DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 23
A l’époque, je n’avais que deux costumes que je portais en alternance. Le costume bleu pâle était celui du mariage de ma sœur qui datait de quelques années déjà et l'autre costume gris avec des rayures noires également fait à l'occasion d'un mariage d'un parent proche. J'utilisais par occasion le paletot de mon père ou de mon oncle qui n'en servait jamais.
Je me réveillais d’habitude à sept heures du matin et sortais de la maison à huit heures; ensuite, je marchais jusqu’à La croisée pour prendre un taxi qui me déposait devant l’hôpital Sir Seewoosagar Ramgoolam où j’attendais l’arrivée du bus qui me ramenait devant le collège Northern à Plaine des Papayes. J’atteignais l’établissement scolaire dix ou quinze minutes avant que la cloche ne sonne et j’étais de retour à la maison vers quatre heures de l’après-midi en faisant le même trajet en sens inverse.
A Maurice toutes les personnes qui enseignent sont appelées des Professeurs. A partir de maintenant j’utiliserai le mot Professeur pour désigner les enseignants, malgré que, dans son contexte, il existe une très grande différence entre les mots professeur et enseignant.
Lors de la mise en rang, dans la cour de récréation, et d’après le principe de l’Etablissement, tous les élèves devaient s’aligner en ordre respectif, commençant par les plus petits et les plus grands à l'arrière.
Chaque professeur était responsable d’une classe particulière dont il avait la charge de la mise en rangs, en contrôlant l’alignement, les tenues vestimentaires des élèves et en exigeant avec sévérité et rigueur l’ordre et le silence.
Après quelques mots du Directeur les élèves et les professeurs entamaient l’hymne national :
« Glory to thee
Motherland,
Motherland of mine…. »
avant de regagner les classes en files indiennes en passant au côté droit ou gauche du bâtiment.
Le collège était abrité dans une vieille demeure de plusieurs pièces aménagées et couvertes, dont l’aspect peu attrayant n’attirait en aucune façon l’attention des passants, si ce n’est une enseigne quelque peu abîmée qui indiquait l’établissement scolaire.
L’intérieur des classes, très sombre par temps couvert, était tout de même équipé de quelques ampoules électriques qui étaient censées éclairer les jeunes cerveaux des élèves.
Cet établissement assez isolé des autres habitations était très calme.
A l’arrière du bâtiment, la construction récente de quelques salles supplémentaires indiquait déjà l’évolution des activités du collège. A côté de ces nouvelles constructions s’étendait une vaste plaine qui servait de terrain de football pendant la pause de midi. A d’autres moments, ce terrain servait de terrain de jeu aux plus jeunes élèves qui pouvaient s’ébattre, se détendre sur des herbes vertes.
Ce département était fréquenté uniquement par des garçons, la mixité n'était pas de rigueur et le bâtiment scolaire destiné aux filles se trouvait trois cents mètres plus bas.
Le bâtiment, à environ cent cinquante mètres de la route royale, se situait derrière une vaste plaine herbeuse où les filles se rassemblaient le matin en attendant le début des cours.
Les élèves de la campagne étaient encore fermés à tout ce qui n’était pas de leur domaine rural. Il était rare que je puisse rencontrer une élève qui parvint à s’exprimer en langue française. Il s'agissait là bien évidemment de l'environement où je me trouvais. Ce n'était pas du tout une généralité. Ce langage français était bien entendu pratiqué dans d'autres endroits précis et particuliers.
Il est encore évident que, même jusqu’à ces jours, la pratique de la langue française et anglaise à domicile est quasiment inexistante à quelques exceptions faites.
Pouvoir maîtriser un langage et le pratiquer couramment est certes un avantage et pour encourager cette pratique à mes nouveaux élèves, j’avais pour habitude de tester leurs connaissances des langues en animant des conversations au cours desquelles je les incitais à s’exprimer le plus amplement possible sur différents sujets.
Les filles très réservées, timides jusqu’à en avoir l’apparence glaciale, étaient moins communicatives. Je comprenais très bien cette manifestation toute naturelle mais le temps les obligeaient à changer. Elles devenaient à l’aise avec des personnes qui auparavant les auraient intimidées. Pourtant, entre-elles, elles riaient, blaguaient, étaient très détendues. Je profitais de ces moments où elles étaient libérées de leurs complexes, pour mieux les comprendre et les connaître. C’étaient de jeunes créatures innocentes et pures qui étaient encore au seuil de leur existence.