Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

À la recherche d'un jeune homme perdu dans la nature.

6 Juin 2023 , Rédigé par Kader Rawat

À la recherche d'un jeune homme perdu dans la nature.

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

Je pus à peine distinguer deux silhouettes dans la lueur faible que projetait la lanterne. Une se trouvait debout tout près du brancard tandis que l’autre, probablement celui qui n’avait pas encore prononcé une seule parole et qui s’appelait le vieux Cheik, se trouvait assis encore dans la charrette, derrière la jument dont les pattes, sous le reflet de la lumière, se prolongeaient, comme celle de géants, dans la pénombre.

– Qu’est-ce que cela nous servira Ragounadan, répondit le vieux Cheik, que nous rencontrions qui que ce soit ? Ne sommes-nous pas capables de nous occuper de nous-mêmes ? D’ailleurs je me sens mieux, et les tisanes me font beaucoup de bien. Mais, à mon âge, je ne peux pas avoir les vigueurs d’un jeune homme.

– Laisse-moi t’aider à descendre vieux Cheik. Je suis sûr que nous avons des choses à faire avant de nous reposer. Cette demeure me paraît étrange et sinistre. Les bruits que nous faisons et notre lumière auraient dû attirer l’attention du chien que nous avions entendu aboyer tout à l’heure. C’est quand même bizarre qu’avant notre arrivé il aboyait comme s’il voyait le diable. Cela m’étonne qu’il n’y en ait pas dans le parage. Maintenant que nous sommes si près de la maison il s’est tu et ne se montre pas. Comment peux-tu m’expliquer tout ça vieux Cheik, toi qui as vécu si longtemps, qui a beaucoup d’expérience et qui connaît bien les manifestations singulières des animaux.

–  J’ai l’impression que nous ne sommes pas seuls Ragounadan.

– Vieux Cheik, vieux renard pensai-je, si tu savais combien ta réponse est exacte ! Tu mérites une récompense pour avoir deviné juste, sans éprouver de doute ni d’hésitation.

Je ne savais combien je me sentais réconforté, soulagé, assuré par la présence de ces deux individus que je n’avais même pas encore vus. J’étais certain qu’ils étaient inoffensifs, respectables et qu’il n’y avait en eux, d’après les paroles qu’ils avaient échangées, rien de méchant, de dangereux. Je ne voyais même pas l’intérêt de me méfier d’eux, ni de douter de leur bonté et de leur sincérité. Leur présence dans la région était encourageante. Je commençais par me poser des questions sur ce qu’ils étaient venus chercher dans une si lointaine contrée. J’étais pourtant étonné de n’éprouver ni de l’inquiétude ni voyais-je mon état d’esprit perturbé par une telle apparition. Je sentais au contraire une force morale qui faisait disparaître mes douleurs, diminuer la pression qui me pesait dessus, calmer mes angoisses et enlever ma frayeur.

Je voulais m’approcher d'eux, les appelés afin qu'ils puissent savoir que j'étais là, tout près, mais je fus retenu par je ne savais quel sentiment d'hésitation, comme pour vouloir demeurer encore dans la pénombre afin d'épier leurs mouvements, d'écouter leurs conversations, de connaître davantage sur ce qu'ils se disaient, de comprendre ce qu'ils étaient venus chercher dans cette région, d'apprendre plus qu'il m'en fallait sur eux avant de me montrer. Je ne voulais pas les choquer, les étonner, les surprendre par mon aspect délabré et sinistre, mon état dépravé, miséreux, et piteux.

– Faut trouver un abreuvoir, parla le vieux Cheik d’une voix lointaine, distante, faible, étouffée dans une gorge vieillie, pendant une bonne partie du trajet nous l'avons privé d’eau.

– Pas besoin de t'inquiéter de tout ça vieux Cheik, dit Ragounadan en baissant sous la charrette pour décrocher la lanterne, ma jument est habituée à parcourir de long trajet à travers toute l'Ile sans montrer la moindre fatigue. Elle est encore jeune et vigoureuse. Je la nourri aussi très bien pour qu'elle ne me donne pas des ennuis. Et puis je n'aime pas trop m'abuser d'elle quoique je connaisse ses capacités. Je vais la détacher de la charrette et la laisser dans la prairie jusqu'au matin afin qu'elle puisse retrouver sa forme. Je n'y pensais pas, quand nous avions quitté la ville le matin, que nous aurions fait tout ce trajet pour arriver jusque-là. Je me demande comment cette insurrection pouvait t'intéresser à ce point. Tu me parlais tout d'abord que tu voulais t'acheter un esclave et quand tu t'es aperçu de ce qui fut arrivé aux maîtres tu te lances à la recherche d'un jeune homme que tu veux absolument rencontrer pour Dieu sait quelle raison. Est-ce que tu crois que je peux comprendre quelque chose dans ce que tu mijotes. Il est vrai que tu m'as offert une bonne récompense, tu m'as payé plus qu'il en faut pour t'assister dans ton entreprise mais ne trouves-tu pas, vieux Cheik, que c'est plutôt une perte de temps et que tu es en train de poursuivre un fantôme que tu ne parviendras jamais à attraper. Crois-tu en cet esclave mourant que nous avons rencontré en chemin et qui t'a dit que tu trouveras ce ... comment s'appelle-t-il encore ?

– Charles, répondit le vieux Cheik.

– Oui, que tu trouveras Charles sur le chemin qui mène vers le nord. On verra bien s’il t'a dit la vérité.

Cette fois ci il n'y avait pas de doute que le vieux Cheik me cherchait. Je ne voulais plus rester un instant dans l'ombre et, comme poussé par un instinct, je fis quelques pas et dis à haute voix.

– C'est vrai ce que cet esclave vous a dit, monsieur le vieux Cheik. Je me trouvais bien ce matin dans la région. J'ai dû marcher pendant longtemps avant d'arriver jusqu'ici. Si vous me cherchez ce n'est pas la peine de vous fatiguer. Voyez-vous mêmes dans quel état je suis. J'ai à peine atteint la maison que vous vous pointez au loin dans votre charrette.

Tous droits réservés y compris les droits de reproduction, de stockage des données et de diffusion, en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit.

©Kader Rawat

Lire la suite

L'empreinte d'une longue vie vécue dans la souffrance.

5 Juin 2023 , Rédigé par Kader Rawat

L'empreinte d'une longue vie vécue dans la souffrance.

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

 

 

L’aboiement d’un chien, le même qui courrait après les animaux de la basse-cour dans la journée, me retira de ce rêve dans lequel j'étais plongé. Il sortait derrière la maison et voulait me sauter dessus. J'étais pris de frayeur et allais me réfugier derrière un talus d'où je pus voir, malgré qu'il fasse sombre, l'aspect désordonné de la cour. Les granges qui se trouvaient à peu de distance de la maison furent entièrement détruites et les poteaux brûlés et noircis par la fumée se tenaient à peine debout. Plusieurs cases des esclaves étaient complètement aplaties et c'était bien de là que montait la fumée, indistincte pendant que je regardais. Plus loin, je vis trois tombes sur lesquelles on avait enfoncé, avec précipitation, des croix qui s'inclinaient vers le sol comme pour vouloir tomber. La maison par contre n'était pas atteinte par le feu qui semblait plutôt avoir ravagé les alentours. L'apparence désuète de la demeure me fit vite comprendre que les gens qui l'avaient habitée n'avaient pas de grands moyens et se contentaient, comme mes parents, des maigres productions de la terre, des plantations qui ne leur rapportaient presque rien, tant une grande partie de la région n'était que jachère.

Les ustensiles de cuisine, les instruments aratoires, les fournitures de maison, les diverses pièces de vêtements qui traînaient un peu partout démontraient quelques scènes de violence, de lutte que des gens avaient livré avant de quitter le lieu. Les désordres indiquaient que par-là, des gens bien enracinés dans leur existence furent arrachés par la force, laissant derrière eux l'empreinte d'une longue vie vécue dans la souffrance. La maison était plantée solidement sur une base de pierres taillées et s'élevait dans le crépuscule comme un gigantesque palais rempli de mystères et des multiples objets fascinants. En vérité çà n'était qu'une maison comme tant d'autres que les colons pauvres construisaient un peu partout dans l'Ile. Mais mon imagination me faisait voir des choses jusqu'au fantasme : une maison banale prenait la dimension d’un palais, la prairie se présentait comme un désert aride. Je m'apercevais plonger dans la nuit comme le passage d'une éclipse, de voir scintiller les étoiles comme la présence des comètes, de trouver autrement les apparitions ordinaires de l'existence. Etrange illusion occasionnée assurément par une dépression dont je fus atteinte.

Le chien n'avait pas cessé d'aboyer et m'exaspérait à telle point que je ramassais un morceau de bois qui se trouvait tout près de moi et lui lançais dessus. Il le reçut en plein sur le derrière et courut, en poussant des gémissements, se réfugier dans la maison.

J'écoutais les bruits des sabots sur la terre dure des sentiers et me demandais de qui pouvait-il bien s'agir. Ce pouvait bien être le propriétaire de la maison qui retournait chez lui après une longue absence sans se douter ce qui fut arrivé. Ou bien ce n’était qu’un aventurier qui cherchait un abri pour passer la nuit. Pourquoi pas un parent qui voulait s’informer sur l’état de santé de la famille qui habitait la maison, un visiteur qui passait par là et qui venait prendre des nouvelles, ou un brigand, un voleur de grand chemin, un tueur qui sait ? Au fait il pouvait s’agir de n’importe qui. Quelle importance ? Il ne me ferait pas du tort j’espère. Et si c’était quelqu’un qui me cherchait. C’est qu’il avait bien eu la chance. Je ne me trouvais pas très loin. Il n’avait qu’à m’embarquer et m’emmenait là où il avait eu l’instruction de m’emmener. Je n’éprouvais aucune crainte quand je me levais pour aller me ranger au milieu du sentier en sorte que je serais mieux aperçu. La charrette n’était pas loin et je pus distinguer les grincements des roues comme une longue plainte.

Soudain, alors que j’étais debout et que j’attendais, la charrette s’arrêta, et le silence s’établit de telle sorte que je pus entendre mon souffle. Je continuais de regarder dans la pénombre sans pouvoir distinguer grande chose et je tendis mon oreille comme un animal attentif. Ce silence obstiné m’effrayait un instant, et puis un sentiment d’inquiétude, de déception s’empara de moi. Je regardais dans le firmament et vis une myriade de petits points étincelants, lumineux, sublimes et fantastiques qui retenaient mon attention. Je baissais mes regards pour voir l’horizon se plonger dans les ténèbres et le ciel se perdre dans un gouffre. La nature dormait paisiblement et sa respiration apportait une certaine quiétude dans mon état d’esprit. J’étais perdu dans le noir et me voyais transporté dans je ne savais quel royaume fantastique qui me faisait éprouver des étranges sensations.

Le reniflement de la jument venait me retirer dans mon état de transe et me faisait comprendre que j’étais sur terre et face à une réalité que j’avais toute raison d’affronter. Un bruit de pas qui foulait le sol dur du sentier me fit comprendre que quelqu’un se dirigeait dans ma direction. Je retenais mon souffle, tendis mon oreille, regardais dans le noir pour deviner l’intention de l’individu. La jument était probablement exténuée par une longue distance quand elle agitait drôlement pour faire son maître comprendre que quelqu’un ne se trouvait pas trop loin et qu’il devait se méfier. Elle grattait la terre de ses pattes, piaffait, claquait ses sabots sur des pierres qui jonchaient probablement le sol. L’obscurité aussi devait lui troubler, lui gêner, ce qui influait sur son comportement et démontrait son impatience de quitter un lieu pareil.

– Tu sais vieux Cheik, parla une voix rauque, enrouée, je crois que nous allons passer une nuit encore dans la fraîcheur des bois. Tu dois assurément le trouver pénible, dans ton état, particulièrement le matin, de supporter le froid. Je t’avais averti, tu dois le reconnaître, qu’en cherchant de poursuivre notre route à travers le bois nous nous exposions à des risques qui pourront se répercuter sur notre santé. Et maintenant, poursuivait-il en craquant une allumette pour allumer une lanterne qui était suspendue au-dessous de la charrette, nous voilà seuls devant une ferme abandonnée. Je te l’avais bien dit que nous avons une chance sur mille de trouver quelqu’un dans la région.

Tous droits réservés y compris les droits de reproduction, de stockage des données et de diffusion, en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit.

©Kader Rawat

 

Lire la suite

Un profond sentiment de tristesse

2 Juin 2023 , Rédigé par Kader Rawat

 

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
Quel que soit la réponse que je pusse obtenir nulle ne m’apporterait remède et soulagement, et, dans la logique de toute chose, pour ne pas me laisser abattre, pour que ma morale ne soit pas affectée, j’en vins à la conclusion que rien de toutes les imaginations que je me faisais n’était vrai et que mon existence ne dépendait que des efforts qu’il me restait à fournir avant de me mettre à l’abri dans la maison qui ne se trouvait pas loin de moi.
Je me mis debout avec beaucoup de difficultés et me lançais à petits pas dans un sentier étroit. La plantation de la canne à sucre étant bien haute à cette saison de l’année, je m’engouffrais parfois dans des champs pour déboucher longtemps après dans un espace vide où les plantes de maïs étaient petites encore. L’air était chaud à cette heure de la journée et il me restait encore une bonne distance à parcourir. Mes bottes me gênaient tellement que plusieurs fois je m’étais arrêté pour m’en débarrasser, mais mes pieds enflés étaient coincés de sorte que j’éprouvais beaucoup de peines pour les retirer. Mes tentatives me faisaient si mal que je n’insistais pas et continuais à piétiner le sol en boitant. Des oiseaux volaient un peu partout et chantaient, donnant au paysage un aspect moins triste, plus vivant.
Pendant que je marchais dans la vaste prairie qui s’étendait jusqu’à la ferme, j’avais l’impression d’avoir perdu toutes mes facultés et ne plus reconnaître en moi-même l’homme que j’étais. Ma capacité de percevoir les choses me faisait tellement défaut que je ne parvenais pas à distinguer la présence des créatures à peu de distance de moi. Mon flair ne me donnait aucun bon résultat et je ne cessais de me poser la question de ce qui aurait pu apporter une telle transformation dans ma nature. Était-ce parce que j’avais reçu des coups très durs à la tête ou tout simplement c’était dû à mon état déprimant ?
Je recevais sur mon corps tout trempé de sueurs, les derniers rayons du soleil qui descendait lentement derrière la colline, projetant sur une partie des bois et des champs une ombre gigantesque qui s’étendait graduellement jusqu’à l’horizon lointain, envahissant plaines et prairies. Je fus moi-même submergé par cette ombre qui plongeait toute la région dans une atmosphère sombre quand le soleil disparaît derrière des épais nuages. Ce changement de climat apporta un air frais qui parcourait les espaces, enveloppant sur son passage une espèce de couverture invisible qui me fit frémir, frissonner alors que je franchissais à peine la clôture qui faisait le tour de la maison. J’étais presque au bout de mes forces quand, à mon grand étonnement, j’entendis au loin le bruit des sabots et le roulement des roues d’une charrette.
Pendant que j’écoutais attentivement les bruits sinistres que faisait la charrette en progressant lentement dans la direction de la ferme, je fis instantanément la vision de l’approche de mes parents qui retournaient d’une longue promenade. J’avais l’habitude de les attendre jusqu’à fort tard le soir et de courir les rejoindre dans le sentier dès que je vis pointer la charrette. Je ne cessais de regretter de les avoir perdus si mystérieusement et c’était bien pour cette raison que je gardais l’espoir de les retrouver un jour. Dans toutes les silhouettes que je distinguais, il n’y avait pas une seule qui ne me faisait pas croire que c’était ceux de mes parents, frères et sœurs. Et à chaque fois je fus envahi par un profond sentiment de tristesse, de désolation. Parfois même je le sentais pénible à supporter l’écho d’un passé, d’un temps si injustement, si cruellement interrompu sans que je pusse moi-même donner aucune explication ni ne fusse éclairé sur cette affaire qui me paraissait louche, bizarre, insolite. Des gens ne peuvent pas disparaître ainsi sans laisser de trace, même par le passage si insignifiant d’un mauvais temps. Des fléaux d’une telle puissance ne peuvent causer une aussi grave conséquence. Ce n’était ni un tremblement de terre, ni un glissement de terrain, ni l’éruption d’un volcan et mes parents n’étaient pas menacés par les flots de la mer. Furent-ils surpris par un débordement, une inondation dévastatrice, ils se seraient emportés dans les flots de la rivière, se seraient jetés dans la mer mais, au moins un de ces six corps aurait été découvert. Cette hypothèse, la seule qui puisse expliquer leur disparition, me semblait invraisemblable dans la mesure où jusqu’à présent aucune découverte ne fut encore faite et rien ne fut non plus signalé pour marquer leur passage dans un lieu quelconque. Où pourraient-ils bien être ? Je me souviens encore ce que j’avais fait dans le bois. J’avais mis toute ma confiance dans cette parole qui me fut adressée et j’attendrais même jusqu’à la fin de mes jours que le moment soit venu pour me retrouver auprès de ma famille. Je pense que le destin nous oblige, nous force à nous patienter jusqu’à ce que nous obtenions ce que nous attendons. “Les forces morales que j’avais acquises dans le bois pendant que je me livrais à la lecture des saintes écritures, à la méditation, me soutiendrait, j’étais certain, dans toutes les entreprises que j’espérais m’engager dans le futur, pourvu que ces entreprises se rattachent, se rapportent, se rapprochent plus à l’exercice de bonnes actions dans le milieu social, dans le cœur de chaque individu, et même dans la vie quotidienne de l’île. Cela me fut dit une fois dans mon rêve et j’en croyais aussi.
Tous droits réservés y compris les droits de reproduction, de stockage des données et de diffusion, en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit.
©Kader Rawat
Lire la suite

Brûler sur un bûcher

1 Juin 2023 , Rédigé par Kader Rawat

Brûler sur un bûcher

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

Pendant ce bref instant de repos, je fus envahi par une foule d’idées grouillantes qui s’étaient agrippées à mon esprit sans ne vouloir me quitter. Je tentais à les repousser, à les écarter, à les éloigner et constatais qu’elle me firent des assauts répétés, ne me donnant aucun moment de répit, me projetant dans un passé où ma vie était si plaisante avec mes parents, me berçant dans le sein de la famille, me retournant à l’époque où je les avais perdus, m’accusant de m’être montré obstiné, de m’intéresser à une fille qui ne pouvait m’appartenir et que je ne pouvais entretenir, me reprochant de ma résolution de ma retraite dans le bois, de mes entreprises pour affronter Harold Blake, de ma liaison avec les esclaves, des influences que j’avais exercé sur eux, des résultats que tout cela avaient abouti, des actions de représailles qui s’ensuivraient, des jugements, des peines, des condamnations, des pendaisons qui viendraient couronner tout ce dont j’avais voulu mettre en œuvre. Combien de chefs d’accusations seraient portés contre moi sans que je n’aie aucun moyen pour me défendre ? Dans quel sale pétrin je m’étais enfoui pour que je puisse attendre qu’un miracle ne vienne me sortir de là ? Le Gouverneur de l’île aurait dû déjà envoyer des régiments, des patrouilles, des milices, des officiers à mes trousses. Quel moyen avais-je pour me protéger, pour leur faire comprendre ?
Mais leur faire comprendre quoi au fait ? Que le Seigneur m’eût parlé dans une vision et que j’avais reçu l’ordre de m’adresser avec toute la liberté requise aux esclaves, à leur expliquer des choses qu’ils ne comprenaient pas, à guider leurs actions, leur conscience ne serait-ce que pour les dresser contre leurs maîtres, pour stimuler leur sang dans leur veine jusqu’à les pousser à la révolte, au carnage, aux massacres ? Je ne voyais aucunement de quoi je pourrais parler à Monsieur le Juge, quelles explications je pourrais donner, quelles réponses je pourrais rendre quand je me verrais interrogé, questionné, accusé par le grand Conseil Colonial avant que le jugement final soit rendu sur mon sort. Il est tout à fait vrai qu’en ce temps-là, ma conception pour la justice était tellement vague que je ne pouvais me faire une idée des peines affligées aux différents degrés de délits et de crimes commis par tout individu. Mais je savais que brûler sur un bûcher, la pendaison, la guillotine étaient parmi les plus sévères des punitions. En essayant de porter des examens sur les chances qui me restaient à me voir m’en sortir de cette situation, je n’en trouvais aucune si ce n’était pas de passer par le tribunal. Un seul moyen qui pouvait me faire échapper les pires des épreuves était la fuite, une fuite immédiate avant qu’on me tombe dessus. Une telle entreprise présentait mille dangers, vu même l’état où je me trouvais et le parcours que je devais faire pour ne pas me laisser prendre. Pour réussir une telle entreprise je devais déjà élaborer un plan, avoir des complices et prendre des risques.
Et même si je réussis, je serais le fugitif, le traqué qui devais poursuivre son existence au fond des bois, loin des hommes, dans les marécages, les montagnes, à supporter les intempéries, à traîner son misérable corps mutilé, comme un animal, sans but précis jusqu’à ce que je n’en pusse plus, me rendant de mon propre gré à la justice. Même si je quittais l’île, malgré la surveillance sévère menée par les milices sur les côtes et réussis à me faire aider par un être qui aurait pitié de moi ou par un individu qui m’aurait soutiré de l’argent ou m’aurait fait des chantages ou qui sait par un capitaine de vaisseau ayant éprouvé à mon encontre un quelconque sentiment d’indulgence, est-ce qu’il ne soit pas probable que je sois reconnu, trahi, arrêté par les patrouilles qui interceptaient les vaisseaux, les fouillaient afin de ne voir échapper des insurgés, des rebelles, des insoumis, par la mer ? Je ne pouvais écarter une telle hypothèse et demeurais sceptique sur ma situation.
De tout évidence, après que j’eusse bien réfléchi, la fuite ne me paraissait pas la bonne solution pour affronter ma situation. De plus je porterais atteinte à l’image que je m’étais faite auprès des esclaves et je voudrais bien le préserver comme un élément que j’espérais utiliser pour appuyer ma défense. D’ailleurs de quoi devais-je avoir peur ? Ma conscience ne m’avait jamais reproché d’avoir tenté de faire du mal. Tout ce que j’avais fait et dit n’était que pour le bien être d’autrui.
N’avais-je pas, pendant tout ce temps que j’avais passé dans le bois depuis que j’avais décidé de m’éloigner de la Grande Maison quand j’avais compris l’horreur, le dédain, le mépris que j’inspirais à Maître Thomas Derfield, cherché la vérité à travers La Bible que je n’avais pas quitté, parlé de la vérité et de tout ce qui se rapportait à la Sainte Ecriture et qui fut pour les esclaves l’enseignement essentiel de leur vie, les révélations importantes, les récits fabuleux que leurs oreilles n’avaient jamais eu l’occasion d’entendre? Ne m’étais-je pas présenté à eux comme le sauveur, le bienfaiteur, le rédempteur, le libérateur ? Ne les avais-je pas, de mon langage inspiré de l’Evangile, partagé mes connaissances déployées en puisant dans ma lecture constante et abondante des Saintes Ecritures ? Je voulais par mes longs discours les convaincre des biens que je leurs voulais. Qu’y avait-il de mal d’apprendre aux ignorants des choses qu’ils avaient droit, comme tout autre être, à savoir ? Existe-t-il des lois qui interdisent que des choses ne devraient pas se passer comme telles ? Y avait-il des limites dans l’exercice du bien, dans la propagation de la religion, dans les paroles que j’avais bien voulu adresser aux esclaves pour les avertir des dangers qui les guettaient?

Tous droits réservés y compris les droits de reproduction, de stockage des données et de diffusion, en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit.

©Kader Rawat

 

Lire la suite