Dans la jungle de l’existence
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La discrétion de la vie quotidienne à laquelle j'étais si peu habituée, me faisait avoir pour l'existence des aspirations nouvelles que je puisais dans ce mode de vie auquel je devais me plier. En tout cas attendre à l'arrêt-bus ou prendre le métro commençait à me paraître ridicule et même embarrassant. Mon refus de me jeter dans la vie mondaine était peut-être une erreur que je commettais. Je savais que je devais me confronter à tous ces menteurs, ces profiteurs, ces arnaqueurs, ces imposteurs qui étaient tous à l'affût des moindres erreurs, faux pas, que nous, innocents, pouvions commettre. Je devais de toute manière sortir pour tenter ma chance dans le grand monde. Mon fils en serait la victime si ma vie serait un échec. Je devais m’armer de patience pour supporter toutes les afflictions qui pourraient me tomber dessus s'il ne dépendait que de moi d'endurer les douleurs et les peines. Mais je ne pouvais pas voir mon fils souffrir sans que je ne sois profondément affectée. Quand il tombait malade je paniquais et même dramatisais la situation. J'étais angoissée tant que son état de santé ne s'améliorait pas. Que n'étais-je pas prête à faire pour lui?
Le salaire que je percevais me permettait à peine de mener une vie convenable. Je parvenais difficilement à économiser de l'argent pour régler les dépenses imprévues. Une fois, il m'arriva une chose effroyable. Mon fils tomba gravement malade alors que j'avais dépensé tout mon argent. J'étais impuissante devant la situation. L'idée même de mentir, de tricher, de voler ne me paraissait pas improbable. Je restais inerte devant le berceau à verser abondamment de larmes parce que je ne savais pas comment m'y prendre pour soigner Akbar. Je décidais de vider les tiroirs, de fouiller les poches des vêtements sales, de chercher dans le fond de l'armoire pour trouver de l'argent mais c'était en vain. J'avais des bijoux. Je n'avais pas hésité à les mettre en gage pour qu’Akbar consulte un médecin et pour acheter des médicaments.
Tôt le matin, alors que je me dirigeais vers l'arrêt bus, un automobiliste bien galant me proposa de me déposer devant mon lieu de travail. Je n'avais jamais accepté l'idée de me voir entrer dans la voiture des gens que je ne connaissais pas. J'étais indifférente aux voitures qui ralentissaient ou aux automobilistes qui voulaient m'adresser la parole. J'avais toute raison de me montrer méfiante. Les pages des journaux m'apprenaient tous les jours sur les causes des viols, des attentats à la pudeur, des actes d'agressions, des meurtres. Chaque individu me paraissait louche, bizarre, paranoïaque, obsédé sexuel, débile mental. La méfiance que j'éprouvais envers les hommes remontait au temps où j'étais à l'école. Je craignais davantage les hommes quand je me voyais enclin à les affronter.
L'influence de la société dans laquelle je vivais était plus forte que ma volonté de préserver des vieux principes de jeunesse bien démodés. Depuis un certain temps, je ne cessais à tout moment du jour et de la nuit de faire des rêves de fortune et de m'imaginer en train de vivre une vie de splendeur et de faste. Je commençais à apercevoir que le salaire que je touchais n'était pas suffisant pour me permettre de vivre convenablement. Or, après avoir fait le compte de ce qu'il me fallait pour améliorer ma condition de vie, j'étais parvenue à la conclusion que je devais multiplier mon salaire par quatre pour pouvoir vivre comme je l'imaginais. Mais quel emploi me permettrait de percevoir une telle somme? Je faisais partie de ces employés modestes qui n'avaient ni diplôme ni expérience ni recommandation. Le plafond de mon salaire était si bas que mes grandes ambitions et mes rêves s'évanouissaient à jamais. Je n'avais aucun espoir de voir ma situation s'améliorer dans mes activités professionnelles. Je ne comptais pas rester sans rien faire. J'avais trop de projets pour me laisser surpasser par la vie. Quand je me décidais de me battre, c'était devant le vaste monde que je me trouvais et toute seule. Les pires ennemis étaient les hommes, responsables de mes malheurs et vers lesquels je commençais à tourner mon regard. Je pensais que ce n'était qu'en me confrontant à eux que je parviendrais à les vaincre. Sinon je serais une vaincue. Je ne voulais pas essuyer un échec. J'étais prête à fournir de grands efforts pour survivre. J'avais laissé derrière moi famille, fortune, bonheur pour m'embarquer dans ces aventures à cause d'un homme. Que s'était-il passé au sein de ma famille quand ma disparition fut constatée? Combien mes parents avaient dû souffrir en découvrant qu'ils m'avaient perdue à jamais. Qui était responsable de tels châtiments, de tels supplices, si ce n'était pas l'homme qui n'est pas différent des autres? Comment faire pour survivre, surmonter cet obstacle, franchir cette barrière?
©Kader Rawat
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