Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Articles récents

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  4

8 Octobre 2020 , Rédigé par Kader Rawat

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  4

 

Le gond de la fenêtre s’était détaché du bois. Le battant donnait l’apparence de vouloir tomber d’un moment à l’autre. Omar avait l’air inquiet en regardant les arbres. Son esprit était ailleurs. Pendant qu’il se préparait pour sortir, ses regards exprimaient une certaine tristesse, en traversant les pièces sombres et vides qui lui refoulaient des souvenirs qu’il ne pouvait oublier. Il regrettait beaucoup les anciens meubles qui étaient ses seules compagnes pendant ses heures de solitude, ses malheurs et ses troubles. Ces meubles représentaient les indices et les témoignages d’une vie tumultueuse, vécue au fin fond des îles, à une époque où l’existence dépendait de la bravoure, de la force, de l’intelligence et de la chance. Son passé lui revenait par bribe à la mémoire de sorte à lui faire voir, dans une imagination faible et troublée, les séquences entrecoupées de sa vie, lui rappelant les circonstances qui l’avaient permis l’acquisition des vieux meubles de valeur et ce trésor qu’il vérifiait chaque soir, avant de dormir. C’était pour surveiller tout seul son trésor qu’Omar n’avait jamais voulu introduire quiconque dans sa misérable case. D’ailleurs son état était si déplorable que des gens ne lui portaient ni attention ni ne lui rendaient visite. Omar avait depuis longtemps porté ses observations, ses études sur ce qui motivait et intéressait les gens du monde. La fortune seule pouvait exercer sur tout un peuple l’influence et les attentions imméritées des gens sans scrupules, la détenant entre leurs mains par l’exercice de la malhonnêteté ou par autres procédures douteuses. Omar avait choisi de mener sa vie à sa manière et cela lui réjouissait! C’était suffisant pour lui. Omar avait un passé qui lui causait souvent de l’obsession.

La vente de ses meubles se rapportait à sa décision de quitter l’île pour aller rejoindre sa famille aux Indes, après plus de quarante années de séparation. Au fur et à mesure qu’il entrait dans la vieillesse, ses idées se tournaient vers son passé, ses origines mêmes. Il choyait depuis longtemps l’idée de retrouver sa famille : ses enfants qu’il avait laissés tout petits et sa femme qui n’avait jamais quitté son imagination. Il passait de long moment à remonter le temps et voir défiler sa vie de misère dans les rues de sa ville natale, Gujarat en Inde. Il se séparait de sa famille par les confusions que causaient les troubles intérieurs de son pays. Engagés par les hommes de la Compagnie des Indes orientale, des coolies voulaient échapper à la misère qui sévit dans leur pays et à la répression des Anglais. Ils embarquèrent sur des vaisseaux, laissant derrière eux familles, parents pour aller servir dans des îles lointaines. Omar était parmi ces gens en détresses et voyageait pendant longtemps dans des vaisseaux qui sillonnaient les mers ; il servait fidèlement des maîtres français, les assistait dans leurs manœuvres, les défendait contre les pirates, les protégeait de son mieux durant des violentes tempêtes. Il les portait dans des chaises à porteurs lors de longues randonnées dans la profondeur des îles. Les vigueurs qu’il avait déployées dans sa jeunesse, ses souffrances, les expériences qu’il avait acquises l’avaient rendu un homme habile, rusé et dur.

©Kader Rawat

Lire la suite

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  3

7 Octobre 2020 , Rédigé par Kader Rawat

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  3

Les lumières envahissantes du lever du soleil chassaient les ombres trop noires par l’absence de la lune. Omar se trouvait dans sa misérable case, dans le faubourg de Port-Louis. Il était réveillé déjà mais ne pouvait pas bouger. Il avait fourni des efforts la veille en transportant des meubles qu’il avait vendus à un négociant de la ville. Il était épuisé et ressentait des douleurs aiguës qui lui avaient fait pousser de longues plaintes qui se mélangeaient souvent avec les croassements des grenouilles. Personne ne l’entendait.

La mort pourrait le surprendre dans cet état, sans que personne ne sache. Omar avait l’habitude de se réveiller tôt le matin. Seulement la maladie pourrait le retenir au lit. Il demandait à Dieu de lui venir en aide, de lui donner sa force, de ne pas lui abandonner dans un moment aussi important de son existence. Il reconnaît en lui-même un homme trop vieux pour continuer à vivre seul. Son état de faiblesse, la mauvaise nuit qu’il avait passée l’accablait de telle sorte qu’il était convaincu qu’il ne lui restait que peu de temps à vivre. La maladie troublait très souvent ses pensées et lui fit voir la réalité en face.

– Je ne dois plus vivre tout seul, dit-il, je suis trop vieux et j’ai besoin de l’aide.

Les chants des coqs lui parvenaient à l’oreille et lui annonçaient l’approche du jour. Il voulait se délivrer de ce cauchemar qui commençait déjà par l’affliger. Il remarquait des lueurs sombres qui s’infiltraient par les interstices de sa case. Le froid qui passait à travers les issues n’eut aucun effet sur le vieil Omar. Le matelas était humide de transpiration. Durant toute la nuit Omar était accablé par des crampes et des fièvres. Il se levait avec beaucoup de peines et de volonté pour préparer une tisane avec des plantes qu’il avait récupérées dans les montagnes et qu’il avait entassées sur l’étagère à côté de son lit.

– Ta vieille carcasse ne tiendra pas longtemps Omar, se dit-il, en allumant le feu, tu quitteras ce monde bien avant que tu l’imagines et sans avoir accompli ton devoir. Qui se soucie de toi, de ton existence? Ton visage ridé, ta barbe blanche ne signifient rien dans l’esprit de ces quelques bougres du quartier que tu connais. Ta présence dans cette société n’est que l’ombre qu’on oubli si vite. Tu dois fuir avant qu’il ne soit trop tard. Pourtant, vieux renard, si on savait que tu possèdes une fortune si immense le monde serait à tes pieds. Mais n’as-tu pas toujours fui la société? Tu redoutes tellement les riches que tu t’es résigné, malgré ta fortune, à demeurer pauvre. C’est ta conviction. La vie t’a appris de leçons que tu ne peux oublier si vite. Et puis remarque que tu as vécu une existence jalonnée de malheurs. » L’aboiement des chiens lui indiquait le lever du jour.

Les gens se rendaient aux champs. Il ouvrit grandement la fenêtre pour inviter l’air frais à entrer dans les trois pièces vides de sa case. ‘Cet air pur’, pensa-t-il, “qui provient des montagnes chasse les maladies. J’ai donc toute chance de me guérir. Je n’ai pas l’intention de garder le lit et pourrir dans cette pièce. Un vaisseau devait débarquer des esclaves ce matin. Je ne dois pas manquer cette occasion. Il faut absolument que je me rende sur le quai pour m’acheter un esclave. J’en ai grand besoin.’

Copyright ©Kader Rawat

Lire la suite

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  2

5 Octobre 2020 , Rédigé par Kader Rawat

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  2

L’arrivée des administrateurs royaux portait d’autres changements dans l’aspect de l’Ile. En peu de temps les réparations des bâtiments délabrés furent effectuées. Une relance exceptionnelle des activités agricoles permit l’île à s’approvisionner des denrées alimentaires prêtes à l’exportation. Trois moulins à eau fabriquaient de la farine, une boulangerie, des magasins, une imprimerie furent mises en place et fonctionnaient admirablement. Des produits vivriers aussi abondaient l’Ile et permettaient aux habitants de tirer profits.

Malgré que le libertinage chez les blancs comme chez les noirs atteigne une proportion considérable, les administrateurs royaux eurent du fil à retordre pour réprimer ces immoralités de vieille date. Cela, par contre, n’affecta pas tellement les mœurs de l’île.

Les cabarets de la ville accueillaient tous les gens assoiffés de divertissements; la présence des officiers et des colons des lointains quartiers fût très marquée. Les esclandres, les multiples accrochages publics, les affrontements entre individus ou groupe des gens, les conflits sociaux, les fouteurs de troubles furent vivement réprimandés par les personnes ayant la compétence de maintenir l’ordre public et de le faire respecter. Les lois en vigueur décrétées par le Conseil, la traite des noirs, les avis et communiqués atteignirent le grand public par des voies normales et de manières décentes et convenables.

Des milices circulaient la région et pourchassaient les mécréants, les bandits, les criminels, les voleurs des grands chemins, les noirs marrons. Les commandants des quartiers avaient une tâche bien délicate pour faire régner l’ordre et la justice. Ils étaient constamment confrontés à des situations difficiles qui pouvaient compliquer leur existence.

Maîtres et esclaves avaient des règlements à respecter et quiconque cherchait à enfreindre la loi ne serait pas épargné du joug de la justice. Mais combien des injustices sociales qui ne furent jamais respectées, dénoncées? Les faibles subissent toujours dans le silence la loi des plus forts et ce n’est que justice qui vient du ciel qui donne l’équilibre à la situation.

Quand la guerre de l’indépendance de l’Amérique fut éclatée, l’Ile de France, de par sa position stratégique, aida les Français sous le commandement de Bailli de Suffren, de mener une guerre glorieuse contre les Anglais, dans les eaux indiennes, aux environs de Pondichéry. Les Anglais subissaient de lourdes pertes et des défaites inimaginables. Ils reconnaissaient l’importance de l’Ile de France dans l’Océan indien. Leurs courages et leurs déterminations de vaincre tournaient leurs regards vers cette île qu’ils cherchaient à s’emparer.

Evidemment, à une époque aussi reculée, des îles semblables, dans presque toutes les parties du monde, étaient les moins protégées, contre les attaques venant de l’extérieur. Les garnisons et les forteresses s’affaiblissaient sous les incessants assauts des ennemis. Les plus forts seulement exerçaient leur domination. Hormis des dangers pareils, ces lieux étaient constamment menacés par des conflits intérieurs qui causaient beaucoup de troubles dans la population.

L’île de France ne fût pas épargnée de ces crises qui éveillaient au sein de la population des craintes, des frayeurs, des incertitudes de l’existence que les habitants ressentaient comme ce matin, la nouvelle qui annonçait et décrivait les horreurs d’une nuit venait se heurter contre les oreilles sourdes encore par le sommeil, mais consternés, stupéfaits par ce qui se disait, par ce qu’on racontait. Port-Louis émergeait des ténèbres pendant que l’aube pointait.

©Kader Rawat

Lire la suite

Les chemins de l'émigration 4

2 Octobre 2020 , Rédigé par Kader Rawat

Les chemins de l'émigration 4
M. Soleman Vidat était compté parmi ceux qui avaient le moyen. Personnage bien connu de la ville il présentait une forte personnalité et était respecté et considéré non seulement par les gens ordinaires mais aussi par ceux qui étaient hauts placés. II parlait bien le français et était très loquace. Il portait toujours un bonnet turc sur la tête. Son visage était tanné et ses yeux remplis de bonté et de sagesse. Il avait l'habitude d'accueillir chez lui des compatriotes qu'il rencontrait au hasard et qui cherchaient des aides; il s’occupait des autres qui venaient frapper à sa porte pour demander hospitalité. II était réputé pour ces bienfaisances. Il ne réclamait jamais de l'argent. Il avait fait aménager plusieurs chambres d'amis chez lui dans le seul but d'héberger ceux qui étaient dans le besoin. Plusieurs employés travaillaient pour lui dans des ateliers aménagés à l'arrière-cour et démontraient que son travail prenait de l'essor. Ses trois fils, mariés déjà à des filles de bonnes familles de la région et qui occupaient chacun une chambre de la maison, l'aidaient dans son commerce. Il les avait formés dans le métier depuis leur très jeune âge. II avait voulu aussi assurer la relève et n'avait pas hésité de leur donner le sens des responsabilités très tôt et le goût pour le travail. Au début c'était très dur et il aurait dû exercer plusieurs métiers avant de devenir marchand de meubles. Il avait fait appel à des bons artisans des hauts et avait commencé à faire fabriquer ses meubles de qualités dans un minuscule atelier qu'il fit agrandir au fur et à mesure que son travail lui rapportait de l'argent.
C'était de cette manière qu'il avait développé son commerce et avait fait de l'économie pour plus tard acheter le bâtiment qui l'abritait avec sa famille. Il ne voulait pas que ses fils allassent habiter ailleurs. Quatre jeunes filles, qui occupaient chacune une chambre, contribuaient aux charmes de la maison. Elles étaient pour l'instant heureuses sous le toit paternel et le père n'était pas pressé de les marier.
Mme Ghanee et son fils Abdul Rajack occupaient une chambre à l'étage qui donnait sur le balcon. C'était une vaste pièce dans laquelle deux lits à colonnes étaient installés contre les cloisons opposées; un placard, une coiffeuse, une table et deux chaises complétaient l'ameublement. Sur le mur peint de couleur verte pale, des cadres représentant les plus grandes mosquées du monde arabe étaient suspendus et rappelaient les grands moments de la conquête de l'islam. Une pièce était également prévue pour la prière et des chapelets, un Coran était soigneusement posé sur une étagère installée dans un coin.
Mme Ghanee n'en revenait pas. Elle était en train de vivre ces moments comme dans un rêve. Les bagages transportés par les employés de M. Vidat se trouvaient dans une chambre étroite et vide, contiguë à la chambre. Mme Ghanee était allée saluer Mme Vidat; elle avait échangé avec elle des propos agréables, ne cessant pas de la remercier de son hospitalité; elle avait fait la connaissance des enfants et autres membres de la famille. Elle se rendit ensuite dans sa chambre, changeait de parure et venait s'installer dans le vaste séjour où Mme Vidat l'avait invitée pour faire ample connaissance avant de passer à table dans la salle à manger où les membres étaient réunis pour le déjeuner.
© Kader Rawat
Lire la suite

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 1

1 Octobre 2020 , Rédigé par Kader Rawat

IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE  1

 

Plusieurs nations traversaient l’océan indien au début du 18ème siècle. Les Français étaient les premiers à s’intéresser vraiment à l’Ile de France. Les Hollandais qui s’y trouvaient la quittaient à jamais. Ils étaient déçus, découragés et même désintéressés peut-être par son état sauvage et la distance qui la séparait des grands continents.

La Compagnie des Indes venait s’y installer. Elle cherchait plutôt un port pour abriter leurs navires pendant les quatre longs mois cycloniques de l’année. L’île de France n’avait pas en réalité grande chose à les offrir. Elle était couverte d’une végétation dense. Il y avait des marécages, des ravins, des rivières, des ruisseaux, des étendues de plaines, des forêts vierges encore, des lacs perdus au fond des bois, des belles plages de sables blancs et fins, des régions côtières superbes, une quantité de gibiers, des anguilles, des poissons, des tortues.

Entre Port Warwyke - plus tard Grand Port - et Port Nord-Ouest, ils optèrent pour ce dernier qui fut appelé par la suite Port-Louis. Cette région de l’île fut séparée en ce temps-là en deux parties par un ravin marécageux, creusé par les ruisseaux de la montagne Le Pouce. Une épaisse végétation s’étendait jusqu’au Morne de la découverte, aujourd’hui la montagne des Signaux, et le quartier des Remparts à gauche, et jusqu’au quartier de la rivière Latanier à droite.

Des cases en palissades et en terre, des paillotes, des baraquements couverts des feuilles de lataniers, servaient d’abri aux hommes de la Compagnie des Indes et aux soldats.

C’était le début d’un long travail assidûment élaboré sous le commandement des grands hommes tels que le Gouverneur Mahé de Labourdonnais, l’Intendant Poivre, le Bailli de Sufren ; leurs efforts, à des époques différentes, aidaient à la formation d’une colonie solidement bâtie dans ces terres et dont les empreintes marquèrent les générations futures.

Plusieurs bâtiments importants tels que L’Hôtel du Gouvernement, l’hôpital, les casernes, la loge, l’église paroissiale, les logements, les bureaux et, même un bagne pour les noirs marrons, les récidivistes, les criminels, les fauteurs de troubles furent construits dans divers lieux de la ville. Les quartiers résidentiels et commerciaux s’étendaient à des endroits où les activités prenaient de l’essor. Une variété de plantes et d’animaux atteignit l’île par la suite. Les forêts étaient pullulées de gibiers, de singes, de tortues; certaines régions étaient transformées en vergers, en jardins d’acclimatation pour ces plantes exotiques venant des quatre coins du monde. L’agriculture coloniale trouvait sa naissance dans les démarches et les activités que les agronomes, les botanistes et les jardiniers mirent en place pour la réalisation des grands projets qui prenaient au fil des années des dimensions considérables.

 Alors que le Directeur de la Compagnie des Indes trouvait en Port-Louis une loge fortifiée, un entrepôt, un port d’escale, le Gouverneur Mahé de Labourdonnais trouvait plutôt une ville solidement bâtie dans l’Océan Indien. Plusieurs services furent déjà mis en place dans l’Ile. Les ouvertures des routes carrossables, reliant un quartier à un autre, aidaient les habitants à se déplacer avec facilités. Les colons effectuaient de fréquents voyages dans l’intérieur de l’île. Beaucoup de personnes venant des régions lointaines et avides aux gains, à la richesse abordaient l’Ile dans l’intention de s’y établir et de faire fortune le plus rapidement possible. L’arrivée des engagés indiens, des esclaves malgache et africain fit accroître en peu de temps le nombre d’habitants. Les flottes françaises, dans la course aux armements et à la conquête des terres, se heurtaient bien souvent aux escadres anglaises qui se montraient très redoutables. Pendant la guerre de sept ans, la Compagnie des Indes, voulant agir à sa guise, fut complètement ruinée, cédant tous leurs comptoirs aux Indes, et en même temps l’Ile de France contre une importante somme d’argent, au Roi de France.

Les activités à L‘Ile de France devinrent en ce temps-là intenses. L’Ile avait le renom d’être le nid des corsaires. Plusieurs hommes sans scrupules y débarquèrent pour faire fortune sur la misère publique. En mer, corsaires, pirates, flibustes, navires marchands luttaient pour la survie. Les catastrophes naturelles, les calamités, les carnages et les massacres ne pouvaient être évités. Seuls les plus rusés, les plus puissants, les plus équipés, les mieux préparés étaient épargnés. Les colons se réunissaient dans les sauteries que les officiers de la garnison organisaient. Les gens s’amusaient dans des soirées, des festivités. Les enfants des colons s’habituaient à la vie mondaine par des sources de distractions que les gens se souciaient d’organiser au sein même de la société naissante.

©Kader Rawat

Lire la suite

Les chemins de l'émigration 3

12 Septembre 2020 , Rédigé par Kader Rawat

 
Les chemins de l'émigration 3
 
Pendant qu'elle se tenait ainsi debout, l'air serein, sous un arbre à pain à côté de ses bagages, profitant de l'ombre douce et de la légère brise qui s'était levée, un homme d'un certain âge frayait difficilement son chemin dans la foule en dévisageant les femmes d'origine indienne et les abordant pour leur demander si elles n'avaient pas vu une jeune femme accompagnée de son fils dans la foule. Il avait l'air de les connaître toutes et aurait dû s'arrêter à chaque fois pour échanger quelques mots de politesse sur le voyage et pour demander des nouvelles des parents et amis des régions où elles sortaient. Avant d'arriver devant le personnage qu'il cherchait il aurait dû parcourir le quai de long en large à plusieurs reprises sans donner signe de fatigue ni de découragement. Il avançait à chaque fois l'explication qu'une jeune femme et son fils venaient de débarquer dans l'île et qu'ils ne savaient où aller. Il avait appris la nouvelle par des personnes qui lui avaient fait prévenir de cet état de chose et qui savaient que son aide dans des situations pareilles était toujours précieuse. Quand il se trouvait devant Mme Ghanee il fut émerveillé par sa beauté et sa jeunesse. Une personne moins avisée que lui aurait pu s'étonner de voir une femme seule avec un jeune enfant s'amusait à parcourir le monde sans prendre conscience des dangers qu'elle courrait. Il savait que les raisons qui poussaient les personnes à s'engager dans une telle aventure étaient multiples et qu'il n'était pas nécessaire de chercher des explications valables pour justifier une telle démarche. Il se présentait devant elle comme le bon samaritain. Il parlait très bien le gujratie.
— Vous êtes bien Mme Ghanee n'est-ce-pas? demanda Monsieur Soleman Vidat en regardant en même temps Abdel Rajack qui s'était rapproché de sa mère et la tenait par la taille.
— Oui, monsieur, répondit Mme Ghanee, confuse.
— J'ai appris par des amis que je viens de rencontrer que vous voyagez toute seule, que vous venez pour la première fois dans l'île et que vous ne connaissez personne?
— C'est exacte, monsieur. Sauf que je suis accompagnée de mon fils? dit Mme Ghanee en baissant les regards et en passant sa main sur la tête d'Abdel Rajack.
— Beau garçon. Vous avez fait un voyage agréable j'espère. Vous paraissez fatiguée. C'est normal. Vous n'êtes pas habituée. Je m'appelle Soleman Vidat. Je suis venu voir ce que je peux faire pour vous, Mme Ghanee. Je ne connais rien de votre histoire mais je peux vous assurer que vous ne serez pas malheureuse ici.
— C'est bien encourageant ce que vous dites, Monsieur Vidat. Je me contenterai bien dans un premier temps d'un logis pas trop cher.
— Je me ferai un grand plaisir de vous trouver quelque chose de bien. Veuillez me suivre jusqu'à la voiture.
Mr Vidat montrait à Mme Ghanee la direction à prendre et s'arrêtait souvent pour échanger quelques paroles à des gens qu'il croisait sur son passage.
Pendant que Mme Ghanee frayait un chemin dans la foule pour se diriger vers la sortie, Monsieur Vidat interpellait quelques coolies et les donnait l'ordre de transporter les bagages. Abdel Rajack les suivait en ne lâchant pas des yeux sa mère qui s’engouffrait dans la marée humaine.
Quelque instant plus tard Mme Ghanee, Abdel Rajack et Mr Vidat étaient installés dans une voiture conduite par un chauffeur d'un âge avancé. Un paysage magnifique se découvrit sous un soleil ardent et les ombres douces de grands banians, des affouches et des tamariniers des hauts étaient les refuges de prédilection des enfants qui aimaient jouer dans la poussière et des hommes exténués par des inlassables travaux de champs et maraîchers. A ce décor s'ajoutaient au loin des maisons en bois sous tôles, des cases en pailles disséminées un peu partout, cachées parfois derrière des bosquets et indiquait la présence des gens condamnés à mener une existence difficile, dure, misérable. Mme Ghanee ne pouvait deviner tout cela d'un seul coup. L'histoire des habitants de la contrée ne pouvait en aucune façon effleurer son esprit tant elle ignorait complètement de quelle manière cette île a été peuplée et quel combat les hommes avaient menés pour que paix, sérénité, sécurité, harmonie étaient les premières impressions qu'un étranger puisse se faire en parcourant les régions. Mme Ghanee était fascinée par les belles maisons coloniales qui longeaient les routes symétriques de la ville. Les cours étaient pour la plupart clôtures des murs en pierres de tailles et couvertes déjà de mousses et de lichens; des grilles étaient de couleur blanche ou grise dont les extrémités pointues dressées vers le ciel rappelaient l'architecture gothique. L'espace vert était décoré par un jardin fleuri et gazonné où un arbre du voyageur avec ses palmes en éventails et un flamboyant aux feuillages rouge foncé valorisaient cet aspect exotique de l'Île. La varangue était souvent cachée sous l'ombre douce de ces grands arbres munis de contrefort mais dont les troncs robustes et les branches subhorizontales fortement ramifiées bravaient les intempéries des saisons chaudes et garantissaient également la fraîcheur. De grands bouquets naturels formés par les palmiers multipliant de Madagascar et plantés à côté de la varangue s'ajoutaient au décor somptueux de la cour embellie d'une variété exceptionnelle de fleurs.
— Mme Ghanee, dit Mr Vidat, nous allons tout d'abord à la maison. Vous ferez la connaissance de mon épouse et de mes enfants.
— C'est gentil de votre part. Vous êtes certain que cela ne vous dérange pas, dit Mme Ghanee.
— Si cela me dérange? Mais pas du tout. Nous avons l'habitude de recevoir chez nous des personnes qui débarquent dans l'île et qui ne savent pas où aller.
— A vrai dire c'est un grand soulagement pour un voyageur qui s'échoue dans cette île et qui tombe sans attendre sur une personne comme vous. Je ne sais comment vous remercier pour votre inestimable attention.
— Vous n'avez pas besoin de me remercier. Il est tout à fait naturel d'apporter de l'aide aux compatriotes, aux gens qui en ont besoin. Et croyez-moi, je ne le fais pas pour de l'argent.
— Vous voulez dire que vous n'allez pas me faire payer vos services. Si c'est le cas je me sentirai mal à l'aise et ne peux pas forcément l'accepter. Vous savez il se peut que je me trouve dans cette situation mais comment bénéficier de votre intervention sans que je paie ce que vous méritez. C'est impossible. Je me ferai une joie bien sûr de rencontrer votre épouse et vos enfants mais je ne peux pas m'introduire dans votre milieu familial à l'improviste. Je pensais que vous avez une chambre à louer que j'acquitterai honorablement. Je n'aime pas trop me sentir votre obligée après que vous m'ayez rendu service.
— Mais pas du tout. Vous ne serez nullement l'obligée de qui que ce soit. Je vous comprends très bien Mme Ghanee. A votre place je n'aurai pas agi autrement. Mais ici dans ce pays vous allez découvrir énormément de choses épatantes. C'est une question d'habitude. Moi aussi depuis que je suis venu m'établir dans cette île j'ai eu à me confronter à des situations qui ne correspondent pas à ma façon de voir. Vous êtes une compatriote qui a connu comme moi-même d'ailleurs une culture tout à fait différente de ce que nous découvrons ici. Nous n'avons pas à déplorer pour ainsi dire cet état de chose aussi longtemps que nous constatons que c'est de notre intérêt qu'il s'agit.
Mme Ghanee ne fit aucune objection, ni voulait-elle s'engager davantage dans une discussion futile qui ne mènerait nulle part. Elle se sentait au fond d'elle-même envahie par une sorte de contentement indicible qu'elle parvenait avec grande peine à cacher. C'était encore trop tôt pour elle de manifester sa joie. Elle ne voulait même pas y penser. Au fait elle ne voulait pas croire que les choses s'étaient arrangées et qu'elle n'avait aucune raison de faire des soucis de ce qui l'attendait dans le proche avenir.
Les inquiétudes qu'elle se faisait ce dernier temps s'étaient dissipées et avaient laissé place à une sensation de soulagement quand elle avait pris connaissance de la bonne intention de Mr Vidat.
La communauté musulmane du Port regroupait une vingtaine de familles issues pour la plupart des milieux modestes et originaires toutes des régions honorables du nord de l'Inde. Ces familles s'étaient installées dans les habitations situées dans les principales rues de la ville pour exercer un commerce, le seul métier qu'elles savaient faire. Leur condition de vie n'avait absolument rien d'enviable.
Leur situation paraissait encore précaire en raison de leur arrivée récente dans le pays. Leurs rapports étaient consolidés par un esprit solidaire et un lieu de prière, une mosquée dont le minaret dominait une grande partie de la ville, permettait aux hommes de se retrouver régulièrement pour pratiquer les cinq prières obligatoires de la journée. Certains étaient parvenus à conforter leur situation sociale en se débattant jour et nuit dans un travail acharné et sans relâche.
 
Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
© Kader Rawat
 
J’aime
 
Commenter
 
Partager
 
 
Lire la suite

Les chemins de l'émigration 2

31 Août 2020 , Rédigé par Kader Rawat

Les chemins de l'émigration 2
Mme Ghanee ne demeurait jamais toute seule pendant les journées chaudes et étouffantes. Elle était tout le temps en quête d'amitié et avait horreur de la solitude. C'était la raison pour laquelle elle était constamment en train de livrer conversation avec des personnes qu'elle venait de rencontrer. C'était aussi de cette manière qu'elle noua amitié avec une jeune femme hindoue qui était aussi friande qu'elle l'était de parler du passé. Elles éprouvaient des fois le désir d'aller explorer ce temps laissé en arrière dans l'imagination et qui pour elles avaient une grande importance. Elles se montraient tellement attachées à ce passé précieux que le présent qu'elles vivaient en dépendait beaucoup. Un passé évoqué parfois avec joies parfois avec nostalgie. Mme Ghanee ne tarda point de gagner sa confiance après l'avoir raconté sa vie dans les détails. Elle s'appelait Ranubenjee et se montrait très bavarde quand Mme Ghanee la questionnait sur sa vie. C'était comme si elle avait besoin d'une confidente et qu'elle avait énormément de choses sur le cœur à partager. Elle avait commencé à se confier de cette manière
« Depuis que les anglais sont venus s'installer en Inde, emmenant avec eux leurs traditions et leurs cultures, notre existence a subi à des grands changements. Notre vie est prise dans un engrenage qui nous empêche de réagir. Nous nous laissons entraînés vers je ne sais quelle destination. Je priais tous les Dieux: Brama, Ganesa, Vishnu, Krishna, Rama. Toute petite encore, je demeurais dans les temples en compagnie de mes parents et des gens qui cherchaient à apaiser leurs souffrances. Je devais avoir huit ans seulement quand je perdis mes parents dans des circonstances déplorables. Je me retrouvais toute seule dans un petit village. Les gens disaient que j'étais sauvée par miracle dans une inondation qui emportait mes parents, frères et sœurs. Une vieille femme qui m'avait recueillie au bord de la rivière s'occupait de moi avant de tomber gravement malade. Elle mourut dans mes bras tout près d'un temple pendant que j'essayais de la faire boire une gorgée d'eau. Je pleurais toute la nuit devant ce cadavre que je verrais d'ailleurs brûler le lendemain sur un tas de bois par les gens du village. Cette séquence est restée imprégnée dans ma mémoire que je ne suis pas prête à l'oublier.»
Et tous ceux qui avaient fait sa connaissance pendant le voyage ne pouvaient ignorer comment elle avait continué son existence toute seule.
Quand Mme Ghanee se retrouvait quelques semaines plus tard à l'île de la Réunion sur le quai du Port par un matin bien ensoleillé, elle était complètement perdue au milieu d'une foule composée des gens de diverse origine. Le climat était agréable. Des passagers descendaient les escaliers en pierres de taille qui reliaient le bâtiment de la douane à la grande cour qui s'étendait plus bas; ils se jetaient dans les bras des parents qui les attendaient en laissant échapper de longs soupirs de soulagement, des éclats de rires et des larmes de joies. Mme Ghanee cherchait de ses yeux hagards des personnes qu'elle avait rencontrées pendant le voyage et qu'elle pourrait reconnaître dans la foule. Elle les trouva toutes joyeuses, gaies, hilaires pour avoir retrouvé parents, familles et amis. Elle ne pouvait s'empêcher de partager leurs joies même qu'elle se sentait quelque peu délaissée et seule. Elle comprenait que le moment pour elle n'était pas approprié pour aller demander de l'aide. Elle préférait attendre. Certaines personnes qu'elle avait eu le courage d'aborder pendant le voyage l'avaient promis de s'occuper d'elle aussitôt qu'elles seraient dans l’ile. Elle gardait l'espoir qu'elle serait d'un moment à l'autre prise en considération. De grandes dames habillées de longues robes traînantes de couleur joyeuse, protégées des parasols défilaient devant elle avec leurs bagages transportés sur la tête des coolies qui les précédaient. Mme Ghanee tenait Abdel Rajack par la main et se retirait dans un coin tranquille. Elle échangeait quelques paroles avec des femmes d'origine indienne qui s'étaient regroupées à peu de distance pour attendre l'arrivée des parents. Elle se présentait comme Mme Vve Fatema Ghanee mais quand elle aperçut que personne ne s'intéressait à elle, elle commençait à manquer de patience; elle allait se renseigner si elle pouvait trouver une pension de famille dans la ville.
Elle était complètement perdue dans cette foule. Elle pensait qu'elle pourrait compter sur des personnes qu'elle avait rencontrées sur le paquebot et qui avaient promis de l'aider aussitôt débarquées. En tout cas elle ne passait pas inaperçue.
Beaucoup des gens qu'elle avait connus sur le paquebot l'abordaient pour la rassurer qu'elles s'occuperaient d'elle aussitôt qu'elles auraient terminé à saluer parents et amies et à rassembler bagages et autres dans ce brouhaha. Elle les remerciait et attendait avec patience. Elle se sentait satisfaite enfin d'apercevoir que ses amies ne l'avaient pas abandonnée ou oubliée. Elle avait perdu beaucoup de temps à rassembler ses malles et ses valises. Elle avait eu de la peine à trouver des coolies pour descendre sa malle et quelques bagages. Elle découvrit bien vite un monde nouveau, des coutumes et des traditions différentes. Elle savait déjà qu'elle avait beaucoup à apprendre pour être à l'aise dans cette nouvelle société. Cela lui prendrait du temps. Mais n'avait-elle pas tout le temps devant elle? Elle pourrait s'y consacrer pour préparer l'avenir de son fils. Elle était armée de patience et avait une telle confiance qu'à aucun moment elle n'avait perdu courage ni espoir. Son visage exprimait l'absolue confiance que son Créateur ne l'abandonnerait pas.
© Kader Rawat
Lire la suite

Les chemins de l'émigration

29 Août 2020 , Rédigé par Kader Rawat

Les chemins de l'émigration
Au mois d'été à cinq heures du matin il commence déjà à faire clair.
Un paquebot fit retentir ses trois coups de sirène pour annoncer son entrée dans le port de la Pointe des Galets. Une heure plus tard quand le soleil commençait à se lever, les premiers passagers quittaient le bâtiment ancré au large pour s'embarquer dans des chaloupes qui les transportaient sur le quai.
C'était l'époque où nombreuses personnes en quête de vie stable, d'avenir assuré, d'un coin tranquille et paisible se rendaient dans île. Parmi les passagers qui débarquaient, une jeune femme d'une vingtaine d'années tenait par la main son fils de cinq ans. Elle était de constitution fragile et avait une allure incertaine en faisant avec hésitation et méfiance ses premiers pas dans le monde qu'elle découvrit avec enthousiasme et émerveillement. Elle ne se comportait pas de manière à démontrer toutes ses aises et savait qu'elle se trouvait dans les carrefours des cultures et des civilisations et qu'elle devait se montrer vigilante et attentive. Elle portait pour l'occasion un sari de couleur vive, seul vêtement décent qu'elle avait trouvé dans ses affaires entassées dans une vieille malle. Elle voulait faire bonne impression pour passer la douane. Sa tête était à moitié couverte d'un châle, laissant entrevoir une épaisse chevelure lisse et luisante qui descendait jusqu'au rein. Son visage n'avait pas cette fraîcheur qu'il aurait dû avoir; les traits étaient tirés par la fatigue du voyage et le front plissé par les soucis qu'elle se faisait de l'avenir. Ses yeux de couleur marron clair, décorés par des longs cils et des épais sourcils gardaient par contre sa douceur et démontraient qu'elle maîtrisait la situation. Elle était parmi les rares femmes de l'époque qui effectuaient de long voyage en acceptant de courir les risques que cela représentait. Elle avait choisi cette destination de plein gré; elle avait mis tous ses espoirs dans cette île qu'elle appelait déjà `l'île d'espérance' et qui avait énormément suscité son intérêt et sa curiosité pendant le voyage. Cette île qu'elle abordait pour la première fois n'était plus un mystère. Elle avait confiance que son existence ne serait plus semblable à celle qu'elle avait connue. Depuis son enfance elle avait l'habitude d'assister à des scènes de violence et de vivre dans la crainte, l'angoisse et l'inquiétude. Son père était commerçant dans le village de Gugerat où elle avait grandi parmi de nombreux frères et sœurs qui étaient tous mariés et étaient allés vivre là où leur destin les entraînait. Elle avait épousé à l'âge de quinze ans un épicier du village et avait donné sitôt naissance à un fils. Les deux enfants qu'elle eut par la suite ne survécurent pas à des maladies infantiles qui sévirent dans le quartier à l'époque. Cela avait affecté son moral de telle sorte qu'elle demeurait longtemps à se débattre dans une dépression qui aurait pu la rendre folle. Un matin, pendant que son époux se dirigeait vers son échoppe, située dans une des principales rues de la ville, il fût battu à mort par des manifestants en colère qui croisaient son chemin. C'était un homme qui donnait tout son courage dans des durs labeurs pour nourrir sa femme et son enfant. II avait toujours été en bon terme avec les gens de son quartier et ne se mêlait jamais à la politique ni à des conflits entre communautés. Il faisait son chemin à l'ombre et menait une existence trop discrète pour avoir des ennemis. Mais ce matin-là, des assaillants avaient croisé son chemin et avaient mis fin à ses jours. L'épouse, en apprenant la nouvelle, poussait des cris et pleurait pendant longtemps en imaginant avoir perdu le seul homme qu’elle avait autant aimé. Elle ressentait davantage son absence et son importance auprès d'elle et pensait déjà que l'avenir ne serait pas facile avec un fils à élever. La population déplorait ce jour-là une vingtaine de morts et plusieurs centaines de blessés. La situation était devenue grave. L'existence était devenue un enfer et les gens vivaient dans l'insécurité et la peur. La mort guettait tout le monde. Chacun avait intérêt de prendre son destin en main. Mme Ghanee, maintenant veuve, et son fils Abdel Rajack n'avaient absolument rien à faire dans ce village réduit en champ de bataille où maisons étaient saccagées et brulées et familles brutalisées, dispersées, décimées. Elle avait pris la fuite avec son fils le soir même qu'on enterrait son défunt mari. Elle se rendit à Bombay où elle passait plusieurs jours à verser de larmes et à panser ses plaies. Elle logeait chez des parents qui avaient pris part dans ses malheurs et qui avaient bien voulu l'héberger jusqu'à ce qu'elle décidât de la manière dont elle comptait aborder l'avenir. Elle avait beaucoup réfléchi sur son misérable sort, sur son destin qui jusqu'à lors ne l'avait pas épargnée des malheurs et des calamités, sur les moments difficiles qu'elle avait traversés auprès des personnes qui ne cessaient de se débattre dans une vie de misère et de souffrance. Elle tenait ainsi son unique fils serré dans ses bras en implorant Dieu de les retirer de ce lieu où la vie avait un goût amer, où l'existence était si pénible et insupportable que seulement la mort pouvait apporter soulagement et délivrance. Elle avait préféré fuir parce qu'elle avait un fils. C'était sa seule raison de vivre. Elle était prête à tout abandonner pour lui. Elle ne voulait pas le voir grandir au milieu des troubles et des turbulences. Elle avait pensé aussi aux contraintes que cela pouvait poser. Mais elle n'avait d'autres alternatives. C'était dans la résignation et la profonde tristesse qu'elle délaissait derrière elle famille et biens pour embarquer avec son fils dans le premier paquebot qui quittait le pays.
Pendant le voyage elle avait fait la connaissance des personnes auxquelles elle ne cessait de raconter ses malheurs pour soulager son cœur et pour se donner une raison plausible à quitter le pays. Elle avait appris beaucoup de choses sur la misère humaine et s'était montrée soucieuse de l'avenir. Elle avait en quelque sorte pris conscience de sa situation et avait compris qu'elle avait des durs combats à mener dans les prochains jours. Dorénavant pendant cette longue traversée qui durait des mois elle s'était sympathisée avec nombreuses familles, avait rencontré beaucoup de femmes indiennes qui effectuaient également ce voyage pour éviter cette misère qu'elles avaient connue pendant si longtemps. Elles parvenaient ainsi à partager leurs peines et à reconnaître qu'elles n'étaient pas les seules à avoir supporté la vie dure. Elles se regroupaient dans un cercle solidaire qui les permettait de nourrir le grand espoir que leur avenir serait meilleur. Quand Mme Ghanee se trouvait seule le soir dans un coin obscur pour chercher le sommeil, elle était assaillie des fois par les séquences qui avaient marqué son existence et qui l'obsédaient au point à la rendre malade et malheureuse. Elle se disait que la vie ne devait plus être une succession de malheur et de souffrance. Elle ne voulait plus assister à des scènes qui traumatisaient et qui choquaient. Elle en avait vue plus qu'il n'en fallait pendant le peu d'années qu'elle avait vécues. La fuite, l'éloignement, échapper à cette vie incertaine et remplie de douleurs étaient le seul issu par lequel elle comptait sortir de cette situation inconfortable. Elle espérait pouvoir reprendre confiance à la vie et quitte à devoir faire d'énormes sacrifices, elle avait bien décidé de relever le défi. Sur le paquebot qui la transportait vers sa nouvelle destination, quand elle était aux prises à des pensées effroyables, elle alla chercher refuge auprès de ses amies pour se consoler. Plusieurs femmes ignoraient encore leur destination et ce qui les attendait après. Elles préféraient vivre dans cet état d'esprit et attendre avec espoir que leur condition de vie s'améliorât. Elles avaient longtemps compris qu'elles n'avaient rien à perdre et que les risques à courir en s'engageant dans les chemins de l'émigration en valaient la peine. Elles ne s'étaient pas trompées et les bonnes terres d'asiles, à l'époque, n'en manquaient pas et les attendaient à bras ouverts.
Lire la suite
Lire la suite

UNE FEMME SANS PUDEUR https://t.co/tbcc6PLPp9

20 Août 2020 , Rédigé par kader rawat

Lire la suite
<< < 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 30 > >>