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UNE ÉPOUSE POUR MONSIEUR CHATTERJEE 1

4 Mai 2020 , Rédigé par Kader Rawat

Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

 

Une épouse pour Monsieur Chatterjee 1

 

 

Chapitre 1

 

L’épouse

 

Vers la fin de l’an 1950, dans un petit village situé au Quartier-Français, un jeune homme était installé devant une table sur laquelle se trouvait une quantité de livres et de cahiers. Il était concentré dans ses études. Sa tête était penchée sur les feuilles de papier qu’il tenait dans ses mains. La chambre dans laquelle il se trouvait était éclairée par la lueur qui parvenait de la fenêtre grandement ouverte. Les enfants jouaient en faisant un tintamarre. Une jeune femme se précipitait à l’intérieure de la chambre pour les rappeler à l’ordre, leur disant que le frère était en train d’étudier et de ne pas faire du bruit.

— Vous allez jouer dans la cour, espèces de fainéants. Et toi, Kamla, tu te crois encore petite pour te mêler à eux. Vas dans la cuisine pour aider à préparer le repas.

En même temps la mère entrait dans la pièce.

— Quel repas tu es en train de parler Parvati ? Nous n’avons rien à manger.

— Qu’est-ce que tu racontes là, maman ? Hier j’ai acheté deux kilos de riz, de la farine et je les ai mis dans le buffet. Viens avec moi. Je vais te le montrer.

Parvati entraina sa maman dans l’autre chambre.

— Pourquoi maman, tu dois parler devant Dev que nous manquons de ceci ou de cela. Tu sais bien qu’en entendant cela, il va se perturber dans ses études. Il aura bientôt les examens à passer. Il vaut mieux ne pas évoquer tous nos problèmes devant lui.

— Mais tout cela m’inquiète ma fille. Je suis tourmentée et je ne sais pas quoi faire.

— Ne t’inquiète pas, maman. Je m’occupe de tout. Il en reste un peu de riz encore dans le sachet. Je vais chercher de légumes chez le marchand et tu verras qu’à midi nous aurons tous à manger.

Au même instant, de l’autre côté de la pièce une voix se fit entendre.

— Parvati.

C’était la voisine du quartier qui se présentait avec de la toile dans les mains.

— Tiens, Parvati. Je t’ai emmené du travail. Ma sœur se marie la semaine prochaine et le plus tôt tu me le livres le mieux c’est. Tiens. Je te règle tout de suite.

—  Mais il n’y a rien de pressé.

— T’inquiète. Faut bien que je te paie.

— Merci. Aussitôt terminé je te l’emmène.

— Au revoir, Parvati.

— Au revoir.

— Tiens, maman. Prend cet argent et va acheter de la nourriture.

Parvati se dirigeait ensuite vers la machine à coudre. Elle avait à peine commencé à travailler quand Dev s’approchait d’elle.

 — Parvati. Il reste quinze jours pour les examens.

— Oh, certainement. Il va falloir régler, n’est-ce pas ?

Dev avait le visage renfermé quand Parvati le rassurait.

— Quel soucie tu te fais, Dev. J’ai tout arrangé.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Tu m’avais dit de te rappeler un peu avant la date.

— Je me rappelle très bien. Maintenant va étudier tranquillement sans te faire du souci.

 

 

 

2

 

Le lendemain, tôt dans la matinée, Parvati se rendit au temple pour prier. Il faisait beau temps et le soleil commençait à se lever. Les chants des oiseaux emplissaient l’atmosphère. Un grand figuier projetait de l’ombre sur l’escalier où se tenait Parvati quand Prem se pointait sur sa bicyclette.

— Qu’est-ce qui t’amène au temple si tôt Parvati ?

— Je suis venue offrir de l’offrande et en même temps demandé Dieu d’aider Dev à réussir à son examen. La réussite de cet examen va lui permettre de trouver un emploi. Et s’il commence à travailler, nous n’aurons plus des soucis à nous faire.

— Ainsi tu pourras te marier avec moi, n’est-ce pas ? Dis-moi que tu es d’accord. Dis le moi, Parvati.

Parvati secoua la tête.

— Nous aurons encore un an à attendre.

— Un an ?

— Entretemps, si ma situation s’améliore, nous n’avons que quelques mois seulement à attendre pour nous marier. Quand je serai prêt, je viendrai parler à ton frère et ta maman. Tu verras, toute notre situation va s’améliorer. Nous serons tous heureux. Toi et toute ta famille. Qu’est-ce que tu en penses ?

— On verra. Laissez le temps faire.

 

 

3

A Sainte-Suzanne, en début d’après-midi, M. Gopal, usurier de son état, montrait à M. Arjun Chatterjee,  des photos des femmes de la contrée.

M. Chatterjee était un homme riche. Il avait perdu sa femme quelques années auparavant et avait demeuré veuf. Il avait la quarantaine et cinq enfants à élever. Il était à la recherche d’une épouse.

 

— C’est quoi toutes ces photos de femmes âgées ? Je t’avais bien parlé d’une femme jeune, belle, élégante, comme une actrice de cinéma. Parmi toutes ces photos, il n’y a aucune qui me plait.

— Mais M.Chatterjee, à votre âge et avec cinq enfants, comment trouver une jeune femme et en plus belle pour vous épouser ?

— Et alors ? Comment ne peut-on pas trouver une jolie femme qui n’aura rien à faire comme tâche dans la maison. Elle sera comme une reine, une poupée de salon. Je la placerai devant moi, sur le lit et l’admirerai toute la journée. Ne peut-on pas trouver une femme qui voudrait bien vivre cette vie de rêve ? Cela m’étonne. Va fouiller la ville de fond en comble, déniche-moi cette femme de rêve. Et surtout ne souffle pas un mot à ma mère, ni à ma sœur, ni à mon frère. Ils sont prêts à tout faire pour me mettre les bâtons dans les roues. Va. Et surtout, ne prends pas trop de temps. Je suis pressé de me marier.

 

 

 

4

Quelques jours plus tard, Parvati s’apprêtait à quitter la maison quand elle rencontrait Dev sur le palier.

 — Tiens, Dev, combien il te faut pour l’inscription à ton examen ? 10000 francs te suffit ?

— 15000 francs pour l’inscription seulement et il faut aussi compter 5000 francs pour les accessoires, Parvati.

— Combien ? 20000 francs ?

— 20000 francs sera bon.

— Bien. Je vais chercher l’argent. Cependant, entre à la maison et attends-moi arrivé et nous irons ensemble au marché. A tout à l’heure.

— A tout à l’heure.

A cette heure matinale, il n’y avait pas beaucoup de gens dans les rues de la ville. Une voiture s’était arrêtée devant la porte d’un usurier. M. Chatterjee descendit et se dirigea vers le propriétaire du magasin.

— Ah ! Te voilà, M. Khanna. Je suis venu récupérer les 50000 francs que tu me dois. Le délai de remboursement est largement dépassé. Je ne peux plus attendre plus longtemps. Tu fais en sorte de me remettre l’argent tout de suite. J’en ai grand besoin. D’abord je dois faire réparer ma voiture qui a des problèmes mécaniques et ensuite même mes chaussures sont usées à force de marcher.

— Je suis navré, M. Chatterjee. Je n’ai pas l’argent pour le moment. Vous devez attendre encore un peu. Mon client m’a promis de me le donner sous peu et je ne peux faire autrement que de l’attendre.

— Tout cela n’est pas mon problème. Des accords ont été passés Mr Khanna. J’en ai grand besoin de mes 50000 francs……..

 — Bonjour M.Khanna, fit Parvati, excusez moi de vous déranger mais j’ai quelque chose de très important à vous dire. Je peux vous parler.

— Je suis occupé Mademoiselle Parvati. Pourquoi ne venez-vous pas dans l’après-midi ?

— Pourquoi la demander de venir dans l’après-midi M. Khanna ? Vous ne savez pas dans quelle difficulté elle se trouve et quel problème elle doit avoir. Occupez-vous d’elle. Je peux attendre. — Asseyez-vous, mademoiselle.

— Laissez-moi terminer avec vous d’abord, M. Chatterjee.

— Pourquoi vous vous souciez de l’argent que vous me devez. M. Khanna. Demandez à cette fille d’abord ce qu’elle a besoin. Allez-y, mademoiselle, dites à M. Khanna ce que vous voulez. J’attendrai. Je ne partirai pas d’ici avant qu’elle ne soit partie.

— Mademoiselle Parvati, suivez moi.

Quand ils se retrouvaient à peu de distance, M. Khanna demanda :

— Que puis-je pour vous ?

— Mon frère va devoir passer son examen final et pour cela afin de payer l’inscription et les dépenses nécessaires j’ai besoin de 20000 francs, M. Khanna.

— Tout cet argent pour un examen, Mademoiselle Parvati.

— Oui Monsieur.

— Je suis vraiment désolé. Je n’ai pas un centime dans la caisse pour le moment.

— Vraiment ? Comment est-ce que je vais faire ? J’avais tellement l’espoir que j’aurai cet argent chez vous. Voyons. Je suis prête à hypothéquer la maison si vous voulez une garantie pour le prêt.

— Non. Mademoiselle Parvati. Croyez-vous que je vais vous demander à hypothéquer votre maison pour vous faire un prêt de 20000 francs. Je vous connais depuis longtemps et je connais votre frère et toute votre famille. Jamais je ne vous refuserai quoique ce soit si j’en avais la possibilité. Si vous pouvez attendre un peu, je suis sûr que je serai en mesure de vous aider. Mais aujourd’hui je ne peux rien faire. Je suis vraiment désolé.  

 

5

Il faisait nuit. La pluie tombait abondamment. Prem dormait quand des coups redoublés résonnaient sur la porte. Il se réveillait en sursaut et se demandait qui était-ce. Quand il ouvrit la porte, il était surpris de voir Parvati.

— Mais qu’est-ce qui t’amène à une heure pareille Parvati, et par un si mauvais temps ? Tu aurais pu attendre demain ou me demander de venir te voir. Personne n’est à la maison. Prends cette serviette et essuies toi les cheveux. Qu’y a –t-il de si important à me dire ?

— Je me suis demandée à maintes reprise si je devais venir ou non. J’ai besoin de te voir le plus tôt possible. C’est pour cette raison que je suis venue.

— De quoi s’agit-il ? Dis-moi.

— Je dois faire le nécessaire pour payer l’inscription de Dev. Là où j’espérais avoir de l’argent n’a plus un centime à me prêter. Il me faut 20000 francs. Est-ce que tu peux me le prêter ?

— 20000 francs ? Où est-ce que je vais trouver une telle somme, Parvati ? Si tu peux savoir combien cela me fait mal de ne pouvoir répondre à ta demande. La première fois tu viens me demander quelque chose et je n’arrive pas à te le donner.

— Ce n’est pas grave. Je me doutais que tu n’as pas cette somme. Si je ne t’aurais pas demandé, Dev m’aurais reproché de ne t’avoir pas consulté avant. Voilà pourquoi je suis venue ici.

 

6

Assis dans un fauteuil du salon de la famille Gopalsingh, M. Kapor s’adressait à la mère en présence de Dev :

— C’est un homme immensément riche. Il veut se marier. Je suis absolument certain que s’il voit votre fille, il deviendra fou.

— Nous sommes pauvres. Pourquoi ne cherche-t-il pas une fille dans des familles riches ?

 — C’est son deuxième mariage.

— Deuxième mariage ? Que-t-il arrivé à sa première femme.

— Elle est morte depuis longtemps.

— Des enfants ?

— Cinq enfants.

— Cinq enfants ?

— Quel âge a-t-il ?

— La quarantaine ?

— Quoi ? La quarantaine ? Cinq enfants. Et vous êtes venu proposer cet homme pour épouser ma sœur ?  Sortez. Je ne veux plus en entendre parler. Je ne veux pas que ma sœur épouse un homme de cet âge, quand même.

— Au moins vous pouvez le voir.

— Non. Pas du tout. Je ne veux pas le voir. Personne dans cette maison ne veut le voir. Sortez.

— C’est comme vous voulez.

 Parvati qui se tenait au seuil de la porte avait tout entendu de la conversation.

— Attendez. Cet homme riche dont vous faites allusion, est-ce que je peux le rencontrer ?

— Pourquoi pas. Bien sur que vous pouvez.

— Pas ici. Demain à cinq heures devant le temple. Je souhaite m’entretenir avec lui.

— Entendu. A cinq heures devant le temple.

— Tu ne dois pas rencontrer cet homme Parvati, dit Dev

— Pourquoi ?

— Personne ne s’intéresse à le connaître.

— Moi, ça m’intéresse.

— Tu es devenue folle.

— Pourquoi. C’est interdit de le voir. Je ne suis pas en train de me marier avec lui. J’ai le droit d’écouter ce qu’il a à dire ; et puis on verra ce qu’il y a à faire.

Il n’y a rien à faire. Tu n’as pas à aller le rencontrer.

— Dev a raison Parvati, dit la mère, ce n’est pas bien d’aller rencontrer un homme que tu ne connais pas.

— Est-ce que vous croyez que cela me fait plaisir de le rencontrer ? Je souhaite écouter ce qu’il a à dire.

— Pas question. M. Khanna, vous n’allez rien faire.

— Si. M. Khanna, rendez-vous demain à cinq heures devant le temple.

Quand ils se retrouvaient à l’intérieur de la maison, la mère demanda :

— Pourquoi tu insistes à voir cet homme Parvati.

— Je vais vous répondre, maman, dit Dev.

— Si tu sais pourquoi, Dev, parles donc.

— Elle veut tout faire pour payer mes études, assumer toutes les charges de la maison quitte à devoir payer un prix fort. Je ne suis pas d’accord avec ce principe. Je ne pourrais jamais accepter l’idée de voir ma sœur sacrifier son bonheur pour notre bien-être.

— Je le ferai pour qui si ce n’est pas pour vous ? Un jour quand tu travailleras tu seras capable toi aussi de t’occuper de tes frères et sœurs. Ils sont encore petits et ont besoin des soins. Nous ne pouvons pas rester les mains croisées et les regarder vivre dans la misère et la souffrance. C’est un homme riche, n’est-ce pas ?

— Je ne peux tolérer une telle union. Jamais. Je ne veux pas te voir te marier avec un veuf âgé.

— Oui, Parvati, dit la mère, tu as sacrifié tout ton temps à élever tes frères et sœurs et tu crois pouvoir trouver le bonheur auprès d’un veuf que tu ne connais même pas et en plus à t’occuper de ses enfants ?

— Faites la comprendre, maman, dit Dev, je crois qu’elle a perdu tout sens de raisonnement.

— Pas du tout. Je suis très lucide et je sais bien ce que je fais. Mais que croyez-vous ? Quand je vais me marier et que j’aurais quitté la maison je ne vais pas me soucier de vous ? Je ferai tout pour que vous soyez heureux. A moins que vous préférez que je continue ma vie de cette manière jusqu’à ce que je tombe et meure. Et si c’est ainsi que vous voulez……..

— Mais qu’est-ce que tu racontes, Parvati. Personne ne souhaite te voir achever ta vie ainsi. Je t’avais dit que je suis prêt à abandonner mes études pour aller travailler mais tu as insisté pour que je continu pour décrocher mon diplôme.

— Bien sûr, avec ton diplôme tu as plus de chance de trouver un travail et aussi aider à prendre soin de la famille. C’est pour cette raison que je tiens à ce que tu achèves tes études. Tes frères et sœurs sont en train de grandir et nous avons toute raison de nous préparer pour les aider.

— Je vais pouvoir m’occuper de toi aussi, ma grande sœur. Tu as fait tellement pour nous.

— Ne t’inquiète pas pour moi, Dev. Tu dois te marier aussi et tu auras une femme et des enfants aussi et tu dois prendre soin d’eux. Tu vois, la vie est un cercle vicieux et personne ne s’y échappe.

—  Ce n’est pas une raison pour vous abandonner. Je reconnais toutes les peines que vous avez données pour s’occuper de nous, tous les sacrifices que vous avez faits. Mais pourquoi vous vous intéressez à un homme qu’on ne connait même pas.

 — J’ai mes raisons, Dev. Un jour tu comprendras.

 — Un jour. Mais qu’y a-t-il à comprendre ?

 — Nous avons toujours vécu dans la misère et si une chance se présente pour pouvoir en sortir je ne me le pardonnerai jamais de ne pas la saisir.

 Pas à n’importe quel prix Parvati. Je t’en supplie, pas à n’importe quel prix. Réfléchie bien avant de prendre des décisions importantes. Tu sais bien combien cela nous fera de la peine si tu te trompes.

 — Fais-moi confiance, Dev.

 

 

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LE JARDIN DU ROI

4 Mai 2020 , Rédigé par Kader Rawat

Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

 

 

Le Jardin du Roi

 

 

En ce début du mois de Novembre de l’année 1848 un fiacre que deux chevaux tiraient le long de la rue royale se dirigeait vers le Jardin colonial où se trouvait le Palais Législatif qui réunit en assemblée extraordinaire la réunion ayant à l’ordre du jour la proclamation de l’abolition de l’esclavage. La rue à cette heure de la matinée était déjà bondée d’une multitude de gens, tous se dirigeant dans la même direction et ayant le même but d’aller accueillir Monsieur le Gouverneur et son cortège qui ne devait pas tarder d’arriver.

Le cocher n’avait autre choix que de ralentir l’allure tant les chevaux étaient à bout de souffle par la chaleur qui s’annonçait que par la transpiration qui se dégageait pour avoir parcouru un long trajet en si peu de temps afin d’être à l’heure au lieu de rendez-vous. Il frayait avec l’adresse habituelle son chemin dans la foule qui grossissait au fur et à mesure que la voiture se rapprochait de sa destination. A l’intérieur se trouvait un homme dont les cheveux grisonnants et le visage marqué de rides indiquait son âge avancé et à son côté une belle jeune femme exprimant l’impatience que démontre généralement une personne ayant la crainte de laisser passer une occasion qui ne se présenterait pas sitôt. Elle se penchait fréquemment à la fenêtre pour essayer de deviner la distance qui restait encore à parcourir et ne pouvait rester insensible aux décors que les belles maisons de style colonial qui se défilaient devant ses yeux hagards et remplis d’admiration laissaient dans son état d’esprit. Quelle était la réelle motivation d’un tel comportement, qu’est ce qui aurait pu entrainer une aussi belle femme à démontrer un tel intérêt à cet évènement politique assez particulier, personne ne pouvait le deviner. Pourtant elle ne se trouvait pas là par hasard et son cœur ne se mettait pas à battre plus fort pour rien en se rapprochant de l’entrée du jardin obstruée déjà par une foule immense qui obligeait le fiacre de s’arrêter pour déposer les deux seuls passagers avant de faire demi-tour.

L’homme descendit en premier au milieu de la foule déferlante ; ensuite il tenait avec une certaine légèreté la femme par la taille pour la déposer avec délicatesse sur les pavés du trottoir.

— Merci père, dit-elle en mettant de l’ordre dans son état, redressant les plis de sa robe, rajustant quelques mèches de ses cheveux agressées par la brise pendant le voyage. 

— Tu vois comment les gens nous regardent ? Ils nous croient mari et femme.

— Nous donnons vraiment une telle impression, père ? 

— Aux yeux des gens qui ne nous connaissent pas, il n’y a pas de doute. Tu sais bien ma fille que tu es grande maintenant et que tu ne passes pas inaperçue. 

En disant cela le père jeta sur sa fille un regard admiratif et était fier de présenter son bras qu’elle tenait pour se diriger vers l’entrée principale du Jardin Colonial. Quelques gardes républicaines étaient présentes pour rétablir l’ordre et frayer un passage au milieu de la foule. Monsieur le Gouverneur et son cortège se rapprochaient. Le roulement des tambours se fit entendre déjà au loin et les régiments d’infanterie et de cavalerie se rangeaient de deux côtés du chemin, écartant ainsi l’attroupement qui créait un brouhaha assourdissant.

— Pressons-nous jusqu’à la Grande Fontaine, père. 

— La Grande Fontaine ?  répliqua le père, stupéfait.

— Oui, père. Tout près de l’arbre aux multiples lianes. 

— Comment sais-tu tout ça Vanessa ? 

— Clément d’Ambreville m’a donné rendez-vous. Il nous trouvera une place privilégiée pour voir passer Monsieur le Gouverneur. Il est de service aujourd’hui. 

Clément d’Ambreville était le fils du riche propriétaire Henri Joseph d’Ambreville, arrivé dans l’île en tant qu’agent de la Compagnie des Indes dans l’année 1761. Il était au service de la Compagnie jusqu’à sa déconfiture en 1767. Retenu dans la Colonie par quelques amis spéculateurs il avait obtenu, grâce à ses relations parmi quelques personnes qui travaillaient dans l’administration royale, la concession de plusieurs hectares de terre encore en friche dans la région de Bagatelle située dans l’Est mais d’une fertilité à faire pousser toutes espèces avec une grande facilité. Il était parmi les premiers colons à poursuivre l’exploitation des cultures des arbres fruitiers et des plantes légumières qu’il vendait à des prix intéressants à la population. Ces espèces de première nécessité avaient besoin d’être plantées dans toutes les régions de l’île afin de fournir aux gens qui s’y rendaient pour travailler de la nourriture. L’occasion ne pouvait pas paraître plus propice pour donner une dimension à l’exploitation de ces cultures. D’autres cultures telles que les épices, aromatiques, médicinales succèderaient et propulseraient définitivement les exploitants à des gains pécuniaires considérables.

Aux faites, dans un premier temps, il était important à ces spéculateurs, dans le domaine agricole, de créer plusieurs pépinières qui serviraient de réservoirs d’une très grande variété de plantes destinée à être répandues dans toute l’île. Henri Joseph d’Ambreville avait su s’y prendre pour avoir une longueur d’avance sur plusieurs de ses concurrents.

Pendant que les colons commençaient à arriver et à exploiter les terres encore en friches reçues en concession Henri Joseph était parmi les rares fournisseurs en espèces végétales qui seraient en mesure de répondre aux demandes des clients pressés à alimenter leurs propriétés, champs, domaines de ces cultures qui, ils étaient bien persuadés, allaient faire leur fortune. Pendant la période de la révolution française quand les activités ralentissaient considérablement Henri Joseph avait cumulé déjà une fortune immense qu’il allait placer en ville dans une banque où il acquit une notoriété qui faisait toute sa fierté. Sa fortune établie, il ne trouva aucune peine à rencontrer la fille qu’il ferait sitôt sa femme et qui n’était autre que la fille du banquier qui s’occupait de son compte et qui l’aidait aussi en quelque sorte à gérer sa fortune. Cette fille encore jeune et bien belle lui donna en tout neuf enfants élevés tous dans la tradition et ayant tous reçus une bonne éducation qui les avait aidés considérablement à prendre les meilleures décisions dans les occasions importantes de la vie. Clément, le dernier, né juste après la signature du traité qui fit les Anglais quitter définitivement l’île était le préféré. Après avoir quitté l’école polytechnique avec succès et diplômes il avait choisi de devenir militaire malgré que sa mère le persuade de prendre autre chose. Elle nourrissait la crainte de perdre son fils sur le front comme elle en avait déjà perdu un frère lors des affrontements contre les anglais quelque temps de cela.

Clément d’Ambreville était un célibataire endurci. Il aimait fréquenter les bonnes sociétés, se faisait inviter dans des maisons ayant acquises une haute réputation, fréquentait les officiers de la garde républicaine et de la marine. Il se rendait souvent à la rade de Saint-Denis pour rencontrer quelques amis avec lesquels il allait passer des soirées dans des cabarets, des hôtels ou des théâtres où un artiste de renom venant de France présentait un spectacle. C’était ainsi qu’il avait rencontré Marie-Hélène de La Chaumière alors qu’elle apparaissait dans la loge en compagnie de la Marquise de la Savane, femme dont la réputation dans l’île plaçait bien au-dessus de toutes les sociétés. Marie-Hélène était une de ses beautés qui rendait fou les hommes dont le regard accrochait le sien. Son visage qui exprimait la douceur, ses yeux remplis de tendresse, son nez aquilin, relevé au bout pour la donner un air de princesse, laissaient pantois chacun de ses admirateurs qui étaient comme foudroyés par une telle apparition. Ce qui fut arrivé à Clément ce soir où leurs regards s’étaient croisés alors que dans la salle encombrée de personnalités la musique de Vivaldi coulait à flot, pénétrant dans chaque recoin de sa cervelle, éveillant dans son cœur les fibres sensibles de l’amour, les iris de ses yeux restaient figées devant une beauté qui allait hanter son imagination jusqu’au moment où le désir d’aller l’adresser la parole dans sa loge en présence de la personne qui l’accompagnait eut été assouvi. Marie-Hélène n’avait que dix-huit ans et son cœur s’était mis à battre comme elle ne l’avait jamais ressenti avant. Etait-ce l’amour qui pouvait déclencher une réaction pareille dans un cœur encore vierge et qui ne s’était jamais battu pour autre chose que pour satisfaire ses propres désirs tout le long de sa vie qui n’avait rien de particulier jusqu’au jour où ce même cœur se transforma à jamais par le flux de l’amour injecté par ses regards étincelants et remplis d’admirations lancés par Clément. Deux cœurs s’étaient rencontrés, s’étaient conversés dans le silence, s’étaient invités, s’étaient acceptés sans aucune condition. L’amour est né de cette rencontre. Ils s’étaient rencontrés en plusieurs occasions dans des endroits discrets sans pour autant mettre en péril la réputation de la jeune fille et c’était ainsi que lors de leur dernière rencontre Marie-Hélène avait eu cette invitation de se rendre devant le jardin colonial.

Le père qui voulait faire plaisir à sa fille ignorait complètement cet état de chose. Il était tout de même curieux de savoir qui était cet homme qui semblait avoir conquis le cœur de sa fille qu’il chérissait et surveillait tout le temps.

Vincent-François de la Chaumière suivait sa fille en cherchant dans la foule l’homme qui allait leur montrer le chemin. Cette idée ne le faisait pas plaisir que d’être complice et témoin de la rencontre arrangée entre sa fille et un homme qu’il ne connaissait pas du tout. Mais en imaginant que c’était dû à la naïveté et à l’innocente décision prise par la personne qu’il aimait le plus au monde il se ressaisit et suivait sa fille déjà prise d’un engouement et d’un enthousiasme démontré par la précipitation avec laquelle elle s’enfouissait dans la foule. Il avait du mal à la suivre et malgré la marée déferlante qui mettait tout le monde en ébullition il parvenait à se hissait à sa hauteur pour la protéger et pour se mettre à ses côtés en attendant l’arrivée du cortège.

Au même moment quelques cavaliers surgissaient de la foule et un passage de deux mètres de large était créé quand un des cavaliers aperçut Helene. Il fraya un chemin, dégagea les gens qui obstruaient et invita Helene et son père de le suivre. Ils traversaient le grand portail en fer forgé du Jardin Colonial et se dirigea le long du grand bassin avant d’atteindre un podium récemment monté et occupé déjà par quelques notables de la ville. Un monsieur portant redingote et chapeau haut de forme qui, semblait-il, avait déjà été prévenu de leur présence les accueillit et les plaça dans un endroit sur le podium où la vue était dégagée et où ils pouvaient, à l’écart de la foule déchainée qui criait « vive le roi », admirer Monsieur le Gouverneur et son cortège se dirigeant vers le Palais Législatif.

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UN MEURTRE INAVOUÉ

4 Mai 2020 , Rédigé par Kader Rawat

Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

 

 

Un meurtre inavoué

 

Cette histoire n’aurait jamais dû voir le jour jusqu’au moment où il me fut arrivé ce qui bouleversa ma vie toute entière. Je ne sais pas encore par où commencer et pourtant ce n’est pas l’envie qui me manque de tout dire en même temps. Mais je sais aussi que ce n’est pas possible et que je dois trouver un commencement.

Pourquoi ne pas le commencer par le jour où il me fut arrivé ce grand malheur, oh ne serait-ce qu’à y penser je me sens malade comme un dingue. Un jour pas comme les autres où des signes déjà m’avertissaient que des choses terribles puissent arrivées et que je n’avais pas tenues compte, des signes significatifs qui marquaient l’imagination quand l’on prend du recul pour les revoir avec un esprit tranquille, posé.

C’était un jeudi. Depuis la veille il avait été décidé que, mon grand frère étant souffrant, je devais transporter les marchandises remplies déjà dans la camionnette au grand marché de la ville. Il était 3 heures du matin quand mon père était venu me réveiller. La pluie tombait à verse et les orages tonnaient, suivis des éclairs. Je n’avais pas de choix quoique je n’aie pas l’habitude de conduire la nuit. Je voulais me rendre utile. Depuis que je suis rentré de la métropole où j’étais allé compléter mes études sur les marketings je n’avais pas eu beaucoup l’occasion de m’impliquer directement dans les affaires familiales et cela ne me gênait pas du tout de me voir assumer une responsabilité quasiment à ma porter tant je voulais faire plaisir à mon père qui avait dépassé largement l’âge de la retraite mais qui était encore actif, ce qui faisait toute mon admiration à son égard. Ma mère ne semblait pas tout à fait d’accord que je me hasardais ainsi dans une telle aventure mais sa réticence me faisait comprendre qu’elle avait peur qu’il ne m’arrive malheur. J’étais un peu sa préféré, sa lumière, sa raison de vivre et je le savais et le sentais dans toutes les attentions particulières qu’elle portait à mon égard. Nous étions au nombre de quatre frères et quatre sœurs et j’étais le benjamin.

Je n’avais pas hésité une seconde d’écarter la couverture et de quitter le lit pour me rendre dans la salle de bain. Quand je traversais le couloir envahi par l’obscurité je pouvais entendre le bruit de la pluie sur les tôles ondulées. Une grande partie de la maison est en dur. Mon père en avait, durant toute sa vie, apporté des améliorations afin de rendre notre vie confortable. D’une petite maison en bois sous tôle existante déjà quand il avait fait l’acquisition du terrain une trentaine d’années de cela il en avait fait une superbe villa qui ne laissait pas insensible les voisins et les gens de proximité. J’avais connu les années où l’on utilisait encore la lampe à pétrole et la bougie avant l’arrivée de l’électricité qui était un des évènements marquants de notre vie quotidienne. Mais quand il pleuvait à verse et des éclairs et des orages étaient fréquentes comme cette nuit-là nous éteignions toutes les lumières par peur qu’il n’y eut des courts circuits qui pouvaient endommager les installations électriques.

En entrant dans la salle de bain j’appuyais sur le commutateur et me fis inonder de lumière. Je ne restais pas longtemps devant le lavabo. Je pris une douche et me préparais pour sortir la camionnette. Ma mère était déjà dans la cuisine. Elle voulait absolument que je mets quelque chose dans l’estomac avant de partir. Père était dans le garage à vérifier que les caissons des légumes étaient bien attachés et qu’il ne manquait rien.

Je suis allé dans la chambre de mon grand frère pour voir comment il se portait. Une veilleuse diffusait une fine lumière. Il dormait profondément et faisait de la température. Des flacons de médicaments à moitié vides étaient posés à son chevet. J’avais quitté la chambre en fermant la porte doucement. Je me rendais à la cuisine. Après avoir bu une tasse de café bien noir, mangé une tranche de pain et de la confiture je descendais joindre mon père qui avait déjà démarré la camionnette et laissé tourner le moteur.

Une Peugeot 304 encore en très bon état. Elle été achetée une année de cela et tous les services d’entretiens étaient effectués et même assurés par le concessionnaire concerné. Je ne l’avais pas conduit beaucoup de fois pour la simple raison que je n’étais pas dans l’île ce dernier temps. De toute façon je ne ne l’aurais pas conduit beaucoup étant donné que nous avions une BMW pour les sorties.

Je quittais la maison par une pluie torrentielle, des éclairs suivis des orages. Les routes étaient pentues et tortueuses. Mon père m’avait rappelé la prudence quoi que je sache que par un temps pareil je devais appliquer à la ligne toutes les règles de conduite.

Les essuie-glaces chassaient l’eau sur le pare-brise tandis que j’essayais de distinguer la moindre trace de la route en suivant les raies de lumière que projetaient les phares. Je ne pouvais fixer mon attention que sur les rangés des arbres qui longeaient les deux côtés de l’étroit chemin sinué qui était inondé déjà d’abondante eau qui dévalait la pente. Le véhicule chargé de marchandises n’était pas facilement maîtrisable et j’avançais avec prudence en ralentissant au maximum pour négocier les virages. Les brouillards qui s’élevaient dans certains endroits rendaient la visibilité plus difficile. J’avais perdu énormément de temps et quand je m’étais engagé dans la ligne droite j’avais accéléré pour attraper mon retard. La lueur du jour ne tarderait pas à poindre et j’avais encore du chemin à parcourir avant d’atteindre ma destination. Dans ce parcours que je m’étais engagé la confiance commençait à s’installer en moi-même au moment où le temps donnait des signes d’amélioration. La pluie avait cessé mais certains endroits étaient enfouis encore dans les brouillards. Je finissais de traverser un pont étroit et à peine le véhicule commençait à prendre de l’élan qu’une ombre se dessinait au milieu du chemin. J’avais juste le temps de freiner pour ne pas atteindre l’obstacle. C’était trop tard. J’entendis un bruit fracassant. La camionnette allait s’immobiliser bien plus loin au milieu de la route. Le silence était complet. Le moteur était coupé mais les feux étaient restés allumer. Je descendis du véhicule pour me diriger vers le lieu de l’accident. A ma stupeur, je trouvais le corps inerte d’un homme qui gisait sur la chaussée. Je tâtais les pouls et m’étais consterné de constater qu’il n’y avait pas de signe de vie. Que faire ? J’étais pris de panique. Pour ne pas laisser de trace du meurtre que je venais de commettre je trainais le corps jusqu’au précipice et le balancer sans la moindre hésitation. Quand je démarrais le véhicule la pluie avait commencé à tomber. Je pensais que ce n’était pas plus mal puisque toutes les traces seraient effacées. Je me sentais envahi par un sentiment de culpabilité qui tourmentait déjà ma conscience. Je n’avais plus la tête en place et je savais que cela allait me compliquer l’existence. Comment continuer à vivre paisiblement quand une telle chose nous est arrivée ? Comment ? 

 

© Kader Rawat

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Une vie antérieure

4 Mai 2020 , Rédigé par Kader Rawat

 

Une vie antérieure

 

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

 

C’était par une de ces nuits noires et lugubres du mois de décembre de l’année 1955, quand une voiture s’engageait dans les côtes pentues de la route de Salazie. Sur le siège arrière deux passagers étaient inquiets par ce temps affreux où une pluie diluvienne s’abattait dans la région. Le vent soufflait avec intensité et les éclaires et les orages s’ajoutaient à rendre le trajet vers le petit village difficile. Les rampes sinueuses et les courbes où dévalait l’eau des pluies devenaient impraticables. La voiture négociait les tournants avec un moteur surchauffé tandis que les roues patinaient dans les nids de poules que les cours d’eau avaient creusés. Le chauffeur qui connaissait bien la région pour l’avoir traversée à maintes reprises connaissait les difficultés du trajet mais il avait besoin de gagner sa vie en prenant des risques. C’était son métier et il gardait son sang froid pour ne pas paniquer davantage ses clients. Une course pareille il n’en gagnait pas beaucoup et encore fallait-il casser le prix pour faire jouer la concurrence. Il n’aimait pas trop cela mais que pouvait t-il faire face à une vie difficile dans laquelle il ne cessait de se battre pendant des années en quittant sa demeure tôt le matin pour ne rentrer que bien tard le soir.

— Y a t-il pour encore longtemps chauffeur pour atteindre le village ?  demanda l’un des deux passagers qui ne semblait pas trop aimer ce voyage.

 — Il reste encore quelques kilomètres à parcourir monsieur et la mauvaise visibilité ne me permet pas d’avancer plus vite. 

— Pourtant nous n’avons pas de choix si nous ne voulons pas rester coincer dans cette région qui ne me semble pas saine du tout. Vous ne pouvez pas rouler plus vite que ça ? 

— La route est glissante et les précipices profonds. Je préfère rester vigilent, monsieur. Et puis, plus on avance en altitude plus le brouillard devient épais et entrave la vue. J’ai une femme et des enfants, monsieur, pour ne pas me montrer prudent dans de telle circonstance. 

L’autre homme qui gardait le silence tout ce temps essayait de regarder à travers la vitre de la voiture. Il n’était pas moins inquiet en constatant par les brèves apparitions des éclaires que les branches des arbres se pliaient, que la pluie fouettait contre la tôle de la voiture en faisant un bruit fracassant.

— Il ne devait pas être trop tard, dit-il, nous aurons tout de même le temps d’atteindre le village avant minuit. 

— Minuit ? C’est déjà bien tard, rétorqua l’autre. Le malade ne tiendra pas si longtemps. J’aurais dû être là-bas avant ce soir et voilà, je suis encore là. 

 Ecoute, répliqua le chauffeur, dans ce cas je vais essayer de voir ce que je peux faire mais je ne vous promets rien ? 

 A peine avait-il prononcé ces mots et après avoir roulé quelques centaines de mètres que la voiture se trouvait face à une motte de terre causée par un éboulis. Impossible d’avancer plus loin.

— Pas vrai, exclama l’homme pressé. Pas maintenant. C’est que nous n’avons vraiment pas de chance. 

— Ne bougez pas, messieurs, je vais voir ce que je peux faire. 

Le chauffeur quitta sa voiture pour aller constater sur place ce qui en était. La route était obstruée par un énorme éboulis.

— Rien à faire, messieurs. Je dois aller chercher de l’aide au village pour dégager le chemin. Vous ne pouvez pas vous hasardez dans ces sentiers dangereux. Vous ferez mieux m’attendre dans la voiture pendant mon absence. 

Les deux messieurs se regardaient avec hébétude, n’imaginant aucunement rester les bras croisés dans ce lieu sinistre.

— Il n’y a aucune habitation dans le parage ?  demanda l’un d’eux.

— Oh ! Si le temps se détériore, ne restez pas dans la voiture. Je vous conseille d’aller vous abriter dans la vieille maison coloniale qui ne doit pas se trouver trop loin. Un sentier à votre droite vous y emmène. Vous serez plus en sécurité là-bas. J’ai bien peur que nous ne pouvons pas reprendre la route sitôt.

En disant cela le chauffeur disparut dans la pénombre.

 

La pluie continuait à tomber plus fort et les éclairs déchiraient le ciel en même temps que le tonnerre grondait. Ce n’était pas prudent pour ces deux personnages d’attendre plus longtemps dans la voiture. Ils décidaient de suivre le conseil du chauffeur et d’aller prendre refuge dans la maison qui ne se trouvait pas trop loin. Avec l’aide d’une lampe de poche retrouvée dans la boite à gants, ils quittaient la voiture sous une pluie torrentielle. Heureusement qu’ils étaient aidés par les éclairs et retrouvaient vite le sentier dont les avait parlé le chauffeur et après avoir marché pendant une demi-heure ils aperçurent au loin une vieille bâtisse dont seulement le toit retenait leur attention. Ils accrochaient leur regard dans la direction où se trouvait la demeure jusqu’à ce qu’ils parvinrent à l’atteindre après avoir traversé des obstacles que l’eau qui dévalait dans le sentier leur posait. Cette nuit noire comme de l’encre n’était pas d’un bon présage et les bruits sinistres qui leur parvenaient éveillaient en eux une frayeur, des craintes que des évènements imprévisibles pouvaient leur causé des torts. En tout cas pour le moment dans la situation où ils se trouvaient ils n’avaient pas d’autres alternatives que de suivre leurs instincts et se laisser guider par le chemin que leur destin les avait réservés.   

 

 

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©Kader Rawat

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LE MONDE DES MORTS

4 Mai 2020 , Rédigé par Kader Rawat

 

Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite

 

Le monde des Morts

 

 

DEPUIS UN CERTAIN TEMPS JE L’AVAIS REMARQUÉ QU’IL VENAIT M’EPIER COMME S’IL ATTENDAIT L’HEURE. A CHAQUE APPARITION JE RESTAIS FIGÉ, LES YEUX GRANDS OUVERTS. JE NE POUVAIS RIEN PRONONCER. AUCUNE PAROLE NE SORTAIT DE MA BOUCHE. J’AVAIS PEUR. UNE FOIS IL ETAIT RESTÉ PLUS LONGTEMPS QUE D’HABITUDE ET AVANT DE ME QUITTER IL M’AVAIT SOURIT. IL EST VENU POUR ME CHERCHER. JE LE SAVAIS MAIS JE NE POUVAIS LE DIRE A PERSONNE. JE NE SAVAIS PAS CE QUI M’EN EMPECHAIT MAIS C’ETAIT AINSI QUE CELA S’EST PASSÉ. LE SOIR OU IL EST VENU PRENDRE MON AME J’AVAIS SENTI QUELQUE CHOSE QUI GLISSAIT A L’INTERIEUR DE MOI POUR SORTIR A JAMAIS DE CE CORPS QUI L’ABRITAIT SI LONGTEMPS. C’EST LA PHASE LA PLUS DIFFICILE POUR UN ETRE VIVANT. C’EST UN MOMENT CRUCIAL. DES FOIS CA SE PASSE BIEN !!!!!!

 

 

Je me suis retrouvé à côté de mon corps et je le regardais entrain de dormir d’un sommeil paisible. Le réveil à cadran lumineux posé sur le chevet indiquait 3 heures du matin. La chambre était plongée dans l’obscurité et seule la lueur provenant de la fenêtre qui donnait sur la rue permettait de voir un vieillard de 75 ans allongé sur un lit deux places. Ma femme Katize, cinq ans de moins que moi, dormait sur l’autre lit dans la même pièce. Elle ne savait pas encore que je suis mort. Elle s’était occupée de moi sans jamais ronchonner et s’esquintait jusqu’au dernier moment à me donner mes médicaments, à prendre soin de moi avec amour et patience. Je me suis avancé pour la contempler dans son sommeil, ce que je n’avais pas fait depuis si longtemps. Je ne sais pas encore pour combien de temps je serais là pour la regarder. La seule certitude que j’avais c’était que j’étais mort surement parce que mon cœur s’était arrêté de battre ou que j’avais cessé de respirer. Personne ne savait encore et la dernière conversation que j’avais eu avec ma femme remontait à quelques heures de cela quand je l’avais dis que je n’en pouvais plus, que je me sentais de plus en plus faible, que je ne tiendrais pas longtemps. Elle m’avait regardé avec des yeux larmoyants comme pour me faire comprendre qu’elle le savait et qu’elle ne pouvait rien faire pour améliorer ma situation. Des larmes s’étaient échappées de mes yeux et des bribes de souvenirs du passé s’étaient refoulées à ma mémoire. Que peut représenter 75 années d’existence qui s’achevait dans la grande nuit de la bénédiction. Nous étions dans un mois béni du calendrier musulman et mourir dans une telle nuit reste parmi les vœux les plus chers des croyants. Que demander de plus. Ce que Dieu Tout Puissant a décidé nous devons l’accepter comme tel. A peine je me posais la question de ce que je faisais là puisque je suis mort et je devais monter déjà au ciel quand deux anges se rapprochaient de moi pour me dire que j’attendrais là pendant quelques jours, le temps pour eux d’en prendre la vie de quelques uns dans la région, notamment une vieille femme agonisante en haut dans la montagne, un jeune homme souffrant de la tuberculose, une femme prostituée ayant contractée le sida. Je me suis approché de ma femme. Je savais qu’étant mort tout lien est rompu avec elle. Je me demandais comment elle allait réagir quand elle allait constater que je suis mort. Je préférais la voir dormir à jamais pour ne pas avoir à souffrir en constatant que je n’y suis plus. Je ne voulais pas assister à ses douleurs. Elle a toujours été une femme forte même dans des moments difficiles. Si elle était partie avant moi je ne l’aurais pas supporté. Je n’avais pas ce courage à affronter la vie dure comme elle me l’avait appris à le faire à ses côtés. Quelle femme admirable ! Et dire que je la laissais toutes seule pour partir. Si dans le destin il est écrit que çà doit se passer ainsi on doit l’accepter. Le temps ne compte plus pour moi. L’heure s’est arrêtée et dans le monde où je me trouve toutes les données ont changé. Mais je peux consulter l’heure du monde des vivants. 4 heures indique le cadran. Ma femme continuait à ronfler. Quand elle est fatiguée elle a la respiration lourde. Elle ne doit pas tarder à se réveiller pour faire la prière qu’elle ne manque jamais sauf quand elle est bien malade, ce qui lui arrive rarement. La pièce que nous occupions était spacieuse. En plus de deux lits, il y avait une armoire quatre battants en bois de tamarin qui datait des années quarante. Une psyché, deux autres armoires en bois étaient rangés contre la cloison qui donnait sur la chambre d’à côté où dormait ma grande fille Gauri. Elle était venue habiter à la maison depuis une semaine quand elle avait apprit que mon état de santé se détériorait. Elle habitait dans le sud à Saint-Joseph. Son époux est commerçant en textile et s’occupe des enfants qui fréquentent déjà le lycée. Ils devraient venir le samedi soir me rendre visite. Nous sommes le vendredi matin. Ah ! Mes petits enfants qui m’ont donné tant de joies et avec qui j’ai passé de moments si agréables. Ils vont me manquer tellement. Si j’ai la possibilité de jeter un coup d’œil sur eux combien cela me ferait plaisir. Mais je ne sais pas encore comment ça va se passer. Je ne fais que mon entrée dans le monde des morts et j’attends qu’on s’occupe de moi. Je n’étais pas pressé. Je m’étonnais de la facilité avec laquelle je me déplaçais. Je pouvais prendre de la hauteur, monter jusqu’au plafond et avoir une vue d’ensemble de la pièce de n’importe quel endroit je me trouvais. En essayant de m’éloigner de mon corps je constatais que je traversais les cloisons et passais d’une pièce à l’autre sans la moindre difficulté. J’étais devenu une âme qui erre. C’est comme cela qu’une telle démarche est interprétée dans le monde des vivants. Mais moi je ne dois pas être une âme errante. Je ne suis pas mort avant l’heure ni d’une autre mort que naturelle. Je suppose que cela doit être ainsi. Autrement je n’en vois pas d’autre explication. J’éprouvais de la frayeur quand même. Pour moi c’est comme une naissance d’où l’on doit commencer à tout apprendre.

®Kader Rawat

 

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