Les chemins de l'émigration 2
Les chemins de l'émigration 2
Mme Ghanee ne demeurait jamais toute seule pendant les journées chaudes et étouffantes. Elle était tout le temps en quête d'amitié et avait horreur de la solitude. C'était la raison pour laquelle elle était constamment en train de livrer conversation avec des personnes qu'elle venait de rencontrer. C'était aussi de cette manière qu'elle noua amitié avec une jeune femme hindoue qui était aussi friande qu'elle l'était de parler du passé. Elles éprouvaient des fois le désir d'aller explorer ce temps laissé en arrière dans l'imagination et qui pour elles avaient une grande importance. Elles se montraient tellement attachées à ce passé précieux que le présent qu'elles vivaient en dépendait beaucoup. Un passé évoqué parfois avec joies parfois avec nostalgie. Mme Ghanee ne tarda point de gagner sa confiance après l'avoir raconté sa vie dans les détails. Elle s'appelait Ranubenjee et se montrait très bavarde quand Mme Ghanee la questionnait sur sa vie. C'était comme si elle avait besoin d'une confidente et qu'elle avait énormément de choses sur le cœur à partager. Elle avait commencé à se confier de cette manière
« Depuis que les anglais sont venus s'installer en Inde, emmenant avec eux leurs traditions et leurs cultures, notre existence a subi à des grands changements. Notre vie est prise dans un engrenage qui nous empêche de réagir. Nous nous laissons entraînés vers je ne sais quelle destination. Je priais tous les Dieux: Brama, Ganesa, Vishnu, Krishna, Rama. Toute petite encore, je demeurais dans les temples en compagnie de mes parents et des gens qui cherchaient à apaiser leurs souffrances. Je devais avoir huit ans seulement quand je perdis mes parents dans des circonstances déplorables. Je me retrouvais toute seule dans un petit village. Les gens disaient que j'étais sauvée par miracle dans une inondation qui emportait mes parents, frères et sœurs. Une vieille femme qui m'avait recueillie au bord de la rivière s'occupait de moi avant de tomber gravement malade. Elle mourut dans mes bras tout près d'un temple pendant que j'essayais de la faire boire une gorgée d'eau. Je pleurais toute la nuit devant ce cadavre que je verrais d'ailleurs brûler le lendemain sur un tas de bois par les gens du village. Cette séquence est restée imprégnée dans ma mémoire que je ne suis pas prête à l'oublier.»
Et tous ceux qui avaient fait sa connaissance pendant le voyage ne pouvaient ignorer comment elle avait continué son existence toute seule.
Quand Mme Ghanee se retrouvait quelques semaines plus tard à l'île de la Réunion sur le quai du Port par un matin bien ensoleillé, elle était complètement perdue au milieu d'une foule composée des gens de diverse origine. Le climat était agréable. Des passagers descendaient les escaliers en pierres de taille qui reliaient le bâtiment de la douane à la grande cour qui s'étendait plus bas; ils se jetaient dans les bras des parents qui les attendaient en laissant échapper de longs soupirs de soulagement, des éclats de rires et des larmes de joies. Mme Ghanee cherchait de ses yeux hagards des personnes qu'elle avait rencontrées pendant le voyage et qu'elle pourrait reconnaître dans la foule. Elle les trouva toutes joyeuses, gaies, hilaires pour avoir retrouvé parents, familles et amis. Elle ne pouvait s'empêcher de partager leurs joies même qu'elle se sentait quelque peu délaissée et seule. Elle comprenait que le moment pour elle n'était pas approprié pour aller demander de l'aide. Elle préférait attendre. Certaines personnes qu'elle avait eu le courage d'aborder pendant le voyage l'avaient promis de s'occuper d'elle aussitôt qu'elles seraient dans l’ile. Elle gardait l'espoir qu'elle serait d'un moment à l'autre prise en considération. De grandes dames habillées de longues robes traînantes de couleur joyeuse, protégées des parasols défilaient devant elle avec leurs bagages transportés sur la tête des coolies qui les précédaient. Mme Ghanee tenait Abdel Rajack par la main et se retirait dans un coin tranquille. Elle échangeait quelques paroles avec des femmes d'origine indienne qui s'étaient regroupées à peu de distance pour attendre l'arrivée des parents. Elle se présentait comme Mme Vve Fatema Ghanee mais quand elle aperçut que personne ne s'intéressait à elle, elle commençait à manquer de patience; elle allait se renseigner si elle pouvait trouver une pension de famille dans la ville.
Elle était complètement perdue dans cette foule. Elle pensait qu'elle pourrait compter sur des personnes qu'elle avait rencontrées sur le paquebot et qui avaient promis de l'aider aussitôt débarquées. En tout cas elle ne passait pas inaperçue.
Beaucoup des gens qu'elle avait connus sur le paquebot l'abordaient pour la rassurer qu'elles s'occuperaient d'elle aussitôt qu'elles auraient terminé à saluer parents et amies et à rassembler bagages et autres dans ce brouhaha. Elle les remerciait et attendait avec patience. Elle se sentait satisfaite enfin d'apercevoir que ses amies ne l'avaient pas abandonnée ou oubliée. Elle avait perdu beaucoup de temps à rassembler ses malles et ses valises. Elle avait eu de la peine à trouver des coolies pour descendre sa malle et quelques bagages. Elle découvrit bien vite un monde nouveau, des coutumes et des traditions différentes. Elle savait déjà qu'elle avait beaucoup à apprendre pour être à l'aise dans cette nouvelle société. Cela lui prendrait du temps. Mais n'avait-elle pas tout le temps devant elle? Elle pourrait s'y consacrer pour préparer l'avenir de son fils. Elle était armée de patience et avait une telle confiance qu'à aucun moment elle n'avait perdu courage ni espoir. Son visage exprimait l'absolue confiance que son Créateur ne l'abandonnerait pas.
© Kader Rawat
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