DE SI LOINTAINS SOUVENIRS 26
Bien obligé de faire un effort pour considérer ce problème dans son contexte, je me vois efforcé d’accepter que d’une part j’exhibais un exemple qui n’avait rien à embellir mon image et de plus, je me trempais déjà dans un vice, une habitude qui pourrait me causer grand tort plus tard.
Le village de Plaine des Papayes démontrait l’aspect encore sauvage des lieux où s’élevaient, de part et d’autre, des maisons en tôles ou en paille cachées derrière des bosquets, des arbres, des touffes de bambous, à l’intérieur des cours dégarnies et arides. Les conditions misérables des gens étaient d’une évidence qui ne pouvait tromper l’œil. Seulement quelques demeures, construites probablement très récemment, indiquaient l’opulence dans laquelle quelques rares familles vivaient. Ces maisons s’élevant généralement dans la profondeur des cours gazonnées, et entourées par des haies ou des murs hauts, étaient les seuls édifices qui faisaient la fierté des habitants. La plantation de la canne à sucre atteignait rarement les bordures des routes. J’avais des parents qui habitaient dans une modeste maison à environ un mile du collège Northern. J’allais parfois, après mes heures de cours, marcher le long de la route royale pendant une quinzaine de minutes pour rendre visite à ces parents. Ils me réservaient toujours un accueil chaleureux et je prenais souvent plaisir à m’entretenir avec mon oncle et ma tante pendant un long moment avant de me décider de rentrer à la maison. Lors de ces visites, mes cousins et cousines profitaient de ma présence pour me demander une aide dans leurs devoirs. Ensuite, mon cousin m'accompagnait à mon arrêt de bus et j’allumais une cigarette en attendant.
Mes préoccupations professionnelles et tous les autres éléments de ma vie avaient réduit fortement la fréquence de mes correspondances avec ma cousine de La Réunion.
Elle me reprochait la froideur de mes lettres ainsi que la fréquence et leur insignifiance. Je consacrais en effet peu de temps à cet amour que je n’avais en fait aucune raison de négliger. Accaparé en réalité je trouvais à peine le temps de lire et n’écrivais qu’au dernier moment, avec des mots d’excuses et d’affection pour consoler ma cousine de la réponse tardive à son courrier qui était arrivé de longue date !
J’avais encore l’esprit trop jeune pour deviner les conséquences de mes gestes et de mes attitudes.
J’avais l’impression de ne penser qu’à moi tout seul et de ne vouloir vivre que pour mon plaisir personnel. C’étaient certes les premières manifestations des maladresses de la jeunesse, des émois qui s’abattaient sur moi par rafales et j’éprouvais parfois beaucoup de difficultés pour retrouver l’équilibre.
Je me laissais entraîner par des vagues émotionnelles qui me causèrent par la suite énormément de peine en voyant s’effondrer mon premier amour, sa chute, sa déchéance.
Responsable de mes actes, je mettais du temps à réaliser la situation, à me ressaisir après que bien des dégâts se soient passés.