait pas trop comment s'y prendre. Il était du genre timide et pas trop débrouillard et j'imaginais même qu'il était puceau. Donc je me disais que je ferais bien lui trouver une nénette qui pourrait lui montrer l'usage. J'en connaissais un tas qui pourraient faire l'affaire. Mais je préférais lui présenter une gentille petite femme qui venait de se séparer de son mari et qui saurait lui faire découvrir toutes les facettes des affinités qu’il méritait d'apprendre et de connaître et qui lui seraient de grande utilité quand il aurait à se confronter aux gourmandes et aux éternelles insatisfaites. Mais pour l'instant, le confier aux mains de cette femme me faisait avoir la conscience tranquille en évitant de le malmener, dépouiller, duper par des femmes dont certaines étaient dépourvues de tout scrupule. Il allait devoir se débrouiller dans ce stade d'apprentissage à la vie conjugale et aurait tout son temps à se former à cet âge adulte à connaître mieux ce que c'est que le sexe dit faible. Mais ce soir, alors que j'étais allé le présenter en même temps que le déposer chez cette femme, je fis la rencontre d'une autre femme métropolitaine, belle comme le jour, qui était venue passer ses vacances dans l'île et qui souhaitait trouver quelqu'un pour lui faire découvrir les merveilleux sites si convoités par des visiteurs. J'avais hésité une fraction de seconde, le temps de réaliser ce que je perdais si je ne réagissais pas dans l'immédiat, avant de dire que je me portais volontaire, que cela me ferait grand plaisir d'être son guide si elle n'y voyait pas d'inconvénient. Et elle me remercia avec enthousiasme et reconnaissance en fixant déjà l'heure où je devais aller la prendre le lendemain. Elle avait vingt-cinq ans mais en paraissait beaucoup moins. »
« J'étais loin d'imaginer les dangers que cela représentait pour mon ménage et n'étais pas si innocent ni ignorant que ça pour ne pas savoir que sortir avec des femmes dans des lieux publics était un risque énorme que je courais. Jamais mon ménage ne fut secoué ni ébranlé, par aucune de ces secousses conjugales qui démantèlent l'existence, pendant les dix premières années où ma conduite était plus exemplaire que celle de nombreux hommes mariés qui me connaissaient bien et qui n'avaient pu faire long feu avec leurs épouses et se retrouvaient comme des épaves abandonnées en bordure des routes et s'étonnaient de me trouver en train de mener encore la vie avec mon épouse comme un vrai couple d'amoureux quand nous allions parfois dans les rues de la ville pour faire les magasins ou pour nous promener sur le front de mer, au Barachois pour admirer le coucher du soleil et pour y demeurer jusqu'à fort tard sous les lumières des réverbères. J'aimais trop ma femme pour essayer de me comporter de manière à éveiller en elle, si jalouse, si amoureuse encore, le moindre soupçon. Elle serait la femme la plus malheureuse au monde si elle apprenait sur moi des choses qu'elle ne devrait pas. C'était la raison pour laquelle j'agissais dans la discrétion la plus absolue. Quand je pensais à cette femme que j'avais rencontrée, je perdais tout mon sens de raisonnement et me laissais emporter par mes idées les plus fantaisistes qui m'entrainaient dans des aventures les plus palpitantes. La façon dont elle m'avait fait du charme m'avait fait presque tomber dans les pommes. J'étais à l'époque un de ces étalons chevronnés et réputés qui savaient comment combler une femme et la rendre heureuse dans ces ébats fougueux livrés dans l'ombre absolue, loin des regards indiscrets. Je dépensais des sommes considérables en louant des chambres d'hôtel pour commettre ce qui fut qualifié de saloperies, en achetant des vêtements de qualité que mon épouse elle-même n'aurait jamais imaginé pouvoir porter un jour, en menant la vie digne d'un nabab, sans me faire le moindre souci de la baisse considérable qu'accusait mon compte en banque jusqu'à ce que mon épouse qui tenait tellement à cette petite économie que nous avions réussi à faire au bout d'énormes sacrifices s'étonnait de l'hémorragie constatée dans nos épargnes et cherchait à en savoir les raisons. J'inventais toutes sortes de prétextes et trouvais des excuses valables tels qu'effectuer des réparations de la voiture, achats des pièces de rechange ou autres dépenses imprévues dont il n’y avait pas de traces étant donné que toutes ces dépenses s'effectuaient en argent liquide. »
« Ma femme ne se doutait de rien jusqu'au jour où je commis l'imprudence de faire entrer ma maîtresse dans ma bagnole. Je fus aperçu par une personne qui me connaissait bien et qui estimait beaucoup ma femme pour ne pas la mettre en garde de la liberté qu'elle me donnait et de la confiance qu'elle me faisait. Je ne pouvais pas savoir que mes faits et gestes étaient surveillés dans les moindres détails et que, peu de temps après, je fus pris en flagrant délit d'adultère. Je ne pus donner aucune explication. Ma femme me quitta sur le champ. J'étais allé lui présenter milles excuses, lui jurant de ne plus jamais recommencer sans qu'elle ne veuille entendre raison et avait entamé une procédure de divorce. Elle eut la garde des enfants et je me retrouvais tout seul, avec en prime le versement mensuel d'une pension alimentaire. »
Je l'écoutais parler longtemps de ses amertumes, de tous les malheurs qui s'étaient abattus sur lui dès lors, des regrets qu'il éprouvait de cette vie si tranquille qu'il menait avant de rencontrer cette femme, des remords qui accompagnaient chaque instant de sa vie, ne cessant de se morfondre sur un passé terni brusquement par ses fautes, de se maudire d'avoir ainsi gâché une vie entière. Il avait droit de voir ses enfants une fois par semaine et ne se pardonnerait jamais de s'être engagé dans un mauvais chemin.
© Kader Rawat
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La femme voilée
Scènes de la vie privée
Ceci est un produit de l’imagination.
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
La femme voilée
Une femme voilée ne peut pas passer inaperçue dans une ville aussi moderne et ouverte que Saint-Denis, capitale de la Réunion, Département français situé au sud ouest de l’océan indien.
Je ne porte pas de voile pour me faire remarquer, ni pour attirer sur ma personne des regards remplis de curiosités. C’est un choix que j’ai fait et que j’ai voulu mettre en pratique pour respecter certaines croyances liées étroitement à ma religion qui ne regarde que moi. Je sais également que je n’ai des comptes à rendre à personne et que tout n’est qu’une question de conscience.
Ma conscience est tout à fait tranquille derrière le voile que je porte depuis quelques années déjà. Cela dit, avant que j’aie décidé de porter le voile j’étais comme toutes jeunes filles de mon âge qui évoluaient normalement dans une société moderne.
Je suis la cadette d’une famille nombreuse, composée de cinq frères et de cinq sœurs. Mes parents et grands parents sont encore vivants et habitent tous dans la même ville à quelques rues de distance. Quand nous nous réunîmes tous, particulièrement les dimanches, nous formons une très grande famille perpétuant la tradition et passant ensemble un moment agréable avant de nous retourner chez nous pour continuer notre train de vie.
Je suis mariée déjà depuis cinq ans et mère de trois enfants, deux garçons et une fille, tous en bas âge. Mais je dois toutefois avouer qu’ils sont toute ma fierté et ma raison de vivre. Mon mari exerce la fonction d’Imam à la médersa de ….. C’est un homme que j’avais vu pour la première fois le jour où il était venu à la maison pour me voir en vue d’une demande en mariage. Cela pourrait paraître tout de même étrange que dans ce temps moderne un mariage de raison est encore en pratique. Je n’ai aucune honte de l’avouer que s’il ne m’aurait pas plu je n’aurais pas dis oui. Toutes jeunes filles musulmanes qui s’engagent dans la voie matrimoniale doivent d’abord donner leur accord devant deux témoins qui viendront les interroger pour avoir la certitude de leur consentement. L’homme qui se présentait devant moi ce dimanche du mois de Décembre en présence de nos deux familles venait d’achever ses études de théologie en….. où il avait passé cinq années. Il était l’ainé d’une famille de sept enfants dont quatre garçons et trois filles. Il devait avoir environ vingt-cinq ans le jour où je l’avais vu. J’avais dix-neuf ans et après avoir décroché mon baccalauréat au lycée de … je n’avais plus poursuivi mes études. Mes parents m’avaient fait comprendre que je ferais mieux me marier et fonder une famille. Il est encore de coutume dans ces années 19... de garder ces vieilles traditions, d’écouter et d’accepter sans rechigner ce que les parents décident. Je m’étais élevée dans ces coutumes et traditions et je ne regrette rien de ces merveilleux moments que j’avais passés sous le toit paternel où j’avais acquis tous les apprentissages de la vie.
Mon père exerçait son commerce de prêt à porter dans la rue …., pas trop loin de la mosquée, un emplacement bien situé pour faire des bonnes affaires. Nous étions comptés parmi les familles aisées et respectueuses de la ville et avions une certaine notoriété. Notre cercle familial s’étendait jusque dans les villes de l’ouest et du sud de l’île où bon nombre des membres de la famille mène une existence tranquille et sans histoires. Nous nous rencontrions souvent lors des invitations lancées par un membre de la famille et passions ensemble des moments agréables. Nous recevions aussi chez nous de la famille que nous avions invitée et faisions notre possible pour les faire plaisir. Notre maison était de construction récente et possédait toutes les commodités pour permettre aux invités de se sentir à l’aise. Le grand jardin aménagé à l’arrière cour donnait de l’espace et une fraîcheur qui apaise l’esprit. Une fragrance émanée des fleurs récemment plantées apportait un bien-être que quiconque voudrait profiter. J’aimais me retrouver dans ce petit coin tranquille quand j’avais besoin un peu de solitude.
Ce dimanche que je m’étais présentée devant l’homme que je devais épouser, je me trouvais seule dans ce petit coin du jardin, assise sur la balançoire qui m’avait bercée depuis mon tendre enfance. Je réfléchissais sur mon sort et sur l’importante décision que je devais prendre. Ma grande sœur qui m’avait remarquée était venue me voir pour me parler. Elle était mariée déjà et mère d’un fils de trois ans. Son mari était dans l’éducation nationale. Il était professeur d’histoire-géo et exerçait au collège...
– Et alors ? Il te plait ? me demanda ma sœur.
Elle était ma seule confidente. Avec elle je partageais mes secrets, mes peines et mes joies. Quand j’avais besoin des conseils, c’était vers elle que je me tournais. Je savais que je pouvais la faire confiance quand j’avais une importante décision à prendre ; elle allait m’éclairer les idées, me montrer le chemin à prendre, me prévenir des pièges de la vie.
– Il n’est pas si mal.
J’avais sorti cette réponse instantanément, pour tout simplement donner cette première impression que j’avais fait quand je l’avais vu.
La coutume veut que le garçon, accompagné des membres de sa famille vient rendre visite dans le but de voir la fille. C’était tout de même pour moi un moment où je sentais monter la pression au plus haut niveau. C’était comme passer un examen d’évaluation sur soi-même. Je savais que j’avais tous les atouts pour plaire. Je ne me faisais pas des inquiétudes de ce côté-là. Mais de se présenter devant les gens qui sont venus exprès pour vous regarder, pour vous examiner dans les moindres détails, pour observer vos mouvements me paraissait d’une ridiculité pas possible. Je sentais comme une bouffée de chaleur me monter au corps quand ces regards insistants étaient braqués sur moi. J’avais une envie terrible de me lever et d’aller me réfugier quelque part. Je ne savais pas ce qui me retenait. Mais heureusement que dans des circonstances pareilles quelques voix se firent entendre pour détendre l’atmosphère, pour faire s’élever quelques éclats de rires et pour dissiper cette lourdeur crée parfois par un silence absolu.
C’était la première et seule fois que je me trouvais dans une telle situation. Il aurait pu y avoir d’autres occasions si un de nous deux concernés aurait exprimé un refus. Mais tel ne fut pas le cas.
La tradition le veut que c’est le garçon qui donne la réponse en premier. Cela peut se faire le jour même de cette rencontre ou cela peut prendre quelques jours supplémentaires voir même une semaine ou deux. Mais la décision finale revienne à la fille. Si elle n’est pas d’accord, si elle hésite encore avant de se décider, si elle veut prendre davantage le temps de réfléchir, elle est dans son plein droit.
Quoi demander de mieux ?
© Kader Rawat
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Perversité et vice
Récit inspiré des scènes de la vie des gens de différentes couches sociales vivant en ville et à la campagne, à l’île de la Réunion..
Ceci est un ouvrage de fiction.
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Perversité et vice
Julie avait fait ses preuves pendant quelques jours et les patrons étaient satisfaits. Elle parvenait sans peine à plaire aux filles et à fasciner les garçons. Elle se trouvait dans une situation qui ne la permettait pas de refuser de rendre service à ses jeunes patrons à longueur des journées. Ils la réclamaient pour faire ceci ou cela dans le but de se familiariser avec elle. Elle se sentait quelque fois gênée et même embarrassée d'apercevoir combien elle incitait la curiosité et l'intérêt de ses petits patrons. Ces garçons étaient encore jeunes; leur esprit était ouvert malgré la rigueur et la sévérité de leur père qui voulait leur préserver de toutes corruptions; ils ne pouvaient ignorer le plaisir qu'ils pouvaient tirer en se rapprochant de cette fille qui accourait à leur moindre appel. Dès leur jeune âge ils étaient poussés par des camarades de l'école, influencés par les relations nouées à des jeunes voyous des bas quartiers et des amis avertis; ils se laissaient entraînés dans des aventures qui leur permettaient de satisfaire leur curiosité et de découvrir la perversité et le vice. Ils s'intéressaient aux filles et cherchaient des moyens pour gagner leur estime. Ils tournaient autour de la nouvelle venue et attendaient le moment pour livrer conversation afin d'en savoir plus sur elle. Elle retrouva la tranquillité en regagnant sa chambre tard le soir. Cela ne l'ennuyait pas vraiment quoiqu'elle préfère la compagnie des jeunes filles. Elle évitait de se familiariser avec les garçons. Elle trouvait toujours un prétexte pour se retirer. Ce n'était pas de son intérêt d'encourager ses jeunes maîtres à jeter leurs dévolus sur elle et à représenter cet objet de désir qui se trouvait là pour corrompre les bonnes mœurs. Pourtant à toute heure de la journée un de ses petits patrons trouvait l'occasion d'arracher quelques mots de sa bouche. Elle devait s'en débarrasser de manière à éviter des désagréments. Elle avait compris que c'était pour s'amuser qu'ils s'intéressaient à elle; pour ne pas leur déplaire elle fit semblant d'entrer dans leur jeu.
La femme de ménage
Récit inspiré des scènes de la vie des gens de différentes couches sociales vivant en ville et à la campagne, à l’île de la Réunion..
Ceci est un ouvrage de fiction.
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
La femme de ménage
A l'ouest, la ville de Saint-Paul plongeait lentement dans la pénombre. Cette ville était située entre la mer, que le couché du soleil avait transformé de couleur jaune orangé, et les hautes montagnes dont les cimes étaient encore éclairées par les derniers rayons. Les ombres qui rampaient déjà sur les murs des bâtiments aux toits bas, sur des façades en pierres de taille qui longeaient les rues désertes, surgissaient de partout, chassant les lueurs qui illuminaient les chaumes en bardeaux et les crêtes. Les bruits des vagues qui s'écrasaient contre les côtes devinrent distincts par le silence qui régnait dans la ville. Les volets des fenêtres n'étaient pas encore fermés et l'on pouvait distinguer les lumières des flammes vacillantes qui indiquaient la présence des occupants. A cette heure ci, dans certaines maisons, les chambres étaient éclairées par des lampes, des bougies et des quinquets.
A l'angle de deux rues importantes de la ville, un bâtiment se distinguait par l'aspect particulier qui se révélait et qui démontrait une certaine originalité que les passants prenaient plaisir à admirer. Cette bâtisse était construite au milieu du dix-huitième siècle et avait bravé les intempéries si fréquentes dans la région pendant la saison chaude. Plusieurs réfections étaient nécessaires pour l'empêcher de sombrer dans le délabrement; le bâtiment gardait encore sa fraîcheur et les ouvriers qui s'étaient chargés de la rénover avaient respecté les normes et préservé le style. Cette maison à étage, avec balcons donnant sur les deux rues qui font angle, était occupée pour exercer un commerce au rez-de-chaussée et pour habitation à étage. L'enseigne suspendu au dessous des balcons portait en grosses écritures " Ets. Karim et Fils. Import - Export. "
Monsieur Karim venait de rentrer de la prière qu'il pratiquait régulièrement. Quand il fut informé par Sheinaz qu'une fille des Hauts était venue chercher du travail il avait réuni les membres de la famille le soir pour prendre une décision. Il avait l'habitude de discuter avec sa femme et ses enfants: il en avait six en tout dont quatre garçons et deux filles, tous des adolescents, Ils l'attendaient dans la grande salle à l'extrémité de la maison. Quand il s'installait au bout de l'immense table pour parler, les enfants étaient très motivés. Un candélabre était posé au milieu de la table et les lumières projetées étaient suffisantes pour distinguer les expressions qui se dessinaient sur les visages de chacun.
— Nous approchons le mois de Ramadan, dit Monsieur Karim, et nous avons besoin du personnel. Sheinaz m'a parlé d'une jeune fille des Hauts qui peut nous intéresser. Depuis le départ de Solange cela fait déjà un mois sans nous donner signe de vie, Fatema se plaint d'avoir beaucoup du travail à faire dans la cuisine et la maison. II est bien temps pour nous de trouver une solution pour alléger ses tâches.
— En ce qui concerne Solange, dit Mme Karim, j'ai appris qu'elle s'est mise en ménage avec un métropolitain et que personne ne sait où elle se trouve. Elle n'est pas encore passée prendre son argent et ses affaires.
— Elle a peut-être quitté le pays, qui sait? dit Aissa.
— En tout cas cela n'arrange pas la situation, dit Mr Karim.
— Est-ce qu'elle est honnête cette fille dont tu parles? demanda Mme Karim.
— Comment pouvons-nous le savoir? Le temps nous le dira, rétorqua Mr Karim.
— Nous avons perdu pas mal d'objets précieux ces dernières années en embauchant des filles qui se présentent en permanence devant notre porte. Elles sont toutes issues des familles pauvres et parviennent difficilement à s'intégrer dans la vie courante de bonnes familles. Je ne vois pas vraiment la nécessité d'employer une fois de plus une inconnue, fit Leila qui pensait aux mauvais souvenirs pour l'inciter à exprimer ainsi.
— Tu ne dois pas exagérer, dit madame Karim en regardant ses autres enfants comme pour leur faire comprendre qu'elle s'adressait à eux aussi, « et voir que le côté négatif. Cette manière de penser démontre votre ingratitude envers des personnes qui, pendant votre enfance ont pris des peines avec vous. Elles se sont occupées de vous comme une mère, vous ont nettoyés, lavés, donné à manger et à boire. Elles vous ont bercés dans leurs bras pendant des heures pour vous empêcher de crier, de pleurer, pour vous faire dormir. Et comment ne peuvent-elles pas mériter une place plus honorable dans votre petit cœur ingrat. C'est quand même écœurant de dire autant de bêtise et je suis étonnée et déçue de l'entendre de la bouche de mes enfants.
— En tout cas maman, dit Haroon, les qualités et les défauts d'une personne ne se révèlent qu'avec le temps; il est de notre devoir de prendre nos précautions et ne pas laisser traîner les objets de valeurs. Leurs pertes et leur disparition ne s'expliquent que par le fait que nous manquons de principes.
— Çà alors. Si nous ne pouvons pas disposer de nos affaires comme cela nous convient, je me demande où va ce monde, rétorqua Leila.
— Toutes les personnes qui cherchent du travail ne sont pas d'un même milieu social, n'ont pas forcément la même mentalité, le même caractère, les mêmes manières. C'est tout à fait naturel que certaines se montrent travailleuses, consciencieuses et laborieuses tandis que d'autres paresseuses, négligentes et ont pleins d'autres défauts. Ce n’est pas une raison de les condamner toutes et les mettre dans le même panier, dit madame Karim.
— Ces petits gens de maison ne sont pas si bêtes qu'on peut l'imaginer, dit Yacoob. Ils sont conscients de l'importance qu'ils jouent dans la société. Et sont aussi persuadés qu'ils ont de grandes chances de s'insérer dans la vie active en évoluant au sein des familles aisées. Pour eux c'est une voie vers la liberté. Cela les permet aussi d'échapper à l'emprise familiale où leur existence n'a aucune signification et où leur vie est sans aucune importance. Ils ont raison de fuir une société où l'on constate une stagnation de l'évolution et où il y a absence de progrès. L'idée aussi de gagner de l'argent et de mener une vie qui leur plaît ne cesse de leur effleurer l'esprit. Je parle de cette jeunesse remplie d'ambition qui essaie de frayer un chemin dans la société pour trouver une place raisonnable qui peut leur permettre de se distinguer et d'occuper des places privilégiées. C'est la raison pour laquelle l'idée de rivalité manifeste en eux. La soif de gagner de l'argent éveille en eux la jalousie. Nous pouvons déceler des changements d'attitude et des comportements bizarres qui peuvent leur faire se montrer dangereux.
— Tout cela ne veut absolument pas dire que nous pouvons nous passer de leurs services, dit Mr Karim. Il y a dans l'autre pièce une fille qui attend et je suis bien convaincu qu'en ce moment même nous avons besoin d'une personne pour assumer certaines responsabilités. J'ai remarqué que les chambres ne sont pas faites tôt le matin, que les poubelles ne sont pas vidées, que les meubles sont couverts de poussières, que les parquets ne sont pas brossés et que beaucoup de travaux ménagers sont négligés et inachevés. Donc, je tiens à vous informer que je suis bien décidé d'engager cette personne, pour que ces travaux soient faits dans les meilleures conditions.
— Je suis de ton avis, dit Mme Karim.
— Nous aussi, répondirent les garçons tandis que les filles demeuraient réticentes.
Monsieur Karim se levait et se dirigeait vers la pièce où Julie attendait. Elle était assise sur une chaise et s'était levée aussitôt qu'elle entendit des pas. Avant que Mr Karim n’ouvre la porte elle avait eu le temps de mettre de l'ordre dans son état. Quand il pénétrait dans la pièce Julie dit:
— Bonsoir monsieur.
— Bonsoir. Vous êtes la demoiselle qui s'est présentée dans la journée, n'est-ce-pas?
— Oui monsieur.
— Vous vous appelez comment?
— Je m'appelle Julie Deschamps, monsieur.
— Eh bien. Quel âge avez-vous?
— Dix-sept ans monsieur.
— Avez-vous déjà travaillé?
— Oui monsieur.
— Vous savez ce que c'est que de travailler dans une maison? Avez-vous déjà une idée des travaux que vous avez à faire?
— Oui monsieur. Je sais tout faire dans une maison. Vous pouvez le constater par vous même si vous m'engagez.
— C'est ce que j'ai l'intention de faire en me fiant sur vos paroles et votre bonne foi. J'espère que vous n'allez pas me décevoir.
— Oh monsieur je vous remercie de la confiance que vous me faite.
— Ne vous réjouissez pas si tôt. Je vous engage à l'essai pour quatre semaines. Vous serez logée dans une chambre à étage et aurez droit aux repas quotidiens comme les autres bonnes. Vous percevrez votre salaire tous les samedis. Vous avez certaines règles à respecter. Vous avez droit au repos le dimanche. Vous recevrez les ordres de moi-même, de madame et des autres membres de la famille que vous allez connaître bientôt. Si cela vous convient donc considérez-vous déjà comme engagée.
— Cela me convient très bien, monsieur. Je voudrais vous demander si je peux commencer dés ce soir. Ma maison se trouve dans les Hauts et je n'ai aucun moyen de m'y rendre.
— Évidemment il est bien tard de rentrer chez vous. Je vous envoie Suzy pour vous montrer votre chambre et vous dînerez avec les autres domestiques avant de monter vous coucher. Rappelez-vous que vous devez vous réveiller très tôt le matin pour commencer le travail.
— Bien monsieur. Je peux vous assurer que vous ne serez pas déçu.
— Je l'espère bien, mais sachez le tout de même que vous pouvez être congédiée au moindre faux pas, dit Mr Karim en s'apprêtant à partir.
— Entendu monsieur. Bonne nuit monsieur.
— Bonne nuit.
Quand la porte se refermait, Julie poussait un grand soupir de soulagement en levant la tête pour remercier le Seigneur de l'avoir fait gagner ce travail. Elle pensait déjà à la bonne nouvelle qu'elle allait annoncer à ses parents quand elle irait les voir dans les jours suivants. Ses regards admiraient les quelques meubles en bois visibles par la faible flamme de la lampe à pétrole posée sur une étagère au coin de la pièce. Elle entendit des voix provenant de loin, probablement de la salle à manger où les membres de la famille se réunissaient pour prendre le dîner. Des bruits d'assiettes, de verres, de cuillères atteignirent ses oreilles si distinctement qu'elle se disait que le dîner était déjà servi. L'eau du robinet, une voie élevée qui appelait, des empressements de pas lourds sur les planchers indiquaient que les bonnes étaient à l'œuvre. Elle ressentait dans la maison une chaleur intense émanée par cette vie bien organisée et menée par des gens ayant le souci de donner un sens à leur existence, de chercher le moyen de l'embellir, la conforter, la rendre agréable et intéressante. Des éclats de rire sonores qui se firent entendre indiquaient qu'une famille vivant dans l'harmonie et la bonne entente profitait de ce moment solennel pour se réunir. Dans son petit coin, Julie essayait d'imaginer ce qui se passait dans les autres pièces dont elle ne pouvait deviner les décors et l'atmosphère. Elle savait qu'elle aurait beaucoup de choses à découvrir, à apprendre et que les surprises étaient à prévoir. Elle n'était pas inquiète du tout et son enthousiasme à vouloir travailler écartait de son esprit toutes pensées malencontreuses qui avaient tendance à entraver ses démarches et contraindre son état d'âme. Elle avait confiance de pouvoir faire ses preuves et de comprendre vite de quelle manière donner satisfactions à ses patrons. Elle était à peine plongée dans ses pensées qui l'avaient entraînée loin dans un monde où elle entrevoyait de belles perspectives quand Suzie vint la chercher pour l'emmener dans une grande pièce où elle fit connaissance des autres domestiques qui travaillaient dans la maison et qui habitaient sur place. Elle rencontrait Suzanne, une vieille nénenne qui avait vu naître tous les enfants de la maison et les avait vus grandir.
Suzanne était au service de la famille Karim depuis l’âge de vingt ans. Âgée de 55 ans, elle n'avait plus la vigueur de sa jeunesse et faisait son travail convenablement; elle n'assumait pas de grandes responsabilités. Usée pour avoir dépensé de l'énergie dans une période de son existence où elle avait des enfants à élever et plusieurs bouches à nourrir, elle perdait une grande partie de son potentiel physique en entrant dans l'âge. Elle tombait plusieurs fois malade, couvait des bronchites chroniques, traînait des toux à longueur des semaines et même des mois. Elle traitait elle-même ses douleurs rhumatismes, artérielles et d'estomac avec des tisanes qu'elle préparait avec des feuilles qu'elle allait chercher dans les bois. Elle n'aimait pas consulter des médecins et préférait supporter ses maux tranquillement en se tordant de douleur dans sa minuscule chambre sans laisser les autres apercevoir qu'elle souffrait. Elle était bien considérée par les membres de la famille et jamais personne n'osait lui faire de reproche ni de remarque sur la manière dont elle accomplissait ses travaux. Son visage était ravagé par des rides et ses yeux cernés par la fatigue quand Julie la rencontrait pour la première fois dans cette pièce.
Suzie travaillait pendant trois ans dans la maison. Son père qui était un buveur invétéré, mourut d'une rupture d’anévrisme alors qu'elle avait à peine douze ans. Pour aider sa mère à élever ses trois frères et ses deux sœurs elle avait commencé à faire de petits travaux ménagers jusqu'au jour où elle fut remarquée par une personne qui connaissait bien monsieur Karim qui cherchait à l'époque une bonne pour aider Suzanne. Suzie était âgée de dix-huit ans quand elle commençait à travailler. Elle avait toujours été bien considérée par ses patrons.
© Kader Rawat
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