La faim

Scènes de la vie privée
Ceci est un produit de l’imagination..
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
La faim
En été, quand nous nous regroupions dehors dans la chaleur accablante de la nuit, nous ressemblions à une tribu d'Afrique. Nos visages luisaient sous la lueur d'un feu de bivouac que nous avions fait pour chasser les moustiques. Les voisins venaient nous rejoindre et nous tenir compagnie jusqu'à fort tard. Les enfants jouaient et faisaient le tintamarre. Les grandes personnes parlaient de tous les potins de la ville. Je dormais à la belle étoile sur ma paillasse. Je me perdais des fois dans une profonde réflexion. Je voyais mon avenir sombre. Je n'avais pas d'éducation et ne savais pas faire grand-chose.
J'étais encore bien jeune et pouvais avoir encore seize ans quand, en rentrant à la maison un après-midi, je trouvais ma mère qui pleurait. Je voulais savoir ce qui l'avait mis dans un tel état. Elle m'apprit que mon père avait été renversé par un autobus et était gravement blessé. Il perdit dans cet accident non seulement sa jambe mais aussi son maigre salaire de fin de semaine qu'une personne sans scrupule et malhonnête avait assurément volé.
Nous demeurions deux jours sans manger. Cela avait laissé sur mon état d'esprit une étrange impression qui m'accompagne tout le long de ma vie. Mes frères et mes sœurs pleuraient et poussaient de cris parce qu'ils avaient faim. C'était pénible pour moi de supporter tout cela. Je résolus de quitter la maison ce jour-là pour ne retourner qu'avec les mains pleines de nourritures. Je me présentais devant toutes les portes et passais dans toutes les rues pour chercher du travail. Personne ne voulait de moi. Ma déception fut grande. J'étais exténué quand la nuit tombait. J'implorais le Seigneur de m'aider et d'épargner ma famille des souffrances. Je m'appuyais contre le poteau d'électricité avant de reprendre la route en titubant. J'avançais dans le chemin défoncé, passant des fois sous les réverbères où des gens s'étaient regroupés pour parler. Je longeais les routes des boulevards, rasais les murs des grands bâtiments en pensant à mes frères et sœurs qui attendaient mon retour certainement.
Quand je passai dans un quartier mal éclairé, j'entendis quelques poules caqueter et j'eus l'effroyable pensée de les voler et les apporter à la maison. D'un seul bond, je me trouvais de l'autre côté du mur. Je tenais dans mes mains deux poules bien grasses en parcourant les rues. Je trouvais le parcours long et entendis même dans le lointain des voix qui tonnaient ‘au voleur, au voleur’. Mon imagination me jouait des tours. Mes escapades nocturnes me donnaient l'occasion de commettre d'autres délits. Je cambriolais des boutiques et volais des gens riches en pénétrant par effraction chez eux pendant leur absence.
‘Le bien mal acquis ne profite jamais.’ Le malheur était venu me frapper trois années de cela. Je me trouvais dans un lointain quartier quand un mauvais temps se déclarait. Le vent avait commencé à souffler si fort qu'il n'y avait aucun moyen de rentrer à la maison. C'était un cyclone qui durait pendant toute la nuit et toute la journée. Le pays avait subi à de grands dégâts. Les routes étaient coupées, les radiers submergés, les ponts emportés, des centaines de maisons détruites et de nombreuses personnes mortes ou disparues. Mes parents, toute ma famille étaient victimes de ce fléau. Je demeurais tout seul dans la douleur. Ma tante était venue me trouver une semaine plus tard dans un centre d'hébergement. Je me suis promis de ne plus jamais faire un travail malhonnête même s'il fallait que je crève de faim.
© Kader Rawat
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