LE MONDE DES MORTS
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite
Le monde des Morts
DEPUIS UN CERTAIN TEMPS JE L’AVAIS REMARQUÉ QU’IL VENAIT M’EPIER COMME S’IL ATTENDAIT L’HEURE. A CHAQUE APPARITION JE RESTAIS FIGÉ, LES YEUX GRANDS OUVERTS. JE NE POUVAIS RIEN PRONONCER. AUCUNE PAROLE NE SORTAIT DE MA BOUCHE. J’AVAIS PEUR. UNE FOIS IL ETAIT RESTÉ PLUS LONGTEMPS QUE D’HABITUDE ET AVANT DE ME QUITTER IL M’AVAIT SOURIT. IL EST VENU POUR ME CHERCHER. JE LE SAVAIS MAIS JE NE POUVAIS LE DIRE A PERSONNE. JE NE SAVAIS PAS CE QUI M’EN EMPECHAIT MAIS C’ETAIT AINSI QUE CELA S’EST PASSÉ. LE SOIR OU IL EST VENU PRENDRE MON AME J’AVAIS SENTI QUELQUE CHOSE QUI GLISSAIT A L’INTERIEUR DE MOI POUR SORTIR A JAMAIS DE CE CORPS QUI L’ABRITAIT SI LONGTEMPS. C’EST LA PHASE LA PLUS DIFFICILE POUR UN ETRE VIVANT. C’EST UN MOMENT CRUCIAL. DES FOIS CA SE PASSE BIEN !!!!!!
Je me suis retrouvé à côté de mon corps et je le regardais entrain de dormir d’un sommeil paisible. Le réveil à cadran lumineux posé sur le chevet indiquait 3 heures du matin. La chambre était plongée dans l’obscurité et seule la lueur provenant de la fenêtre qui donnait sur la rue permettait de voir un vieillard de 75 ans allongé sur un lit deux places. Ma femme Katize, cinq ans de moins que moi, dormait sur l’autre lit dans la même pièce. Elle ne savait pas encore que je suis mort. Elle s’était occupée de moi sans jamais ronchonner et s’esquintait jusqu’au dernier moment à me donner mes médicaments, à prendre soin de moi avec amour et patience. Je me suis avancé pour la contempler dans son sommeil, ce que je n’avais pas fait depuis si longtemps. Je ne sais pas encore pour combien de temps je serais là pour la regarder. La seule certitude que j’avais c’était que j’étais mort surement parce que mon cœur s’était arrêté de battre ou que j’avais cessé de respirer. Personne ne savait encore et la dernière conversation que j’avais eu avec ma femme remontait à quelques heures de cela quand je l’avais dis que je n’en pouvais plus, que je me sentais de plus en plus faible, que je ne tiendrais pas longtemps. Elle m’avait regardé avec des yeux larmoyants comme pour me faire comprendre qu’elle le savait et qu’elle ne pouvait rien faire pour améliorer ma situation. Des larmes s’étaient échappées de mes yeux et des bribes de souvenirs du passé s’étaient refoulées à ma mémoire. Que peut représenter 75 années d’existence qui s’achevait dans la grande nuit de la bénédiction. Nous étions dans un mois béni du calendrier musulman et mourir dans une telle nuit reste parmi les vœux les plus chers des croyants. Que demander de plus. Ce que Dieu Tout Puissant a décidé nous devons l’accepter comme tel. A peine je me posais la question de ce que je faisais là puisque je suis mort et je devais monter déjà au ciel quand deux anges se rapprochaient de moi pour me dire que j’attendrais là pendant quelques jours, le temps pour eux d’en prendre la vie de quelques uns dans la région, notamment une vieille femme agonisante en haut dans la montagne, un jeune homme souffrant de la tuberculose, une femme prostituée ayant contractée le sida. Je me suis approché de ma femme. Je savais qu’étant mort tout lien est rompu avec elle. Je me demandais comment elle allait réagir quand elle allait constater que je suis mort. Je préférais la voir dormir à jamais pour ne pas avoir à souffrir en constatant que je n’y suis plus. Je ne voulais pas assister à ses douleurs. Elle a toujours été une femme forte même dans des moments difficiles. Si elle était partie avant moi je ne l’aurais pas supporté. Je n’avais pas ce courage à affronter la vie dure comme elle me l’avait appris à le faire à ses côtés. Quelle femme admirable ! Et dire que je la laissais toutes seule pour partir. Si dans le destin il est écrit que çà doit se passer ainsi on doit l’accepter. Le temps ne compte plus pour moi. L’heure s’est arrêtée et dans le monde où je me trouve toutes les données ont changé. Mais je peux consulter l’heure du monde des vivants. 4 heures indique le cadran. Ma femme continuait à ronfler. Quand elle est fatiguée elle a la respiration lourde. Elle ne doit pas tarder à se réveiller pour faire la prière qu’elle ne manque jamais sauf quand elle est bien malade, ce qui lui arrive rarement. La pièce que nous occupions était spacieuse. En plus de deux lits, il y avait une armoire quatre battants en bois de tamarin qui datait des années quarante. Une psyché, deux autres armoires en bois étaient rangés contre la cloison qui donnait sur la chambre d’à côté où dormait ma grande fille Gauri. Elle était venue habiter à la maison depuis une semaine quand elle avait apprit que mon état de santé se détériorait. Elle habitait dans le sud à Saint-Joseph. Son époux est commerçant en textile et s’occupe des enfants qui fréquentent déjà le lycée. Ils devraient venir le samedi soir me rendre visite. Nous sommes le vendredi matin. Ah ! Mes petits enfants qui m’ont donné tant de joies et avec qui j’ai passé de moments si agréables. Ils vont me manquer tellement. Si j’ai la possibilité de jeter un coup d’œil sur eux combien cela me ferait plaisir. Mais je ne sais pas encore comment ça va se passer. Je ne fais que mon entrée dans le monde des morts et j’attends qu’on s’occupe de moi. Je n’étais pas pressé. Je m’étonnais de la facilité avec laquelle je me déplaçais. Je pouvais prendre de la hauteur, monter jusqu’au plafond et avoir une vue d’ensemble de la pièce de n’importe quel endroit je me trouvais. En essayant de m’éloigner de mon corps je constatais que je traversais les cloisons et passais d’une pièce à l’autre sans la moindre difficulté. J’étais devenu une âme qui erre. C’est comme cela qu’une telle démarche est interprétée dans le monde des vivants. Mais moi je ne dois pas être une âme errante. Je ne suis pas mort avant l’heure ni d’une autre mort que naturelle. Je suppose que cela doit être ainsi. Autrement je n’en vois pas d’autre explication. J’éprouvais de la frayeur quand même. Pour moi c’est comme une naissance d’où l’on doit commencer à tout apprendre.
®Kader Rawat