Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La colonie lointaine Chapitre 5

20 Mai 2014 , Rédigé par Kader Rawat

La colonie lointaine

 

 

Chapitre 5

 

Un dimanche matin, en regagnant son village par des raccourcis, Julie éprouvait la crainte de se faire réprimander par son père pour avoir quitté la maison sans donner de ses nouvelles. Pendant toute la semaine la famille s'inquiétait à son sujet. Elle avait confié à son frère Fabien avec lequel elle s'entendait bien qu'elle partait en ville pour chercher du travail. Elle imaginait qu'elle pouvait présenter cela comme une excuse. Tout le long du chemin tortueux et endommagé, Julie éprouvait de la peine. Elle ne connaissait pas bien cette route qu'elle n'avait pas l'habitude d'emprunter quand elle se rendait en ville en compagnie de son père. Quand elle aperçut une charrette à bœuf chargée de diverses marchandises elle décida de trouver une place à l'arrière pour s'asseoir afin de poursuivre sa route sans fournir des efforts. Elle connaissait le charretier pour avoir plusieurs fois croisé son chemin quand il se trouvait dans la région.

Les parents de Julie étaient des gens pauvres qui vivaient dans une vieille case en tôle dans la région qui se nommait le Bois de Nèfles. Les familles qui s'étaient regroupées dans cette contrée menaient une existence paisible et sédentaire. Les gens ne quittaient jamais leur village et s'éloignaient rarement de leur maison. Ils entretenaient de bons rapports et ne se disputaient jamais.

Ils étaient attachés à leur terre et se devaient du respect. Ils apprenaient les nouvelles du monde par des gens qui traversaient la région. Leur soirée était souvent animée par des visites inopinées qui apportaient fraîcheur à leur existence.

Charles Deschamps, le père de Julie, était appuyé contre le rebord d'un puits avec une hache et une meule à aiguiser dans les mains. Il parlait à un étranger qui paraissait fatigué pour avoir parcouru une longue distance. Il ne se donnait pas l'air de quelqu'un du pays. Cela se voyait tout de suite par son allure, ses habits et son langage.

— Ouf! Quelle chaleur! dit l'étranger, j'ai bu tellement d'eau que ma gourde est vide. Pourtant le soleil n'est qu'à mi-hauteur. La journée devait être rude. Ah! Quel beau pays!

— Vous trouvez? C'est très flatteur de votre part. Vous ne devriez pas être depuis longtemps dans l’ile, je suppose?

— En vérité nous sommes arrivés hier, mes amis et moi-même. Ils sont quelque part dans la forêt en train de se reposer. J'ai vu de la fumée et me suis dis que je ferai mieux remplir ma gourde avant de reprendre la route.

— Vous n'avez pas des inquiétudes à vous faire. La région ne manque pas d'eau ni de gibiers. Des habitations sont disséminées un peu partout dans les hauteurs et vous pouvez trouver hospitalités chez des gens. Nous avons la chance de ne pas nous sentir isolés comme ceux qui habitent les cirques. Là-bas, l'accès est difficile, les chemins impraticables et dangereux. Mais dis donc! Qu’est-ce qui vous a amené, aussitôt débarqué, dans cette partie de l’île? Les étrangers passent rarement de ce côté. J'espère que vous avez un guide. Autrement je ne vois pas comment vous allez poursuivre votre chemin.

— Nous sommes déjà prévenus de ce qui nous attend de cette aventure. Nous sommes en compagnie d'une personne qui connaît bien la région. Et nous avons pris nos précautions contre les intempéries et pour nous protéger du froid. Nous voulons visiter le vaste domaine qui appartenait à Madame Desbassyns.

— Ah! Vous devez avoir un sacré courage.

— Mais pourquoi dites-vous cela?

— II parait que cela porte malheur à ceux qui fouillent dans le passé de Mme Desbassyns. Vous devez avoir entendu ce qu'on raconte sur elle.

— Certains disent qu'elle était une femme méchante et qu'elle avait fait des misères à ses esclaves. Ceux qui ont connu Mme Desbassyns racontent qu'elle était une figure remarquable de son époque. Ce n'était qu'après sa mort que le nom de Mme Desbassyns avait pris une dimension mythique et légendaire. Elle représentait le symbole de la richesse et comptait plus de 400 esclaves et domestiques à son service.

— Pourtant ce que nous connaissons de Mme Desbassyns est loin de ce que vous dites. Elle est l'incarnation même du mal et de la méchanceté. Nous ne pouvons pas entendre ce nom sans que nous la donnions l'image d'une diablesse tant elle faisait souffrir ses esclaves de toutes sortes d'atrocités.

— Que les esclaves subissent un sort inimaginable est un fait indéniable mais l'attribuer à une dame qui a fait verser de larmes tant de gens et en particulier ses esclaves eux-mêmes par sa disparition me parait inacceptable dans la mesure où l'on ne pleure pas sur la tombe d'une personne qu'on n'a pas aimée. Je vous dis qu'il y avait des enjeux politiques d'une importance capitale qui avait amené les adversaires de Mme Desbassyns à déformer la vérité, à rassembler bon nombre des sympathisants de l'époque, à détourner l'opinion publique contre elle et la faire endosser les crimes que les autres maîtres avaient commis et qui étaient un secret pour personne. Les gens croyaient tout ce qu'on les racontait. Ils ne se donnaient jamais la peine de vérifier. Mme Desbassyns était devenue en quelque sorte le bouc émissaire de nombreux mécréants. Elle ne mérite pas une place aussi ignoble dans le cœur des gens qu'elle avait tant aimés. Ce serait injuste de ne pas la donner sa vraie valeur. Aujourd'hui ce n'est qu'une question d'opinion."

— Il est difficile de changer l'opinion des gens qui tremblent et qui éprouvent des craintes en entendant le nom de Mme Desbassyns. Je pense qu'on nous a parlé trop de mal de cette femme, pour qu'aujourd'hui nous puissions faire d'elle une image contraire de celle qu'elle mérite. Ensuite le temps a contribué à repousser Mme Desbassyns dans le rang des charlatans et des scélérates. Je trouve cela dommage qu'elle fut réduite de si peu de chose aux yeux d'un peuple pour lequel elle avait beaucoup contribué de par le fait qu'elle tenait elle-même pendant des années leur destinée en main. Vous avez éclairé en moi une bonne partie de l'obscure opinion que j'avais de Mme Desbassyns. Mais de quelle source vous tenez tous ces renseignements pour me parler avec autant d'assurance? Vous défendez les causes de Mme Desbassyns comme si vous la connaissiez mieux que quiconque. Avez vous un quelconque lien de parenté avec elle ou êtes-vous un érudit qui étudie les personnages marqués par l'histoire et remonte souvent le temps en quête de vérité? En tout cas c'est un plaisir pour moi d'apprendre ce que vous venez de me raconter. Je me ferai un devoir de le partager à ceux qui veulent m'écouter.

— Je suis historien. Cette visite consiste à découvrir les lieux où Mme Desbassyns a vécu. L'essentiel est de croire en ce qui est vrai. Je suis convaincu que Mme Desbassyns ne vous fait pas autant peur comme quand vous ignorez ce qu'elle était vraiment. J'ai eu beaucoup de plaisir de vous parler et je suis content que vous m'ayez écouté avec intérêt. Je dois maintenant aller joindre mes amis qui doivent s'inquiéter de mon retard.

— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas.

— Merci pour tout et au revoir.

— Au revoir et soyez prudent.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article