DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 20
Cependant, l’amour que j’éprouvais pour elle m’incitait à agir avec prudence.
J’étais déjà dans ma vingtième année et accusais des retards considérables qu’il me fallait combler dans un temps limité.
Entretemps, mon père affrontait un moment difficile de sa vie. La rentabilité de sa boutique chutait très fort, venant menacer de faillite son commerce d’alimentation.
La boutique se vidait de manière catastrophique: les balles de riz, de la farine, le sucre, les grains disparaissaient du stock. Les barils d’huile, de pétrole, les conserves sur les étagères, les divers articles dans les vitrines diminuaient à vue d’œil, annonçant la fermeture de son outil de travail !
Mon père avait connu de périodes florissantes, mais maintenant, le mauvais sort s’abattait sur lui.
La raison de cette crise ne s’explique que par le fait que les dépenses liées à l’entretien de notre famille dépassaient les bénéfices que lui rapportait son commerce.
Notre famille était une famille nombreuse et je me souviens du temps où nous vivions dans le faste, la plénitude, une vie qui s’évanouissait comme un rêve perdu.
Il y eut dans notre village beaucoup de transformations.
Rester solidaires entre gens de notre communauté faisait partie du caractère naturel des habitants de mon Île. Nous avons toujours appris à réunir nos forces en nous regroupant.
La politique aussi bien que la religion influençaient l’esprit du peuple. Le sentiment communaliste est enraciné dans le cœur de tout un chacun et ne se révèle que dans de rares occasions.
Que ce soit au niveau politique, ethnique ou religieux, il est difficile d’ébranler l’esprit du peuple dans lequel fut inculquée l’unique façon dont ils étaient liés, attachés.
C’était le sentiment profond de cette espèce qui attribuait aux personnes leurs valeurs réelles. Isolé chacun dans sa communauté par des penchants fidèles et sincères, la nation mauricienne cohabitait avec bonheur, sérénité et paix.
Des maisons en paille qui se trouvaient en bordure des sentiers ou dans les profondeurs des champs disparurent et furent remplacées par des bâtiments en dur.
C’étaient les premiers signes du progrès et de la prospérité. La majorité des habitants de ces villages étaient des prolétaires qui dépendaient de leur maigre salaire hebdomadaire pour subsister. Des familles toutes entières s’entraidaient pour l’achat de parcelles de terres et même pour bâtir de leurs mains leurs propres habitations. Le peuple avait une volonté ferme d’avancement, de progrès.
Alors que j’assistais avec désolation à l’effondrement du commerce de mon père, je me vengeais de cette malédiction sur ma famille par une rage de travailler dur et un accroissement de mes heures d’études, à l’approche de l’examen.
Heureusement, nous n’étions pas perdus car ma mère avait des ressources provenant de l’héritage de son père et, jusqu’à ce que son mari rétablisse sa situation, ils durent puiser dans leurs économies et furent dans l’obligation de modérer leurs dépenses.
J’arrivais à la période la plus importante de ma vie scolaire.
Je me voyais face à un dilemme que je n’étais pas seul à affronter.
A peine avais-je franchi l’étape de l’examen que je découvrais l’énorme tâche que l’avenir m’invitait à accomplir.
Mon père se débattait comme il le pouvait dans le labyrinthe de ses problèmes. Sa situation me faisait comprendre que je ne pouvais rien attendre de lui et qu’il faudrait que, de mon côté, je me débrouille seul.
J’attendais le résultat de mon examen; le temps s’écoulait lentement et il fallait que je me armais de patience.
Ma tante de la Réunion qui était en vacances chez nous me proposa de l'accompagner dans son Île pour me permettre de me reposer. J’étais très inquiet et paraissais très fatigué. C’était tout naturel, après de telles périodes, que des altérations surviennent dans nos sentiments et notre physionomie.
Malgré mes tourments et mes craintes, j’éprouvais une joie ineffable d’aller retrouver ma cousine à la Réunion.
Ce voyage décidé à l’improviste, je n’eus pas l’occasion de la surprendre en débarquant à l’aérogare de Gillot sans qu’elle s’y attende.
Je passai d’agréables moments avec ma cousine quand je reçus un courrier de mon père m’apprenant ma réussite à l’examen !
J’exultais de joie. Je me hâtai de rentrer à la maison pour préparer mon avenir.
J’occupais mes heures creuses en composant des pages que je trouvais superbes à destination de l’élue de mon cœur à laquelle je vouais un amour brûlant et sincère
Je parlais longuement dans mes lettres des tourments et de la passion qui s’étaient installés dans mon cœur, de la souffrance que la séparation imposait et de la peur de la perdre à jamais. Je noyais mes pensées tristes dans des lectures interminables. Ma seule consolation était l’arrivée de la lettre tant attendue, que je lisais tant de fois que je la connaissais par cœur !