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UN HOMME DE COULEUR

26 Avril 2023 , Rédigé par Kader Rawat

UN HOMME DE COULEUR

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

Pendant que Salim disparaissait derrière la frondaison, je continuais à avancer par des sentiers sinueux vers la maison qui avait attiré mon attention d’une manière particulière. Des oiseaux qui se cachaient derrière les lianes volaient en battant leurs ailes d’une manière furibonde. Ils allaient se poser sur les branches des arbres dont les rameaux pendaient jusqu’au sol. Quelques moineaux qui sautillaient sur la terre sèche prenaient leur envol et disparaissaient dans le ciel azuré. Un chat venant de par l’arrière d’une touffe de bambous surgit à ma droite et me fit une frayeur qui faisait battre mon cœur d’une manière frénétique avant de disparaître dans une ouverture protégée par des barreaux qui donnaient assurément accès à la cave qui servait également de trou d’aération. Un chien apparut tout près de la véranda mais n’aboya pas, ne prit pas l’air méchant et alla s’asseoir tranquillement sous un arbre à pain. La lumière du soleil déclinant s’infiltrait jusqu’aux racines des arbres et répandait ses lueurs jaunâtres, sa chaleur dans ces lieux longtemps restés cacher dans l’ombre.

Je n’étais pas debout longtemps devant le portail, à porter mes observations sur tout ce qui pouvait retenir mon attention, qu’à mon grand soulagement, je vis avancer, dans ma direction, un homme de couleur vêtu d’un accoutrement le faisant ressembler à ces esclaves d’autrefois que j’avais souvent eu l’occasion de voir dans des films dont l’histoire se passait au temps de l’esclavage. Je demeurais perplexe à l’idée de retrouver encore à notre époque ces anciennes coutumes et apparences que certaines personnes se représentent encore comme les vestiges d’un passé, d’un temps qui ne s’effacera jamais de notre mémoire et qui fait partie de l’histoire de notre île, de nos ancêtres. Combien mon esprit ne demeurait-il pas troublé de revoir ce petit monde grouillant, perdu dans une lointaine colonie, éloigné des grands continents, de la civilisation pour survivre ? Des gens de toute origine qui se regroupaient là pour construire ensemble une nation. Mais combien il était triste pour moi de penser à leur condition de vie, aux misères qu’ils avaient vécues, au peu de moyen dont ils disposaient pour organiser leur vie difficile, dure, insupportable. Une voix était venue me retirer de ces pensées.

– Vous désirez quelque chose m’dame ? me demanda le vieil homme de couleur qui s’était approché à quelques mètres de moi.

Le ton qu’il avait utilisé pour m’adresser la parole m’avait étonnée. Je pus comprendre que mes regards indiscrets que je laissais trainer un peu partout, mon aspect qui me donnait l’air de quelqu’un d’impertinent, la façon curieuse de fourrer mon nez un peu partout ne lui avait pas plu et que même ma présence dans ce lieu à cette heure indue éveillait des soupçons à mon égard. Était-ce le gardien de cette demeure qui se montrait mécontent de voir se pointer une étrangère qui n’avait rien à faire là ? Devait-il se montrer désagréable à tous ceux qui s’y approchaient ou qui voulaient y pénétrer sans y être autorisé tout en sachant qu’il ne faisait que son travail et qu’il avait reçu comme consigne de se méfier de tout ce qui bougeait ?

– Je suis venu accompagner mon ami pour effectuer une livraison dans les parages et qui justement est en train de chercher le domicile. 

– Une livraison ! s’exclama-t-il en fronçant les sourcils et en jetant un coup d’œil derrière moi dans la ruelle étroite où était garée la camionnette contenant dans le caisson le sommier à latte et le matelas bien visible au loin. Mais le patron n’a rien commandé, surtout pas de lit et de matelas. Vous devez vous tromper d’adresse. 

En même temps Salim se pointait derrière moi et avait assurément entendu la fin de la conversation.

– Absolument pas monsieur, répondit Salim. En début d’après-midi un homme s’est présenté dans mon magasin et m’a acheté ces meubles en me demandant de les livrer à cette adresse. Il n’y a pas deux maisons qui se ressemblent dans les parages. Ces marchandises ont déjà été payées et je suis venu les déposer. Il m’avait bien fait comprendre qu’il les voulait aujourd’hui même. 

– Vous avez dit que quelqu’un est venu dans votre magasin ? 

– Oui, c’est bien ça. 

– Comment est-il ? 

– Pourquoi cette question ? Vous pensez que c’est une erreur ? Ecoutez, monsieur. Je débarque les marchandises et vous en faites ce que bon vous semble.

– Voyons donc, répondit le vieil homme, ce n’est pas la peine de vous emporter. 

En vérité l’humeur semblait avoir changé de camp. Du moment que sa présence fut justifiée et que tout l’ombre de soupçon qui ombrageait le front protubérant et tanné du vieil homme eut disparu, Salim se sentit pris par une impulsion nerveuse de montrer son exaspération, son manque de patience dû assurément à la fatigue, l’indisposition que j’avais remarquée depuis la veille. Il toussait rarement dans la journée mais avait la respiration lourde, indice qui le prévenait qu’il n’était pas complètement guéri de la maladie qu’il traînait depuis un certain temps et qui ne semblait pas le lâcher. Il n’avait donc aucune raison de se décaler et de se montrer désagréable. Le vieil homme ne faisait que son devoir. Il avait tout son droit de se montrer vigilant avant d’accepter d’introduire dans la maison des mobiliers.

– Veuillez nous excuser monsieur, dis-je, vous avez parfaitement raison de vous montrer prudent en ces temps-ci. Le type qui a acheté les marchandises est de taille moyenne, teint clair, moustachu et cheveux longs. 

– C’est donc lui. Attendez un instant que je prévienne la patronne. 

Puis il se lança à petit trot vers la demeure. Je levai mes regards vers les fenêtres de l’étage avec l’espoir de voir les rideaux bouger, m’indiquant qu’une personne épiait de l’intérieur. Rien ne bougea, si ce n’étaient quelques vols d’oiseaux qui attirèrent mon attention. Je détournai ensuite mes yeux vers la rivière sinueuse, suivant le lent cours d’eau où quelques femmes se mettaient debout pour laver les linges et où les enfants pataugeaient dans l’eau. Leurs cris stridents, emportés par le vent, atteignirent mes oreilles et me tirèrent de cet état de surdité dans lequel je me trouvais, tant dans ce lieu le silence était absolu. Mes regards scrutateurs remontaient le long de berges et se perdaient dans la vallée qui se dressait au loin, verdoyante, parfois même scintillante sous les reflets du soleil qui commençait déjà à cette heure à décliner vers l’horizon.  Un univers sublime se présentait, s’offrait devant moi et je ne pouvais ne pas en profiter pour porter mon admiration, mes observations, sans jamais pouvoir exprimer l’immense sensation de joie qui s’emparait de moi.

Les pâtés de maisons qui se dressaient dans les hauteurs et dans le lointain indiquaient l’extrémité de la ville de Saint-Denis, cachée de l’autre côté des falaises qui paraissaient comme des barrières. Des hirondelles, des moineaux, des paille-en-queue, des pigeons survolaient la région et disparaissaient derrière les montagnes. Plus loin, là où le soleil se couchait, la mer s’étendait de toute sa splendeur et comme une nappe de plomb qui se perdait derrière l’horizon, semblait inviter les admirateurs à se rendre dans son royaume. Illusion funeste bien sûr. Les aventureux ne peuvent trouver, ni souhaiter meilleures occasions pour se distraire. Au moment même, derrière un promontoire, une barque glissait lentement sur la mer azurée, laissant à son passage une trace fine qui tardait à disparaître, à s’estomper, à s’effacer comme pour faire oublier sa brève apparition. L’embarcation filait tout droit et disparut derrière les arbres qui s’élevaient de l’autre côté, à gauche de l’embouchure.

Cette région où la rivière se confond avec la mer et où les courants s’écrasent contre les vagues semblait inhabitée et sauvage encore tant les broussailles s’élevaient de part et d’autre comme des obstacles dangereux.  Je commençais à peine à m’intéresser à mon entourage quand un bruit de bruissement de feuilles sèches attira mon attention.

C’était le vieux monsieur.

–  La maitresse désire vous voir madame, me dit-il en s’approchant de moi.

– Vraiment ? Où est votre maitresse ? Demandais-je, un peu inquiet.

–  A l’intérieur de la maison. 

–  Pourquoi elle ne sort pas ? 

–  Elle ne peut pas sortir. 

–  Elle est malade ou infirme…..ou…… 

  J’allais prononcer le mot blessé mais j’avais préféré ne rien dire.

 – Vous le saurez, madame, quand vous la verrez. 

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©Kader Rawat

 

 

 

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