La Colonie Lointaine Chapitre 3
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Avant que la lumière du jour ne se pointe à l'horizon, Mr Karim était déjà levé. Il se rendit dans la salle de bain pour faire sa toilette et ses ablutions. II but son café noir que Leila avait coulé la veille et que la bonne avait chauffé dans une casserole, enfila sa chemise blanche, mit son bonnet turc sur la tête, prit la clé du vieux portail suspendue près de la porte en bois et quittait la maison à pied pour se diriger vers la mosquée située à peu de distance. Les rues étaient sombres et désertes.
Les garçons avaient des difficultés à se lever tôt le matin. La veille ils s'étaient couchés tard et le sommeil les accaparait encore. Mme Karim aurait dû les secouer pour qu'ils se dépêchent afin de ne pas perdre l'office du matin. Les filles couchaient dans la chambre contiguë. Les parents préféraient qu'elles soient à côté afin qu'ils puissent jeter un coup d'œil sur elles.
Monsieur Abdul Aziz Karim s'était endurci avec le temps et était un homme sévère. Il élevait lui-même ses enfants, les surveillait, leur donnait de l'éducation, leur apprenait les rudiments de la religion et les corrigeait quand c'était nécessaire. Il était un homme de tempérament, avait des yeux qui brillaient d'intelligence, un front large et luisant, une barbe épaisse qui cachait ses joues larges, des lèvres qui n'étaient pas habituées aux sourires et une corpulence qui représentait bien le patriarche familial. Il avait l'air d'être bien dans sa peau et se cantonnait admirablement dans son rôle de dirigeant. Il avait mené, pour réussir dans le commerce, un long combat pendant des années durant lesquelles il avait connu des hauts et des bas mais s'en était sorti après de durs labeurs et d'incessantes luttes. A cinquante cinq ans il avait acquis toutes les expériences nécessaires pour bien mener ses affaires. Il était rigoureux avec ses employés qui le craignaient et le respectaient. II était aussi un homme bon, avec un cœur généreux. II écoutait les requêtes de ses employés s'ils en avaient, entrait dans leur faiblesse, leur offrit de l'argent quand ils avaient des événements importants à célébrer.
La maison était vaste et les chambres immenses. C'était une bâtisse de la grande époque coloniale. Les toits étaient couverts de tôles ondulées qui avaient remplacé les bardeaux pourris par les intempéries. Les murs étaient repeints en blanc. Le ciment avait remplacé la chaux détachée par le temps. Les portes en bois au rez-de-chaussée étaient refaites et conditionnées de manière à décourager les voleurs. C'était la partie de l'immeuble où Mr Karim exerçait son commerce depuis une trentaine d'années. Les ateliers de menuiserie, de capitonnage et de matelas se trouvaient à l'arrière du bâtiment. Le dépôt de marchandises où les meubles étaient rangés occupait une surface importante au fond de la grande cour qui complétait la propriété.
A l'étage, plusieurs grandes pièces et quelques petites composaient la partie résidentielle de l'immeuble. Nombreux employés étaient au service de Mr Karim pour l'aider dans ses activités commerciales et pour s'occuper de la maison. Une couturière venait confectionner des vêtements pour Mme Karim et les filles. Un chauffeur était à disposition pour déposer les filles à l'école et les ramener, pour faire les courses, pour amener Mme Karim rendre visites à des parents et des amies, pour conduire Mr Karim chez ses fournisseurs, à la banque, chez le notaire et là où il voulait se rendre. Plusieurs employés fabriquaient des meubles, des matelas, des traversins et des oreillers. Ils recouvraient les fauteuils et les sofas, rembourraient les chaises, couvraient les panneaux des lits de la toile de jute, du velours et du tissu. Un chauffeur et trois garçons de magasin s'occupaient des livraisons, de l'installation des meubles, de l'entretien et de la vente. Une cuisinière s'occupait des repas. Trois bonnes étaient en charge de la maison dont l'une était Julie.
De bon matin, la maison était vide; les enfants étaient partis à l'école et les membres de la famille dans leur travail. Mme Karim était assistée par les domestiques pour diriger son ménage. Elle se trouvait à cette heure ci dans la grande salle de prière où personne n'avait le droit de venir la déranger. Elle avait déjà rencontré Julie le matin et lui avait donnée des instructions avant d'aller faire ses prières.
Le calme régnait dans toutes les pièces. Julie se mettait très tôt à la tâche. Les lits étaient déjà faits, les couvertures rangées dans le placard. Les meubles furent époussetés, les miroirs, les bordures en nickelé, les rebords des fenêtres, les encoignures, les bois vernis, les armoires en bois acajou ou teck, les coiffeuses, les bureaux, les bibliothèques, les tables en bois massif, les chaises à pieds retournés, les bahuts, les fauteuils, les sofas, les divans, les vitrines, les vaisselles furent tous nettoyés, astiqués, lustrés; ils luisaient, brillaient, scintillaient dans la lumière du jour. Les parquées étaient cirés et brossés et les patins posés devant les entrées des portes vitrées habillées des rideaux à fleurs de couleurs gaies.