Un amour de jeunesse Chapitre 11
Je visite mon île natale
C'était au début de l'année 1977. Une année pour moi qui débutait bien. Après avoir passé une fête de noël inoubliable avec des amies et après avoir terminé l'année dans la joie et l'amusement, Akbar et moi même embarquâmes dans le Boeing qui posait treize heures plus tard sur le nouvel aérodrome de Gillot. Akbar ne fut pas informé du vrai motif de ce voyage. Je lui avais très peu parlé de mes parents. Mais je lui avais fait comprendre que je l'emmenais promener dans mon île natale. Il me posait une foule de questions sur moi-même. Cela me fit grand plaisir de lui répondre et de lui expliquer certaines choses dans les détails.
Je m'étonnais des transformations que je constatais dans les infrastructures environnantes. La ville de Saint-Denis que j'avais quittée dix années auparavant avait beaucoup changé. Les lotissements qui s'élevaient un peu partout dans les écarts avaient absorbé nombreuses familles qui vivaient dans des bidonvilles. Les rues étaient bondées des véhicules de toutes dernières séries et de diverses origines. Les magasins étaient rénovés et remplis de marchandises de luxe. Nombreux vieux immeubles étaient mis en état, des façades refaits, des murs repeints. Les gens portaient des habits confectionnés par des couturiers de renom international.
La ville sentait la richesse et l'opulence. Le taxi roulait le long de la rue Maréchal Leclerc pour me permettre de porter mes admirations sur les aspects de la Ville. Les rues étaient propres et la circulation réglée par les feux de signalisation. La chaleur par contre était accablante. Nous avions délaissé des flocons de neige à Paris et nous nous confrontions à des rayons du soleil ardents.
Le taxi nous déposait devant l'hôtel Le Méridien avant Midi. Je pris une douche, un déjeuner bien copieux, un mets typiquement créole et passais l'après-midi à me reposer dans ma chambre d'hôtel. J'étais prise de sensations étranges. Vers cinq heures, quand le soleil commençait à décliner du côté de la place du Barachois, je me postais derrière la fenêtre pour contempler la mer qui s'étendait devant moi. Épuisé par le long voyage, Akbar se réveilla un peu plus tard; j'étais déjà prête. Je lui changeais les vêtements et nous sortions pour aller nous promener dans les rues de la ville. Nous montions la rue de Paris. Nous marchions lentement de nos pas mesurés sur le trottoir où nous pouvions profiter de l'ombre que projetaient les bâtiments qui longeaient la rue. Des gens se rendaient à la cathédrale. Des étudiants quittaient le centre universitaire. Nous nous dirigions vers le monument aux morts. Akbar effleurait de ses doigts les grilles qui entouraient le jardin donnant à côté de la Préfecture. En remontant cette rue dans la direction du jardin de l'État j'avais pour objectif de passer devant la demeure que j'avais quittée dix années auparavant et qui se trouvait dans la rue Monseigneur de Beaumont. Des automobiles attendaient devant les feux de signalisation. Les moteurs tournaient de manière à démontrer l'impatience des automobilistes à rentrer chez eux après avoir passé une journée dans le travail. Beaucoup de femmes se trouvaient au volant de leur voiture. Le taxi était rare. Il n'y avait pas de bicyclettes qui gênaient la circulation. Par contre des motocyclettes passaient souvent avec des bruits infernaux. Alors que nous étions à mi-chemin la cloche de la cathédrale sonnait six fois. Akbar avait soif. Il n'y avait aucune boutique dans le coin. Nous passions devant le musée Léon Dierx. Les ombres allongées des bâtiments et des grands arbres m'annonçaient l'approche de la nuit. Nous traversions la rue de Paris et nous engagions dans la rue Mgr de Beaumont. Une foule de souvenirs me traversait l'esprit pendant que je marchais sur le trottoir en tenant Akbar par la main. Je lui communiquais quelques unes de mes pensées qui me rappelaient de merveilleux moments que j'avais passés dans cet endroit. Il m'écoutait et me posait un tas de questions que je répondis avec plaisir.
Mon cœur battait plus vite quand j'approchais la demeure de mes parents. Le vieux portail en bois était remplacé par un autre en fer et en tôle de couleur gris. La rue était déserte. Quelques voitures étaient garées du côté gauche. Nous arrêtions au coin de la rue Jules Auber et attendions quelques instants. J'hésitais avant d'aller frapper à la porte de mes parents. Akbar ne comprenait rien. Il voulait traverser la rue. J'aperçus un jeune métropolitain qui sortait par le portail. Il se dirigeait dans ma direction. Je saisis l'occasion pour lui demander s'il connaissait le propriétaire de la maison qu'il venait quitter. Il était bien le fils du propriétaire. Ses parents avaient acheté la maison à une famille arabe. C'était une affaire qui remontait à huit ans auparavant alors qu'il était au lycée. Il était lui même très peu informé et ne pouvait me fournir plus de renseignements. Il me proposait de rencontrer son père si je voulais en savoir davantage. J'acceptais en lui remerciant infiniment. C'était un homme âgé qui me recevait dans son séjour. I1 était très bavard. Cela me mettait à l'aise. Il voulait savoir quel lien de parenté j'avais avec Monsieur Issopjee. Je n'avais pas voulu lui dire la vérité. Je lui dis que j'étais une nièce de souche lointaine et qu'étant toute petite j'avais passé quelques jours dans la maison. Comme j'étais de passage dans l'île, je voulais dire bonjours à des parents avant de repartir pour la France. Il m'avait cru et avait commencé à me parler de Monsieur Issopjee. Quand il m'apprit que Monsieur Issopjee avait vendu la maison parce qu’il avait perdu sa femme, j'étais choquée. Je n'avais plus prononcé une seule parole et avais regagné mon hôtel comme une effarée. Je pleurais toute la nuit.
Je décidais d'aller voir mon père dans son lieu de travail. Je me rendis à son bureau tôt le lendemain matin. Quand je me présentais devant lui, il n'en croyait pas ses yeux. Il était ému. Il avait pleuré de joie en me serrant forte dans ses bras. Il faisait preuve d'une profonde douleur. Je pouvais le lire sur son visage. Il avait soulevé Akbar et l'avais pris dans ses bras. Je versais abondamment de larmes par les émotions profondes qui touchaient mon cœur. Il insistait pour que je vienne à la maison. Quand il m'emmena à la maison avec mon fils, il m'avait dit qu'il avait épousé une autre femme et qu'à désirait me la présenter. Je fis sa connaissance d'ailleurs un peu plus tard et trouvais qu'elle était aimable. Mon père voulait que je vienne m'installer à la maison. Il y avait de la place pour moi et mon fils. La maison était grande. Je disposerais du premier étage et ne serais pas dérangée. Il ne pouvait pas accepter l'idée de me voir en train de me loger dans un hôtel tandis que dans sa maison il ne manquait pas de chambres. Je ne voulais pas vexer mon père et avais accepté d'aller habiter chez lui.
Mon père ne m'avait rien caché de tout ce qui s'était passé depuis que j'étais partie. Il me mettait au courant des bouleversements qui lui avaient terrassé de manière à ne plus lui permettre de trouver de consolation après la mort de ma mère. Très peu de personnes méritaient sa confiance et il n'avait personne à qui faire ses confidences, partager ses peines, apaiser ses douleurs. Les réconforts qu'il recevait des amis ne lui suffisaient pas pour l'aider vraiment à remonter ce handicap. Pour lui c'était le châtiment qu'il ne pourrait jamais oublier et il lui aurait fallu beaucoup de courage pour se battre dans un moment si pénible de sa vie. Après m'avoir perdue, voilà que la seule, l'unique être qui lui restait le quittait d'une manière qu'il jugeait atroce et brutale, sans qu'il pouvait utiliser ni son pouvoir, ni ses influences, ni sa fortune pour porter remède à la situation.
Sa relation se limitait à ses activités professionnelles. Il n'invitait personne chez lui et ne recevait pas quand on venait frapper à sa porte. Il se repliait sur lui-même et devenait un personnage sédentaire qui avait perdu goût à la vie. Il jetait ses regards sur l'existence avec une totale indifférence. La fortune ne signifierait plus rien pour lui et la popularité était la moindre chose dont il aspirait. Les blessures profondes causées par la mort atroce de son épouse ne se refermaient pas pendant plusieurs mois durant lesquels il se réfugiait dans la prière.
Mon intention n'était pas de demeurer à l'île de la Réunion pour longtemps. C'était pour cette raison que je n'avais rien voulu caché à mon père. Un dimanche après-midi, alors que nous nous trouvions à la Plaine des Palmistes dans une superbe maison que mon père avait achetée récemment, j'avais pris le courage, en me trouvant seule avec lui, de tout lui raconter sur ma vie. La saison de l'été est particulièrement pluvieuse à la Plaine. Le climat des tropiques me plaisent beaucoup. C'est ce qui me manque d'ailleurs en France. J'aime bien également les caprices du temps et les nuances de la nature. J'étais habituée au froid et avais rencontré des conditions climatiques rudes et dures. J'ai une attirance et une certaine admiration pour un temps cyclonique. Il est fort possible que le hurlement du vent et le déchaînement de la nature exercent sur moi une certaine fascination mais je peux demeurer longtemps à regarder par la fenêtre cet étrange manifestation. Je redoute bien entendu les dégâts causés par le passage d'un cyclone violent peut-être que cela me rappelle des mauvais souvenirs. Mon père s'attachait à moi de manière à susciter la jalousie dans le cœur et l'esprit de ma belle maman pour qu'elle démontre une certaine froideur dans son comportement. J'avais pu également déceler de l'irritation dans sa voix et de l'exaspération dans ses gestes. Mais je n'avais pas pris tout cela en considération me disant que je faisais peut-être des idées.
Mon père se montrait très attentionné à moi et m'écoutait parler avec une certaine admiration qui me faisait comprendre qu'il se tenait vraiment à moi. Je commençais par me convaincre que je lui rappelais fort probablement ma mère et qu'il apercevait en moi des traits de caractères qui lui refoulaient à la mémoire une foule de souvenirs desquels il ne voulait pas se détacher. Il cherchait ma compagnie aussitôt qu'il entrait à la maison.
J'avais l'intention de passer dans l'île un mois de vacance pour profiter de la plage et pour me reposer si c'était possible. Mais la présence de mon père avait altéré en quelque sorte tous mes projets. J'étais certaine d'avoir apporté dans son cœur énormément de joies. Mon Akbar était très gâté par le nombre de cadeaux qu'il recevait pendant le peu de jour qu'il se trouvait dans l'île. Je voulais mettre certaines choses au point avec mon père. Je me rendais à son bureau le jour où je devais voyager. Nous avions entamé conversation pendant longtemps durant lequel il me mettait au courant de ses affaires. Il souhaitait me voir retourner vivre à la Réunion. Il me promettait une maison meublée à moi et le poste de directrice commerciale dans son établissement si je désirais travailler. Je lui fis comprendre que j'aimerais bien me retrouver auprès de lui, que sa proposition me faisait beaucoup plaisir mais que je devais tout de même entrer en France. Il me fit promettre de retourner le plus tôt possible. Maintenant qu'il m'avait retrouvée, il ne voulait plus se séparer de moi pour longtemps. Il éprouvait la crainte de me perdre une deuxième fois.
Mon père et ma belle-mère étaient venus me déposer à Gillot. Quand je lui fis mes adieux, il m’avait remit une enveloppe qu'il m'avait demandé d'ouvrir plus tard. Je devinais que c'était de l'argent. Je n'avais pas attendu longtemps pour l'ouvrir. J'étais gênée et ne voulais pas accepter ce cadeau. Il avait insisté, me disant que j'en aurais besoin pour m'acheter ce que je désirais. Je lui remerciais de tout cœur en me séparant de lui les yeux remplis de larmes.
En regagnant Paris je reçus un télégramme de Devika. Elle me priait de venir le rejoindre au plus vite possible. Elle avait de grave problème. L'adresse qui figurait dans son télégramme ne correspondait pas à celle que d'habitude j'adressais mes lettres. Je faisais de telle inquiétude que toutes sortes d'idées me passaient par la tête. Je n'avais pas eu de ses nouvelles pendant plusieurs mois. Sa dernière lettre datait au moins six mois avant et ne m'avait pas laissé de doute sur la vie heureuse qu'elle mène auprès de son mari. Qu'était-il arrivé entre-temps? Elle ne fut pas informée de mon voyage à La Réunion. Je fis entrer mes bagages à la maison et entamais aussitôt les démarches pour obtenir mon visa pour l'Inde.
A cause de la rentrée de classe pour laquelle Akbar devait se préparer je ne pouvais l'emmener avec moi. Il m'avait fallu beaucoup du courage pour accepter de me séparer de lui si brusquement. Je connaissais un peu les épreuves que me réservait un séjour en Inde. Je ne voulais pas risquer mon enfant en l’entraînant dans une succession d'aventures qui pourraient ne pas lui être agréable. Akbar savait que j'avais une amie qui s'appelait devika et qui habitait en Inde. J'avais l'habitude de lui parler d'elle en lui montrant des photos que je recevais parfois dans mes lettres. Je lui expliquais que Devika m'avait beaucoup aidée quand je venais de débarquer dans le quartier et qu'elle était maintenant en difficulté et que c'était à mon tour de l'aider. Il était triste d'apprendre qu'il ne pouvait pas m'accompagner. Je réussis à lui faire comprendre que ce serait un voyage épuisant. Il avait en fin de compte acceptée l'idée de se séparer de moi et m'avait même promis de rester sage pendant mon absence. C'était important pour moi de m'assurer qu'il avait bien compris la situation et qu'il était bien d'accord. Autrement ma conscience ne serait pas tranquille. Je décidais de le confier à ma voisine qui le connaissait bien d'ailleurs et qui avait bien voulu accepter de s'occuper de lui quand je lui avais fait la proposition. Elle avait deux enfants de même âge qu’Akbar et ils s'entendaient tous bien. Je me séparais de lui un dimanche soir les yeux remplis de larmes.