Un amour de jeunesse Chapitre 13
Une étrange aventure
Door Desh ne figurait pas sur une vieille mappemonde que j'avais eu grande peine à me procurer de chez un marchand de livres que je trouvais sur ma route quand nous quittions le vieux Delhi pour se rendre à un temple. Joseph affirmait avoir déjà entendu parler d'un vieux sadhu qui vivait dans un monastère au delà d'une colline et qui connaissait les moindres recoins de l'Inde pour les avoir parcourus de long en large depuis son enfance. Son père était un fervent disciple de Ramakrishna et lui-même avait acquis de profonde connaissance de sa religion en demeurant parmi les disciples et en les écoutant prêcher la religion. Prakash était heureux de quitter ces lieux grouillants et tumultueux pour s'engager dans des sentiers calmes et paisibles. Nous évitions de justesse des bicyclettes montées par des adolescents imprudents. Parfois un troupeau de cabris dirigé par un berger sans expérience nous fit perdre beaucoup de temps. Je m'amusais devant cette vie désordonnée. Je m’armais de patience pour attendre que les événements se déroulent comme ils devaient. Je n'avais d'ailleurs pas de choix malgré qu'au fond de moi-même je désirais ardemment retrouver Devika. Nous atteignîmes le temple peu de temps après. Joseph bondit à terre et montait les escaliers quatre par quatre avant de disparaître dans le sanctuaire. La région était calme et peu de gens étaient regroupés de part et d'autre sous l'ombre des gigantesques arbres. Le soleil était haut dans le ciel et la chaleur accablante. Longtemps après Joseph n'était pas de retour. Je décidais de grimper les marches lentement. En haut je découvris une vaste salle. Des cloches étaient suspendues au-dessus de la tête à la hauteur qu'une main pouvait les toucher. Au milieu, des énormes piliers soutenaient le vaste dôme. Prakash était venu me rejoindre. Au fond le Dieu Hanuman attirait mon attention. J'étais impressionnée par sa tête de singe et sa longue queue. Prakash me le présentait, me disant qu'il est le Dieu qui vient au secours des gens qui sont en difficulté.
Joseph venait nous rejoindre bien après pour nous apprendre que Door Desh était le nom donné à un village lointain. C'était la région qui n'avait jamais été attaquée par des voleurs. Longtemps de cela un grand pandit qui parcourait l'Inde pour prêcher la religion et partager au peuple sa profonde connaissance de sanskrit parlait de la vision qu'il avait eue pendant qu'il se trouvait à Door Desh. Cette vision l'apprit que tous les Dieux de la terre et des cieux se donnent rendez-vous dans ce lieu pour parler des problèmes des hommes et de la terre. Cette nouvelle se répandit dans tout le pays. Personne n'a le droit de commettre le moindre péché en demeurant à Door Desh. Ceux qui sont malades trouvent leur guérison par miracle en atteignant Door Desh si leur cœur est propre. Les impures sont atteints des maladies qui les font souffrir atrocement. Ils doivent quitter la région le plus vite possible.
Les gens qui étaient chassés de leur maison par des voleurs se réfugiaient à Door Desh. Les voleurs cachaient dans les montagnes et attaquaient les villages, terrorisant les habitants, tuant les hommes, enlevant et violant les femmes et les filles. La justice ne peut rien contre eux. Ils déléguaient des espions dans plusieurs quartiers pour s'informer des dangers qui les menaçaient. Ils firent souvent courir les bruits qu'ils allaient attaquer tel village et quand la police et tout une garnison les tendaient des embuscades ils se trouvaient alors dans une région éloignée à dépouiller les riches. Ils enlevaient des enfants pour demander des rançons. Ainsi les dakhus parvenaient à survivre. Parfois la présence d'une belle jeune femme capturée chez un grand Seth perturbait l'harmonie qui régnait parmi les hommes. Pour faire respecter les droits et sauvegarder les honneurs, le chef suprême devait se montrer intransigeant envers les méchants qui étaient sévèrement punis. Ceux qui étaient blessés dans les sentiments finissaient toujours par trahir ses amis un jour pour assouvir sa vengeance. Le repère était cerné et la bande chassée. Bon nombre de ces bandits se faisaient tués, d'autres se rendaient ou s'échappaient par miracle. Une bande ainsi décimée pourrait difficilement se regrouper. Beaucoup des personnes notoires que la justice cherchait changeaient d'identité, s'intégraient dans la vie courante de la société sous une autre forme. Ils pourraient difficilement mener une vie honnête et ordonnée. Ils continuaient à pratiquer la malhonnêteté en exploitant les faiblesses des autres. Ils s'enrichissaient donc au dépend de la misère publique. Ils se faisaient puissants et achetaient pour une poignée de roupies les personnes influentes de la politique et de l'administration.
Pourquoi Devika me demandait-elle de me rendre à Door Desh. Pourquoi ? Elle devait assurément avoir ses raisons. Je fus informée que des chefs religieux organisaient des excursions jusqu'à Door Desh. Les intéressés devaient se faire inscrire et attendre le moment du départ. La distance étant bien grande et le parcours éprouvant, j'imaginais que je ne pourrais jamais atteindre le village à pieds comme le firent d'ailleurs ces pèlerins bien décidés. Je ne voulais surtout pas tenter cette expérience, sachant bien que je ne la supporterais pas. Nous nous regroupions un soir pour examiner dans les détails les moyens d'atteindre Door Desh le plus rapidement possible. Pour éviter de voyager par le bus qui est d'une extrême lenteur nous décidions de chercher un moyen de transport plus convenable. Notre but était de gagner la vallée du Gange avant de poursuivre notre route à dos d'éléphant.
Prakash ne fit pas partie de l'expédition. Sa présence ne nous était d'aucune utilité. Avant de nous séparer, je lui remis une forte somme d'argent pour les services qu'il m'avait rendus sans oublier de le remercier. Je me rendais dans mon hôtel pour me reposer. Le soir je portais une belle robe de soirée et descendit sur la terrasse pour commander mon dîner. Je passais une soirée merveilleuse en regardant jusqu'à fort tard des femmes exécutaient des danses classiques accompagnées d'une belle musique de Ravi Shankar.
Notre départ était fixé dans deux jours. Je voulais me rendre à la maison où Devika habitait avec le docteur Ajay. Je trouverais bien quelqu'un pour me renseigner de ce qui s'était passé. Joseph n'était pas de mon avis. Il aurait souhaité que je me repose pour affronter le grand voyage. Ma conscience n'était pas tranquille pour me permettre de telle fantaisie dans un moment pareil.
Je demandais à Joseph de venir me chercher au début de l'après-midi. Je me fis couler un bain et passais un bon moment dans la baignoire. Après avoir pris un bon repas, je me plaçais auprès de la fenêtre pour rédiger deux lettres dont une était adressée à mon fils en France et l'autre à mon père à l'Ile de la Réunion. Je me rendis moi-même au bureau de poste pour les expédier. Je ne savais pas qu'à cette heure de la journée les gens bousculaient devant les guichets. Impossible pour moi de me mêler à cette foule. Quelques badauds qui faufilaient parmi l'affluence étaient venus me proposer des timbres pour lesquels ils me réclamaient le double du prix. Je les avais payés en quittant le lieu fort soulagée. Quand je racontais cela à Joseph, il n'était pas, content du tout. J'aurais pu quand même lui confier cette tâche au lieu d'aller me risquer parmi des gens qui pourraient m'agresser. Je n'avais pas mesuré les risques que je courrais. En cherchant à faire par ma tête je pourrais le regretter un jour. Ce n'était pas un bon principe que d'encourager les ventes au marché noir. Joseph me le reprochait en me prévenant de ne pas commettre des erreurs qui pourraient me coûter cher. Beaucoup de touristes imprudents, me dit-il, se font dépouiller par des escrocs et sont obligés de se rendre auprès de leur ambassade pour quitter le pays dans les plus brefs délais. Ils ont perdu chèques de voyage, bijoux et passeport.
Il était près de trois heures quand Joseph héla un taxi. Nous roulions pendant une demi-heure dans les rues principales de New-Delhi en passant devant le Central Cottage Industries, le restaurant Bankura, l'hôtel Impérial, et le Krafts Muséum. Le taxi nous déposait à 146 Ramprasad Road devant une belle maison coloniale. C'était l'adresse que j'avais indiquée au chauffeur. La rue était large et dense. J'étais fascinée par la beauté de l'immeuble. Le portail était fermé et conditionné par une grosse chaîne. Je pouvais voir et les herbes étaient longues. Une épaisse couche de feuilles couvrait la pelouse. Ce n'était pas possible, pensais-je. C'était bien là que Devika vivait avec le docteur Ajay. Que s'était-il passé? Je n'avais pu me retenir d'interpeller un homme qui passait par là pour lui demander des renseignements sur la maison. Il avait deviné que j'étais une étrangère et pour satisfaire ma curiosité il accepta de me raconter la triste histoire qui se liait à la famille Chowdurry. Il était lui-même informé par les journaux quand le scandale éclata. Il habitait depuis peu de temps le quartier et n'en savait absolument rien sur l'existence de cette famille. Mais les journaux avaient fait mention d'une femme qui était venue bouleverser l'existence des Chowdurry qui vivaient auparavant dans la tranquillité. Le docteur Ajay était trouvé mort empoisonné dans sa chambre. Ce qui s'était passé, personne ne le savait. Les gros titres des journaux parlaient de drame de jalousie, de suicide d'un médecin envoûté par l'amour d'une occidentale, d'une meurtrière qui venait de loin et de crime passionnel. Quand l'individu m'apprit que la femme du docteur se trouvait en prison c'était avec effroi que je l'écoutais. Personne ne pouvait me dire où Devika était incarcérée. Il était bien probable comme c'était souvent le cas qu'elle était oubliée au fond d'une cellule et qu'on la connaissait que par son numéro d'immatriculation.
Je regagnais l'hôtel avec une immense tristesse. Je n'avais pas voulu dîner ce soir là. J'étais couché tôt. Je fis des cauchemars pendant toute la nuit. Je me réveillais de bonne heure un peu fatiguée par une nuit agitée. Je me mettais prête pour le départ. J'étais bien décidée à ne pas perdre une fraction de seconde. Je jugeais que la situation était bien plus compliquée que je ne le savais. Je devais agir le plus rapidement possible si je désirais sauver Devika avant qu'il ne soit trop tard. Je voulais précipiter les choses comme si dirait que mon instinct m'avertissait que le temps jouait contre moi et que si je ne parvenais pas à découvrir à temps les mystères qui planaient au dessus de toute cette affaire, mes démarches ne seraient qu'un échec. Entre temps Joseph avait examiné soigneusement sur la carte les chemins que nous devrions parcourir pour atteindre Door Desh. Il m'avait ensuite expliqué en détail la manière dont nous comptions border ce voyage et les risques que nous pouvions courir en cours de route. Il attachait beaucoup d'importance sur le fait que je sois informée des principaux obstacles que nous pouvions rencontrer.
J'étais allée faire la connaissance de Seth Gopalsingh la veille de notre départ. Joseph lui avait parlé de notre voyage et il pourrait nous trouver le guide que nous cherchions. Seth Gopalsingh était originaire de Bengale. Auparavant il gagnait sa vie en parcourant le pays avec un panier de serpents et une flûte. Il s'installait dans les quartiers populeux et commençait à charmer les serpents dès le matin jusqu'au soir. Les touristes qui passaient, lui lançaient des pièces de monnaie. Il gagnait beaucoup d'argent et provoqua aussi la colère de ses rivaux. Il faillit trouver la mort quand il fût une fois mordu par un serpent venimeux dissimulé sous son drap. Sa femme appelait vite au secours et les voisins accoururent pour le sauver. Il avait compris donc depuis ce jour combien il était méprisé. Il avait économisé suffisamment d'argent pour s'acheter un lopin de terre et construire sa maison. Il pratiquait plusieurs métiers avant de monter sa propre compagnie de déménagement, d'excursion et de voyage organisé. Il me fit visiter son entrepôt construit derrière sa maison et dans lequel entre autre je pouvais voir des pelles, des piques, des pioches, des serpes, des faucilles, des prélarts et une grande quantité d'instruments aratoires rangés convenablement. Notre guide qui nous fut présenté le jour même s'appelait Dheeraj et son assistant Jay.
Nous étions réunis dans la chambre de mon hôtel tôt le matin que nous devrions partir. Nous voulions voir une dernière fois ensemble la façon dont nous comptions aborder l'expédition. Quand toutes les questions étaient réglées et que rien n'avait été laissé au hasard nous nous installions dans une vieille camionnette dont le caisson était encombrée des bagages et de tous les attirails nécessaires pour le voyage. En traversant certains villages nous étions attardés par des attroupements et des désordres dans les rues. Les Musulmans et les Indous s'affrontaient pour les offenses d'ordre religieux causées les uns aux autres. Nous aurions dû contourner les villes pour poursuivre notre chemin dans la direction de la vallée du Gange. Je fus particulièrement éblouie par la beauté des paysages qui défilaient devant moi. À aucun moment je n'avais voulu détacher mes regards des étendues de terres qui semblaient exercer sur moi des étranges fascinations. Je repérais des vieux monastères tombés en ruines et essayais d'imaginer un peu l'histoire qui les avait réduits dans un tel état. Nous roulions pendant trois jours d'affilé sur des routes en corniche et couchions les soirs, moi sur la banquette avant de la camionnette et les autres en bordure de route dans des sacs de couchage. Ensuite nous traversions des plaines par des chemins carrossables et poussiéreux. Je supportais mal les secousses. Au bout de cinq jours en atteignant les rivages du Gange nous étions obligés de border la camionnette dans un coin et de poursuivre notre route à pieds et à dos d'éléphant. Pendant la nuit nous avions allumé un feu de bivouac pour chasser les moustiques et pour effrayer les animaux. Je craignais les serpents et les scorpions. Du haut d'une colline où nous étions arrêtés pour nous reposer une fin d'après-midi je regardais les manœuvres d'un homme en bas dans les champs. Il avait une étrange façon de se déplacer et ne semblait guère être pressé de rentrer chez lui malgré que la nuit commence à tomber. Sa silhouette est restée imprégnée dans ma mémoire. Son histoire est une tragédie qui me fut contée au moment même où mes regards planaient au dessus de cette ferme. Des années auparavant un homme qui avait bu plus qu'il en fallait, roulait à vive allure dans son camion surchargé de marchandises par un temps affreux. Il percuta à plein fouet un paysan qui rentrait de son travail et le tua sur le coup. Une femme et dix enfants devaient garder le deuil pendant que son jugement passait au tribunal de la province. Il fut condamné à travailler jusqu'à sa mort pour nourrir cette famille. Il n'avait pas le droit de s'éloigner de son lieu de travail où il était considéré comme prisonnier. Des inspecteurs venaient le rendre visite régulièrement pour s'assurer qu'il se trouvait bien dans les champs. Les enfants l'appelaient "oncle ennemi" et, trompant la vigilance de leur mère, allaient lui rejoindre dans les champs. Cette histoire m'intriguait beaucoup. J'essayais d'imaginer le sens qu'il donnait à la vie qu'il menait.
Dans le haut plateau le temps était couvert et menaçant. D'un moment à l'autre il pouvait commencer à pleuvoir. Le tonnerre grondait déjà quand nous décidions de nous abriter dans un vieux château longtemps tombé en ruines. Les murs étaient couverts des plantes grimpantes et des lichens. Nous avions pris refuge dans une vaste pièce avant que la pluie ne commençât à tomber. Le vent soufflait si fort que j'avais l'impression que le château allait s'effondrer. Les flammes des flambeaux suspendus aux murs vacillaient pendant toute la nuit. Le lendemain je me levais de grand matin. Je voulais visiter les moindres recoins du château comme pour découvrir les mystères cachés et les secrets. Je montais les escaliers en pierres pour m'introduire dans des pièces vastes et poussiéreuses. Des siècles auparavant un vaillant conquérant mongol envahit la région et entreprit la construction de cette forteresse. Il conquit avec l'aide de sa puissante armée les terres avoisinantes. Il repoussait plusieurs attaques des ennemis qui voulaient le chasser de son territoire. Ce mongol était un grand guerrier. Dans les champs de bataille il s'acharnait sur ses ennemis avec de telle fureur que ses hommes lui portaient de grands respects. Il était aimé et craint par ses hommes qui lui étaient d'un grand dévouement. Son désir était de préparer son unique fils pour prendre sa succession alors qu'il commençait déjà à entrer dans l'âge. Son fils l'accompagnait dans les champs de bataille et se battait à ses côtés. Les terres conquises étaient labourées et cultivées et les récoltes permettaient à nourrir tous ses hommes et enrichir la trésorerie. Les fêtes et les amusements embellissaient l'existence de ce peuple. Après les rudes travaux des champs, les hommes avaient de bonnes nourritures et des femmes. Les soirées étaient souvent animées par des spectacles de danses, exécutées par quelques belles femmes cultivées et pleines de grâce. Le grand mongol s'intéressait beaucoup au bien être de sa famille. La présence d'une jeune danseuse dont l'extraordinaire beauté avait conquis le cœur du jeune prince mongol, venait perturber quelque peu l'esprit tranquille du vieux mongol. Quelques personnes jalouses, lui avait mis la puce à l'oreille. Il surveillait lui-même son fils et eu confirmation de ce qu'il avait appris déjà. Cet état de choses rendait son existence difficile. Il ne pouvait accepter l'idée de voir son fils entretenir des rapports intimes avec une danseuse. La flamme qui embrasait le cœur du jeune homme mongol pouvait difficilement être éteinte par la colère et l'orgueil du vieux lion. La femme danseuse fut enfermée dans une prison et le prince était interdit de la voir. Indigné que son père ne veuille pas respecter son désir d'épouser cette femme, le fils quittait le château et formait sa propre armée pour ensuite déclarer la guerre contre son père. Son intention était d'aller délivrer la femme qu’il aimait. Le père et le fils s'affrontaient dans le champ de bataille. Le fils trouva la mort. Le père ne fut jamais consolé. En retournant au château, il fit ériger dans l'enceinte un tombeau dans lequel, la femme qui était responsable de cette tragédie, fut ensevelie, attachée à un poteau. Le vieux mongol mourut aussi de chagrin. Mes regards planaient pendant longtemps au dessus de ce royaume réduit à jamais au silence.
Quand le soleil fit son apparition au milieu de la journée, nous réprimes la route. Après deux jours de parcours épuisant, nous approchions un petit village abandonné. Au delà de ce village, nous aperçûmes une maison en désuétude. Nous décidions de nous installer là-bas pour passer la nuit. Je dormais très mal le soir. Je fis des cauchemars qui me donnaient des frayeurs. Le lendemain alors que nous poursuivions notre route loin dans les plaines Dheeraj me racontait l'histoire qui se rapportait à la maison dans laquelle nous avions passé la nuit. Si je l’avais su avant, jamais je n'aurais accepté de demeurer une seule minute à l'intérieur. Selon la croyance des hindous, la vie n'est qu'un éternel recommencement. Les âmes retournent sur terre sous une autre forme, et dans un autre corps. Suraj était le fils d'un riche négociant de Bombay. Il eut des étranges visions quand il était encore bien jeune et affirmait à ses parents qu'il se souvenait de son existence antérieure dont certaines images lui revenaient à la mémoire. Il fit des descriptions exactes des lieux qu'il avait fréquentés et se rappelait également de la liaison qu'il entretenait avec une fille de son village et des problèmes qu'il avait rencontrés à cause de cet amour. Il racontait que dans cette autre vie qu'il avait la conviction d'avoir vécu ses parents qui étaient d'une caste supérieure, ne voulaient pas qu'il épousât la fille d'un pauvre paysan. Il avait pris la fuite avec elle et s'était réfugié dans la montagne. Son père le fit rechercher par ses hommes. Il n'avait aucune chance de s'échapper et il savait que sa bien-aimée serait battue à mort. Il décida d'avoir recours à la mort lui aussi. Mais avant de se jeter du haut d'une falaise, son bien aimé et lui-même avaient fait la promesse de se retrouver dans leur prochaine naissance dans ce petit village. Il fit tout son possible pour se rendre là-bas. Shanti l'attendait depuis longtemps déjà dans la maison où je venais de passer la nuit. Elle était vieille. Il était venu trop tard. Quand elle mourut, Suraj devint fou et terrorisa le village. Il mourut aussi peu après et les gens prétendaient que son âme hantait les régions. Certains avaient même entendu des voix plaintives dans le fond des bois; d'autres avaient aperçu au loin le spectre de Suraj qui passait et disparaissait dans le brouillard.
Nous atteignîmes Door Desh deux jours plus tard en début d'après-midi. C'était un petit village paisible situé au pied d'une colline. Des gens s'étaient regroupés dehors pour nous regarder passer. Notre arrivée était attendue et, avant même que nous nous renseignions auprès des gens de la maison où nous devrions nous rendre, une délégation nous attendait avec à la tête, une vieille femme qui devait être Dadima que Devika m'avait souvent parlé dans ses lettres. Elle m'avait appelée par mon nom et m'avait embrassée sur mes deux joues. Des larmes roulaient dans ses yeux quand elle me regardait. Je compris qu'elle devait faire preuve de grandes douleurs. Elle m'entraîna dans sa cabane pour prendre soin de moi, pour m'aider à me détendre et pour commencer à me raconter son histoire dans laquelle celle de Devika aussi était contée.