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IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  6

30 Novembre 2020 , Rédigé par Kader Rawat

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  6

Les bosquets étaient lugubres et ternes; les champs labourés par les esclaves la veille étaient humides encore par la rosée du matin; les plaines herbeuses étaient entassées de détritus où quelques animaux laissés dès l’aube par les habitants erraient; les portes des habitations, habituellement ouvertes à cette heure-ci étaient encore fermées. Omar eut le pressentiment que des choses étranges durent se passer durant la nuit. Des mystères semblaient planer au-dessus de la ville; ses yeux étaient habitués à voir se dérouler le rythme d’une vie qu’il connaissait. Il portait grands témoignages de son environnement et il ne pouvait se tromper; il demeurait pourtant devant un spectacle qui lui rendait perplexe et mélancolique; d’un pas mal assuré, titubant, comme pris d’un étourdissement soudain, dû peut-être à la mauvaise nuit qu’il avait passée, il se dirigeait dans la direction du quai; c’était bien là son but; il apprit de la bouche d’un cavalier pressé, effarouché, l’insurrection qui causait des troubles, des désordres, des frayeurs dans le cœur et dans l’esprit de la population.

Au lieu que les rues accueillaient les habitants, se remplissaient des tumultes aux décors grouillants de la ville, un aspect bien différent régnait partout. Les cris des enfants s’étaient éteints derrière les murs des maisons; ils étaient cloîtrés, condamnés à ne plus jamais laisser échapper dans l’air frais du matin ces voix remplies d’un chant mélodieux, voix innocentes qui d’habitude perçaient les ondes de l’espace, traversaient de longues distances pour aller se perdre dans les bruits fracassants de l’océan; l’absence des grincements des roues des charrettes remplies de marchandises et qui cahotaient dans les chemins défoncés, hissées dans un tintamarre par des esclaves robustes, et disparues ce matin-là, de la circulation, était la preuve qu’il se passait des choses drôles, étranges, singulières. Omar lui-même parvenait avec grande peine à comprendre; les grondements des tonneaux sur les trottoirs, les bruits des sabots sur les pavés s’étaient tous tus; l’absence des habitants de la ville, des marchands du quartier, des étrangers jetait une atmosphère de tristesse et de désolation qui faisait peur, qui éveillait la crainte dans l’esprit; toutes activités s’étaient évanouies derrière l’ombre d’un cauchemar que l’île aurait dû bien vivre ces dernières heures, genre de malédiction qui aurait frappé tout un chacun qu’ils cherchaient à panser leurs plaies derrière les façades remplies d’ombre et d’obscurité; la vie semblait si mystérieusement volatilisée et les événements survenus étaient difficiles à expliquer et Omar lui-même, en voulant éclaircir son esprit, demeurait incertain et sceptique; il poursuivait sa marche solitaire courageusement dans les rues désertes.

Les portes étaient verrouillées de l’intérieur, derrière lesquelles se trouvaient, aux aguets des moindres bruits singuliers qui leurs parvenaient à l’oreille, les citoyens dans l’unique but de protéger leurs familles innocentes et sans défenses, les armes à la main, prêts à surgir sur quiconque voulait les perturber dans leur vie; les citoyens attendaient dans un silence absolu, non sans crainte de se voir d’un moment à l’autre attaqué, submergé même par quelques esclaves marrons ou autres espèces de ce genre bien décidé, les hachettes à la main ou autres instruments sanguinaires, tels que serpes, sabres, faucilles, couteaux qui leur tomberaient dessus comme le glaive, les tranchant la gorge d’un seul coup sec, ou le crâne, faisant répandre la cervelle sur le parquet, alors que le corps, giclant de sang, comme le jet d’une fontaine bouchée, tombait en amas de chair inerte, dans un bruit fracassant. Dans une chambre noire comme de l’encre, sans avoir le courage de pousser un cri, de prononcer une seule parole, tant la voix ne voulait pas sortir de la gorge serrée, alors que des silhouettes informes se déplaçaient et que, dans un désordre qui bousculait meubles et vaisselles, maîtres et esclaves s’entrelaçaient, gesticulaient, comme dans un ébat amoureux, pour s’achever dans l’assouvissement d’une vengeance si longtemps restée insatisfaite et qui demeurait le facteur principal de tout ce qui aurait motivé ces actes de barbaries qui se terminaient dans le carnage, dans la mutilation sans exemple, n’épargnant ni femmes ni vieillards ni enfants.

Quelques fenêtres des premiers étages des bâtiments s’entrebâillèrent et se renfermèrent - clap - démontrant à quel degré les habitants étaient devenus soupçonneux, proies d’un psychose inespéré; la terreur de toutes ces pensées que les renvoyait leur imagination, jouait sur leur conscience, ne les laissant aucun moment de répit. La rumeur de ce qui fut advenu à la famille Thomas Derfield - dont l’histoire demeurait mystérieuse dans toute sa démesure - se répandait dans toutes les maisons de sorte à installer dans l’esprit de toute personne la crainte qu’un sort semblable les attendait, horreur qu’ils avaient bien du mal à soutenir, leur esprit étant bien trop faible pour supporter l’écho de tous ces malheurs qui pourraient leur tomber dessus.

Tandis que sur la ville une atmosphère de peur semblait régner partout, Omar, de son imagination troublée, confuse, de son œil de suspicion et de méfiance, hésitait à poursuivre plus loin sa marche quand il remarqua dans un carrefour, tout près des casernes, des cavaliers qui surgissaient comme des fantômes pressés avant de disparaître derrière un nuage de poussière, ayant l’air d’être poursuivis par le diable. Omar ne pouvait aucunement ce jour-là réaliser ce qu’il avait l’intention de faire : de s’acheter un esclave. Il pensait à sa petite fortune et décidait de ne pas se risquer dans les rues; malgré son état délabré, pitoyable, un malheur pouvait lui arriver, lui achever l’existence là où il ne l’aurait jamais attendu. Il décida de reporter ses démarches dans un jour bien plus propice, imaginant que le destin ne voulait pas qu’il procurât son esclave ce jour si néfaste. Bien qu’il remarquât que les gens rasaient les murs furtivement pour rentrer chez eux, il n’abandonna pas l’idée de se renseigner, à la première occasion, ce qui avait bien pu se passer pour que les choses lui semblent inhabituelles. Et pourtant ce qui se passait non loin de lui ne pouvait demeurer un mystère ni un secret pour personne. Les hommes s’étaient regroupés au fin fond des bois, se déplaçant dans l’orée opalescente du matin comme des silhouettes macabres avec entre les mains, baïonnettes, poudre d’escampette, fusils et tous les accessoires nécessaires pour une défense bien organisée que la garnison avait bien voulu mettre à la disposition des braves défenseurs et qui furent trimballer, dès l’aube, dans des chariots formant des caravanes sur les divers sentiers qui relièrent la ville aux différents quartiers de l’Ile. Tout en choisissant des positions stratégiques sous le commandement d’un officier de la milice, dans l’unique but de porter main forte à la garnison et de renforcer les régiments composés de quelques maigres poignées de soldats, ces défenseurs parmi lesquels s’étaient joints bons nombres d’esclaves bien décidés à rester aux côtés de leurs maîtres, des affranchis, des jeunes garçons poussés plus par la curiosité, par une aventure palpitante que par aucune raison bien plausible à définir leur présence dans ces lieux, tous ces défenseurs attendaient le moment décisif, le surgissement de ces esclaves révoltés comme l’ombre du démon dans l’effroyable obscurité du bois, rempli déjà des bruits sinistres parvenant des régions lointaines dans un silence bien effrayant, un silence de mort, un silence qui leur fit frémir jusqu’aux leur moelle, leur donnant envie de fuir, de ne plus jamais retourner dans ces lieux où les uns à plat ventre, les autres tapis dans le creux d’un arbre, ou derrière un taillis, dans un fossé, ils attendaient avec une inquiétude infinie, le glaive leur tomber dessus, la mort les surprendre dans leurs positions embarrassantes, les pieds longtemps engourdis, les mains ayant perdue toute énergie et les jambes recroquevillées pouvant à peine se remuer, l’esprit tari dans une frénésie incommensurable.

Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.

©Kader Rawat    

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