IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 12
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 12
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
Antonio quitta le pavillon pour se diriger vers une cabane qui se trouvait à la lisière des bois. Il connaissait si bien la région que malgré l’obscurité totale, il n’éprouvait aucune peine de s’avancer dans le sentier boueux. Une faible lumière de la fenêtre de la cabane où il devait se rendre lui retenait l’attention et lui indiquait la direction vers laquelle il devait se diriger. Le chien qui pour habitude le suivait partout, courait devant lui en aboyant des fois pour marquer sa présence.
Antonio retourna joindre Charles peu après. Il emmenait avec lui un bol de maïs bouilli, des patates et de la viande. Charles avait si faim qu’il en mangeait autant qu’il en voulait ; il ne cessait de remercier Antonio de l’attention qu’il lui témoignait. Il se souvenait ce qu’il avait lu dans les actes des apôtres sur le bon Samaritain. Charles pensait qu’on ne pouvait trouver bonté, générosité et sagesse que parmi les gens qui ont la foi en Dieu. Rien au monde ne peut les intéresser si ce n’est pas de vivre dans l’unique but d’aider son prochain sans jamais songer aux avantages de ce monde. Ils cherchent plutôt la récompense spirituelle et à la vie éternelle dans l’au-delà.
Charles était allongé tout près du feu. Il était enfoui dans le creux d’un sofa moelleux. Il était sous les regards inquisiteurs d’Antonio quand il sombra dans un profond sommeil, effet d’une journée de fatigue, d’un repas bien fringale et de l’arak qu’il avait bu.
Pendant que Charles dormait durant cette nuit lugubre, tonnerres, éclaires et pluies, se succédaient, ravageaient la terre obscure jusque dans ses entrailles en faisant des bruits fracassants. Antonio était pris d’une manifestation indicible qui lui donnait de peine ; il s’infiltrait dans un monde qui lui rappelait la partie de sa vie qui lui avait donné du bonheur ; cela se passait bien longtemps en compagnie d’une femme qui lui avait témoigné de l’intérêt, de l’estime, d’amour et qu’il perdit affreusement dans une tempête ; elle lui aurait laissé un fils qu’il confiait, dans le désespoir, dans le noir chagrin, dans ses peines à des étrangers qu’il n’avait même pas demandé le nom. Jamais après avait-il eu des nouvelles de cet être ; il savait qu’il devait se trouver quelque part dans le monde et ignorait qu’un père attendait son retour et ne finissait pas à se maudire pour l’avoir séparé de lui dans un instant où la douleur de la vie était insupportable, atroce.
En regardant Charles dormir sur le sofa, sous les reflets ardents du feu qui embrasait la cheminée, Antonio ne pouvait pas s’empêcher d’imaginer que le Seigneur, qu’il n’avait cessé d’implorer dans des ferventes prières de lui rendre son fils, avait enfin exaucé ses vœux. Il se déplaçait avec transport, avec une vigueur de jeunesse que seule la joie, le bonheur, l’intérêt pouvaient provoquer. Il allait chercher une couverture épaisse dans la chambre contiguë et vint l’étaler soigneusement sur Charles qui était recroquevillée, ce qui démontrait, malgré les flammes jaunâtres, que le froid se faisait sentir.
La présence de Charles apparaissait à Antonio comme le témoignage d’un passé auquel il avait toujours essayé de se cramponner et lequel lui refoulait à l’esprit les séquences de cette vie tumultueuse qu’il avait vécue longtemps, dans une jeunesse qu’il ne cessait jamais de regretter. L’édifice construit par une longue vie, se dresse souvent si magistralement devant soi que pour la contempler, nous devrions faire des énormes efforts sans bien sûr nous empêcher de réaliser, d’imaginer combien cela nous avait été pénible de surmonter les pentes de la vie.
Rien ne pourrait paraître plus doux, plus réconfortant, plus encourageant à un homme qui commençait à entrer en âge de constater dans la plus grande réalité et avec un esprit rempli de projets, la venue d’un être qu’il avait tout le temps de sa vie attendu.
Evidemment les coups qui lui furent portés tout le long de son existence où il n’avait pu, au milieu des troubles et des turbulences, que rencontrer échecs, déceptions, peines, l’avaient endurci le cœur de sorte à lui faire trouver la paix, le sens même de la vie dans sa propre conception de vivre pour soi-même et pour personne d’autre.
Au milieu d’une famille aveuglée par les gains de richesse, par l’avidité de fortune, par la soif de gloire, par des préceptes démontrant non seulement de la barbarie, de l’impudence, de la monstruosité mais aussi de la vulgarité, de la hargne, de la témérité, Antonio, après une journée passée dans des divers labeurs, où les coups de fouet vinrent le mutiler le dos, se permettait, pour oublier la furie d’une journée, de se promener dans le bois pour se débarrasser de l’atmosphère pestiférée qui lui étouffait l’existence et profiter, dans des prés et des landes, de l’air pur, de la liberté enfin, pendant une courte durée de sérénité, de calme, où ni des voix élevées ne pouvaient venir lui harceler la cervelle, ni des spectacles atroces lui obséder la vue.
©Kader Rawat
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 11
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 11
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
Les quelques bougies qui éclairaient les pièces étaient suffisantes pour présenter à Charles l’intérieur de l’habitation. Il fut étonné de découvrir des beaux meubles qui embellissaient la pièce.
– Changes les vêtements si tu ne veux pas attraper une maladie, dit le contremaître, il y en a plein dans le placard qui pourra te convenir. Je vais allumer du feu pour que tu puisses te réchauffer. Il fait un froid intense.
Comment devrais-je vous remercier, Monsieur, lui dit Charles, pour l’attention que vous me témoignez?
Dit donc, dit le contremaître, comment tu t’appelles déjà?
Charles, Monsieur, Charles Duvillet. Je viens du quartier de Montagne Longue.
– Tu n’es pas un bâtard, je suppose.
– Non monsieur. Je suis un pur blanc.
– Si tu es un pur blanc, cesses de m’appeler Monsieur, je me nomme Antonio.
Comme vous voulez Antonio, répondit Charles, en lâchant quelques éternuements qui annonçaient un rhume imminent.
– Ah ! Seigneur Jésus. Débarrasse-toi de tes vêtements mouillés sinon tu risques de ne pas pouvoir te lever demain matin.
Charles se dévêtit à la lueur d’une bougie placée au coin de la chambre. Il cherchait dans le placard le vêtement qui lui plaisait. Des pensées tristes émanaient de son esprit attaché au foyer maternel. Cela apportait à son visage des inquiétudes qu’il ne parvenait pas à dissiper. Il gardait l’espoir de ramener quelque source de consolation pour la nostalgie qui lui avait pris tout d’un coup de s’être séparé de ses parents. Il pensait à la fille qu’il était venu voir et se disait qu’elle ne devait pas se trouver bien loin, ce qui pourrait lui donner l’occasion de l’approcher, de lui parler, d’admirer ses grâces, d’entendre sa voix.
Charles menait un conflit contre son imagination confuse et obsédante. Il se faisait de reproche en mettant ses parents dans des tourments pour son absence de la maison ; son escapade nocturne, un caprice qu’il n’avait jamais imaginé, lui aurait entraîné dans des aventures inespérées.
La pluie tombait abondamment, fouettait contre les vitres, crépitait sur le toit avec un bruit assourdissant. Charles se sentit soulagé en imaginant que ce temps pourrait faire ses parents comprendre la raison de son absence. L’orage grondait dans la nuit noire comme de l’encre et les éclairs déchiraient le ciel avec acharnement. Le temps semblait vouloir se venger contre la nature pour quelques fautes commises dans le passé.
Le feu qu’Antonio avait allumé commençait par répandre une chaleur dans les chambres. Les bois brûlaient vivement dans la cheminée et les flammes jaunâtres dansaient dans un rythme singulier.
Antonio ne pouvait deviner l’affliction qui s’était emparée de Charles. Il s’était confiné dans ses pensées lugubres que seule la solitude pouvait faire surgir de son ampleur dans le but de lui apporter le maximum de confort. Il avait installé un sofa tout près de la cheminée pour qu’il vienne s’y asseoir. Il s’inquiétait déjà de ce qu’il allait préparer pour le repas.
Charles, pensa-t-il, devait avoir faim. Mais où est-il passé?
Au moment où Antonio s’apprêtait à se lever pour aller chercher Charles, ce dernier apparaît devant la porte comme un spectre dans un habit qui lui avait complètement transformé par l’exagération de la taille et par la grandeur des manches et des épaulettes.
– Ah! Te voilà enfin, dit Antonio, viens t’asseoir sur ce sofa. La chaleur te ranimera le teint. Tiens. Bois quelques gorgées de l’arak. Cela va te réchauffer.
Evidemment Antonio tira de la poche de sa veste une bouteille à demi remplie qu’il tendit avec précipitation à Charles comme pour se réjouir de quelques bonnes actions.
Charles était étonné de ce geste de générosité ; dans un élan qui lui fit confondre anxiété et douceur il saisit entre ses mains la bouteille et bût deux bonnes gorgées qui lui firent faire des grimaces. Il sentait déjà les flammes lui montaient au visage.
©Kader Rawat
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 10
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
Un après-midi il se promenait dans le bois sans but précis ; la chaleur était accablante, Charles, connaissait bien la région et décidait de faire un détour pour se diriger vers une digue à l’intersection d’une rivière, à l’arrière de la propriété d’une famille bourgeoise. Il marchait nonchalamment sur la berge couverte d’herbes sauvages que les pieds foulaient rarement. Il était silencieux comme à ses habitudes, furtif pour ne pas effrayer les gibiers ; il gardait les oreilles tendues aux moindres bruits qui pourraient attirer son attention. Avant même d’atteindre son but où il pensait pouvoir se rafraîchir par un bon bain il sentit la présence humaine aux alentours.
Les expériences qu’il avait acquises pendant de longues heures passées au fond des forêts l’aidaient à n’éprouver ni peines, ni difficultés pour deviner l’approche d’un danger ou l’existence des pièges dans les parages tant ses flairs ne pouvaient lui tromper et ses perceptions ne pouvaient lui mettre en doute.
Ce jour-là, il ne parvenait pas à comprendre ce qui se passait à peu de distance d’où il se trouvait ; ses idées étaient brouillées par des manifestations incompréhensibles. Il apercevait son imagination titiller par l’instinct qui lui prévoyait quelque moment de réjouissance dont il devait s’attendre. Charles avançait vers la digue avec précaution. Il écartait les feuilles des broussailles qui lui obstruaient la vue, pour voir le bain que prenait une belle jeune fille. Ce spectacle exerçait sur lui un effet qu’il ne pouvait décrire. Ses yeux étaient hagards et avides. Il ne parvenait pas à détacher ses yeux de la cible tant ils étaient rivés sur ce corps souple et élancé. La peau douce et blanche resplendissait dans un soleil ardent et sur laquelle des gouttes d’eau apparaissaient comme des perles.
En demeurant longtemps à admirer avec joies cette jeune fille dont la beauté lui rendait fou, Charles dégustait dans le silence et avec frayeur le meilleur moment de sa vie. Il acceptait tous les péchés pour ce spectacle qui s’offrait à ses yeux. L’effet qu’avait causé sur Charles la présence de cette charmante demoiselle était d’une telle dimension qu’il s’était senti captivé, charmé, extasié par ce que lui dévoilaient ses yeux. Son cœur battait à une allure et à un rythme qui lui emmenait des sensations nouvelles. Il savourait ce moment de délice dans le silence. Seul le clapotement de l’eau faisait écho. Charles éprouvait déjà la frayeur que ce moment s’évanouisse à jamais, apportant à sa vie regret, tristesse et désespoir. Une envie terrible de connaître cette fille s’empoignait de lui de sorte à lui faire prendre la résolution de la suivre. Il ne se doutait pas de l’épreuve qui l’attendait dans l’avenir.
Quand il entendait dans la confusion des voix qui appelait « Mamselle Roseline, dépêcez vous le maît ne sea pas content de vot retard » il comprit que deux femmes esclaves surveillaient, attendaient et s’impatientaient quelque part dans les environs. Evidemment l’attente se prolongeait. Il était impatient de découvrir ce que la nature avait de si belle à lui montrer. Dans des mouvements naturels, par des mouvements pudiques la nymphe se retirait de l’eau. Charles découvrit ce qu’il y avait de sublime, d’extraordinaire dans ce monde. Jamais créature ne s’était apparue à ses yeux de manière à lui laisser des impressions qu’il avait peine à effacer, à oublier.
Il faisait tard. Le temps fuyait comme Charles ne l’attendait pas. Ce n’était pas convenable de s’y aventurer dans un lieu où l’on pouvait se faire attaquer par des voleurs de grands chemins. En retournant à la maison, le chemin à parcourir paraissait long et pénible. Charles avait l’imagination troublée ; ses idées s’embrouillèrent par la manière dont l’avenir se présenterait à lui. Il se laissait dominer par une torpeur qui se remarquait sur son visage. Ses parents qui lui connaissaient très bien soupçonnaient ce qui pouvait être responsable de son état.
Il dormait la nuit en se faisant persécuter par des rêves entrecoupés qui lui renvoyaient des images de la jeune fille dans des séquences qui lui faisaient pousser des cris, qui l’obsédaient au point à inquiéter ses parents, les mettre dans de doutance sur son état de santé.
Les tourments qui l’affligeaient lui donnaient un air mélancolique, maussade et même renfrogné de sorte que, ses trois sœurs, pour lui retirer de cette torpeur, lui jouaient des tours, lui taquinaient, attirant ainsi son attention sur des préoccupations pouvant lui distraire, lui égayer.
Cette attitude qu’il adoptait et qui était indépendant de sa propre volonté était due à une transformation mystérieuse qui s’effectuait en lui depuis qu’il avait vu la fille prendre son bain.
Un soir le vent soufflait dans un long gémissement plaintif et que dans le lointain le hurlement d’un chien annonce quelques mauvais présages. Charles ne pouvait dormir, ce qui lui ramenait à l’esprit une foule d’idée. Il prit la résolution de se renseigner sur la jeune fille à qui il ne cessait de penser.
Malgré la fatigue qu’il ressentît pour la mauvaise nuit qu’il avait passée, en se réveillant de bon matin Charles était satisfait du beau temps qu’il fasse. Peu de nuage parsemait le ciel. Dans un élan que seule la quête du plaisir pouvait provoquer, de ses pieds fermes et décidés à fouler les herbes des forêts et des plaines, Charles, avant que le soleil ait parcouru la moitié de son chemin, était à peu de distance d’un grand domaine situé dans le quartier de Cap Malheureux.
Ayant marché pendant des heures sans se reposer Charles décida de s’arrêter au bord d’une source. Une eau fraîche et limpide coulait ; il but à sa soif. Il dégustait ensuite des fruits juteux qu’il trouvait dans les environs. Il s’installait sur l’herbe sèche à l’ombre des eucalyptus et, probablement bien fatigué de cette longue marche, s’était endormi pendant des heures et ne se réveillait que bien tard pour constater que la nuit était proche, que le temps était couvert, qu’il n’y avait pas moyen de retourner à la maison ce jour là et qu’il lui fallait trouver un abri pour se cacher contre le mauvais temps qui s’annonçait.
Charles n’eut pas le temps de décider ce qu’il fallait faire quand une pluie battante, accompagnée d’un vent qui s’était levé, vint le surprendre alors qu’il s’était mis à courir dans la direction d’un pavillon qui lui paraissait inhabité. Il se trouvait à mi-chemin quand des chiens surgissaient d’un bosquet. L’atmosphère était noire et lugubre de ce côté là ; les chiens lui aboyaient après. Il s’arrêtait et allait prendre la fuite dans la direction opposée. Il était confus sous une averse qui lui avait trempé jusqu’aux os, quand un homme, un fusil à la main, apparaît comme un fantôme et lui demandait de sa voix rauque et lointain ce qu’il cherchait dans le parage. Il ne pouvait se douter que c’était le contremaître. La grande maison s’élevait pale et grise sous la pluie qui tombait. Charles ne voulait pas répondre ; il était effrayé et hésitait ; il réalisât qu’il n’avait pas de choix ; il d’avouait qu’il avait perdu son chemin et que le mauvais temps était venu interrompre sa route. Il avait aperçu un lieu où il pouvait prendre refuge et n’avait pas hésité d’en approcher. Le contremaître l’examina avant de le croire sur parole. Les chiens n’aboyaient plus quand Charles entrait dans le pavillon
©Kader Rawat