UN AMOUR DE JEUNESSE : Je prends la fuite Chapitre 4
Chapitre 4
Je prends la fuite.
Peu de temps avant mon départ je fis la rencontre d'un jeune garçon arabe qui se montrait intéressé à moi. Il était le fils d'un grand négociant de la ville de Saint-Denis. Il me téléphonait souvent pour me parler de ses sentiments à mon égard. Ma mère fut informée de nos rapports depuis le premier jour quand j'avais décidé de tout la raconter. Elle avait gardé le silence, ce qui me fit comprendre qu'elle était d'accord. Elle se montrait-des fois curieuse et me posait des questions pour savoir davantage sur l'intention de ce garçon. Mon père ne fut pas informé de cette démarche quelque peu malhonnête de notre part. La complicité de ma mère me donnait des libertés qui me furent m'engager dans des nouvelles aventures. "Tu as dépassé l'âge", dit-elle. Elle m'autorisait à le rencontrer dans la journée. Il venait me chercher dans sa voiture et m'emmenait promener dans des lointains quartiers. Il s'arrêtait dans un coin bien tranquille et me faisait l'amour. Je lui laissais seulement m'embrasser et me caresser. Il me vint une fois l'idée de lui laisser me prendre et de lui faire croire plus tard que j'attendais un enfant de lui. Or c'était la première fois de ma vie que je voyais germer en moi-même des idées aussi malhonnêtes. Cela faisait toute mon indignation. Comment avais-je pu imaginer de causer un tel tort à une personne qui éprouvait de l'amour pour moi ? Si j'avais au moins le courage de lui avouer mon état, cela m'aurait peut-être soulagée. Pourquoi cet aspect exécrable de la nature humaine s'éveillait-il soudain en moi ? Je ne ressentais ni honte ni pudeur pour agir avec hypocrisie et ingratitude. Ma situation embarrassante m'incitait à commettre d'innombrables bêtises sans que je n'éprouve aucun remords. Je ne parvenais pas à repousser le mal qui manifestait en moi. Pourquoi vouloir mêler un innocent dans mes pêchés ? Je ne voulais pas m'avouer vaincue. Pourtant ma défaite était certaine. Ma chute m'entraînait déjà dans un lointain empire où j'étais perdue à jamais. Je voulais tricher pour me relever de ma situation.
Mais à quoi cela servirait-il d'inventer une grossièreté pareille? Est-ce de cette manière que je parviendrais à donner un certain sens à ma vie ? J'avais concocté le plan le plus hideux, le plus ignominieux qui me plaçaient au rang des charlatans. Comment pouvais-je faire croire à un homme que l'enfant que je portais dans mes entrailles était de lui quand je savais que c'était faux? Avais-je une seule fois réfléchi que si je réussissais dans mes entreprises quelles seraient les conséquences ? Aurais-je, après, le courage de dire a cet homme, après lui avoir procuré les joies d'être père, que l'enfant n'était pas de lui ? Ce serait absurde de ma part de vouloir compliquer mon existence de cette façon. Un innocent ne devait pas payer pour le coupable. Mon imagination me ramenait une foule d'idées qui me faisait voir claire de ma situation. Je ne parvenais pas à voir la vérité en face. Je cherchais à déformer les faits pour arranger ma situation. Pour moi le compte à rebours avait déjà commencé. La nature l'exigeait que je ne devais servir aucune méthode pour changer le cours de mon existence. Ce serait dans mes intérêts de la vivre telle que me l'avait tracée ma destinée. Je tenais absolument à respecter ces règles.
Quand je décidais de rompre avec ce jeune homme c'était pour mettre les choses au point. Ma mère ne pouvait pas comprendre les vraies raisons qui me firent décider de mettre un terme à cette liaison. Elle ne pouvait s'empêcher de me reprocher de n'avoir pas su tenir avec un garçon qui avait en plusieurs occasions prouvé son amour pour moi. Elle reposait toutes les fautes sur moi et ne cessait de me rappeler que j'avais la tête dure et que j'étais une fille difficile. A mon âge j'aurais dû être mariée et avoir des enfants, disait-elle. Si je continuais à repousser les garçons, je demeurerais vieille fille toute ma vie. Je préférais m'enfermer dans ma chambre et pleurais un bon coup pour me soulager. Parfois j'avais vraiment envie de mettre un terme à mon existence.
J'étais terriblement contrariée dans l'état où je me trouvais. Ma mère voulait que j'épouse un garçon de bonne famille de la Réunion. Ce n'était pas facile de tomber sur un garçon qui avait les mêmes aspirations que j'en avais. D'ailleurs c'était déjà trop tard et j'avais mes raisons de trouver toutes sortes de prétextes pour ne pas entraîner dans mon sillage des innocents qui n'en savaient rien de mon état.
Le moment où je devais m'embarquer s'approchait. Je n'éprouvais aucune hésitation à me lancer dans cette nouvelle aventure. J'avais bien décidé de quitter ce lieu paisible et tranquille pour me diriger vers le vaste monde grouillant qui avait tout à m'apprendre sur les règles de l'existence. Je n'étais qu'une novice quand je m'embarquais sur ce navire dont les trois coups de sirènes me transperçaient le cœur tandis que je regardais dans une vision troublante une multitude de gens nous lançant leurs derniers signes de salutation. Des larmes de tristesse et de regret m'inondaient le visage quand l'envie me prenait de retourner vers mon île et de ne plus jamais la quitter. Il était trop tard quand je constatais que les vagues écumeuses présentaient l'obstacle infranchissable et que j'étais déjà prisonnière sur une galère qui ferait toutes mes infortunes.
Au coucher du soleil dont les derniers rayons illuminaient une partie de l'océan et embrasait l'horizon, bon nombre de passagers avaient quitté le pont pour affronter le long voyage qui les attendait. J'avais préféré porter mes admirations, à l'approche de la nuit, sur l'étendue phosphorescente qui s'étalait devant moi jusqu'à l'extinction totale de toute luminosité. Je continuais quand même à regarder dans le gouffre effroyable en écoutant les vagues déferler à côté et les étranges bruits des machines qui faisaient avancer le bâtiment. C'était une nuit sans lune et peu d'étoiles scintillaient dans le firmament. Une brise légère s'élevait et me donnait des frissons. Mon amie était venue me chercher et m'avait emmenée dans ma cabine.
C'était une cabine bien étroite. Florence m'avouait qu'elle aurait dû se bagarrer pour m'obtenir une place auprès d'elle. Une autre jeune dégingandée partageait notre cabine. Elle s'appelait Tatiana et avait tellement le corps en chaleur qu'elle ne cherchait qu'à se frotter avec des hommes. Nous l'avons bien fait comprendre que nous ne tolérions pas qu'elle emmenait des hommes dans la cabine. Qu'elle aille faire ses saloperies ailleurs cela ne nous concernait pas. Dans un premier temps je tombais gravement malade et sans les traitements que le médecin du navire me faisait suivre j'aurais pu perdre mon enfant. Florence s'occupait de moi comme une mère. J'étais tellement touchée par ses marques d'intérêt à mon égard que je ne finissais pas de la remercier. Tatiana également s'était dévouée comme une infirmière et avait relayé Florence pendant des longues nuits blanches qu'elle passait auprès de mon chevet. Je mettais du temps pour retrouver ma santé. Mon état n'était plus un secret. Avant que le médecin n'allât faire son rapport à notre chef d'équipe Tatiana s'était arrangée avec lui pour qu'il garda le silence. Pendant ma convalescence je reçus nombreuses visites de la part des amies qui faisaient en quelque sorte toute notre équipe. Elles étaient une trentaine au totale. Leur curiosité me mettait à bout de nerfs. Certaine me posaient des questions embarrassantes. Je comprenais leur nature curieuse et me retenais pour ne pas les blesser dans les sentiments. J'avais beaucoup souffert ces derniers temps. J'avais perdu quelques kilos et étais devenue laide comme tout. J'évitais de me regarder dans le miroir. Pourrais-je tenir le coup jusqu'à la France ? Il me restait encore une longue traversée. Je prenais mon courage à deux mains et décidais d'affronter les jours à venir. Les escales dans les villes de la côte d'Afrique me faisaient beaucoup de bien. Cela me permettait de prendre de la vitalité, de regagner de force, de l'énergie qu'il me manquait et qui provenait de l'air qui sortait de ce grand continent noir et mystérieux. Je me mêlais aux gens et découvrais leurs cultures et leurs coutumes. Je me sentais entourée des mystères. Une civilisation peu commune s'étendait devant moi. Une frayeur terrible s'emparait de moi. Je savais que ce n'était pas un monde dans lequel je pourrais m'habituer.
J'avais côtoyé durant toute ma vie des gens que je savais reconnaître dans tous les coins du monde. C'était auprès de ces gens que ma destinée m'avait désignée de vivre. Je ne serai jamais heureuse ailleurs.
Plus de deux semaines s'étaient écoulées quand le navire s'engageait dans le pacifique. J'étais complètement guérie et ne souffrait pas des maux de mer. Je me promenais un peu partout pendant les longues et pénibles journées chaudes et étouffantes. C'était une façon pour moi de me distraire et de faire passer le temps. Je traversais des couloirs étroits, me rendais dans des restaurants ou m'asseyais dans la salle de cinéma pour voir un film de Brigitte Bardot. Je m'arrangeais de sorte à ne pas m'ennuyer dans la journée. Parfois quand je me sentais fatiguée je demeurais dans ma cabine plongée dans un livre de Delly ou de Françoise Sagan. Je ne montais sur le pont seulement quand le soleil avait disparu derrière l'horizon et quand il commençait à faire nuit. A cette heure-ci les moindres recoins du navire étaient encombrés. J'éprouvais un plaisir de me retrouver parmi les gens qui entreprenaient ce voyage en même temps que moi. J'avais pris l'habitude de rechercher la compagnie des vieilles personnes avec lesquelles je livrais conversation jusqu'à fort tard le soir. Quelques amies parfois m'invitaient à déguster de la glace dans un coin bien tranquille.
J'avais regagné mon teint en quelques jours et commençais à prendre du poids. J'étais à dix semaines de ma grossesse et je m'étonnais de ma gourmandise. Mon éloignement avec mes parents me faisait beaucoup de peine d'autant plus que, pendant mes heures de solitude, je pensais à eux. Ce sentiment nostalgique qui m'accaparait au moment où je me trouvais seule me perturbait l'existence de manière à m'empêcher de savourer les instants de bonheur qui se présentaient. Je me retirais donc souvent les soirs dans un coin sombre du navire pour réfléchir sur mon sort. Je ne voyais pas beaucoup de perspective en vue. Mes amies s'amusaient dans la salle de danse qui était bondée de gens. La fête battait son plein à cette heure tardive de la nuit. Je n'étais jamais tentée de me retrouver dans ce milieu. Mes amies pourtant me suppliaient de les accompagner dans leur quête des distractions. Je préférais regarder le firmament, repérant les étoiles que j'avais remarquées la veille, écoutant les bruits incessants des machines et le déferlement des vagues.
J'étais assoupie dans ma couchette quand Florence entrait dans la cabine avec deux amis mauriciens. Il était trois heures de l'après-midi. La chaleur était accablante. En les apercevant, je m'étais assise sur le rebord du lit et avais commencé à mettre un peu d'ordre dans mon état. Ils avaient un drôle de façon de me regarder et étaient peu bavards. Ils étaient vêtus des vêtements de piètres qualités. Florence les avait rencontrés quelques jours auparavant et les avait trouvés sympathiques. L'un s'appelait Abou Taleb et l'autre Rachid. Ils se dirigeaient vers l'Europe en compagnie d'autres amis mauriciens. Sortant des différents quartiers de l'île Maurice, ils effectuaient ce voyage dans le but d'aller trouver du travail ailleurs. Le chemin vers l'émigration aidait nombreuses familles de se relever de l'état de pauvreté où elles se trouvaient. J'avais tout le temps de me familiariser avec bon nombre de ces amis mauriciens pour découvrir en eux des qualités exceptionnelles de la nature humaine. Florence rencontrait souvent Taleb et ils passaient leurs temps ensemble. Je demeurais toute seule dans ma cabine. Tatiana s'absentait souvent. On me racontait qu'elle partageait l'appartement luxueux d'un général allemand. Elle fut aperçue dans des belles robes en compagnie des hommes distingués. Sa disparition paniquait et inquiétait tout le monde. Notre petit groupe fut affecté de manière à ne pas nous donner un moment de répit. Les recherches avaient commencé dès que le fait fut signalé au Capitaine. Le navire fut fouillé de fond en comble. Des nouvelles inquiétantes nous parvenaient et nous choquaient. L'Allemand qui recevait Tatiana chez lui était soupçonné par des agents de la C.I.A. d'avoir torturé des prisonniers dans des camps de concentration. Il était également recherché par la justice pour avoir en plusieurs occasions enfreint la loi. Cet état de chose avait mis la crainte dans l'esprit des gens. Personne ne voulait demeurer pendant longtemps sur le pont. Des rumeurs couraient que l'allemand se cachait quelque part dans le navire et qu'il était très dangereux. Il fut retrouvé mort à notre grand soulagement dans des conditions effroyables. Tatiana était martyrisée mais encore en vie. Nous aurions dû nous regrouper pour s'occuper d'elle à tour de rôle. Son état était grave selon le diagnostic du médecin. Elle devait être transportée d'urgence à l'hôpital. Il fallait attendre des jours pour atteindre Marseille, la prochaine escale. Elle mourut suite à des hémorragies internes. Son corps fut rapatrié. Nous étions accablés par la tristesse et la désolation. J'avais commencé à éprouver des craintes pour l'avenir. Je me voyais m'enfoncer dans un monde rempli de mystère et d'incertitude. Je me demandais si je pourrais me débrouiller toute seule dans ce monde qui m'attendait. Un sentiment étrange s'était emparé de moi et m'avait donnée des doutes sur ce qui m'attendait plus tard.
Après trois semaines de traversée beaucoup de visages m'étaient familiers et se tournaient bien souvent dans ma direction pour m'adresser un salut respectueux. J'avais l'habitude de me tenir près du bastingage pour profiter de la fraîcheur de la nuit. Je considérais déjà ce petit monde comme une famille. Beaucoup de gens se regroupaient à cette heure ci sur le pont. Des petits groupes se formaient un peu partout. Les enfants remplissaient l'atmosphère de leurs cris stridents en courant comme des abrutis. Ils bousculaient ceux qui entravaient leurs chemins pendant leurs courses infernales et disparaissaient dans l'obscurité. Quand ils se fatiguaient ils allaient se jeter au lit pour dormir comme des morts. Le reste de la nuit était calme et paisible. Ceux qui ne trouvaient pas le sommeil veillaient jusqu'au petit matin. Je regagnais ma cabine vers minuit pour essayer de dormir.
Dans un monde restreint les amitiés se recherchent et se trouvent facilement. Je venais de faire la connaissance d'une famille française qui ne cessait de me parler d'un voyage fabuleux dans les îles de l'océan indien. Leur récit me fascinait et m'émerveillait de manière à éveiller en moi la nostalgie du pays. Je n'étais pas longtemps absorbée dans mes pensées qu'une amie venait m'avertir que notre chef voulait me voir. Je devinais à peu près de quoi il s'agissait. En entrant dans sa cabine je lui trouvais d'une humeur grave. Son visage renfrogné et ses regards remplis de colère me firent baisser les yeux. J'avais l'impression qu'il allait me réprimander sévèrement et ne pouvais repousser le sentiment de frayeur qui S'était emparé de moi. J'étais tout de même prête à écouter les sentences qu'il allait prononcer. Il m'invita à m'asseoir sur la chaise tout près de la table où il se tenait. Je me sentais coupable et n'avais aucun élément de défense.
- J'ai été informé de votre état, malheureusement un peu trop tard. Sinon je vous aurais fait retourner dans votre île. Vous êtes consciente du délit que vous avez commis, je suppose ?
- Oui, monsieur. Mais je voulais absolument quitter la Réunion.
- Vous n'avez pas choisi la bonne voie. Le contrat que vous avez signé stipule clairement qu'en cas de fausse déclaration, d'incompatibilité, de non conformité aux règles vous êtes disqualifiée. Il n'est pas nécessaire que je rentre dans les détails pour savoir les raisons qui vous ont poussé à agir de telle sorte. J'ai tout de même réfléchi longtemps avant de me décider de vous parler. Croyez-moi, je ne suis pas content du tout de ce vilain tour que vous nous avez joué. Mais à l'état où vous vous trouvez je ne vois pas comment je dois vous punir. Désormais je suis obligé d'avertir la direction de cet incident et je dois vous signaler que vous aurez des ennuis.
Un peu plus tard je rejoignis Florence dans la cabine. Elle m'attendait pour en savoir plus sur ma situation. Nous discutions de ce que j'avais l'intention de faire aussitôt arriver à Marseille. Je n'avais aucune idée.