Les Amants de l’île Bourbon 2
Les Amants de l’île Bourbon
2
Nous avons souvent besoin de nous exprimer pour libérer notre cœur des maux qui l'affligent et pour nous soulager. Ce que je vais raconter se rapporte particulièrement à une idylle que j'ai vécue dans le plus grand désordre et dans d'incessants tourments au fin fond des îles. Je reconnais les risques que je prends en racontant ma vie. J'ai eu des déceptions là où je croyais avoir de la gloire. Je désirais tellement vivre comme je le voulais sans jamais songer aux malheurs qui m'attendaient. J'étais aveuglé des charmants moments de la vie. N'est-il pas vrai que la joie nous fait oublier nos peines? Comment pourrais-je prévoir des malheurs quand j'étais si heureux? Les folies de la jeunesse nous poussent à commettre des bêtises. Les plus doux moments de notre vie sont ceux que nous passons avec la personne que nous aimons. Nous cherchons tous des moyens à rendre notre vie agréable? Nos meilleurs contacts sont dans la douceur de l'amitié. Nous nous engageons souvent dans des conversations qui traitent sur la vertu, sur les faiblesses de la nature humaine, sur des problèmes qui nous concernent dans notre vie sentimentale. Les pensées qui nous occupent l'esprit sont ceux qui se rapportent à notre milieu social, aux personnes qui nous sont les plus proches, aux liaisons que nous gardions dans notre société et aux sentiments que nous évoquions aux gens de notre entourage. La vie n'est qu'un jeu où nous avons autant de chance de gagner que de perdre. Nous devrions nous montrer courageux pour l'affronter avec dignité. Nous attendons toujours d'elle le meilleur moment. Nous ne pouvions pas tous vivre de la même façon. Le Seigneur l'a décidé ainsi. Il est vrai que certains sombrent dans le désordre sans pouvoir se relever tandis que d'autres luttent pour survivre. Nous avons besoin de l'aide. Nous sommes souvent victimes de nos propres actes. Nous devrions nous accrocher à l'existence. Nos efforts sont récompensés après de persistantes luttes. Notre destin y dépend beaucoup. Je me laissais entraîner dans une succession d'aventures passionnantes. Je trouvais tant de joies dans le bonheur que j'aspirais. C'était suffisant pour être heureux. J'aurais dû apprendre que la félicité est éphémère. Ne cherchons nous pas ces plaisirs qui nous comblent le cœur et nous embellissent l'existence? Le jour où je connus le bonheur j'étais prêt à tout sacrifier. Je perdais le sens de raisonnement et me dirigeais tout droit vers le désastre. J'aurais pu m'en tirer si je pouvais raisonner. Quel conseil n'avais-je pas reçu, quel avertissement ne me donnait-on pas, quelle réflexion ne me passait pas par la tête sans m'influencer? Je les avais tous écartés pour une passion. Je n'avais qu'un seul désir : Aimer.
Je débarquais à Port-Louis en Septembre de l'année 1787. Mon oncle était venu m'accueillir sur le quai et m'avait emmené à sa magnifique résidence. Mes parents me parlaient souvent de l'île de France où je naquis d'ailleurs et où je passais mon enfance. J'avais de vagues souvenirs de ce temps passé. J'étais peut-être encore enfant pour comprendre. Je me rappelle par contre des charmants moments que je passais en compagnie de mes parents. J'avais l'habitude de me rendre dans la journée chez des voisins pour jouer avec des enfants de mon âge. Je redoutais le mauvais temps qui avait souvent laissé des mauvaises impressions sur mon état d'esprit. On parlait souvent lors des conversations du naufrage de Saint-Géran. La mort tragique de Paul et de Virginie était un événement qui bouleversait nombreuses familles. Nous étions même allés voir leur tombe à la Baie du Tombeau.
Mon père était le fils d'un baron qui connut diverses infortunes et qui terminait ses jours dans le cachot pour des délits graves dont on n'en avait jamais parlé mais que je soupçonne d'avoir des liens étroits avec la politique. Engagé par une Compagnie Maritime comme conseiller technique, mon père suivait avec grand intérêts divers travaux d'aménagement entrepris par des ingénieurs venant de France. Il rencontra ma mère lors d'un banquet donné par Monsieur le Gouverneur au Château de la Ville Bague. Ils ne se quittaient plus depuis. Le mariage fut célébré en grande pompe au Château de Mon Plaisir.
Mes parents étaient allés habiter une superbe maison dans le quartier de Pamplemousses. Ils menaient une vie modeste, étaient entourés des gens de leur milieu qu'ils rencontraient souvent dans des fêtes et des réceptions qui désormais ne plaisaient guère à ma mère. Elle préférait retourner vivre à Paris. Elle s'était mariée, disait-on, pour se ranger et pour assouvir quelque peu ses désirs qui furent très mal interpréter par mon père. Elle était prête à tout sacrifier pour retourner dans sa ville natale Paris qui la manquait énormément. Mon père se plaisait par contre énormément dans l'île. Il se rendait souvent à l'île Bourbon pour surveiller et contrôler les travaux en cours. Ma mère d'habitude l'accompagnait mais détestait ces déplacements pénibles et lassants. Les maisons dans lesquelles ils devaient se loger n'étaient pas confortables. En été, elle n'arrivait guère à supporter la chaleur quand elle devait résider dans la Capitale pendant que mon père s'occupait à travailler.
Mes parents s'engageaient souvent dans de violentes disputes qui empoisonnaient déjà leur existence. La vie avait un goût amer. Oncle Henri, cousin de mon père, qui se trouvait dans l'île pour s'occuper de ses affaires habitait à peu de distance de la maison. Il intervenait souvent dans les conflits qui opposaient mes parents dans leur vie conjugale. Ma naissance n'apportait guère de changement dans la manière dont mes parents avaient choisi de vivre leur vie. J'étais peut-être venu au monde au mauvais moment.
Quand le contrat avec la Compagnie Maritime vint à son terme, mon père trouvait une raison valable pour retourner vivre en France. Je fis mon premier long voyage en mer. Mon oncle nous écrivit de longues lettres et nous parlait de la tristesse dans laquelle il se trouvait après notre départ. Il ne cessait de nous demander de retourner dans l'île. Les lettres s'entassaient dans le tiroir sans que mes parents n'en portent attention. Mon père s'était lancé dans le commerce et était très occupé dans les affaires. Il élargissait le cadre de ses relations et était souvent retenu ailleurs pour conclure des contrats d'une importance capitale. Ses affaires tournaient bien. Il faisait de bonnes relations qui lui ouvraient les meilleures portes du monde avec une grande rapidité. Il s'occupait de mon éducation avec soins. Je me montrais très sage à l'école et travaillais avec ardeur et application. Mes maîtres éprouvaient beaucoup d'estime pour moi.
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
©Kader Rawat
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 8...
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 8 https://t.co/a8ZlQk2xfc
December 24, 2020
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 8
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
En rencontrant Ragounadan dans son écurie en train de traire une vache, Omar n’hésitait pas de lui parler de son projet et sa résolution de s’acheter un esclave.
– Si ce n’est que ça qui t’intrigue, mon cher Omar, lui dit Ragounadan, je connais un marchand d’esclaves qui sera ravi de te présenter sa collection, les meilleurs des esclaves que tu puisses t’en procurer de toute la région. Tu pourras avec lui faire une bien bonne affaire et j’en ai vu moi-même de mes propres yeux, des grands gaillards bien costauds, musclés, détenant une énergie de fer et pouvant te servir jusqu’à la fin de tes jours. Si tu as ton argent prêt, Omar, comment penses-tu que tu ne pourras te procurer ce dont tu as besoin? Laisse-moi t’y conduire dans quelques instants et tu verras que je ne t’ai pas raconté des baratins; tant qu’à si tu pouvais te rendre dans les quartiers sans courir le moindre risque je dois être franc avec toi pour te dire que ce n’est ni le jour ni le moment; je ne te le conseille pas. Tout à l’heure, pendant que j’allais chercher de la paille dans les champs de canne, quelques officiers que j’aie rencontrés par hasard, m’avaient conseillé de me rendre au plus vite à la maison si je ne voulais pas perdre la vie sans que j’aie même le temps de prier. Vois-tu un peu combien la situation est devenue critique. Et maintenant faible comme tu es, Vieux Omar, à quelle dimension pouvait être ton courage pour bien vouloir affronter seul, sans aucun moyen de défense, les vagues déferlantes des révoltes. Je comprends combien ta vie sédentaire t’exige à te faire protéger par un esclave et pour cela je suis bien disposé à t’en chercher un qui te serait d’un bon choix. Je pouvais même t’en recommander quelques-uns que je suis certain seraient de ton goût.
Dans un lointain quartier, au-delà des plaines et des forêts par un temps assombri par un gros nuage épais qui cachait le soleil, un jeune homme gisait, le corps meurtri et ensanglanté ; il se trouvait derrière une brousse et dans de longues herbes humides encore par l’averse de la nuit. Ce corps inerte, blotti, dont la position démontrait la violence avec laquelle on l’avait jeté là, dans ce lieu retiré de la contrée, devait avoir subi dans l’ignominie, les plus cruelles des tortures. La nuit aurait dû être rude par le froid intense qui sévissait dans la région pour ce jeune homme en particulier dont le malheur ne l’avait pas épargné de ce qui aurait pu lui faire souffrir. Son visage, tourné vers le ciel, masqué derrière des caillots de sang et de la boue, marquait une crispation et une grimace que seul le martyre pourrait en être responsable. Qui n’aurait pas, en découvrant le corps inanimé d’une personne dans un tel état et dans une telle condition, éprouvé, à la première vue, de la stupéfaction, de l’angoisse et même de la frayeur? Était-ce un cadavre? Ou simplement un corps qui mourrait? L’imagination troublée ne pouvait, dans une situation pareille, qu’effectuer constatation pour satisfaire une curiosité instantanée et pour se libérer d’une quelconque crainte qui empreignait déjà l’esprit. Était-ce un meurtre perpétré dans le but d’assouvir une vengeance ou des coups portés avec l’intention de se débarrasser à jamais d’une personne qui était de trop déjà? Qu’importe la réponse qui pouvait convenir à toutes les questions que nous pouvions poser ?
L’important était de savoir s’il y avait de la vie dans ce corps qu’aucun regard humain ne pouvait apercevoir si ce n’était par hasard, tant il était enfoui loin des sentiers que prenaient habituellement les villageois, les colons, les esclaves se rendant aux champs pour les durs labeurs de la journée. Le nuage étant dissipé, le soleil envahissait graduellement, de ses doux rayons, les régions longtemps cachées dans une ombre qui témoignait, quelques heures auparavant, à un spectacle ahurissant, angoissant, dans le silence. La nature gardait, de cette nuit lugubre, un si mauvais souvenir que le jour se levait pale et morne derrière la Montagne longue dans le quartier de Crève-Cœur qui cachait encore l’énigme de tous les mystères qui auraient pu avoir pour conséquence la violence avec laquelle ce jeune homme avait été battu. Le corps robuste, étalé de toute sa longueur sur le sol dur, détenait dès sa première jeunesse une ressource inépuisable, étonnante de vigueur, de force, de vitalité et même d’endurance qu’en dépit de tout ce que nous pouvons imaginer de l’affliction qui l’aurait réduit dans cet état, le corps, certainement par la génération de la chaleur donna une légère secousse, signe de vie, d’espérance. Les oiseaux, devinant peut-être le malheur qui était survenu, sautillaient avec un empressement qui aurait démontré leur impatience à lui voir se réveiller, ce qui les aurait assurés et réjouis en même temps, les tirant de plus de cet air hébété qui les contraignait dans leur petit jeu du matin, avant qu’ils ne prennent leur envol habituel en quête de nourriture et d’aventure.
©Kader Rawat
Les Amants de l’île Bourbon 1
Les Amants de l’île Bourbon
1
Les îles isolées qui parsèment les océans étaient autrefois un port d'escale, un abri, un lieu de refuge aux aventuriers et aux chercheurs de bonnes fortunes. Les vaisseaux battant drapeaux de toutes couleurs, équipés d'artilleries lourdes, chargés de cargaisons diverses sillonnaient les mers pour découvrir des endroits ignorés, pour accaparer des richesses abandonnées, pour conquérir des terres nouvelles et inconnues aux prix d'énormes sacrifices, de courages exemplaires et d'une volonté tenace. Ainsi, des hommes de différentes nations se retrouvaient un peu partout dans le monde pour vivre ensemble, pour s'adapter à toutes les conditions de vie et pour se respecter.
Au début, ces terres ne présentaient qu'un aspect sauvage et mystérieux. Elles offraient une existence morne et terne qui permettait une vie restreinte et mesurée, un abri plaisant et assurant. Parmi ces gens de différentes nations, de différentes couches sociales, de tendances multiples la vie s'organisait de manière à leurs donner la possibilité de vivre dans une société où ils n'avaient aucun intérêt de contraindre l'existence des autres. Leur personnalité était définie déjà au moment qu'ils posaient les pieds sur ces terres qu'ils considéraient par la suite comme les leurs à force d'y avoir vécu et y avoir travaillé. Leur place dans la société était tout de suite remarquée aussitôt qu'ils débarquaient dans l'île. Les esclaves se trouvaient parmi les plus infortunés et côtoyaient les coolies, les prolétaires et les engagés. Les gens libres mais sans fortune étaient eux aussi venus chercher un coin tranquille pour vivre; les commerçants et les spéculateurs se trouvaient là dans un but bien précis et s'acharnaient dans le travail sans savoir quelle ampleur aller prendre leurs activités. Seuls les gens de la bourgeoisie et ceux de l'administration dont la mission était prédéfinie avant même qu'ils n'atteignent la région pouvaient se considérer heureux de n'avoir pas de grands efforts à faire pour vivre dans ce milieu dont ils avaient la lourde tâche de modeler et de façonner selon leur tempérament et leur compétence. Ainsi classé sur l'échiquier social chacun portait sa petite contribution comme il le pouvait pour faire progresser cette communauté naissante composée d'une diversité de gens qui, au fil des années, allaient se fondre comme dans une moule pour faire surgir un peuple qui aurait toute raison de tirer sa fierté dans la nation remarquée par son originalité.
Au 17ème siècle, quand les grands navigateurs s'aventuraient dans les confins des océans, sur la route des Indes, une île volcanique vieille de 3 millions d'années mais découverte une centaine d'années plus tôt se présentait comme un jardin dans l'océan. Elle était couverte déjà d'une végétation dense et luxuriante avec ses montagnes qui cachaient ses mystères, ses cirques effroyables, ses volcans et ses cratères encore actives qui pouvaient cracher ses laves à tout moment, ses rivières qui entraînent les eaux qui dévalent les pentes, ses chutes multiples et ses cascades dont certaines donnent l'aspect de la voile de la mariée, ses vallées verdoyantes et ses splendides paysages que bien des régions du monde ne peuvent égaler ni rivaliser. Maintes fois visitées par plusieurs nations elle se présentait comme un lieu de ravitaillement au milieu de l'océan indien à mi-chemin entre l'Europe et l'Asie. Terre française plus tard, ensuite colonie elle ne se présente pas plus gros qu'un grain de sable sur une mappe monde; nommée Ile Bourbon cette île de 2 500 kilomètres carrés est constamment assaillie sur ses côtes et ses falaises par de grosses vagues et des houles énormes.
Des habitants, arrivés dans cette partie du monde pour de multiples raisons, étaient disséminés un peu partout dans l'île; certains esclaves fuyaient les oppresseurs du régime colonialisme; les traitements durs et impitoyables des maîtres les obligeaient de se réfugier dans des lieux difficilement accessibles pour devenir des marrons recherchés par la justice. L'épaisse végétation qui leurs servait de bouclier et les protégeait contre leurs poursuivants les permettait d'organiser leur vie en toute sérénité, de survivre en s'appuyant sur l'inépuisable réserve de gibiers, des produits aquatiques, des animaux qui pullulaient dans la région. Certaines parties du littorale étaient déjà les fiefs qui abritaient les administrateurs ; les bâtiments publics étaient érigés de manière à faire face à une mer entreprenante qui ne cessait de faire des assauts sur les côtes trop avancées et des falaises abruptes. Le paysage était d'un aspect parfois pittoresque, parfois langoureux et les chaînes des montagnes qui se dressent au loin donnaient l'apparence mystérieuse et exotique qui ne laissaient pas insensibles les regards scrutateurs qui s'y posaient. Les vallées cachaient derrière elles une atmosphère sinistre; le matin elles étaient enfouies sous une épaisse couche de nuages qui entravait la vue des admirateurs assidus de la nature; enfin de journée par le soleil couchant elles se dévoilaient aux regards curieux qui s'y posaient. Elles faisaient penser aux lointaines régions inexplorées encore et dont l'accès était difficile voir même impossible. Les vastes étendus qui séparent ces montagnes à la mer découvrent à des distances respectables de grandes crevasses, de larges rivières dont les lits sont asséchés pendant des longs mois de sécheresse et en crues quand il pleut abondamment.
Les paillotes des esclaves, les cases en tôle et en bois des gens pauvres servaient d'abri contre le soleil ardent et la pluie torrentielle; les habitations des maîtres étaient construites de manière à se protéger contre les rafales violentes qui s'abattent sur l'île pendant la saison cyclonique. Les gens qui vivaient dans ces régions cultivaient des terres, plantaient des légumes, des arbres fruitiers, du café, du coton, du thé, des géraniums, de la vanille, de la canne à sucre. Ils exerçaient plusieurs métiers artisanaux, produisaient, fabriquaient, firent de l'élevage, allaient à la pêche et à la chasse pour gagner leur vie. Ils consommaient, vendaient, négociaient, traitaient a aire avec des gens du village, en ville avec des étrangers. Maîtres et esclaves se voyaient enchaîner par le destin qui les entraînait dans de longues luttes récompensées par la fortune pour les uns et la liberté pour les autres, mais obtenue au prix d'énormes sacrifices. Des fois les droits se firent valoir par des conflits incessants que chacun devait mener à sa manière sans pour autant s'empêcher de se faire remarquer dans cette société oubliée par le grand monde. Pendant que la mer continuait à déferler, à porter constamment ses assauts contre les côtes, pendant que les volcans crachaient ses laves dans des épouvantables bruits de tonnerres, pendant que le vent soufflait ses rafales violentes chaque homme prenait en main sa propre destinée et se laissait ainsi emporter dans ce voyage vers l'inconnu.
Dans une contrée peu fréquentée de la haute plaine par une fin de soirée venteuse en ce temps d'hiver, le froid, accompagné de brouillards et de fréquentes averses, pénétrait jusqu'au fond de l'âme. Un vieillard, courbé par l'âge et la fatigue, trottinait le long d'un sentier boueux. Ses cheveux et sa barbe, longs et blancs, dansaient sous la brise. Ses vêtements, rapiécés et sales, gonflaient comme la voile d'un bateau. Le visage ridé, les pas mesurés, le front anxieux, il se dirigeait vers une tombe fleurie, décorée soigneusement par des pierres ciselées. La croix qui s'élevait dans le crépuscule indiquait le lieu où se reposaient un être cher, un être qui ne pourrait se remplacer, un être qui vivait encore dans le souvenir. Dans cette atmosphère estompée, terne, dans ce climat sans attrait et sans convenance ce vieillard trouvait encore le courage de vivre. Il nettoyait la tombe de ses mains osseuses, retirant les feuilles mortes, arrachant les mauvaises herbes, étalant la terre comme pour faire comprendre à cet être cher qu'il était là pour s'occuper de lui. Il se plongeait ensuite dans une longue prière. Son visage s'illuminait par les dernières lueurs du jour pendant que son imagination le transportait dans un monde où il allait se réfugier pour chercher consolation et paix. Comment percer le secret d'une âme mystérieuse? Au temps où les évènements liés à l'histoire de sa vie étaient encore frais dans sa mémoire et au moment où il purgeait ses peines dans un cachot délabré il les avait enregistrés dans les pages écrites sans aucune prétention. Il avait tout raconté dans les détails en se montrant fidèles aux faits, en évoquant les sentiments les plus sincères avec la plus grande compassion. Vous découvrirez ses peines, ses déceptions, ses désordres, ses bassesses, ses infortunes; il ne vous cache pas ses joies, ses bonheurs, ses transports, ses extases; vous constaterez ses sottises, ses ridiculités, ses enfantillages, ses caprices, ses abus; vous lui trouverez un dilettante, un pédant, un irréfléchi, un têtu, un égoïste - quel mot ne pas employer pour lui trouver une qualification ? Mais ce serait bien si vous pouvez le juger par vous même en prenant connaissance de ce récit.
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
©Kader Rawat
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 7
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 7
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
A un croisement de chemin, après qu’il ait assisté, dans la perplexité, au passage des esclaves enchaînés dans un long et languissant traînement de chaînes sur la terre dure des sentiers, escortés par un nombre inhabituel de soldats, Omar rencontrait un prêtre qui se dirigeait vers un presbytère au centre-ville.
– Bonjour révérend, dit Omar, en s’arrêtant au bord de la route, essoufflé.
– Bonjour vieux Cheik, répond le Révérend, mais qu’est-ce qui vous emmène, de si bonne heure et à un moment si inopportun, dans ce quartier de la ville? Seigneur, vous tremblez. Vous devez ne pas vous sentir bien. Laissez-moi-vous accompagner jusqu’à chez vous. Où voulez-vous que je vous emmène à notre diocèse? Nos frères prendront soins de vous.
– Non, merci Révérend. Vous êtes bien aimable. Mais le Bon Dieu me donnera du courage. Je ne suis pas si mal en point que ça. Dites-moi, mon Révérend, j’ai entendu parler d’une insurrection. De quoi s’agit-il? Je ne comprends presque rien, malgré le peu d’explication qu’un malheureux cavalier m’a fournie.
– Ah ! Ça, vieux Cheik, je m’en doutais que vous ignorez tout pour vous trouver à vous promener jusqu’ici par une période pareille. Eh bien ! Durant la nuit il y eut une révolte des esclaves et beaucoup de maisons ont été brûlées, des granges, des champs de cannes et plusieurs centaines de personnes, des femmes, des hommes, même des esclaves tués, massacrés.
– Est où est-ce que cela s’est passé, Révérend? demanda Omar Cheik, inquiet.
– Dans le nord de l’Ile, dans les quartiers de Pamplemousses, de Rivière du rempart.
– Est-ce qu’on a pu capturer les responsables?
– A ce qu’il parait, l’instigateur de cette révolte, un certain Blake, aidé par les pirates, par des esclaves et même par des mercenaires a pu s’enfuir, soit caché quelque part dans l’île, soit en train de voguer quelque part en mer. Il avait emmené avec lui, la fille d’un riche colon, une certaine Roseline Derfield, fille du Maître Thomas Derfield, pour lequel il travaillait comme régisseur. On parle aussi d’un nommé Charles, son antagoniste qui seul avait osé lui tenir tête malgré le peu de pouvoir qu’il détenait. Le Gouverneur est actuellement préoccupé à trouver remède à la situation et à se rendre dans les lieux pour constater les dégâts. Les soldats sont mobilisés et des détachements de régiments sont expédiés dans divers quartiers pour prendre contrôle de la situation. Plusieurs esclaves ont été capturés et seront exécutés, pendus sans qu’aucun jugement ne leur soit rendu. Ce Charles, dont je t’ai parlé, se représente comme un prodige, une personne dotée d’un pouvoir si extraordinaire, certains prétendent que c’est un illuminé qui seul pouvait apporter toutes les lumières sur les ténèbres qu’englobe actuellement cette affaire. Mais jusqu’à maintenant on ne l’a pas encore trouvé, on est en train de le chercher partout parmi les décombres et les cadavres jonchés de-ci, de-là dans les plaines.”
Omar, en entendant cela, ne put prononcer aucune parole et bien que le Révérend lui fasse ses adieux en s’éloignant dans la direction opposée, Omar demeurait longtemps dans une profonde réflexion ne sachant quoi faire dans cette situation si confuse. Tout en imaginant pouvoir se rendre sur le lieu par un moyen de transport qu’il n’aurait pas de peine à trouver, pensant à la charrue que pouvait lui emprunter Ragounadan, un coolie qu’il connaissait de longue date et auquel il avait rendu de grands services, Omar se disait qu’il lui serait fort possible d’aller voir de ses propres yeux ce qu’il parvenait avec du mal à concevoir dans son imagination, malgré que, de sa vie, il ait vu des choses bien plus pires que ce qu’on lui avait raconté.
En retournant sur ses pas dans la direction de sa demeure, Omar constatait que les rues étaient moins désertes et que des gens commençaient à quitter leur demeure avec un esprit plus rassuré, moins frustré ; sur leur front se dessinaient des signes d’inquiétudes tout de même et leurs yeux demeuraient hagards aux moindres mouvements singuliers. Omar ne put s’empêcher de se demander si ses jugements ne lui faisaient pas défaut et si une résolution aussi brusque que d’entreprendre ce déplacement comme il l’avait prise dans son imagination ne contraignait pas sa santé par la suite.
– Non, se disait-il, ne connaissant de ce type, ni le sens de sa moralité, ni l’étendue de son honnêteté, ni la qualité de son caractère, il serait trop risquant pour ma vieille carcasse de lui avoir pour compagne du moins pour l’instant. Il me faudra tout d’abord le connaître, le voir, m’assurer qu’il m’inspire confiance afin que je puisse lui faire partager ma vie de misère. Je me ferais un devoir d’assister à ce procès dont m’avait parlé le Révérend, et qui se déroulera d’ici quelques jours afin de pouvoir déterminer s’il fallait que je porte mes intérêts à leurs égards, ou serait-il préférable pour moi de chercher ailleurs ce dont j’ai besoin, une assistance assurée pour me rendre dans mon pays natal. Voyons, vaut mieux attendre encore un peu, avant de pouvoir retrouver l’esclave qui voudrait bien s’occuper de toi, Omar. Tu t’es patienté pendant des années et il ne serait tout de même pas trop malin que tu essaies de précipiter les affaires, d’accélérer les choses dans une période aussi néfaste comme la situation se présente actuellement. Si les esclaves se révoltent aujourd’hui c’est que cela représente un très mauvais signe pour les maîtres. J’ai entendu bien souvent parler des émancipations par des gens venant des autres pays du monde et j’en ai bien peur que tout cela est les indices des changements imminents qui pourront avoir lieu au sein de la population. Pour combien de temps encore les noirs supporteraient-ils la domination des blancs? Le monde évolue rapidement, les idées changent et les aspirations, les ambitions, l’intelligence s’entassent derrière l’aridité des cerveaux encore nubiles, sans toutefois pouvoir s’empêcher de s’armer de la volonté tenace de se libérer à jamais du joug des injustices des blancs, responsables des malheurs qui leur tombaient dessus. Ce serait peut-être manquer à un spectacle qui ne se reproduirait jamais en refusant à me rendre dans ce lieu où autant de sang fut versé. Les dernières années que je suis en train de vivre pourront ajouter d’autres expériences que j’aurai bien peine à effacer mais qui m’auraient fait voir davantage de ce qui devait être vu sur cette terre. Ragounadan saurait me dire si le trajet m’emmenant vers le nord ne présente pas de trop grand risque.
©Kader Rawat
Ma Tante Angélique 1
Ma Tante Angélique 1
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ne peut être que fortuite.
L’existence ! En voilà le mot qui m’est venu à la mémoire le jour où j’ai reçu la nouvelle que ma tante Angélique est morte. On est venu me donner cette nouvelle comme si de rien n’était et je l’ai prise très calmement.
Je dois me préparer à l’instant même pour attraper l’autobus de quatre heures ; il ne me reste qu’une heure devant moi. Je me rase à la hâte, prends mon bain, fais ma valise et me dirige vers l’arrêt bus, tout près du grand chemin, à un quart d’heure de marche de ma demeure. Il y a plus de trois semaines que je n’ai pas vu tante Angélique et la dernière fois que je l’ai quittée pour me rendre dans ce petit village que je connais à peine, elle m’a dit de ne pas gaspiller mon existence car je dois toujours me rappeler que l’existence est très courte. Elle a tout à fait raison de m’avoir donné un tel conseil et d’autre part je sais qu’elle veut me faire comprendre des choses qu’elle n’ose pas me dire.
Je reste là à penser comment ce beau visage qui a tant vécu, n’est plus. Je me sens envahi par une profonde tristesse. Je me demande quelle est l’importance de vivre quand on sait qu’on cesserait de vivre un jour. Certes, c’est absurde de faire une telle pensée mais les choses de la vie semblent parfois si dures et si sévères que nous, créatures humaines, éprouvons des difficultés à comprendre. Il arrive un moment où la vie ressemble à une terre brûlée et à marcher dessus est un martyre, une pénitence. Le monde est un théâtre où chaque individu joue son rôle. C’est un spectacle où chaque personne participe et assiste en même temps, avec le plus grand dévouement, à ce jeu qu’on appelle “la comédie humaine.”
Il arrive bien souvent au cours de l’existence que la vie nous abandonne et, au moment même, l’on se voit, l’on se juge l’être le plus misérable au monde. La vie, c’est l’existence même. Tante Angélique avait raison de dire “de ne pas gaspiller l’existence”. Et maintenant la vie, pour elle, est finie. Elle ne vit que par l’esprit parce qu’elle n’est plus parmi les vivants. Elle est comptée parmi les morts, et les morts on pense à eux pour un certain temps et après, on les oublie aussi. J’ai tant envie de voir tante Angélique. Elle semble si vivante à moi que je ne peux supporter de penser qu’elle ne vit plus. Mes empressements me mettent dans une si grande agitation que mes actions me paraissent machinales. Peu après, je me vois m’éloigner de la maison en grandes enjambées. Les maisons, les arbres ne représentent plus rien pour moi et, parfois une bouffée d’air frais vient me vivifier le corps. J’entends des bruits, des voix mais sans rien comprendre. Je n’ai pas attendu longtemps pour attraper l’autobus et, m’installant dans un coin à l’extrémité, ayant ma tête appuyée sur la banquette arrière, je me suis assoupi, malgré les multiples pensées agressives qui me hantent l’esprit.
Quand je me réveille, je me trouve déjà tout près de mon village. Je descends, emportant ma petite valise avec moi. Comme je suis assez pressé, j’évite à tout prix la rencontre des amis et, au lieu de passer le long du chemin principal, je passe à travers champs, par des sentiers étroits et tortueux.
En approchant la maison, je remarque qu’il y a plusieurs personnes dans la cour. Je reconnais la plupart d’entre eux. Les uns sont des voisins et les autres des parents lointains que je rencontre assez rarement.
Je n’ai pas le temps de les saluer et je me dirige droit vers la chambre où se trouve tante Angélique. Elle est sur le canapé. Je peux entendre les pleurnichements des uns, les murmures des autres. Je remarque tante Félix, habillée en noire comme les autres, qui pleure aussi et qui se trouve tout près du canapé. Je sais que si je resterai plus longtemps à les regarder je ne tarderai pas à voir mes larmes couler sur mes joues. Je m’approche de tante Angélique pour la regarder de près. Je l’ai vue. Son visage est tel que je l’avais quitté la dernière fois. Que son âme dorme en paix, pense-je en la regardant et en faisant un signe de croix. Et après, je suis sorti.
J’ai pris ma place dans l’autre chambre pour passer la nuit. Je n’ai pas dîné, et je n’en ai pas envie. On a passé du café noir à plusieurs reprises. J’ai choisi un coin afin qu’on ne me dérange pas. Je n’ai pas voulu non plus livrer conversation à personne parce que mon état d’esprit ne m’en permet pas.
Je passe les premières heures à observer les autres. Je ne les connais pas et j’en suis certain qu’ils sont tous des parents. Je ne m’en soucie pas de les connaître. Et ce n’est pas non plus le moment.
Je me souviens encore quand j’étais tout petit et habitais dans cette cabane de La Colline, c’était tante Angélique qui se trouvait auprès de moi. C’était tante Angélique qui me berçait dans ses bras. Oui, cette même tante qui se trouve dans l’autre chambre. J’en ai envie de pleurer, de crier. Mais à quoi bon. Elle ne m’entendra pas.
Elle, envers laquelle j’ai gardé et je garderai toujours ce sentiment maternel. Personne ne comprendra. Personne. Sauf elle et moi. Comment pourrai-je l’oublier pour tout ce qu’elle a fait pour moi. Non. Ce n’est pas possible. Pour moi elle n’est pas morte. Elle vit encore. Elle vivra toujours. Oui, elle est là devant moi ; je l’entends qui m’appelle. C’est loin en arrière. Je n’avais que sept ans.
— François. François..., où es-tu François.
— Je suis là, maman.
— Oh ! François tu m’as fait peur. Ne t’éloigne pas de la maison, mon chéri. Tu sais très bien que c’est dangereux d’aller jouer loin auprès des ravines. Si tu y tombes, personne ne le saura. Tu me promets de ne jamais y aller, mon gâté. N’est-ce pas?
— Oui, maman, mais je ne sors pas du côté des ravines.
— Très bien, tu ne dois pas y aller, mon chou.
C’était la première instruction que tante Angélique m’avait donnée. Elle me surveillait toute la journée ; et avec toujours cet air de gentillesse qu’on n’arrive pas à trouver en toute personne, elle m’ordonnait ou m’empêchait de faire quelque chose.
®Kader Rawat
Mémoires d’une jeune fille libérée 3
Mémoires d’une jeune fille libérée
3
J'étais devenue jeune fille à dix ans. Ma mère, qui ne m'avait pas encore préparée pour un tel événement, s'étonnait de ma croissance rapide. Quand je rentrais à la maison un après-midi, après les heures de classe, les yeux remplis de larmes parce que j'avais commencé à saigner et que cela n'arrêtait pas, ma mère s'affolait face à la situation et m'emmenait dans la salle de bain pour me laver, pour me montrer les usages et pour m'expliquer sur la menstruation. J'étais bien embarrassée au début et quand le soir mon père me regardait avec un air de contentement, je devinais que ma mère l'avait déjà mis au courant. J'éprouvais une honte qui me faisait réfléchir sur le changement qui s'était effectué dans ma nature.
Au collège, ma vie devenait intéressante. Je me liais d’amitié avec beaucoup de jeunes filles de mon âge et passais en leur compagnie des moments forts agréables. Je me trouvais dans une société qui évoluait bien vite. Je pris très tôt conscience de la réalité des choses et ne tardais pas à comprendre que, pour frayer mon chemin convenablement dans le milieu scolaire, j'avais toute raison de respecter les lignes de conduite et de ne pas ignorer que le succès appartient à tous ceux qui savent prendre des initiatives et que la chance ne sourit qu'aux audacieux. Entre-temps la situation de mon père s'améliorait. Il achetait une camionnette Peugeot 404 d'occasion qu'il utilisait pour se rendre à son travail, en même temps qu'il me déposait devant l'établissement scolaire. Mon père avait l'intention d'utiliser la camionnette pour vendre des marchandises dans les hauts pendant les week-ends afin d'arrondir sa fin de mois. Il avait des projets pour l'avenir. Il voulait s'acheter une maison en ville. Il avait aussi de l'ambition. Il voulait réussir. Donc il n'avait pas intérêt à rester les bras croisés. Il avait raison de bouger, de saisir sa chance. La ville de Saint-Denis offrait plusieurs perspectives à la réussite. L'activité commerciale paraissait l'une des meilleures par laquelle la fortune pourrait être faite en peu de temps, si la personne qui s'y intéressait parvenait à trouver le bon filon.
Un de ses amis le mit en rapport avec un négociant de quartier qui voulait lui acheter sa camionnette. Comme il n'avait pas l'intention de la vendre, il avait mis un prix qui représentait le double de ce qu'il avait payé. La personne en question accepta l'offre. Le bénéfice de cette transaction s'égalait à son salaire du mois. C'était là que mon père eut l'idée de se lancer dans le commerce des voitures d'occasions.
Une fois en sortant de l'école, ma mère m'apprit que nous devrions nous rendre à l'île Maurice. On avait eu dans la journée un télégramme disant que mon grand-père paternel était gravement malade. Mon père avait déjà fait les démarches nécessaires auprès de la Préfecture pour obtenir nos passeports. Ensuite il était allé voir le proviseur de l'école pour me faire avoir l'autorisation de m'absenter pour quelques jours. Ce voyage était mémorable pour moi et en évoquant le souvenir ici c'est comme si je l'avais vécu hier. Un ami de mon père nous avait déposés sur le quai au Port dans l'après-midi. Nous devions embarquer sur le navire Jean Laborde. J'étais malade toute la nuit et avais fait un très mauvais voyage. Mon séjour à Maurice était bref. Mon grand-père que je n'avais vu qu'une seule fois sur son lit pendant qu'il était bien malade mourut peu après. Une semaine plus tard nous étions de retour à la Réunion.
Mémoires d’une jeune fille libérée 2
Mémoires d’une jeune fille libérée
2
Je faisais l'objet de bonheur qui comblait mes parents dans leur vie conjugale. J'avais désormais augmenté considérablement les dépenses de la maison et mes parents devraient se montrer prudents pour ne pas épuiser le maigre salaire de la fin du mois. J'étais précoce et ne tombais pas souvent malade. J'étais joyeuse quand j'avais eu ma dose. Je m'habituais facilement aux gens de mon entourage et quand je commençais à prendre de forces, les voisines m'emmenaient chez elles pour passer la journée. J'avais la mauvaise habitude de tout ravager pendant mon enfance. Je grimpais sur les coiffeuses, ouvrais les tiroirs, montais sur les tables, brisais tout ce qui se trouvait à portée de main et me permettais de m'amuser de ma farce. Je boudais et me jetais carrément par terre quand on m'emprisonnait dans un parc. J'aimais tellement gesticuler que je pouvais à peine rester sans rien faire. Je cherchais souvent refuge dans les bras de mes parents.
Mes parents étaient des gens pieux. Depuis mon plus jeune âge je compris les craintes qu'ils avaient envers Dieu. Ils se réveillaient tôt le matin et consacraient énormément de temps à la prière. Mon père se rendait à la mosquée pour pratiquer les cinq prières obligatoires de la journée à des heures précises. Le matin quand il rentrait avec du pain et des croissants achetés à la boulangerie Sorbe située à deux coins de rues de notre maison, j'étais déjà réveillée. Il portait un courta et un bonnet blanc sur la tête. Il se rendait dans ma chambre, une pièce étroite et sombre où il y avait un petit lit et une penderie pour ranger mes vêtements. Il s'assit tout près de moi pendant quelques minutes pour me demander si j'avais bien dormi, si j'avais fait de beaux rêves en me caressant le visage. Ensuite il allait voir maman dans la cuisine. Elle s'asseyait toujours dans un sofa placé tout près de la porte pour profiter de l'éclairage et lire le Coran. Sa tête était couverte d'un châle de couleur sombre acheté à des marchands ambulants.
J'allais souvent les rejoindre pendant qu'ils buvaient le thé chaud et fumant. Je m'installais sur les genoux de papa et appuyais ma tête contre son épaule. Je voulais m'assoupir encore un peu en écoutant leur voix. Ils causèrent pendant un bon moment avant que papa ne décidât d'aller travailler. Les rayons de soleil commençaient à s'infiltrer à travers les vitres. Il faisait grand jour. J'avais un an quand la Réunion devint Département Français.
Quand j'étais assez grande et que mes parents me laissaient sortir toute seule, j'allais jouer avec des amis qui habitaient tout près de ma petite maison. Nous aimions beaucoup nous promener dans les rues commerciales pour admirer les vitrines des magasins. Nous passions dans des régions où nous pouvions regarder, à travers les grilles, des cours couvertes de gazon encore humide par la rosée du matin et des grandes maisons. J'aimais beaucoup contempler les belles maisons coloniales encadrées des beaux et gigantesques arbres fruitiers qui faisaient la fierté des propriétaires et des occupants.
Ma mère me faisait apprendre les rudiments de ma religion. Je récitais de longs versets du Coran le soir avant de dormir et pratiquais souvent la prière en sa compagnie dans une minuscule pièce sombre qui sentait l’encens. Quand je fus admise à l'école je pris l'habitude de me réveiller tôt le matin. Je mettais du temps pour me préparer. Avant de choisir une robe je restais longtemps devant la penderie coincée au fond d’une pièce étroite. Mes amies avaient du goût pour l'habillement. Je ne voulais pas paraître médiocre en leur compagnie. Ma mère me criait souvent après pour me rappeler que je n'avais pas besoin de me faire coquette pour me rendre à l'école. J'avais du mal à lui expliquer que pour moi c'était important de porter des vêtements à la mode. En classe je m’appliquais dans mes études et m'étais vite fait remarquer comme une élève brillante, appliquée et disciplinée.
Mes parents m'emmenaient souvent visiter les beaux quartiers de l'île. Nous sortions le matin avant que le soleil se lève. Nous roulions pendant longtemps sur les côtes des montagnes. Nous nous arrêtions souvent dans les rampes pour admirer les paysages pendant que le moteur de la voiture refroidissait. Le parcours était épuisant mais j'appréciais beaucoup ce moment qui me donnait l'occasion de découvrir des coins charmants de mon île. Des amis et des connaissances de mon père qui venaient de Maurice ou de Madagascar passaient souvent leurs séjours à la maison. Mon père les emmenait visiter le volcan, les cirques et leur faisait faire le tour de l'île. J'eus donc la chance dès mon plus jeune âge de connaître des endroits attrayants et d'admirer des paysages grandioses et pittoresques qui me fascinaient.
©KaderRawat
IL ÉTAIT UNE FOIS …LA COLONIE 6
Les bosquets étaient lugubres et ternes; les champs labourés par les esclaves la veille étaient humides encore par la rosée du matin; les plaines herbeuses étaient entassées de détritus où quelques animaux laissés dès l’aube par les habitants erraient; les portes des habitations, habituellement ouvertes à cette heure-ci étaient encore fermées. Omar eut le pressentiment que des choses étranges durent se passer durant la nuit. Des mystères semblaient planer au-dessus de la ville; ses yeux étaient habitués à voir se dérouler le rythme d’une vie qu’il connaissait. Il portait grands témoignages de son environnement et il ne pouvait se tromper; il demeurait pourtant devant un spectacle qui lui rendait perplexe et mélancolique; d’un pas mal assuré, titubant, comme pris d’un étourdissement soudain, dû peut-être à la mauvaise nuit qu’il avait passée, il se dirigeait dans la direction du quai; c’était bien là son but; il apprit de la bouche d’un cavalier pressé, effarouché, l’insurrection qui causait des troubles, des désordres, des frayeurs dans le cœur et dans l’esprit de la population.
Au lieu que les rues accueillaient les habitants, se remplissaient des tumultes aux décors grouillants de la ville, un aspect bien différent régnait partout. Les cris des enfants s’étaient éteints derrière les murs des maisons; ils étaient cloîtrés, condamnés à ne plus jamais laisser échapper dans l’air frais du matin ces voix remplies d’un chant mélodieux, voix innocentes qui d’habitude perçaient les ondes de l’espace, traversaient de longues distances pour aller se perdre dans les bruits fracassants de l’océan; l’absence des grincements des roues des charrettes remplies de marchandises et qui cahotaient dans les chemins défoncés, hissées dans un tintamarre par des esclaves robustes, et disparues ce matin-là, de la circulation, était la preuve qu’il se passait des choses drôles, étranges, singulières. Omar lui-même parvenait avec grande peine à comprendre; les grondements des tonneaux sur les trottoirs, les bruits des sabots sur les pavés s’étaient tous tus; l’absence des habitants de la ville, des marchands du quartier, des étrangers jetait une atmosphère de tristesse et de désolation qui faisait peur, qui éveillait la crainte dans l’esprit; toutes activités s’étaient évanouies derrière l’ombre d’un cauchemar que l’île aurait dû bien vivre ces dernières heures, genre de malédiction qui aurait frappé tout un chacun qu’ils cherchaient à panser leurs plaies derrière les façades remplies d’ombre et d’obscurité; la vie semblait si mystérieusement volatilisée et les événements survenus étaient difficiles à expliquer et Omar lui-même, en voulant éclaircir son esprit, demeurait incertain et sceptique; il poursuivait sa marche solitaire courageusement dans les rues désertes.
Les portes étaient verrouillées de l’intérieur, derrière lesquelles se trouvaient, aux aguets des moindres bruits singuliers qui leurs parvenaient à l’oreille, les citoyens dans l’unique but de protéger leurs familles innocentes et sans défenses, les armes à la main, prêts à surgir sur quiconque voulait les perturber dans leur vie; les citoyens attendaient dans un silence absolu, non sans crainte de se voir d’un moment à l’autre attaqué, submergé même par quelques esclaves marrons ou autres espèces de ce genre bien décidé, les hachettes à la main ou autres instruments sanguinaires, tels que serpes, sabres, faucilles, couteaux qui leur tomberaient dessus comme le glaive, les tranchant la gorge d’un seul coup sec, ou le crâne, faisant répandre la cervelle sur le parquet, alors que le corps, giclant de sang, comme le jet d’une fontaine bouchée, tombait en amas de chair inerte, dans un bruit fracassant. Dans une chambre noire comme de l’encre, sans avoir le courage de pousser un cri, de prononcer une seule parole, tant la voix ne voulait pas sortir de la gorge serrée, alors que des silhouettes informes se déplaçaient et que, dans un désordre qui bousculait meubles et vaisselles, maîtres et esclaves s’entrelaçaient, gesticulaient, comme dans un ébat amoureux, pour s’achever dans l’assouvissement d’une vengeance si longtemps restée insatisfaite et qui demeurait le facteur principal de tout ce qui aurait motivé ces actes de barbaries qui se terminaient dans le carnage, dans la mutilation sans exemple, n’épargnant ni femmes ni vieillards ni enfants.
Quelques fenêtres des premiers étages des bâtiments s’entrebâillèrent et se renfermèrent - clap - démontrant à quel degré les habitants étaient devenus soupçonneux, proies d’un psychose inespéré; la terreur de toutes ces pensées que les renvoyait leur imagination, jouait sur leur conscience, ne les laissant aucun moment de répit. La rumeur de ce qui fut advenu à la famille Thomas Derfield - dont l’histoire demeurait mystérieuse dans toute sa démesure - se répandait dans toutes les maisons de sorte à installer dans l’esprit de toute personne la crainte qu’un sort semblable les attendait, horreur qu’ils avaient bien du mal à soutenir, leur esprit étant bien trop faible pour supporter l’écho de tous ces malheurs qui pourraient leur tomber dessus.
Tandis que sur la ville une atmosphère de peur semblait régner partout, Omar, de son imagination troublée, confuse, de son œil de suspicion et de méfiance, hésitait à poursuivre plus loin sa marche quand il remarqua dans un carrefour, tout près des casernes, des cavaliers qui surgissaient comme des fantômes pressés avant de disparaître derrière un nuage de poussière, ayant l’air d’être poursuivis par le diable. Omar ne pouvait aucunement ce jour-là réaliser ce qu’il avait l’intention de faire : de s’acheter un esclave. Il pensait à sa petite fortune et décidait de ne pas se risquer dans les rues; malgré son état délabré, pitoyable, un malheur pouvait lui arriver, lui achever l’existence là où il ne l’aurait jamais attendu. Il décida de reporter ses démarches dans un jour bien plus propice, imaginant que le destin ne voulait pas qu’il procurât son esclave ce jour si néfaste. Bien qu’il remarquât que les gens rasaient les murs furtivement pour rentrer chez eux, il n’abandonna pas l’idée de se renseigner, à la première occasion, ce qui avait bien pu se passer pour que les choses lui semblent inhabituelles. Et pourtant ce qui se passait non loin de lui ne pouvait demeurer un mystère ni un secret pour personne. Les hommes s’étaient regroupés au fin fond des bois, se déplaçant dans l’orée opalescente du matin comme des silhouettes macabres avec entre les mains, baïonnettes, poudre d’escampette, fusils et tous les accessoires nécessaires pour une défense bien organisée que la garnison avait bien voulu mettre à la disposition des braves défenseurs et qui furent trimballer, dès l’aube, dans des chariots formant des caravanes sur les divers sentiers qui relièrent la ville aux différents quartiers de l’Ile. Tout en choisissant des positions stratégiques sous le commandement d’un officier de la milice, dans l’unique but de porter main forte à la garnison et de renforcer les régiments composés de quelques maigres poignées de soldats, ces défenseurs parmi lesquels s’étaient joints bons nombres d’esclaves bien décidés à rester aux côtés de leurs maîtres, des affranchis, des jeunes garçons poussés plus par la curiosité, par une aventure palpitante que par aucune raison bien plausible à définir leur présence dans ces lieux, tous ces défenseurs attendaient le moment décisif, le surgissement de ces esclaves révoltés comme l’ombre du démon dans l’effroyable obscurité du bois, rempli déjà des bruits sinistres parvenant des régions lointaines dans un silence bien effrayant, un silence de mort, un silence qui leur fit frémir jusqu’aux leur moelle, leur donnant envie de fuir, de ne plus jamais retourner dans ces lieux où les uns à plat ventre, les autres tapis dans le creux d’un arbre, ou derrière un taillis, dans un fossé, ils attendaient avec une inquiétude infinie, le glaive leur tomber dessus, la mort les surprendre dans leurs positions embarrassantes, les pieds longtemps engourdis, les mains ayant perdue toute énergie et les jambes recroquevillées pouvant à peine se remuer, l’esprit tari dans une frénésie incommensurable.
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
©Kader Rawat
IL ÉTAIT UNE FOIS LA COLONIE 5
En ouvrant le tiroir pour prendre la monnaie qu’il avait gagnée la veille pour la vente de ses meubles, Omar fût saisi d’une faiblesse indicible. Il se tenait pendant un bon moment au bout de la table. Il éprouvait des douleurs lancinantes. Il n’avait jamais ressenti de tels symptômes auparavant. Il évitait toujours de se faire ausculter par un médecin. Il préférait combattre ses complications de santé par ses propres moyens en utilisant des plantes médicinales de sa connaissance. Et pourtant, ce jour-là, ses afflictions, son état de vieillesse, ses désespoirs, le firent penser qu’il avait une santé fragile. Il devait déjà commencer à porter des soins à sa santé s’il ne voulait pas perdre, par négligence, une vie qui laissait l’avenir en suspens, des rêves en cours de réalisation, des projets inachevés. Ce rêve était de pouvoir attribuer à sa famille, condamnée dans la misère intense d’une vie, ce trésor qu’il avait acquis en guise de récompense par un capitaine français. Il avait sauvé, bien longtemps, ce capitaine des mains des pirates tortionnaires, qui le pourchassaient, le traquaient aux confins de cette île. Omar, déployant en ce temps-là, toutes ses vigueurs et ses ruses, l’avait caché dans une grotte. Le pauvre capitaine était fatigué, épuisé et il trimbalait avec lui un fabuleux trésor, une bourse contenant des centaines de pièces d’or. Le capitaine imaginait que sa vie n’avait pas de prix et remit à Omar, avec empressement, une poignée de ces pièces, avant de disparaître à jamais dans la nature, par une nuit orageuse et lugubre. Cette richesse, enfouie dès lors sous les cendres de son foyer composé de trois grosses pierres taillées, demeurait l’indice des conflits que les corsaires menaient aux pirates des hautes mers; ces pirates venaient des caraïbes pour semer les troubles parmi les navires marchands et dans les diverses îles des océans. Si en mers leurs habilités les rendaient célèbres, implacables, sur terre ils subissaient des pertes énormes, sans jamais se décider à se résigner, à se repentir, ni même à l’amnistie, si le cas ne leurs semblait pas nécessaire.
La possession d’une telle richesse n’avait jamais été pour Omar un objet de tentation pour chercher à l’utiliser afin de rivaliser ses biens aux plus riches personnalités de la ville. Il comparait toujours la richesse au miel et les gens aux fourmilles qui ne s’y approchent que pour tirer avantage. D’ailleurs il ne voulait pas se lancer dans des entreprises qui pouvaient lui attirer des ennuis. Il n’avait jamais voulu non plus mélanger sa vie avec celle qu’il ne pouvait s’adapter. D’être riche est une bien bonne faveur mais de vivre libre pour Omar est bien meilleure. Ce choix de préférer la liberté à la richesse était fait pendant qu’il était au service d’une grande famille bourgeoise, parents du Gouverneur, dans le quartier de Moka, des années auparavant. Une épidémie avait anéanti toute la famille. Omar lui-même était gravement malade mais sa constitution lui sauvait.
Maintenant qu’il était dans une vieillesse avancée, ses défaillances lui donnaient des doutes et même des soucis sur sa santé, lui persuadant le peu de jours encore qu’il lui restait à vivre, ce qui venait jeter, dans ses souffrances, sur son front protubérant une lueur terne, sombre: regret de n’avoir pu vivre sa vie comme il l’avait toujours souhaité, tout prés de sa famille. Il commençait par avoir la conviction de ne pouvoir jamais réaliser son rêve, qu’il avait choyé pendant des années, durant sa misérable vie, dans une imagination conçue avec fermeté, avec résolution et avec promesse que jamais l’idée de mener une vie de splendeur, de grandiose, de l’exubérance ne devait lui titiller l’esprit ni effleurer sa pensée en l’absence de sa famille et à l’instar même d’une vie exécrable que cette dernière, dans un monde sans pareil, devait mener. La résolution qu’il avait prise, ce matin qui lui avait enlevé de sa vue le voile qui lui cachait longtemps son existence réelle, de s’acheter un esclave qui prendrait soin de lui et l’aiderait dans ses démarches, l’avait donné du courage, malgré les peines qu’il devait éprouver de se relever pour se rendre à la vente aux enchères sur la place publique, au bas de la ville. En faisant un dernier effort pour fermer fenêtres et portes, Omar quitta sa demeure et s’engagea dans un sentier défoncé, couvert d’herbes et d’autres plantes sauvages, humides encore par la rosée du matin; sa case était cachée derrière des arbres et était difficilement perceptible aux passants. Aux pas mesurés, le paletot venté par une brise modérée, Omar faisait son chemin en traversant devant d’autres misérables cases du quartier.
Ceci est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite.
©Kader Rawat