Ma Tante Angélique 1
Ma Tante Angélique 1
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
L’existence ! En voilà le mot qui m’est venu à la mémoire le jour où j’ai reçu la nouvelle que ma tante Angélique est morte. On est venu me donner cette nouvelle comme si de rien n’était et je l’ai prise très calmement.
Je dois me préparer à l’instant même pour attraper l’autobus de quatre heures ; il ne me reste qu’une heure devant moi. Je me rase à la hâte, prends mon bain, fais ma valise et me dirige vers l’arrêt bus, tout près du grand chemin, à un quart d’heure de marche de ma demeure. Il y a plus de trois semaines que je n’ai pas vu tante Angélique et la dernière fois que je l’ai quittée pour me rendre dans ce petit village que je connais à peine, elle m’a dit de ne pas gaspiller mon existence car je dois toujours me rappeler que l’existence est très courte. Elle a tout à fait raison de m’avoir donné un tel conseil et d’autre part je sais qu’elle veut me faire comprendre des choses qu’elle n’ose pas me dire.
Je reste là à penser comment ce beau visage qui a tant vécu, n’est plus. Je me sens envahi par une profonde tristesse. Je me demande quelle est l’importance de vivre quand on sait qu’on cesserait de vivre un jour. Certes, c’est absurde de faire une telle pensée mais les choses de la vie semblent parfois si dures et si sévères que nous, créatures humaines, éprouvons des difficultés à comprendre. Il arrive un moment où la vie ressemble à une terre brûlée et à marcher dessus est un martyre, une pénitence. Le monde est un théâtre où chaque individu joue son rôle. C’est un spectacle où chaque personne participe et assiste en même temps, avec le plus grand dévouement, à ce jeu qu’on appelle “la comédie humaine.”
Il arrive bien souvent au cours de l’existence que la vie nous abandonne et, au moment même, l’on se voit, l’on se juge l’être le plus misérable au monde. La vie, c’est l’existence même. Tante Angélique avait raison de dire “de ne pas gaspiller l’existence”. Et maintenant la vie, pour elle, est finie. Elle ne vit que par l’esprit parce qu’elle n’est plus parmi les vivants. Elle est comptée parmi les morts, et les morts on pense à eux pour un certain temps et après, on les oublie aussi. J’ai tant envie de voir tante Angélique. Elle semble si vivante à moi que je ne peux supporter de penser qu’elle ne vit plus. Mes empressements me mettent dans une si grande agitation que mes actions me paraissent machinales. Peu après, je me vois m’éloigner de la maison en grandes enjambées. Les maisons, les arbres ne représentent plus rien pour moi et, parfois une bouffée d’air frais vient me vivifier le corps. J’entends des bruits, des voix mais sans rien comprendre. Je n’ai pas attendu longtemps pour attraper l’autobus et, m’installant dans un coin à l’extrémité, ayant ma tête appuyée sur la banquette arrière, je me suis assoupi, malgré les multiples pensées agressives qui me hantent l’esprit.
Quand je me réveille, je me trouve déjà tout près de mon village. Je descends, emportant ma petite valise avec moi. Comme je suis assez pressé, j’évite à tout prix la rencontre des amis et, au lieu de passer le long du chemin principal, je passe à travers champs, par des sentiers étroits et tortueux.
En approchant la maison, je remarque qu’il y a plusieurs personnes dans la cour. Je reconnais la plupart d’entre eux. Les uns sont des voisins et les autres des parents lointains que je rencontre assez rarement.
Je n’ai pas le temps de les saluer et je me dirige droit vers la chambre où se trouve tante Angélique. Elle est sur le canapé. Je peux entendre les pleurnichements des uns, les murmures des autres. Je remarque tante Félix, habillée en noire comme les autres, qui pleure aussi et qui se trouve tout près du canapé. Je sais que si je resterai plus longtemps à les regarder je ne tarderai pas à voir mes larmes couler sur mes joues. Je m’approche de tante Angélique pour la regarder de près. Je l’ai vue. Son visage est tel que je l’avais quitté la dernière fois. Que son âme dorme en paix, pense-je en la regardant et en faisant un signe de croix. Et après, je suis sorti.
J’ai pris ma place dans l’autre chambre pour passer la nuit. Je n’ai pas dîné, et je n’en ai pas envie. On a passé du café noir à plusieurs reprises. J’ai choisi un coin afin qu’on ne me dérange pas. Je n’ai pas voulu non plus livrer conversation à personne parce que mon état d’esprit ne m’en permet pas.
Je passe les premières heures à observer les autres. Je ne les connais pas et j’en suis certain qu’ils sont tous des parents. Je ne m’en soucie pas de les connaître. Et ce n’est pas non plus le moment.
Je me souviens encore quand j’étais tout petit et habitais dans cette cabane de La Colline, c’était tante Angélique qui se trouvait auprès de moi. C’était tante Angélique qui me berçait dans ses bras. Oui, cette même tante qui se trouve dans l’autre chambre. J’en ai envie de pleurer, de crier. Mais à quoi bon. Elle ne m’entendra pas.
Elle, envers laquelle j’ai gardé et je garderai toujours ce sentiment maternel. Personne ne comprendra. Personne. Sauf elle et moi. Comment pourrai-je l’oublier pour tout ce qu’elle a fait pour moi. Non. Ce n’est pas possible. Pour moi elle n’est pas morte. Elle vit encore. Elle vivra toujours. Oui, elle est là devant moi ; je l’entends qui m’appelle. C’est loin en arrière. Je n’avais que sept ans.
— François. François..., où es-tu François.
— Je suis là, maman.
— Oh ! François tu m’as fait peur. Ne t’éloigne pas de la maison, mon chéri. Tu sais très bien que c’est dangereux d’aller jouer loin auprès des ravines. Si tu y tombes, personne ne le saura. Tu me promets de ne jamais y aller, mon gâté. N’est-ce pas?
— Oui, maman, mais je ne sors pas du côté des ravines.
— Très bien, tu ne dois pas y aller, mon chou.
C’était la première instruction que tante Angélique m’avait donnée. Elle me surveillait toute la journée ; et avec toujours cet air de gentillesse qu’on n’arrive pas à trouver en toute personne, elle m’ordonnait ou m’empêchait de faire quelque chose.
®Kader Rawat