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Brûler sur un bûcher

1 Juin 2023 , Rédigé par Kader Rawat

Brûler sur un bûcher

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

Pendant ce bref instant de repos, je fus envahi par une foule d’idées grouillantes qui s’étaient agrippées à mon esprit sans ne vouloir me quitter. Je tentais à les repousser, à les écarter, à les éloigner et constatais qu’elle me firent des assauts répétés, ne me donnant aucun moment de répit, me projetant dans un passé où ma vie était si plaisante avec mes parents, me berçant dans le sein de la famille, me retournant à l’époque où je les avais perdus, m’accusant de m’être montré obstiné, de m’intéresser à une fille qui ne pouvait m’appartenir et que je ne pouvais entretenir, me reprochant de ma résolution de ma retraite dans le bois, de mes entreprises pour affronter Harold Blake, de ma liaison avec les esclaves, des influences que j’avais exercé sur eux, des résultats que tout cela avaient abouti, des actions de représailles qui s’ensuivraient, des jugements, des peines, des condamnations, des pendaisons qui viendraient couronner tout ce dont j’avais voulu mettre en œuvre. Combien de chefs d’accusations seraient portés contre moi sans que je n’aie aucun moyen pour me défendre ? Dans quel sale pétrin je m’étais enfoui pour que je puisse attendre qu’un miracle ne vienne me sortir de là ? Le Gouverneur de l’île aurait dû déjà envoyer des régiments, des patrouilles, des milices, des officiers à mes trousses. Quel moyen avais-je pour me protéger, pour leur faire comprendre ?
Mais leur faire comprendre quoi au fait ? Que le Seigneur m’eût parlé dans une vision et que j’avais reçu l’ordre de m’adresser avec toute la liberté requise aux esclaves, à leur expliquer des choses qu’ils ne comprenaient pas, à guider leurs actions, leur conscience ne serait-ce que pour les dresser contre leurs maîtres, pour stimuler leur sang dans leur veine jusqu’à les pousser à la révolte, au carnage, aux massacres ? Je ne voyais aucunement de quoi je pourrais parler à Monsieur le Juge, quelles explications je pourrais donner, quelles réponses je pourrais rendre quand je me verrais interrogé, questionné, accusé par le grand Conseil Colonial avant que le jugement final soit rendu sur mon sort. Il est tout à fait vrai qu’en ce temps-là, ma conception pour la justice était tellement vague que je ne pouvais me faire une idée des peines affligées aux différents degrés de délits et de crimes commis par tout individu. Mais je savais que brûler sur un bûcher, la pendaison, la guillotine étaient parmi les plus sévères des punitions. En essayant de porter des examens sur les chances qui me restaient à me voir m’en sortir de cette situation, je n’en trouvais aucune si ce n’était pas de passer par le tribunal. Un seul moyen qui pouvait me faire échapper les pires des épreuves était la fuite, une fuite immédiate avant qu’on me tombe dessus. Une telle entreprise présentait mille dangers, vu même l’état où je me trouvais et le parcours que je devais faire pour ne pas me laisser prendre. Pour réussir une telle entreprise je devais déjà élaborer un plan, avoir des complices et prendre des risques.
Et même si je réussis, je serais le fugitif, le traqué qui devais poursuivre son existence au fond des bois, loin des hommes, dans les marécages, les montagnes, à supporter les intempéries, à traîner son misérable corps mutilé, comme un animal, sans but précis jusqu’à ce que je n’en pusse plus, me rendant de mon propre gré à la justice. Même si je quittais l’île, malgré la surveillance sévère menée par les milices sur les côtes et réussis à me faire aider par un être qui aurait pitié de moi ou par un individu qui m’aurait soutiré de l’argent ou m’aurait fait des chantages ou qui sait par un capitaine de vaisseau ayant éprouvé à mon encontre un quelconque sentiment d’indulgence, est-ce qu’il ne soit pas probable que je sois reconnu, trahi, arrêté par les patrouilles qui interceptaient les vaisseaux, les fouillaient afin de ne voir échapper des insurgés, des rebelles, des insoumis, par la mer ? Je ne pouvais écarter une telle hypothèse et demeurais sceptique sur ma situation.
De tout évidence, après que j’eusse bien réfléchi, la fuite ne me paraissait pas la bonne solution pour affronter ma situation. De plus je porterais atteinte à l’image que je m’étais faite auprès des esclaves et je voudrais bien le préserver comme un élément que j’espérais utiliser pour appuyer ma défense. D’ailleurs de quoi devais-je avoir peur ? Ma conscience ne m’avait jamais reproché d’avoir tenté de faire du mal. Tout ce que j’avais fait et dit n’était que pour le bien être d’autrui.
N’avais-je pas, pendant tout ce temps que j’avais passé dans le bois depuis que j’avais décidé de m’éloigner de la Grande Maison quand j’avais compris l’horreur, le dédain, le mépris que j’inspirais à Maître Thomas Derfield, cherché la vérité à travers La Bible que je n’avais pas quitté, parlé de la vérité et de tout ce qui se rapportait à la Sainte Ecriture et qui fut pour les esclaves l’enseignement essentiel de leur vie, les révélations importantes, les récits fabuleux que leurs oreilles n’avaient jamais eu l’occasion d’entendre? Ne m’étais-je pas présenté à eux comme le sauveur, le bienfaiteur, le rédempteur, le libérateur ? Ne les avais-je pas, de mon langage inspiré de l’Evangile, partagé mes connaissances déployées en puisant dans ma lecture constante et abondante des Saintes Ecritures ? Je voulais par mes longs discours les convaincre des biens que je leurs voulais. Qu’y avait-il de mal d’apprendre aux ignorants des choses qu’ils avaient droit, comme tout autre être, à savoir ? Existe-t-il des lois qui interdisent que des choses ne devraient pas se passer comme telles ? Y avait-il des limites dans l’exercice du bien, dans la propagation de la religion, dans les paroles que j’avais bien voulu adresser aux esclaves pour les avertir des dangers qui les guettaient?

Tous droits réservés y compris les droits de reproduction, de stockage des données et de diffusion, en totalité ou en partie sous quelque forme que ce soit.

©Kader Rawat

 

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