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UNE FEMME MYSTÉRIEUSE

5 Mai 2020 , Rédigé par Kader Rawat

 

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

 

UNE FEMME MYSTÉRIEUSE

 

Au delà du village de l'Entre-deux, une route forestière s'étendait à plusieurs kilomètres et débouchait sur une chapelle et une école, entourées d'une dizaine de petites maisons, toutes abandonnées par leurs occupants vingt ans auparavant en raison d'une épidémie qui sévissait dans la région. C'était dans cette atmosphère de désolation et de désuétude, que le brouillard avait rendu sinistre et lugubre, qu'une femme s'était échouée, venant de nulle part et se dirigeant vers aucune destination. Une pluie battante qui faisait plier les branches des grands arbres rendait son parcours pénible et éprouvant par ce sombre crépuscule du mois de Mai quand le vent violent, soulevé par un de ces caprices de la nature, la forçait de s'agripper aux arbustes incrustés dans la terre imbibée d'eau et de se protéger derrière le tronc d'un araucaria pour ne pas dégringoler les pentes abruptes qu'elle venait d'escalader. Sa grande robe trempée et collée à son corps fragile devenait lourde comme une armure difficile à supporter et ralentissait sa progression au milieu de cette nature déchaînée. Elle se trouvait au bord de l'épuisement et était sur le point de s'évanouir quand Jean-Régis, qui passait en même occasion dans le coin, l'aperçut et l'aidait à atteindre la chapelle vide, froide et obscure. Il avait allumé un feu dans un petit coin avec les planches pourries des bancs renversés et était parti sans prononcer aucune parole.

Elle grelottait moins durant la nuit qu'elle avait passé, en écoutant le vent hurlait dans le bois et, en attisant le feu avec des brindilles qui se trouvaient sur le parquet sale et défoncé. Jean-Régis retournait la voir de bon matin, alors que la pluie continuait à tomber, en apportant avec lui des gibiers qu'il fit griller sur les braises et qu'elle mangeait comme une personne qui avait très faim. Elle avait bu du vin qu'il avait apporté également et, quand il était parti sans échanger aucun mot, elle avait pu dormir derrière le confessionnal, sur des lambeaux de toiles récupérés çà et là dans la chapelle. Par les désordres qu'elle avait constatés, elle savait qu'elle ne serait pas dérangée, et que, depuis longtemps, personne ne fréquentait la région. Elle devait son salut à un homme qu'elle ne connaissait pas, considérait cette nouvelle existence comme une deuxième naissance. De son passé elle ne voulait pas y penser ni en parler à qui que se soit. Elle avait déjà mis une croix et ne comptait pas venir dessus.

Jean-Régis  apportait pour elle pendant des jours à manger, à boire et des vêtements sans qu'ils n'échangeassent aucune parole. Pour lui, dès la première fois qu'il l'avait aperçue, elle représentait cet objet de bonheur tant recherché et retrouvé enfin; il voulait prouver son dévouement à elle et rendre sa vie agréable. Il parcourait la campagne sans but, sans objectif, emportant avec lui, dans sa mémoire embrouillée, le souvenir d'une vie chargée de méfaits, et jamais il aurait pu songer qu'un jour il aurait la possibilité de mener une vie comme il aurait souhaité auprès d'une personne envers laquelle il pourrait éprouver autant de dévotion. Cette personne se trouvait maintenant devant lui et il ne savait pas ce qu'il devait faire pour la plaire. Il avait une crainte terrible de la perdre aussi brusquement qu'il l'avait trouvée. Il se rapprochait, à chaque fois, de la chapelle en se demandant si elle s'y trouvait encore.

Elle était toujours là. Elle ne voulait pas partir plus loin, pensant qu'elle avait fait déjà du chemin pour arriver jusque là et s'il était écrit dans son destin qu'elle était parvenue au terme de ce long voyage qu'elle avait entrepris, elle n'avait qu'à accepter son sort. Elle ne trouvait plus le courage de se débattre davantage dans la vie. Elle se laissait donc entretenue par cet individu qu'elle attendait et dont elle guettait le retour derrière la fenêtre comme s'il représentait déjà quelqu'un d'important dans sa vie. Mais quand il se rapprochait d'elle, elle ressentait comme un mauvais souvenir qui se refoulait dans sa mémoire encore vive des effroyables moments dont elle aurait dû vivre dans le passé. Ses yeux ternes et larmoyants ne pouvaient cacher les douleurs ineffables dont elle fit preuve et exprimaient l'état délabré de son âme en perdition et souffrante. De cet esprit perturbé et confus elle ne pouvait que présenter un visage placide, calme et glacial comme les marbres des tombeaux recouverts de terres humides cachées sous des mauvaises herbes. Ce visage d'une femme de trente ans perdait au seuil de cette ultime jeunesse toute trace de fraîcheur; toute lueur de gaieté qui illuminait le cœur, qui embellissait l'âme, qui éclairait l'esprit s'était éteinte à jamais dans un corps devenu froid comme un cadavre dont les yeux restait figés pendant de longues heures de la journée passées au fond d'un cloître envahi déjà par l'esprit du démon.

Elle comptait ainsi achever ses derniers jours en invoquant sur elle les pires des malédictions, et en se préparant pour passer dans le monde de l'au-delà sans laisser derrière elle aucune trace de son passage. Dans cette ultime conviction de se déclarer martyre et d'endurer les pénitences nécessaires pour quitter ce monde comme Jésus l'avait fait en portant la croix et se faisant crucifié, elle pensait qu'elle aussi avait le droit de tracer un chemin semblable pour l'expiation des fautes commises ultérieurement. Mais après plusieurs semaines à attendre que la mort venait la surprendre dans son sommeil, elle découvrit qu'elle se regorgeait d'énergie, que son visage reprenait les couleurs perdues, que ses membres vibraient par une force mystérieuse, que le sang coulait à flots dans ses veines, que ses yeux brillaient d'éclats et qu'elle semblait naître une deuxième fois. Bien décidée cette fois si de vivre sa vie comme elle le souhaitait, elle se transformait en une femme pleine de vitalité et, quittant ce refuge sordide et lugubre qu'était la chapelle délabrée, elle alla s'installer dans une des maisons abandonnées et vides.

Jean-Régis qui l'assistait et l'aidait dans toutes ses démarches trouvait une place très chère dans son cœur lavé de toute souillure. Avide de recommencer à vivre et de profiter de la vie, elle accepta de partager sa couche en se jurant mutuellement fidélité devant une croix qui se trouvait encore au fond de la chapelle. De cette union où Seul Dieu était témoin, fut engendré un enfant qui trouva le jour neuf mois plus tard par un crépuscule enflammé par les derniers rayons du soleil couchant. Neuf mois de vie heureuse fut achevés dans cette même nuit où la mère poussa son dernier soupir tandis qu'à côté l'enfant criait de toutes ses forces. Jean-Régis devenait comme un fou, errait dans le bois, frappait le front sur la terre maudite et pleurait pendant longtemps en tenant dans ses bras la seule femme qu'il ait jamais autant aimé. Il l'enterrait le jour suivant dans un cimetière à côté de la chapelle et quittait cet endroit pour ne plus jamais y retourner, emportant avec lui le seul souvenir de cet amour perdu, cette fille qu'il allait confier à sa sœur.

Cette histoire n'aurait jamais pu être contée si un jour, Jean-Régis n'aurait pas croisé sur son chemin un jeune prêtre qu'il avait invité chez lui et auquel il avait fait le récit au cas où un jour son témoignage pouvait servir pour quelque chose dans l'intérêt de tout le monde. Effectivement, étant donné que ceci ne faisait pas l'objet d'une confession, auquel cas le prêtre serait obligé de garder le secret, son témoignage devant le tribunal confirmait le fait que Jean-Régis était un repenti qu'il avait bien démontré par cette ligne de conduite exemplaire qu'il avait menée durant ses trente dernières années. Ce renforcement de position de Jean-Régis Picard n'était nullement de bon augure pour Fabien Deschamps qui voyait ses chances amoindrir pour prouver son innocence et, les soupçons portés à son égard s'intensifièrent, malgré les témoignages de quelques villageois qui avaient tout fait pour attirer la sympathie des jurés sur lui.

Le verdict tomba plusieurs semaines plus tard, après une plaidoirie menée à sens unique. Faute d'arguments, de preuves et d'une défense solide, Fabien Deschamps fut désormais condamné à perpétuité et cette affaire fut classée sans que personne n'en reparlât plus, tandis que la vie continuait son cours.

Copyright © Kader Rawat

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